Militaire - France - Grande-Bretagne : organisation des réserves mobilisables ; retrait des garnisons stationnées à l'Est de Suez ; ventes d'armements ; fusions de sociétés intéressant la défense nationale - Espagne : négociations pour le renouvellement des accords hispano-américains - Autriche
France
À l’occasion de la présentation du budget 1969, M. Messmer, ministre des Armées, a tenu une importante conférence de presse. Il n’est pas dans notre propos de nous étendre longuement sur les crédits militaires dans le cadre de cette chronique. Il nous paraît cependant intéressant de relever les réponses fournies par le Ministre à certaines des questions posées par les représentants de la presse.
Situation actuelle de la Défense opérationnelle du territoire (DOT)
Question. – Comment, avec quels moyens, est-elle encore une des composantes de la Défense nationale ?
« En ce qui concerne la DOT ce que l’on peut dire, c’est que le budget 1969 est un budget qui lui est favorable, car un des éléments de la DOT, tout le monde le sait, est la Gendarmerie et tout spécialement la Gendarmerie mobile. La création de 10 escadrons mobiles de plus en 1968, commencée dès le mois de juillet (ils seront tous créés dès le mois de décembre) et la création de 5 escadrons mobiles de plus en 1969, représente indiscutablement un accroissement des moyens de la DOT ».
« Donc, de ce point de vue, la DOT a fait un bénéfice dans le budget 1969. Elle fait un autre bénéfice qui n’est pas clairement apparent à travers la lecture des documents budgétaires, car nous n’avons pas individualisé (d’ailleurs il n’y a pas lieu de le faire), dans l’infrastructure et dans les transmissions, un crédit très important de plus de 170 millions pour la modernisation des transmissions de la DOT ».
(…)
« En ce qui concerne les unités de la DOT de 3e catégorie, nous n’avons pas prévu d’en augmenter les effectifs, mais nous avons prévu d’en regrouper certaines. Dans cet esprit-là, et c’est une chose qui intéresse les Alpins et les gens du Sud-Est, nous allons, avec les unités alpines et certaines unités non alpines de la 7e région militaire, constituer une deuxième brigade alpine qui sera “engerbée” avec la première, formant ainsi une division alpine sans qu’il y ait d’ailleurs augmentation des effectifs. En effet, nous “engerbons” des unités qui existent déjà et nous constituons des états-majors par prélèvements sur des états-majors existants (un état-major de brigade de DOT ce n’est pas d’ailleurs grand-chose). »
« L’état-major de la division alpine sera constitué notamment à partir du secteur alpin que nous supprimerons. À partir du moment où nous avons une division alpine, il est inutile que nous maintenions un secteur des Alpes. »
Service militaire
Question. – Est-il exact que le passage au service de 12 mois coûterait plus cher que le maintien du service actuel qui est de 16 mois ?
« Il faut dans ces affaires-là savoir exactement de quoi l’on parle. S’il s’agit de maintenir les effectifs au niveau actuel, c’est-à-dire à effectifs égaux (sinon le raisonnement ne vaut plus rien) il est certain que le service court coûte toujours plus cher que le service long, il n’y a aucun doute, c’est facile à démontrer, personne ne le conteste. Par conséquent, le service de 12 mois, à effectifs constants, nous coûtera plus cher le jour où on le décidera, que le service de 16 mois, de même que le service de 16 mois nous coûte plus cher à effectifs constants que le service de 18 mois. »
(…)
« Le budget est préparé dans l’hypothèse où l’on ne décide pas le service de 12 mois, ni une diminution de la durée du service militaire avant le 1er janvier 1970. Cela ne veut pas dire qu’on ne prend pas la décision ; mais cela veut dire que pendant toute l’année 1969 on reste au service de 16 mois. Le maintien du service de 16 mois pendant toute l’année 1969 est l’une des hypothèses techniques du budget. Vous savez qu’une des conditions que j’ai posées à la réduction de la durée du service militaire était l’augmentation des engagements pour atteindre un niveau compatible avec la réalisation de nos forces. Ce niveau, je l’ai dit et je le répète, est atteint déjà par la Marine et l’Armée de l’air ; on peut même dire que l’Armée de l’air fait du rattrapage en ce moment, c’est-à-dire que l’Armée de l’air compense par ses engagements le déficit des années antérieures à 1967, car 1967 était déjà une année équilibrée. La Marine reste au niveau qu’elle juge nécessaire. Pour l’Armée de terre nous estimons que le niveau des engagements volontaires doit être de 12 500 par an. »
Grande-Bretagne
Organisation des réserves mobilisables
L’organisation actuelle des réserves mobilisables a fait l’objet de nombreuses critiques. M. Enoch Powell, ancien ministre de la Défense dans le contre-gouvernement conservateur, s’est plaint de la pauvreté des réserves, tant sur le plan des effectifs que sur celui des matériels.
