Aéronautique - Le Salon Aéronautique de Tokyo - Le SRAM (Short Range Attack Missile), engin air-sol pour bombardiers stratégiques - Augmentation du coût des C-5A
Le Salon aéronautique de Tokyo
Il n’est pas trop tard pour parler du Salon aéronautique organisé à Tokyo en octobre 1968. Les productions et les exportations des constructeurs d’avions japonais sont sans doute encore modestes par rapport à celles des autres branches de l’industrie de ce pays, il n’en reste pas moins qu’elles ne se limitent plus désormais à des constructions sous licence : le « Salon de l’Asie » comme titre une revue britannique, pourrait bien, au fil des années, nous révéler des nouveautés, voire nous réserver des surprises.
Il n’en a pas été encore ainsi, il faut le dire, cette année, et les organisateurs semblent avoir eu pour principal souci d’offrir à leur public un beau spectacle, qu’il n’a d’ailleurs pas boudé, puisqu’on a parlé d’un million de visiteurs. Plus qu’à une exposition de matériel aéronautique japonais, on avait affaire à un déploiement de stands étrangers, la France ayant fourni notamment une participation importante.
La manifestation s’est déroulée à la base d’Iruma, non loin de Tokyo, entre le 9 et le 13 octobre. Seconde du genre, elle était organisée par l’Association aéronautique japonaise, la Société des constructeurs d’avions japonais et le journal Asahi-Shimbun, qui assurait la plus grande part du financement.
Un Transall de la 61e escadre de transport, basé à Orléans-Bricy, figurait en tête des avions français exposés, les autres se présentant à vrai dire sous forme de maquettes ou de modèles réduits. Mirage F-1 et Jaguar apparaissaient ainsi en vraie grandeur : il faut dire que le premier pouvait encore être considéré alors comme un des concurrents éventuels pour le programme japonais FX d’un avion de chasse étranger construit sous licence (avec le Saab Viggen, le Lockheed CL-1010 et le Phantom), et que le Jaguar reste sur les rangs comme remplaçant intérimaire des T-33 et F-86, en attendant la concrétisation du programme japonais intitulé TX ou XT-2. Les modèles réduits représentaient le Concorde, l’Airbus et le Mirage G.
Il n’est pas indifférent de noter que tout ce matériel (à l’exception de la maquette du Mirage F-1) auquel s’ajoutait un stand préfabriqué, appartenant à l’Union syndicale des industries aéronautiques et spatiales, avait fait le voyage en Transall.
La France exposait en outre une Alouette III et un Atlantic, ce dernier type d’appareil se présentant comme un éventuel remplaçant des Neptune P-2VJ. L’Allemagne quant à elle montrait un autre Transall.
Les États-Unis avaient déplacé de leurs bases plus ou moins voisines un certain nombre d’avions militaires de l’Armée de l’air et de la Marine : deux Phantom (dont un en version reconnaissance), un B-57 Canberra, un Lockheed C-130 Hercules, un McDonnell RF-101 Voodoo, un Douglas A-4 Skyhawk, un Vought F-8 Crusader, des hélicoptères et des avions d’affaires. En fait, ils étaient surtout présents implicitement avec les nombreux avions construits sous licence au Japon, mais conçus aux États-Unis, qu’on pouvait voir sur les aires de stationnement et qui témoignaient assez de la prééminence, sinon du monopole américain dans ce pays.
Les Britanniques avaient limité leur participation aux seuls produits déjà construits sous licence ou vendus au Japon ; cela n’a pas manqué de déplaire au commentateur de la revue Flight qui fait ressortir que la Grande-Bretagne, second fournisseur après les États-Unis de modèles construits sous licence au Japon, ne devrait pas négliger à ce point les occasions de publicité qui lui sont offertes dans une manifestation appelée peut-être à devenir le grand marché aéronautique d’Extrême-Orient.
L’amour-propre national, très vif chez les rédacteurs de cette revue, a trouvé toutefois une consolation dans la virtuosité de Charles Maxfield, aux commandes du Beagle B.206S, seul avion britannique présenté en vol.
