Maritime - Dans la Marine française : exercices, évolution du matériel et réformes organiques - À l'étranger : les constructions neuves de la Royal Navy ; embarras américain ; les mouvements de la flotte soviétique
Dans la marine française : exercices, évolution du matériel et réformes organiques
Les deux escadres de l’Atlantique et de la Méditerranée ont exécuté les 17 et 18 décembre, au large des côtes de Provence, un exercice tactique, AA (antiaérien) et ASM (anti-sous-marin), commun, en présence du Chef d’état-major de la Marine, l’amiral André Patou. Exercice annuel et de routine, baptisé Medat, mais qui a paru assez exceptionnel à une partie de l’opinion, à cause de la zone choisie pour cette rencontre : les précédentes avaient eu lieu, en janvier-février 1966 et 1967, dans les eaux des Canaries, au carrefour des routes de l’Atlantique et de la Méditerranée, où depuis que la politique a fait du Levant un cul-de-sac, tendent à se concentrer nos intérêts vitaux (protection du trafic commercial, du trafic pétrolier surtout, détourné par Le Cap, défense de l’Afrique noire francophone) ; le glissement réalisé ou prévu de nos forces navales principales vers Brest – porte-avions, frégates lance-engins, SNLE (sous-marin nucléaire lanceurs d’engins) – le témoigne.
Le public n’a pas tardé à associer l’exercice Medat au renforcement de la flotte soviétique en Méditerranée orientale ; il y a été encouragé par la création, au mois de novembre, du nouveau commandement Murairmed de l’Otan pour le contrôle aéronaval de cette mer. Il convient néanmoins de préciser que Medat a été préparé il y a plusieurs mois, à un moment où les forces russes présentes dans le Levant étaient beaucoup plus faibles qu’à l’automne dernier ; ce n’est d’ailleurs pas la première fois que nos deux escadres exécutent, au moins en partie, un exercice tactique en Méditerranée.
On préférera insister ici sur l’intérêt technique de cet exercice. Il n’a pas rassemblé seulement un nombre relativement imposant de bâtiments (le Foch, le Colbert, le Suffren, 8 escorteurs d’escadre, 7 escorteurs rapides et 2 escorteurs côtiers, 1 bâtiment-base de sous-marins et 4 sous-marins, 1 pétrolier ravitailleur d’escadre) ; y ont figuré aussi des unités pourvues de l’armement et de l’équipement électronique les plus modernes : la frégate Suffren avec ses rampes de lancement AA Masurca et ASM Malafon, ses sonars de coque DUBV 23 et remorqué DUBV 43, le Système d’exploitation navale des informations tactiques (Senit) ; l’escorteur d’escadre Dupetit Thouars doté lui aussi du Senit, qui est, rappelons-le, en cours d’installation sur le Duquesne, réplique du Suffren, et les 2 escorteurs d’escadre Du Chayla et Tartu.
Deux autres opérations concernant les progrès du matériel naval ont été annoncées au mois de décembre :
• L’entrée en armement pour essais de l’aviso-escorteur Balny. 9e de la série des Commandant Rivière de 2 000 tonnes pleine charge (toc), successivement admis au service actif entre 1962 et 1965, le Balny a été converti en cours d’achèvement en bâtiment expérimental : il sera la première unité de la Marine nationale mue par un réacteur d’avion « navalisé » un Atar de la Snecma fonctionnant comme générateur de puissance et entraînant une turbine à gaz. Le réacteur présente l’avantage de faciliter l’échange standard, mais il est évident que sa « navalisation » a exigé des essais délicats, ne serait-ce que pour en adapter l’emploi à une atmosphère humide et saline. Le Balny possède aussi deux Diesels classiques, utilisés seuls pour la marche en croisière, ou couplés avec le réacteur et la turbine pour atteindre la vitesse de pointe (système CODAG ou Combined Diesel and Gaz).
• La prochaine entrée en armement pour essais du sous-marin classique à hautes performances Psyché, une des 2 unités du type Daphné inscrites au second plan à long terme (1965-1970). Rappelons combien les Daphné sont appréciés par les petites marines étrangères : le Portugal en a commandé 4 (dont 2 livrés et 2 lancés par Dubigeon-Normandie) (1), le Pakistan 3 (dont 2 en construction aux chantiers du Trait et 1 dans l’arsenal de Brest), l’Afrique du Sud 3 (2 en construction, 1 non encore sur cale chez Dubigeon-Normandie). L’Espagne, enfin, en construit 2 à Carthagène, avec l’assistance technique française.
