Militaire - Commandement opérationnel et commandement territorial aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en République fédérale d'Allemagne (RFA) - États-Unis : budget de défense ; manœuvres Reforger One - RFA : budget de défense pour 1969 - Grève : réorganisation de la défense - Tchécoslovaquie : l'armée après l'invasion ; orientation de l'armée en 1969 - Afrique : l'équilibre militaire dans la corne orientale - Belgique : problème linguistique dans l'armée - URSS : préparation militaire - Grande-Bretagne : problèmes du Commonwealth - Algérie : service national
Commandement opérationnel et commandement territorial aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en RFA
États-Unis d'Amérique.
Aux États-Unis, il faut d'abord noter que les forces terrestres stationnées sur le sol métropolitain ne représentent que 40 % de l'effectif total de l'Armée de terre et qu'elles sont essentiellement organisées en vue de leur intervention éventuelle outre-mer.
Le Commandement territorial est chargé en priorité d'alimenter en personnels instruits et de soutenir les unités de l'Armée de terre des différents théâtres d'opérations. Il forme une chaîne de commandement dite « administrative » qui passe par le Secrétaire d'État à l'Armée de terre, par le chef d'État-Major et par sept commandements subordonnés non opérationnels :
– le Combat Development Command,
– l’Army Materiel Command,
– le CONARC,
– le Strategic Communication Command,
– l’Army Security Agency,
– l’Army Intelligence Corps Command,
– le Military Traffic Management and Terminal Service.
Le « Continental Army Command » ou CONARC, est articulé en cinq « Armées territoriales » que l'on peut comparer à nos Régions militaires.
Le « CONARC » est chargé de la mise en condition de tous les personnels de l'Armée de terre. À ce titre il assure leur instruction individuelle et collective, jusqu'à l'échelon du bataillon, dans des Centres d’instruction. Chaque armée territoriale entretient et gère l'infrastructure territoriale ; elle soutient aussi toutes les unités stationnées sur son territoire, y compris les unités d'intervention.
Le Commandement opérationnel est interarmées ; il comprend le Comité des chefs d'État-Major et huit Grands Commandements opérationnels subordonnés dont six sont formés d'une composante de chacune des trois Armées :
– EUCOM : Commandement des Forces armées américaines en Europe ;
– PACOM : Commandement des Forces armées américaines dans le Pacifique ;
– SOUTHCOM : Commandement des Forces armées américaines pour l'Amérique latine ;
– ALCOM : Commandement des Forces armées américaines de l'Alaska ;
– CONAD : Commandement de la défense aérienne du territoire ;
– TRICOM : Commandement d’intervention interarmées.
Parmi eux, on trouve le « STRIKE Command » ou « STRICOM » (Commandement d'Intervention interarmées) qui actionne sa composante terre (« ARS-TRIKE ») par l'intermédiaire du général commandant le CONARC qui en est le chef sur le territoire métropolitain. ARSTRIKE groupe toutes les unités opérationnelles sur le sol des États-Unis.
Aux États-Unis, il n'y a donc fusion du commandement territorial et du commandement opérationnel qu'à l'échelon même du général commandant le CONARC qui se voit attribuer les deux responsabilités. En fait, il n'exerce pratiquement que le commandement territorial, tant apparaît peu vraisemblable une intervention armée sur le territoire même des États-Unis, sauf dans le cadre du maintien de l'ordre. Les véritables compétences opérationnelles sont attribuées outre-mer à des grands commandements interarmées qui forment une chaîne opérationnelle distincte.
Grande-Bretagne
Les structures hiérarchiques britanniques ont été rénovées récemment et le nouveau système est en application depuis le 1er avril 1968, date de création de l'Army Strategic Command (ASC) qui a pleine autorité sur toutes les unités des forces stratégiques où qu'elles soient stationnées dans les îles britanniques – à l'exception de la brigade réservée à l'Otan.
Parallèlement à son rôle opérationnel de planification des interventions tant en Europe que hors d'Europe, le Strategic Command est chargé d'élaborer la doctrine d'emploi des forces.