Quant aux Russes, ils avaient adopté la même politique, ce qui, dans leur cas, est plus surprenant : point de propagande, mais seulement une exposition du matériel offrant des possibilités commerciales à court terme : triréacteur Yakovlev 40 (1), hélicoptère Kamov 26 à deux rotors (2). On peut noter que pendant le déroulement de l’exposition, un Iliouchine 62 était présenté à la compagnie Japan Air Lines. Les Russes exigent en effet que cette société achète des Il-62 en contrepartie de l’autorisation d’ouvrir une ligne vers l’Europe à travers la Sibérie.
Je parlerai plus loin des avions « japonais ». Pour en finir avec le Salon de Tokyo, il faut dire un mot des présentations en vol. Jugées « assez modestes » par un spectateur français, elles sont qualifiées d’ennuyeuses par le rédacteur de Flight. Il en attribue en partie la cause aux réglementations pointilleuses de la circulation aérienne japonaise, qui interdisent notamment aux pilotes privés les vols entre terrains différents sans une autorisation particulière du ministère des Transports. Comparés à la noria ininterrompue de nos salons aéronautiques, les circuits des avions paraissaient à Tokyo désespérément longs, ce qui d’ailleurs permettait de faire durer la présentation de 9 h à 15 h. Mais le public japonais pour qui tout était nouveau paraissait ravi.
Il n’y eut que cinq présentations en vol d’avions étrangers : l’hélicoptère léger américain OH-6A, l’hélicoptère Kamov 26, le Transall, le C-130 et le Beagle B.206S.
Le Hughes 500 (OH-6A), hélicoptère léger d’observation de l’Armée de terre américaine, commandé par l’Armée brésilienne, existe déjà à plusieurs centaines d’exemplaires ; il a donné une belle démonstration de sa maniabilité. Il n’est pas surprenant que le Ka-26 ait paru ensuite lourd et bruyant ; il a montré toutefois ses capacités d’épandage de liquide (900 kg) ; le C-130 a fait une démonstration de parachutage lourd ; quant au Transall de la Luftwaffe, le rédacteur de Flight lui reproche ses virages trop larges et la lenteur de sa présentation : il oublie seulement de préciser que la tâche de présenter un avion en vol de façon attrayante pour les journalistes spécialisés, ne fait pas partie de l’entraînement normal des équipages et ne peut donc être entrepris sans préparation ; en outre, il faudra bien renoncer un jour à présenter les avions lourds à la façon des appareils d’aéroclubs, pour la seule beauté du spectacle ; quant au Beagle B.206S, ne doutons pas que sa démonstration fût magnifique (il a exécuté entre autres un tonneau barrique), mais rappelons-nous qu’il s’agit seulement d’un bimoteur d’affaires.
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Naturellement, les Japonais exposaient la plupart des avions en service dans leurs « Forces d’autodéfense » : pour l’Armée de l’air, F-86 Sabre en versions chasse et reconnaissance ; F-33 ; Fuji T-1B (monomoteur biplace d’entraînement, équipé du seul réacteur entièrement japonais, l’Ishikawa J3, de 1 200 kg de poussée) ; Beechcraft T-34 Mentor, biplace d’entraînement à hélice ; Beechcraft Queen Air ; hélicoptère Boeing-Vertol KV-107 (2 turbines de 1 250 CV, 2 rotors) et Bell UH-1B, appareils d’assaut utilisés par l’Armée de terre (« Forces terrestres d’autodéfense ») et construits l’un et l’autre sous licence dans des usines japonaises ; pour la Marine, Grumman S2 Tracker, avion bimoteur embarqué de lutte contre les sous-marins et surtout P-2V7, le Neptune construit sous licence par Kawasaki.
Parmi les avions japonais, on notait le Fuji FA200 représenté par son prototype n° 3, un avion d’expérimentation de la formule « aile soufflée » (FA200S) ; le Mitsubishi MU-2 ; le NAMC YS-11.