Le parti libéral, réuni en congrès à Édimbourg, a réclamé la création d’unités de Défense civile qui remplaceraient la Territorial Army et seraient capables d’intervenir rapidement en cas de catastrophe nationale.
De son côté, le parti conservateur, réuni à Blackpool, a demandé qu’un service civil volontaire soit institué afin de constituer un corps de volontaires. Déjà, en effet, lors des dernières inondations dans le Sud-Est de l’Angleterre, l’opposition s’était plainte du manque d’unités de défense civile recrutée sur une base régionale.
Le problème consiste donc à trouver une formule économique et efficace alliant la DOT et la défense civile, c’est-à-dire opter vraisemblablement pour une milice de type suisse, que certains appellent déjà la Citizen Army.
Retrait des garnisons stationnées à l’Est de Suez
Les problèmes soulevés par le retrait des garnisons britanniques stationnées à l’Est de Suez trouvent progressivement leur solution.
Dans le golfe Persique, la Commission permanente de la Fédération des Émirats a tenu sa première séance plénière les 9 et 10 septembre, et préparait une série de mesures qui ont été soumises au Haut Conseil des Chefs d’État. Sur le plan militaire, les forces aériennes naissantes vont se développer d’ici à 1971, sous l’égide de la firme Airworks Services qui assure leur maintenance. Quelques avions d’entraînement BAC 167 Strikemaster (British Aircraft Corporation) sont attendus à Mascate et à Oman, 2 Britten-Norman Islanders, 2 hélicoptères Bell et 6 BAC 167 à Abu Dhabi.
À Singapour, les instructeurs de la Royal Air Force (RAF) commencent l’entraînement d’une quarantaine de pilotes pour la future armée de l’air. Ces pilotes recevront l’an prochain, en Angleterre, une formation complémentaire sur BAC 167, puis sur Hawker Hunter.
Par ailleurs, le Sultan du Bruneï s’est rendu à Londres pour étudier, avec les représentants des ministères de la Défense et du Commonwealth, le problème de la défense du Bruneï, à partir de 1972. Jusqu’à cette date, le bataillon Gurkha, dont les frais d’entretien sont couverts par le Sultan, restera sur place.
En Australie, tandis que le parlement de Canberra se penchait sur les problèmes soulevés par le maintien des forces stationnées en Asie du Sud-Est après le départ des Britanniques, un très important exercice interallié, baptisé Coral Sands, se déroulait près de Rockhampton, sur les plages du Queensland. Le porte-avions Hermes, le porte-hélicoptères Albion, la 3e Brigade de commandos des Royal Marines, ainsi que des unités Gurkhas et d’hovercraft SR-N6 ont participé à ces manœuvres en coopération avec des éléments américains et néo-zélandais, soit au total 18 000 hommes et 50 navires. À cette occasion, le Chef d’état-major de l’Armée de terre a affirmé, qu’en 1971, les premiers éléments des réserves stratégiques stationnées en Angleterre pourraient intervenir en Extrême-Orient dans un délai de quatre jours.
Ventes d’armements
La Grande-Bretagne continue à développer ses exportations d’armements.
Le Malawi a commandé 3 patrouilleurs aux chantiers britanniques, tandis que le Koweït signait un contrat pour la livraison de 6 appareils d’entraînement et d’attaque au sol BAC 167.
En Jordanie, le gouvernement s’apprête à acheter de nouveaux armements dans les pays occidentaux, notamment en Grande-Bretagne.
En Iran, l’effort porte sur l’aviation et la marine. Le gouvernement de Téhéran a signé avec un consortium britannique un contrat d’une valeur de 18 M de livres pour la modernisation de 20 aérodromes civils et militaires iraniens. La marine iranienne a d’autre part pris livraison du premier escorteur ASM construit pour elle par les chantiers britanniques.
Fusions de sociétés intéressant la Défense nationale
L’activité économique en Grande-Bretagne est caractérisée par le mouvement de fusion et de concentration qui s’accentue dans divers secteurs intéressant la Défense nationale.
Dans le domaine de l’industrie électrique et électronique, deux sociétés – English Electric et General Electric Corporation – ont décidé de fusionner, donnant naissance à une entreprise qui emploie 250 000 personnes et occupe ainsi le 4e rang mondial.
Le secteur de l’industrie nucléaire connaît lui aussi une importante réorganisation. Trois sociétés actionnaires du groupe Nuclear Design and Construction (Babcock and Wilcox, English Electric, Taylor Woodrow Construction) s’associent à l’UK Atomic Energy Authority et à l’Industrial Reorganization Corporation pour former un consortium, dans le but de stimuler l’industrie nucléaire, favoriser les ventes de centrales et regrouper les services de recherche.