Les organismes territoriaux « Commands » (régions militaires) et « Districts » (subdivisions) ont été réduits et ils n'ont plus qu'un rôle d'administration territoriale de gestion des réserves, de préparation de la mobilisation et de support. Leur autorité ne s'exerce plus que sur les unités des services de réserve générale, les établissements d'infrastructure et quelques formations des armes non embrigadées.
Toutefois, en cas de calamité publique, le commandement territorial peut employer les unités dépendant normalement de l'ASC. Les chefs des échelons territoriaux peuvent se faire communiquer les notes et rapports concernant les personnels des forces stationnées sur leur territoire.
Bien qu'aucune difficulté majeure ne soit apparue dans l'application de cette réforme, il est cependant probable que des retouches y seront apportées, comme cela est traditionnel dans la façon de faire pragmatique des Britanniques.
République fédérale d'Allemagne
En Allemagne, le commandement territorial a un caractère purement national, alors que le commandement opérationnel présente une double subordination : celle de l'État-Major de l'Armée de terre pour l'organisation et l'instruction, celle de l'Otan pour l'emploi. Actuellement ces deux sortes de commandements constituent deux chaînes séparées où le « territorial » a pour rôle de garantir la liberté opérationnelle des unités combattantes :
– en assurant la sécurité des arrières,
– en entretenant l'infrastructure logistique indispensable.
Au début de juin 1968, il a été décidé de fusionner l'Armée de terre (Heer) et la Défense territoriale (Territoriale Verteidigung), autrement dit, le commandement opérationnel et le commandement territorial. Cette réorganisation, qui a commencé le 1er janvier 1969, devra être achevée en 1971.
Pour l'essentiel, les nouvelles mesures aboutiront :
a) à la création d'un ensemble « Forces terrestres » (Teilstreitkräfte Heer) qui englobera les deux domaines – opérationnel et territorial – de la Bundeswehr et sera articulé en deux grands commandements, Nord et Sud, dont les limites territoriales coïncident avec celles de NORTHAG et de CENTAG ;
b) à l'absorption, par chacun des trois États-Majors actuels de Corps d’armée et par l'État-major dépendant de Nord-Europe (COMLANDJUT), d'une des six régions militaires (WBK) actuelles, soit quatre WBK au total.
Les avantages de la fusion, tels qu'ils ont été exposés par le ministre de la Défense de la RFA, sont les suivants :
– suppression de la dualité de commandement due au parallélisme des hiérarchies opérationnelles et territoriales ;
– suppression de cinq États-Majors : le commandement de la Défense territoriale à l'échelon de l'Administration centrale et quatre régions militaires (WBK) sur six ; toutefois, les états-majors du Corps de bataille qui absorberont ces WBK devront avoir un effectif légèrement supérieur à celui qu'ils ont actuellement, de manière à pouvoir se dédoubler en temps de guerre (fonction opérationnelle et fonction territoriale) ;
– rattachement des unités territoriales, appartenant presque toutes aux Transmissions, au Génie et aux Services, à celles du Corps de bataille, ce qui facilitera leur instruction et économisera du personnel et du matériel ;
– renforcement des effectifs des douze divisions existantes grâce aux économies en personnels réalisées.
* * *
De l'étude des chaînes de commandement de ces trois grandes Armées de terre occidentales, il apparaît d'une façon générale que :
– dans les Armées à vocation d'intervention outre-mer comme aux États-Unis et en Grande-Bretagne, le commandement opérationnel est séparé du commandement territorial qui a pour mission principale de soutenir les unités dépendant du premier ;
– dans une Armée à caractère purement continental, comme en Allemagne, les hiérarchies opérationnelles et territoriales sont appelées à fusionner, les pouvoirs territoriaux passant au chef opérationnel.
Mais, dans un cas comme dans l'autre, c'est l'autorité opérationnelle qui a le pas sur l'autorité territoriale.