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L’industrie japonaise ne manque ni de programmes ni de projets. Si nous prenons Mitsubishi, société la plus importante, qui vient d’achever la construction de 210 F-104J sous licence, nous la voyons à la tête d’une commande importante d’engins sol-air Nike Hercules à construire également sous licence. Ce matériel doit servir de base dans les dix prochaines années à la défense aérienne japonaise.
En outre, la société s’est fait attribuer le contrat d’étude et de fabrication du programme XT-2, correspondant à un avion d’entraînement à la chasse et d’attaque au sol. Cet avion, dont on sait seulement qu’il sera équipé du moteur Rolls Royce Turbomeca Adour (turboréacteur à double flux du Jaguar), devrait voler en tant que prototype en 1971 et être livré en série vers 1974. L’Armée de l’air japonaise en recevrait cinquante selon une revue française, beaucoup plus selon une revue britannique : quoi qu’il en soit, rival du Jaguar, l’appareil peut intéresser de nombreux clients en Asie, Amérique du Sud et Afrique. Une compagnie française et une britannique sont sur les rangs pour fournir le système de tir.
L’avion d’affaires et de liaisons MU-2, équipé de deux turbopropulseurs Garrett Airesearch de 575 CV, vole depuis 1963, et sa production atteint maintenant la cadence de 8 par mois. Il peut emmener 6 ou 8 passagers ou encore, dans sa version militaire, 2 caméras et 2 mitrailleuses de 12,7 avec en outre un radar à balayage latéral ou détecteur à l’infrarouge. Il vole à plus de 400 km/h à 6 000 m et son rayon d’action maximum est de 1 900 km. Une vingtaine d’exemplaires sont destinés à l’Armée de terre japonaise, plusieurs dizaines ont déjà été exportées et d’autres vont l’être vers les États-Unis à la cadence de 1 par mois.
Enfin la compagnie construit sous licence des hélicoptères Sikorsky (notamment le SH-3A Sea King, pour la Marine).
Kawasaki s’est spécialisé en partie dans la construction sous licence d’hélicoptères (Boeing Vertol KV-107 II : 16 exemplaires (3) ; Bell 47, en plusieurs versions : 400 exemplaires ; Hughes OH-6A : 55 exemplaires). Mais il fournit également à la Marine les différentes versions du P-2V Neptune, avion de lutte contre les sous-marins datant de 1945, à qui ses qualités ont valu de longues années de service. Le Japon, dont la situation évoque celle de la Grande-Bretagne – constatation qui est presque devenue un lieu commun – avec cette différence que le continent dans son cas appartient au bloc adverse, a besoin de nombreux avions de ce genre. Kawasaki a donc construit 48 exemplaires du P-2V7, mais en outre il a fait voler pour la première fois en 1966 une nouvelle version équipée de turbopropulseurs General Electric T64 de 2 850 CV et de deux turboréacteurs Ishikawajima J8 de 1 200 kg de poussée ; c’est le P-2J dont 69 exemplaires sont prévus. Pourtant rien de ce qui se rapporte à cet avion n’a été montré à Iruma.
La Nihon Aeroplane Manufacturing Company (NAMC) est maître d’œuvre pour la production de l’avion de transport YS-11 (à laquelle participent Mitsubishi et Fuji), gros succès d’exportation pour le Japon puisque plus de 60 exemplaires ont été vendus jusqu’ici à six pays étrangers. La Marine japonaise de son côté en a commandé une douzaine. Équipé de deux turbopropulseurs Rolls Royce Dart, il peut emmener jusqu’à 60 passagers et vole à 400 km/heure. Il est livrable en version fret ou en aménagement mixte. Son rayon d’action varie entre 600 et 2 500 kilomètres en fonction de la charge emportée. Il existait un projet intitulé Y-X, de biréacteur de transport dérivé de l’YS-11, mais il semble qu’aucune décision n’ait été prise à ce sujet. En revanche, le programme de biréacteur de transport militaire C-X, destiné à remplacer le C-46 Commando de l’Armée de l’air, paraît suivre son cours. L’appareil sera équipé de deux turboréacteurs à double flux Pratt & Whitney JT8D-9 de 6,5 t de poussée ; il serait construit en cinquante exemplaires. Il comportera une aile haute, des moteurs en nacelles sous les ailes et se chargera par l’arrière. Le premier vol est prévu pour 1970.