À cette concentration sur le plan national s’ajoute une restructuration à l’échelon européen, avec la constitution de la société Inter Nuclear. Cette entreprise a pour objet la vente, la construction et l’exploitation de réacteurs à gaz à haute température. Son capital, initialement fixé à 10 M de francs belges, est fourni par les quatre groupes : The Nuclear Power Group Limited (Grande-Bretagne), Snam Progetti (Italie), Gutehoffnungshütte Sterkrade (République fédérale d’Allemagne – RFA) et Belgonucléaire (Belgique).
Inter Nuclear dispose en plus de la possibilité de recourir aux ressources financières considérables de ses sociétés actionnaires. Celles-ci apportent leur expérience technologique et l’ensemble de leurs moyens d’étude et de développement. Le personnel d’Inter Nuclear se chiffre ainsi à 3 500 employés, dont un millier d’ingénieurs. Les capacités techniques et financières mises à la disposition de la nouvelle société européenne doivent lui permettre d’occuper une place de premier plan dans le monde.
Espagne : négociations pour le renouvellement des accords hispano-américains
Au terme de dix jours de négociations serrées, menées à Washington par Fernando Maria Castiella, le ministre des Affaires étrangères, le gouvernement espagnol a annoncé son intention de dénoncer l’accord de défense conclu le 26 septembre 1958 avec les États-Unis.
Par cet accord, l’Espagne autorisait les États-Unis à agrandir, à entretenir et à utiliser à des fins militaires, conjointement avec elle, des zones et installations de son territoire (1). En contrepartie, les États-Unis fournissaient une aide sous forme de matériels militaires pour contribuer à la défense aérienne efficace de l’Espagne et pour améliorer l’équipement de ses forces terrestres et navales.
Signé pour dix ans, cet accord était automatiquement renouvelable pour deux périodes de cinq ans à moins que l’une des deux parties n’annonçât son intention d’annuler l’accord, ouvrant ainsi une période de consultations de six mois. Si l’accord n’était pas prorogé, il expirait un an après la fin de la période de consultations.
Bien que les deux partenaires se soient montrés fort discrets sur la teneur des pourparlers engagés pratiquement depuis un an en vue du renouvellement de l’accord pour la période 1968-1973, la presse espagnole s’est abondamment employée à démontrer que les conditions stratégiques étaient changées, qu’à une valorisation des bases américaines en Espagne, présentant des risques accrus pour le pays, devaient correspondre de meilleures garanties de sécurité, un appui politique et une aide économique et militaire plus substantielle.
Il est évident que les États-Unis ne peuvent actuellement consentir de tels engagements alors que le Congrès a réduit de plus d’un tiers l’ensemble des dépenses d’aide militaire à l’étranger, et qu’il se montre peu disposé à transformer les accords actuels avec l’Espagne en un traité de défense mutuelle. Mais quels que soient les objectifs du gouvernement espagnol, il est certain qu’il se trouverait gêné par les conséquences d’un échec des consultations : retour possible à l’isolement, dépréciation vraisemblable de la monnaie, ralentissement dans la modernisation des forces armées.
Autriche
L’intervention soviétique en Tchécoslovaquie, la tension qui en est résultée entre l’URSS et la Yougoslavie, les survols du territoire fédéral par les avions du Pacte de Varsovie ont sérieusement perturbé le climat d’insouciance qui régnait en Autriche.
Le chancelier Klaus a exprimé sans ambiguïté la détermination de l’Autriche à défendre sa souveraineté : « L’Autriche est décidée à défendre sa souveraineté et sa neutralité par tous les moyens. Une neutralité qui n’est pas disposée à se défendre n’est pas une véritable neutralité : nous nous défendrons par les armes contre toute agression militaire ».
Cette détermination s’est traduite par :
– le maintien sous les drapeaux, jusqu’en octobre, de 11 000 hommes du contingent, libérables en septembre ;
– l’exécution d’un exercice d’alerte générale ;
– le renforcement des unités stationnées près de la frontière tchécoslovaque ;
– l’envoi dans la région frontalière d’importantes unités de l’armée et de la gendarmerie ;
– la mise en état de défense de certains points sensibles et notamment des aérodromes.
M. Prader, ministre fédéral de la Défense, tente de revaloriser l’Armée au sein de la Nation et de moderniser les unités. Cependant, la faiblesse et l’impréparation des 7 brigades du Bundesheer ne permettraient pas de s’opposer efficacement à l’invasion du territoire national, du fait notamment de l’absence d’armes antichars et antiaériennes modernes qu’une clause du traité d’État interdit à l’Autriche de posséder.
(1) Les facilités accordées aux Américains en Espagne concernent actuellement :
– la présence d’environ 10 000 militaires américains ;
– l’utilisation de trois bases aériennes ;
– l’utilisation d’une base aéronavale et sous-marine ;
– la liberté de survol du territoire espagnol