États-Unis
Budget de défense
La part réservée à la Défense dans le budget des États-Unis, 81,5 milliards de dollars, représente 41 % du budget et 9 % du produit national brut estimé. En valeur relative, elle est en diminution par rapport à l'exercice précédent : 43,7 % et 9,4 %. En valeur absolue, les crédits ne dépassent que d'un demi-milliard de dollars ceux de l'année en cours, alors que la croissance annuelle était, depuis 1967, de l'ordre de quatre milliards. La part attribuée à chaque armée et à chaque type de forces n'est pas encore connue. Cependant, on sait déjà que l'effort principal portera sur les forces stratégiques offensives et défensives et sur les études et les fabrications de matériels de pointe. Ainsi, il est prévu de produire de nouveaux missiles à charges multiples Minuteman III et Poseidon, de réaliser le dispositif de défense antimissiles Sentinel. Il est aussi envisagé de mettre en chantier un deuxième porte-avions et trois sous-marins rapides à propulsion nucléaire, de mettre en service des bombardiers FB-111 et des hélicoptères d'appui tactique. Les études pour la recherche et la mise au point d'armements nouveaux porteront, en particulier, sur le futur bombardier stratégique AMSA (Advanced Manned Strategic Aircraft), successeur prévu du B-52 et les chasseurs F-15 (ex-TFX) de l'US Air Force et F-14 (ex-VFX) de l'US Navy.
Les opérations militaires dans le Sud-Est asiatique, principalement au Vietnam, coûteront environ 25,5 Mds $, soit une diminution de 3,5 Mds (13,4 %) par rapport à l'exercice précédent. M. Johnson a expliqué la réduction de son budget asiatique « par les changements intervenus dans les activités militaires au Sud du 17e parallèle et par la révision des prévisions de pertes ».
Il est prévu que l'aide à l'étranger soit portée à 2,75 Mds, soit 966 millions de plus que les crédits accordés par le Congrès pour 1968-1969. La part de l'aide militaire, dans ce chapitre, s'élève à 375 M $, non compris les sommes servant à financer le programme d'assistance militaire au Laos, à la Thaïlande et au Vietnam. Pour l'exercice 1968-1969, le Président avait demandé 540 M et le Congrès lui a accordé 296 M.
Le projet de budget général pour l'exercice 1969-1970 est un projet équilibré. M. Johnson et son équipe ont opté pour le maintien d'un taux d'expansion élevé, la lutte contre l'inflation, un accroissement notable des programmes sociaux et le maintien d'un équilibre des forces avec le monde communiste.
Dans le domaine de la défense, cela se traduit par une diminution relative de l'enveloppe budgétaire. Seuls certains programmes militaires bénéficient d'une augmentation de crédits. Ce projet tient compte d'un certain ralentissement à attendre de l'effort américain au Vietnam. Il prévoit la poursuite des études et de la production d'armements nouveaux en vue de maintenir un certain équilibre avec l'Union Soviétique, en l'absence d'un accord sur la limitation des armements.
Sur ce dernier point, il ne semble pas qu'il puisse parfaitement convenir à la nouvelle équipe en place depuis le 20 janvier, qui aura la tâche de gérer les affaires de la nation et de conduire la politique de défense avec ce budget. En effet, le Président Nixon a affirmé, à plusieurs reprises, que le but recherché devait être la « supériorité » américaine et non pas l'équilibre des forces. On peut penser qu'il ne lui sera pas aisé de convaincre un Congrès à majorité démocrate.
Manœuvres Reforger One
D'importantes manœuvres militaires américaines se sont déroulées en Allemagne du 29 janvier au 4 février 1969.
Ces manœuvres ont intéressé quelque 12 000 hommes de l'US Army et 3 500 h de l'US Air Force (USAF) appartenant aux unités retirées d'Allemagne et redéployées sur le territoire des États-Unis dans le courant de l'année 1968.
À la fin de 1967, le gouvernement américain avait en effet pris la décision de rapatrier sur le territoire des États-Unis un certain nombre d'unités en vue de remédier partiellement au déficit de la balance extérieure des paiements. Il était prévu que ces unités demeureraient affectées aux forces américaines d'Europe, leur matériel lourd étant laissé sur place. Des exercices annuels devaient être effectués en vue de vérifier la mobilité de ces unités et de leur permettre de se familiariser avec les zones dans lesquelles elles seraient éventuellement appelées à combattre.