Fuji Heavy Industries construit sous licence les hélicoptères Bell UH-1B (100 exemplaires) et espère vendre en Australie et en Asie un quadriplace de tourisme Aero-Subaru. Rappelons que cette société a construit naguère à une soixantaine d’exemplaires le Fuji T-1, avion d’entraînement de début avec deux sièges en tandem. Équipé dans sa version originale du turboréacteur Bristol Siddeley Orpheus, il a reçu depuis le moteur japonais J3. Auparavant Fuji avait construit sous licence 126 Beechcraft 45 Mentors, avions d’entraînement à hélice.
On n’a pas vu dans le ciel d’Iruma le prototype de l’hydravion patrouilleur Shin Meiwa PX-5, dont le prototype a effectué son premier vol il y a un an et dont 14 exemplaires ont été commandés par la Marine japonaise. D’un poids total de 39 t, il est doté de quatre turbopropulseurs General Electric T64 de 2 850 CV. Mais surtout grâce à des systèmes de contrôle de couche limite et de déviation du souffle des hélices, cet hydravion a des caractéristiques de décollage et d’atterrissage courts. Sa longueur relative (33 m, pour 32 d’envergure) lui donnerait de bonnes qualités de flottaison. Une version amphibie est à l’étude. La Marine japonaise envisagerait de l’équiper avec un système de détection dérivé de celui du Nimrod.
Rappelons enfin que Mitsubishi, Kawasaki et Ishikawajima-Harima Heavy Industries (IHI) sont les sociétés constructrices de moteurs, mais que IHI est la seule à avoir fabriqué en grande série un réacteur original, le J3, qui équipe les avions Fuji T-1 et P-2J. Assez curieusement, IHT, qui a aussi dans ses projets un réacteur de sustentation le J300, dont le rapport entre poussée et poids serait de 25, et un réacteur à double flux, n’avait pas de stand au salon de Tokyo.
On sait enfin que le choix de l’avion étranger destiné à être construit sous licence dans le cadre du programme FX (chasseur d’interception et d’assaut à moyenne distance) qui n’était pas encore connu au moment du salon n’a pas tardé à être rendu public dans le sens attendu : le Japon a choisi le F-4E Phantom et se trouvera donc le seul pays étranger à en construire sous licence la version la plus récente. 130 exemplaires sont prévus, dont la moitié sera montée au Japon dans les usines de Mitsubishi avec des éléments fabriqués aux États-Unis. Kawasaki sera sous-traitant dans cette affaire. Peut-être le Japon achètera-t-il pour équiper ces appareils les derniers modèles d’engins air-air Falcon et Sparrow, en attendant la mise au point d’un engin japonais.
Le SRAM, engin air-sol pour bombardiers stratégiques.
Un bombardier Boeing B-52H vient d’être aménagé pour permettre les essais de l’engin SRAM (Short Range Attack Missile). Cette nouvelle arme, dotée d’une ogive nucléaire, est destinée à équiper les B-52, les FB-111 et plus tard l’AMSA (Advanced Manned Strategic Aircraft), qui pourront la tirer à 150 kilomètres de l’objectif. Quand le programme a été lancé, il n’était encore question de le monter que sur le FB-111 et l’ASMA, mais devant les retards successifs pris par ce dernier projet, il a bien fallu se résoudre à modifier une fois de plus les B-52. Seuls les types G et H seront adaptés pour recevoir le SRAM ; mais on ne sait pas encore combien d’escadres du Strategic Air Command seront ainsi transformées. Le lancement du programme AMSA, qui paraît probable pour 1960 puisqu’il viendrait immédiatement après le chasseur FX dans l’ordre des priorités retenues par l’Armée de l’air américaine, ne semble pas susceptible de modifier cette décision, étant donné les délais de mise au point.