Le mois de décembre a été marqué, enfin, par l’adoption ou la préparation de deux réformes organiques importantes :
• Décidée au mois d’octobre 1968 par M. Messmer, ministre des Armées, pour des raisons d’économie et parce que, faute de moyens adéquats, notre Marine ne paraissait pas capable d’exécuter seule des opérations aussi ambitieuses que la conquête de vive force d’une plage de débarquement, la dissolution de la Force amphibie d’intervention (FAI) est devenue effective à la fin de l’année. Mais il va de soi que les unités de l’Armée de terre qu’elle comprenait (Compagnie du génie de plage, Escadron amphibie de Troupes de Marine), au lieu de disparaître, ont rejoint leur arme d’origine, et que la 11e Division dite d’intervention continue de subsister avec ses brigades à « vocation amphibie » et à « vocation aéroportée ».
• La FAI elle-même a cédé la place à un modeste Centre amphibie à caractère interarmées (une soixantaine de marins, quelques officiers de l’Armée de terre et un petit nombre d’engins de débarquement sous les ordres d’un capitaine de vaisseau), dont la mission est d’étudier l’évolution des doctrines et des matériels de la guerre amphibie, d’assurer la formation élémentaire des personnels destinés à servir sur les bâtiments et engins de débarquement appartenant à la Marine, enfin de contribuer à l’expérimentation des matériels nouveaux.
Approuvée en Conseil des ministres le 18 décembre, une réforme profonde du corps des officiers de Marine doit venir prochainement en discussion devant l’Assemblée nationale. Aussi serait-il prématuré d’essayer de l’analyser ; on se bornera à indiquer brièvement qu’elle prévoit, à côté de l’École navale dont les effectifs seront réduits, la création d’une École militaire de la Flotte, recrutée sur concours parmi les équipages, et qui formerait chaque année, au bout de deux ans d’études, une cinquantaine d’officiers de Marine. Le projet comporte également la suppression du corps des officiers des équipages de la Flotte et l’institution d’un corps d’officiers spécialistes analogue au cadre des officiers techniciens existant dans les Armées de terre et de l’air.
À l’étranger : les constructions neuves de la Royal Navy ; embarras américains ; les mouvements de la flotte soviétique.
Malgré l’extrême instabilité économique et financière dont elle continue à souffrir, la Grande-Bretagne poursuit de son mieux l’exécution de son programme de constructions neuves. Après le sous-marin de représailles stratégiques (Fleet Balistic Missile Submarine) Renown, admis au service actif le 15 novembre, le sous-marin de chasse (Fleet Submarine) Churchill a été lancé le 20 décembre : sur les 11 sous-marins à propulsion nucléaire en service, en construction ou commandés, 4 dont 1 FBMS et 8 FS sont opérationnels, 2 FBMS à l’entraînement ou en essais, 2 dont 1 FBMS et 1 FS en achèvement à flot.
La flotte de surface ne s’est enrichie d’aucune unité au mois de décembre et le ministère de la Défense a annoncé que la politique d’austérité imposée par le gouvernement provoquerait un retard plus ou moins sensible de toutes les constructions en cours ou projetées. Cependant le programme sommairement défini par le Livre blanc du 18 juillet 1967 semble bénéficier d’un timide commencement d’exécution. Ce programme comportait, on se le rappelle, la mise au point de trois nouveaux types de bâtiments de surface :
– un destroyer lance-missiles dérivé du Bristol, qui ne sera pas reproduit, et des County, mais plus petit (3 500 t, au lieu de 5 600 et 5 200),
– une Standard Frigate rappelant les excellentes Leander, mais également de dimensions moindres,
– un croiseur lance-missiles et porte-hélicoptères, successeur des Blake convertis.
Le premier exemplaire des destroyers a été récemment commandé. Il déplacera 3 500 t et aura un appareil propulsif du modèle COGOG (Combined Gaz or Gaz) comprenant 2 turbines à gaz de 22 000 chevaux pour les grandes vitesses et 2 de 5 000 chevaux pour la croisière. Son armement se réduira à 1 pièce de 114 mm AA, 1 rampe double pour missiles surface-air Sea Dart portant à près de 50 km et utilisables, semble-t-il, aussi bien contre les engins aérodynamiques que contre les avions, enfin un hélicoptère ASM léger du type franco-britannique WG-13 Lynx équipé de torpilles et peut-être aussi de missiles air-surface SS.11 pour l’attaque des vedettes lance-engins Styx des types russes Komar ou Osa aujourd’hui célèbres : armement et équipement pourraient être plus étoffés pour un navire de ces dimensions ; mais la marine britannique a presque toujours préféré la construction en grande série de bâtiments simples et relativement peu coûteux à celle d’un nombre réduit de bâtiments complexes, mais chers. Les County et les Leander en sont un exemple.