Baptisées Reforger One, les manœuvres, qui se sont déroulées fin janvier, constituent le premier de ces exercices. Elles ont eu pour but essentiel de tester l'efficacité d'un rapide pont aérien et la valeur opérationnelle des unités ainsi que de réaffirmer la solidarité des États-Unis avec leurs alliés de l'Otan.
L'aérotransport de ces personnels est le plus important qui ait été exécuté depuis le mois d'octobre 1963, date à laquelle, au cours de l'exercice Big Lift, 14 500 h avaient effectué le trajet États-Unis-Europe en 63 heures. Les quadrimoteurs C-141 Starlifter capables de transporter 150 hommes à plus de 800 km/h sur une distance de près de 10 000 km ont été utilisés à cette occasion.
L'échelon précurseur a rallié Francfort le 8 janvier. Les 20 et 21 janvier, 5 000 h, transportés par 62 C-141, ont été débarqués en 33 heures sur l'aérodrome civil de Nuremberg.
Les manœuvres proprement dites se sont déroulées, du 29 janvier au 4 février 1969, entre Nuremberg et la frontière tchécoslovaque. Après avoir perçu leur équipement, les troupes se sont déployées dans la région de Grafenwoehr et ont effectué des exercices de tir réel. L'appui aérien a été assuré par des escadrons de F-4 repliés aux États-Unis dans le courant de 1968 qui ont traversé l'Atlantique dans le cadre de la manœuvre. Le commandement de l'exercice a été assuré par le général H. Polk, actuel commandant en chef des forces terrestres américaines en Europe (CINCUSAREUR) et commandant de la 7e Armée.
République fédérale d'Allemagne : budget de défense pour 1969
Dans un budget global de 82,46 Mds de DM les crédits de défense, dont le montant est de 18,8 Mds de DM contre 18,054 Mds de DM en 1968, viennent, en RFA, immédiatement après les crédits du domaine social.
Le budget de défense représente 22,8 % du budget général, et, si l'on considère l'augmentation prévue de 5 % du PNB en 1969, l'effort de défense représentera 3,52 % de celui-ci, proportion sensiblement identique à celle de l'année précédente.
Une nouvelle classification des articles budgétaires fait apparaître les dépenses de fonctionnement pour un montant de 9,748 Mds de DM, les dépenses d'investissement s'élevant à 9,051 Mds de DM.
Cependant, cette présentation nouvelle range les articles relatifs à la maintenance dans la rubrique « Achats de matériels » ; dès lors, si l'on rattache la maintenance aux dépenses de fonctionnement, la part de celles-ci passe de 51,85 % à 62,43 % du budget de défense.
En ce qui concerne les personnels, les crédits de fonctionnement sont calculés pour un effectif de 255 000 militaires de carrière et sous contrat, et de 200 000 appelés. 175 340 postes de fonctionnaires, employés ou ouvriers sont prévus, ce qui, par rapport à 1968, représente une diminution de 21 227 postes pour les personnels militaires et de 2 465 pour les personnels civils.
Le projet de budget de défense 1969 apparaît donc conforme et même légèrement inférieur au chiffre de 18,860 Mds de DM prévu dans le plan financier à moyen terme. Toutefois, ce projet ne tient pas compte de l'effort militaire spécial décidé par le gouvernement fédéral au lendemain des événements de Tchécoslovaquie et destiné à satisfaire les recommandations de l'Otan ; le complément de 2,5 Mds de DM débloqués à ce titre sera vraisemblablement réparti sur les budgets des cinq années à venir.
En tout état de cause et malgré une augmentation notable des crédits militaires, l'effort de défense de la RFA demeure stationnaire tant par rapport au PNB que par rapport au budget général.
Grèce : réorganisation de la défense
Promulguée en application de la nouvelle constitution, la loi organique sur les forces armées a été rendue publique le 14 décembre, jour anniversaire du départ du roi.
L'organisation antérieure remontait à 1958 pour l'essentiel et n'avait pas valeur constitutionnelle.