On sait que les B-52 sont équipés d’engins Hound Dogs de 13 m de long et plusieurs centaines de kilomètres de portée. Le SRAM sera nettement plus petit : 4,20 m environ, et sa portée sera moindre, mais alors qu’un B-52 n’emporte actuellement que deux Hound Dogs il pourra recevoir 12 SRAM montés dans deux châssis accrochés sous les ailes et une dizaine d’autres dans sa soute à bombes. Quant au FB-111, sa capacité sera vraisemblablement de 4 SRAM en charges externes et 2 dans la soute. L’AMSA enfin, selon la conception actuelle, doit posséder une vaste soute pour des charges de bombes classiques dépassant 45 tonnes : il sera donc en mesure de recevoir beaucoup plus de SRAM que le B-52 (32, dit-on).
Le système de guidage comprend un « programmeur », une plate-forme à inertie « rustique » et un altimètre radar. Une fois le « programme » injecté et l’engin lancé, on ne peut plus modifier sa trajectoire ; il ne possède pas de procédé « d’acquisition d’objectif », ce qui empêche une grande précision et par suite interdit d’employer le SRAM avec des explosifs classiques. Pourtant, devant l’intérêt que semble susciter cette formule, il est possible que Boeing cherche à améliorer et à compléter le dispositif de guidage en vue de versions ultérieures non nucléaires. Tel qu’il se présente actuellement, il a néanmoins des caractéristiques intéressantes, comme la possibilité d’arriver sur l’objectif selon différentes trajectoires pour leurrer l’adversaire ; celle-ci lui est donnée entre autres par son moteur à combustible solide (construit par Lockheed) qui peut fonctionner en deux temps : au cours du premier, il accélère jusqu’à sa vitesse de croisière, après quoi le moteur s’arrête, pour se remettre en route près de l’objectif et le faire piquer sur celui-ci à grande vitesse ; cap et altitude de vol peuvent aussi changer pendant sa trajectoire vers le but. Des essais de vitesse ont été conduits jusqu’à 3,6 Mach.
Son constructeur (Boeing) lui attribue les qualités suivantes : difficile à détecter de par ses dimensions, il permet à son bombardier porteur de garder assez de recul pour n’avoir pas à affronter le périmètre le plus fortement défendu ; il peut, de plus, être lancé aussi bien à haute qu’à basse altitude. Il serait donc capable soit de détruire un objectif stratégique, soit d’endommager suffisamment les défenses ennemies pour autoriser ensuite des bombardements directs. C’est même dans cette intention précise qu’on va équiper les B-52 d’un nouveau détecteur de radars. Il a même fallu remplacer d’autres équipements des B-52 par des dispositifs plus précis compatibles avec l’usage du SRAM : système de navigation à inertie, calculateur de bord.
Les vols devaient commencer en décembre avec des engins sans moteur, dotés seulement du système de guidage ; les essais d’engins complets seront entrepris en 1969.
Ainsi l’Aviation pilotée de Bombardement Stratégique dont les augures prédisaient voici quelques années la fin prochaine voit-elle s’ouvrir devant elle de nouvelles perspectives.
Augmentation du coût des C-5A
On sait que le prototype du C-5A, « l’avion le plus grand du monde », est sorti d’usine, a fait ses essais de roulage et a effectué son premier vol aux dates prévues. Mais si l’appareil semble une réussite sur le plan technique, il n’en va pas de même dans le domaine financier, où les coûts initialement estimés sont dépassés de près de cent pour cent.
Rappelons que le marché en cours comprend les études et la mise au point de l’avion, ainsi que la production de 58 exemplaires, mais qu’il était entendu qu’une seconde commande de 57 appareils et une dernière de 5 suivraient à brève échéance. La décision finale doit être prise le 31 janvier 1969, mais on ne peut plus affirmer qu’elle sera positive, car un émoi compréhensible se manifeste au Sénat américain. À plus forte raison n’est-il plus question désormais d’acquérir deux cents appareils comme l’Armée de l’air avait semblé à une certaine époque l’envisager.