Le prototype des futures Standard Frigates serait commandé avant la fin de l’exercice fiscal en cours (31 mars 1969). Quant aux croiseurs porte-hélicoptères héritiers des Blake, les plans n’en paraissent pas encore arrêtés.
Comme la crise économique impose des sacrifices à la Royal Navy, la prolongation indéfinie des hostilités au Vietnam en impose à la marine américaine, malgré l’abondance apparente de ses ressources. Nous en avons déjà mentionné quelques-uns : rejet des crédits demandés pour la mise sur cale de 4 Fast Deployment Logistic Ships et pour l’étude des nouveaux DXGN (gros escorteurs lance-missiles et à propulsion nucléaire) ; d’autres s’y sont ajoutés, comme la réduction de 6 à 2 du nombre des sous-marins lanceurs de missiles Polaris à convertir en lanceurs de missiles Poseidon au titre de l’exercice fiscal 1968-1969, ou encore l’amenuisement progressif des forces navales affectées à la lutte ASM dans l’Atlantique (porte-avions anciens, avions embarqués, escortes de surface ou sous-marines) : victimes de prélèvements en faveur du Pacifique, du désarmement ou de la condamnation des unités les plus âgées, les effectifs ont rétrogradé au cours des quatre dernières années dans une proportion variant de 20 à 50 % selon les catégories de bâtiments.
• S’il convient, d’autre part, de ne pas exagérer l’importance d’incidents mineurs, l’abcès vietnamien développe la volonté de résistance, sinon l’arrogance de certaines tierces puissances dans leurs relations avec les États-Unis. La Corée du Nord vient seulement de libérer, le 23 décembre, les 82 marins du fameux Pueblo, détenus depuis près d’un an, dans des conditions peu brillantes pour l’orgueil de la Navy.
Les négociations entre Washington et Madrid au sujet des bases aériennes et navales américaines dans la péninsule piétinent, l’Espagne se refusant à un compromis qui ne lui accorderait pas des compensations substantielles.
Pour apaiser l’opposition japonaise, les États-Unis ont proposé au gouvernement de Tokyo, le 28 décembre, de lui restituer 50 des 150 bases qu’ils occupent encore sur le sol nippon (Okinawa, la principale, étant toutefois exclue).
Le court séjour en mer Noire, enfin, des 2 destroyers Dyess et Turner de la VIe Flotte (7 au 10 décembre) a déchaîné une tempête de protestations dans la presse soviétique. Or, non seulement ces destroyers se sont conformés aux stipulations techniques de la Convention de Montreux de 1986, mais ce sont des bâtiments anciens, modernisés au titre du programme de reconstruction Fram (Fleet Réhabilitation and Modernization) qui prolonge leur vie de quelques années ; ils ne sont pas armés, comme les Kynda ou les Kroupnyi, de lance-missiles surface-surface aérodynamiques et ne méritaient pas qu’on fît tant de bruit à leur propos. Il n’en va pas moins qu’ils ont été la cause involontaire d’une contestation dont le gouvernement d’Ankara semble avoir su mauvais gré aux États-Unis : écartelée entre le souci, partagé par les Occidentaux, de faire respecter la Convention de Montreux et la crainte de voir l’URSS saisir l’occasion d’un incident international pour demander une modification avantageuse pour elle de cette convention, la Turquie aurait préféré que le passage en mer Noire du Dyess et du Turner fût remis à un moment plus favorable.
• Dans la seconde quinzaine de décembre, d’ailleurs, le nombre des bâtiments de combat soviétiques présents en Méditerranée orientale aurait diminué d’un quart au moins, certaines unités comme le Moskva ayant repassé le Bosphore, d’autres ayant rallié la Baltique ou l’Arctique. Il convient néanmoins de souligner que la petite Task Force qui avait fait escale à Casablanca à la mi-octobre (1 croiseur lance-missiles de la classe Kynda, 1 destroyer et 2 sous-marins) n’a pas regagné les eaux métropolitaines, mais a continué sa route vers le Sud : compte-t-elle doubler Le Cap et rejoindre dans l’océan Indien la Task Force, de composition à peu près semblable, venue du Pacifique et signalée à Mombasa au début de décembre ? Les forces navales russes manifestent leur présence dans toutes les mers. ♦
(1) Le Portugal porte également un vif intérêt aux avisos-escorteurs du type Commandant Rivière ; il en a commandé 4 aux Ateliers et Chantiers de Bretagne (2 livrés, 2 lancés).
D’après M. de Mas Latrie, délégué général de la Chambre Syndicale des Constructeurs de Navires, les commandes étrangères d’unités de combat représentent, au défaut des commandes françaises réservées depuis quelques années aux arsenaux, 11,5 % de l’activité de nos chantiers privés.