La nouvelle organisation fait du Premier ministre, M. Papadopoulos, et du chef des forces armées, le général Anghelis, les personnages les plus puissants du régime. Sur le plan technique, elle établit la centralisation et l'autorité interarmées, souhaitées par les chefs de l'EMGDN bien avant la révolution, et jugées par le général Anghelis indispensables depuis la tentative royale de contrecoup d'État du 18 décembre 1967.
La constitution approuvée par référendum avait déjà introduit l'essentiel de la réforme : le roi ne demeure plus que symboliquement a à la tête d des forces armées, dont « le commandement est exercé par le gouvernement par l'entremise de leur chef » ; ce dernier est choisi par le Conseil supérieur de la défense nationale (CSDN) ; il est, en outre, membre du Conseil de la nation, organisme remplaçant le Conseil de la couronne.
Le général Anghelis, à qui le Premier ministre a donné toute sa confiance, devient la deuxième personnalité du régime.
Non seulement il a autorité sur les trois Armées, mais aussi sur les services spéciaux – qui relevaient du Premier ministre – et, en cas de guerre ou d'état de siège, sur toutes les administrations.
En outre, la création d'un Conseil supérieur des forces armées, organisme consultatif composé du chef des forces armées et des chefs de chacune des armées, ainsi que la suppression des trois conseils supérieurs d'armée, apparaissent de nature à faciliter au général Anghelis l'exercice d'un véritable commandement unifié.
Les délégations de certaines attributions, jusqu'alors réservées au ministre de la Défense nationale et accordées au chef des forces armées par ordonnance du 9 janvier, élargissent encore les compétences du général Anghelis dans divers domaines : attributions accrues en matière d'organisation, de gestion et d'équipement des forces ainsi qu'en ce qui concerne la nomination et les mouvements de personnels, gestion du budget de la défense nationale en plus de celui des forces armées, responsabilité des marchés d'armement, emploi des crédits correspondants.
D'autres innovations significatives sont à mentionner :
– la Marine et l'Armée de l'air perdent leur qualification traditionnelle de « royales » : c'est à la nation qu'elles appartiennent désormais ;
– les trois chefs d’état-major d'armée deviennent des chefs d'armée. Les titulaires disposeront ainsi d'une autorité accrue pour parachever l'œuvre de remise en ordre entreprise par le général Anghelis.
Tchécoslovaquie
L'Armée après l'invasion
L'invasion de la Tchécoslovaquie s'est déroulée sans confrontation armée entre les troupes du Pacte et l'Armée nationale ; mais le choc psychologique a été pour elle très violent ; elle a opposé, comme les civils, une résistance larvée aux envahisseurs durant les premiers jours de l'occupation.
Le 21 août certaines unités prirent position en campagne, notamment près de la frontière avec la RFA, pour prouver sans doute que l'Armée tchécoslovaque était en mesure de défendre ses frontières, mais aussi peut-être pour résister à des actions du Pacte dirigées directement contre elle.
Les unités menacées d'être désarmées par les Soviétiques résistèrent aux pressions et gardèrent leurs armes. Une opposition active fut même constatée dans le domaine des transmissions, les techniciens se refusant non seulement à utiliser leurs appareils au profit de forces aériennes du Pacte, mais encore brouillant les fréquences utilisées et pratiquant des intrusions dans les réseaux. Par la suite, les manifestations extérieures de cette opposition s'atténuèrent, comme dans le reste du pays.
Les premières répercussions de l'action de force du Pacte sur l'Armée tchécoslovaque se sont fait sentir dans le domaine de l'implantation et des effectifs. Les garnisons, situées au Nord et au Nord-Est de Prague ont été remises aux Soviétiques, les unités tchécoslovaques intéressées se repliant en Slovaquie. L'incorporation du contingent d'octobre a été considérablement réduite, l'appel du gros des recrues étant reporté au mois d'avril prochain.
Les activités normales du temps de paix ont repris progressivement à partir d'octobre, une partie importante de ces activités ayant d'ailleurs pour objet l'aide a l'économie civile.