C’est au début de novembre que la Commission financière du Sénat a été officiellement informée que l’Armée de l’air devait faire face à une augmentation de 1 250 millions de dollars par rapport aux estimations initiales de 2 000 millions, pour l’acquisition des 58 premiers avions. Encore n’est-on pas sûr que cette estimation soit définitive. Aussi une enquête du Service des comptes de la nation a-t-elle été déclenchée, le Sénat exigeant que ses résultats soient publiés avant la passation d’un nouveau marché. On lui demande de déterminer si les dépassements sont dus à une mauvaise gestion de la maison Lockheed ou bien si la société n’avait pas sciemment proposé en septembre 1965 des prix impossibles à tenir pour enlever le marché à ses rivaux, Boeing et Douglas.
L’aspect paradoxal de cette affaire réside dans le fait que le contrat signé avec Lockheed était d’un type nouveau, conçu pour servir à la fois les intérêts du pays, en empêchant les augmentations de prix, et ceux du constructeur, en lui ménageant un bénéfice suffisant. Mais comme beaucoup de conceptions trop théoriques, cette formule n’a pas résisté à l’épreuve de l’expérience.
Il semble bien que pour le constructeur le désir de se voir réserver un tel marché l’ait emporté sur les craintes d’endosser une partie des dépassements de prix et que certaines clauses aient joué à l’opposé de ce qu’on attendait d’elles. On comprend les réflexions désenchantées d’un groupe de travail républicain qui constatait dans un autre domaine les résultats désastreux de l’esprit de système et des mesures prises in abstracto : « Il serait temps que pour prendre des décisions on fasse jouer l’intuition et les autres facteurs subjectifs ».
Toujours est-il qu’aux termes du contrat, Lockheed et General Electric, principaux adjudicataires, devraient prendre à leur compte la majeure partie du dépassement : près d’un milliard de dollars. Ils pourraient difficilement le supporter et il paraît évident qu’on ne leur laissera pas toute cette charge, mais ils risquent de perdre une partie des commandes ou de les voir étendues sur une plus longue période.
L’Armée de l’air, pour sa part, attribue les dépassements à plusieurs causes : augmentation du coût de la main-d’œuvre et du prix des marchandises ; introduction de nouvelles techniques ; modifications successives effectuées pour résoudre des difficultés inattendues et surtout pour ne pas dépasser le poids à vide exigé. C’est ainsi qu’entre autres les volets ont été modifiés, que le béryllium a été substitué à l’aluminium dans les éléments de freins, et que les dimensions du train d’atterrissage ont été réduites.
Le sénateur Proxmire, président de la Commission financière, a demandé de son côté aux enquêteurs de s’assurer que les provisions versées jusqu’ici à la société Lockheed n’avaient pas servi à financer des projets étrangers à la Défense nationale, comme la version civile du C-5A.
La colère des sénateurs paraît d’autant plus grande qu’ils ont l’impression d’avoir été tenus trop longtemps en dehors de cette affaire : en mars, on n’annonçait encore que 250 millions de dollars de dépassement. Or depuis huit mois le bond a été d’un milliard de dollars. Si les 120 avions étaient achetés et si le dépassement total se limitait aux 1 200 millions actuels – ce qui paraît optimiste – chaque C-5A reviendrait quand même à l’Armée de l’air américaine l’équivalent de 200 millions de francs. ♦
(1) Yak-40 : avion de transport pour courtes distances. Turboréacteurs à double flux de 1 500 kg de poussée. Transporte 24 passagers à 550 km/h sur 600 km. Il est prévu dans certains cas de couper le troisième moteur en croisière.
(2) Ka-26 : hélicoptère moyen polyvalent ; 2 moteurs a pistou de 525 chevaux ; 7 passagers.
(3) Selon les publications, ce nombre varie entre 16 et 40.