Sur le plan des conséquences politiques, il n'a pas encore été constaté d'épuration massive. Il convient cependant de noter que la direction politique principale de l'Armée est maintenant assurée par le général-major Bedrich, dont l'orthodoxie communiste est certaine.
Orientation de l'Armée en 1969
À l'occasion de la nouvelle année, les principaux chefs de l'Armée tchécoslovaque ont publié des articles ou accordé des interviews, définissant l'orientation qui sera donnée à l'Armée en 1969. De ces articles et déclarations, il ressort que Parti (PCT), Gouvernement et Commandement entreprennent une vaste action pour faire entrer l'Armée tchécoslovaque, toujours en proie à un grave malaise, dans la voie de la normalisation.
Ceci pourrait être une des conséquences des entretiens de Kiev, au cours desquels M. Cernik reconnaissait que « les camarades soviétiques s'intéressent à maintes questions, par exemple la situation de notre armée ». Ces entretiens de Kiev inquiètent considérablement l'opinion publique et militaire tchécoslovaque, en raison de leur caractère très secret. Ils sont en partie la cause de l'agitation actuelle, motivée entre autres par une politique dite « de cabinet ».
Quoi qu'il en soit, le général Dzur affirme que l'Armée doit avoir désormais sur le plan politique « un profil cristallisé » et s'aligner totalement sur la politique définie par le Parti et appliquée par le Gouvernement. Concrètement les tâches définies pour 1969 sont les suivantes : améliorer le niveau militaire, réaliser le programme d'action élaboré en juin (et remanié en fonction des décisions des Plénums de novembre et décembre du PCT), poursuivre un entraînement intensif afin de garantir la sécurité de la frontière occidentale, orienter le travail politique en vue de renforcer l'unité et la cohésion de l'Armée.
Il apparaît que ce problème de l'unité politique de l'Armée ne va pas sans difficultés. Des dégagements de cadres sont annoncés portant en particulier sur les officiers supérieurs.
Les mesures d'épuration en instance ont déjà suscité, par voie de presse, des réactions hostiles dans les milieux progressistes et des demandes d'explication ; aussi le Praesidium du 7 janvier s'est-il penché attentivement sur la situation actuelle dans les Forces armées et a élaboré un projet de réorganisation du parti à l'intérieur de celles-ci.
Afrique : l’équilibre militaire dans la corne orientale
Poursuivant son effort de pénétration en Afrique musulmane, l'URSS a conclu avec le Soudan un accord d'assistance au début de 1968 ; la livraison récente de chars T-54 en a été la manifestation concrète. L’Éthiopie en éprouve de l'inquiétude, craignant de voir modifié à son détriment l'équilibre des forces dans la corne orientale de l'Afrique. Il a donc paru intéressant de faire le point en comparant le potentiel économique, humain, matériel et la valeur opérationnelle des trois Armées en cause : celle de l’Éthiopie et celles des deux États musulmans qui l'encadrent, le Soudan et la Somalie.
Les ressources financières
Les budgets militaires : Les budgets de l’Éthiopie et du Soudan sont très voisins ; le Soudan consacre toutefois une part plus importante de ses dépenses à son armée (271 M de francs contre 187,5 pour l'Éthiopie). En revanche, l'effort éthiopien est plus prononcé en faveur de la Police et de l'Armée territoriale. Il faut remarquer en outre que la rébellion du Sud-Soudan pèse lourdement sur le budget du pays car les soldes des troupes engagées au Sud (près de la moitié de l'Armée) sont majorées de 50 %, et que la différence entre les dépenses ne se traduit pas, en fait, par une supériorité de l'armée soudanaise en effectifs ou en équipements.
Quant à la Somalie, son budget militaire (60,3 M) représente 37 % de son budget total, ce qui est considérable. Malgré cet effort, elle n'a pu mettre sur pied son armée que grâce à une aide importante de l'URSS.
Les aides étrangères : Les États-Unis ont apporté à l'Éthiopie une aide militaire globale de 2 Mds F depuis 1952. Pour l'année 1967, cette aide est évaluée à 60 M. Il faut y ajouter une assistance de la RFA sous forme de dons (équipement et armement gratuits de 10 000 h de la Police en 1965) ou de prêts (25 M en 1965 pour l'infrastructure, 37 M en 1967 pour la Police, 85 M en 1968 pour la route stratégique de Moyale).
L'aide apportée par l'URSS à la Somalie et au Soudan n'est pas connue avec précision. Elle est évaluée à 210 M depuis 1963 pour la Somalie, et à 420 M étalés sur trois ans pour le Soudan.
On peut raisonnablement estimer que l'importance momentanée de l'aide soviétique ne compense pas, par ses effets, l'aide régulière des États-Unis à l'Éthiopie.
Si donc les ressources financières affectées à la défense sont plus importantes, dans l'immédiat, en Somalie et au Soudan qu'en Éthiopie, la différence n'est pas déterminante. Elle ne le deviendrait que si l'URSS poursuivait un effort massif dans les années à venir.
Le potentiel humain
Les effectifs actuels de l'armée éthiopienne sont à peu près équivalents au total des effectifs soudanais et somaliens : 40 000 contre 42 000 (12 000 en Somalie, 30 000 au Soudan). Cet équilibre est également réalisé au plan des unités de combat : 37 bataillons éthiopiens contre 30, les effectifs des bataillons éthiopiens étant plus faibles.
Mais l'Éthiopie dispose d'un potentiel humain nettement plus élevé que ses deux rivaux : une population de 21 000 000 d'habitants contre 15 000 000 environ (13 000 000 au Soudan et 2 000 000 en Somalie). Encore, dans ces derniers, faut-il compter 4 000 000 de Soudanais du Sud, d'un loyalisme douteux, alors que l'Éthiopie ne compte que quelques centaines de milliers de Somalis et d'Érythréens.
L'Éthiopie dispose en outre d'une police plus nombreuse, et de forces paramilitaires (armée territoriale, armées tribales, milices patriotiques) qui pourraient en cas de besoin fournir une réserve évaluée à 100 000 hommes.
En cas de conflit, le potentiel humain de l'Éthiopie équilibrerait celui de ses adversaires ; si le conflit se prolongeait, les possibilités de l'Éthiopie seraient presque deux fois supérieures.
Les matériels
Grâce aux dernières fournitures de l'URSS, le Soudan et la Somalie possèdent, dans le domaine des matériels, une légère supériorité sur l'Éthiopie, notamment en artillerie et en blindés. Toutefois, cet avantage est plus apparent que réel : en effet, l'efficacité des T-54 soudanais est probablement illusoire en raison des difficultés du terrain. En outre, il n'est pas certain que les services soudanais et somaliens soient en mesure de soutenir efficacement ces matériels.
En revanche, les matériels blindés légers de l'armée éthiopienne sont bien adaptés au pays et aux conditions d'un conflit qui comporterait probablement des actions de guerre classique et des actions de guérilla.
Il faut noter en outre que l'armée de terre éthiopienne bénéficie de l'appui d'une aviation nettement supérieure à ses rivales.
Valeur opérationnelle
En raison des opérations de maintien de l'ordre qu'elles mènent depuis de longues années, les armées éthiopiennes et soudanaises possèdent une bonne aptitude à la vie en campagne ; elles sont cependant plus entraînées à la contre-guérilla qu'aux actions coordonnées à l'échelon interarmes.
Dans ce dernier domaine, l'armée éthiopienne est supérieure à l'armée soudanaise. Celle-ci mène en effet au Sud-Soudan une guerre de postes, plus statique que les actions éthiopiennes en Ogaden ou en Érythrée.
Quant à l'armée somalienne, malgré l'effort d'instruction fourni avec l'aide des conseillers soviétiques, son aptitude à mettre en œuvre les matériels modernes reste faible. Grâce à la combativité naturelle des Somalis, elle serait beaucoup plus redoutable dans les actions de guérilla, particulièrement sur son territoire ou en Ogaden.
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De ce bilan, il ressort que l'Éthiopie est incontestablement supérieure à chacun de ses deux adversaires possibles. Il est douteux cependant que cette supériorité soit suffisante pour lui permettre d'obtenir rapidement une victoire décisive en cas de conflit.
Dans le cas le plus défavorable, celui d'une action concertée du Soudan et de la Somalie, l'armée éthiopienne paraît en mesure de gagner le temps nécessaire à la mise en œuvre des réserves qui lui permettraient de tenir sur deux fronts.
L'équilibre militaire ne semble donc pas actuellement compromis sérieusement dans la corne orientale de l'Afrique. Seul un accroissement notable de l'aide étrangère à l'un ou à l'autre pays intéressé pourrait le remettre en question.
Belgique : l’Armée et le problème linguistique
Le ministre de la Défense belge a pris des mesures pour mettre un terme au déséquilibre très net qui existe entre les cadres de régime francophone et ceux de régime flamand.
Chez les officiers subalternes, les Flamands sont en effet en majorité (60 %), tandis que chez les officiers supérieurs et généraux les Wallons sont beaucoup plus nombreux (respectivement 65 % et 78 %).
Trois postes du haut commandement : Chef d'état-major de la force terrestre, commandant de la 1re Division, commandant adjoint du 1er CA viennent d'être confiés à des officiers flamands. Il a été annoncé que les colonels et généraux ne parlant qu'une langue pourraient faire valoir leurs droits à la retraite anticipée et que des mesures favoriseraient l'avancement des capitaines et commandants flamands. Le ministre de la Défense, qui est d'origine flamande, a fait également connaître son intention de déposer devant le Parlement trois projets de loi concernant la mise à la retraite anticipée de certains officiers, en priorité des francophones, et encourageant le bilinguisme chez les officiers wallons. Ces mesures ont pour but de préparer la réalisation de la parité linguistique dans les forces armées. Leur action ne se fera sentir efficacement qu'au bout d'un certain temps, mais leur annonce a causé un malaise.
URSS : préparation militaire
On sait (voir chronique militaire de janvier 1969) que la préparation militaire obligatoire a débuté en Union soviétique le 1er octobre 1968. Dans une brochure intitulée : « La nouvelle loi et le service militaire », des précisions sur le volume des cours dispensés ont, depuis, été données. Les futurs appelés suivront chaque année pendant deux ans 100 heures d'instruction commune et 40 h d'instruction spécialisée, soit au total 280 h. Ce volume est un peu inférieur à celui qui est fixé en France pour la préparation militaire supérieure (340 h).
Grande-Bretagne : problèmes du Commonwealth
Au cours de la 17e Conférence des Premiers ministres du Commonwealth qui s'est ouverte à Londres le 7 janvier, les problèmes de défense, et en particulier ceux résultant du retrait des troupes britanniques stationnées à l'Est de Suez, ont été évoqués. La Malaisie et Singapour, particulièrement inquiets, tentent d'obtenir de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande des promesses d'engagement valables après 1971.
La constitution d'une force regroupant des éléments australiens, néo-zélandais, malais et singapouriens pourrait apporter une solution. Une conférence doit réunir à Canberra le 12 mai, les ministres de la Défense du Royaume-Uni, d'Australie, de Nouvelle-Zélande, de Malaisie et de Singapour afin de définir la politique militaire après 1971.
Algérie : Service national
Le Service national obligatoire, dont la création avait été annoncée par le colonel Boumediene le 1er novembre 1967, commence à entrer en application sans qu'on ait encore de renseignements précis sur les règles qui vont régir la conscription. On sait seulement, de source officielle, que le recensement des jeunes Algériens de 19 ans a commencé le 2 janvier, au moins pour la deuxième partie du contingent qui devrait être appelé en avril prochain.
Tous les jeunes seront soumis, en principe, au Service national, mais la plupart, après une formation militaire de base, se consacreront à des activités économiques, culturelles et sociales. Quant aux jeunes filles, elles seront enrôlées dans des conditions particulières.
Le recrutement et l'emploi, dans le cadre du « Service national », de quelque 210 000 jeunes ne manqueront pas de poser d'épineux problèmes dont la solution n'apparaît pas nettement aux yeux des observateurs. ♦