Maritime - La croisière d'hiver des escadres françaises - Le projet de budget de la Marine britannique pour l'exercice fiscal 1969-1970 (1er avril au 31 mars) - La flotte de commerce française et la construction navale mondiale au 1er janvier 1969
La croisière d’hiver des escadres françaises
Nos deux escadres ont respectivement quitté Brest et Toulon au mois de février pour leur croisière d’hiver, celle de l’Atlantique le 7, celle de la Méditerranée le 12.
La première, de beaucoup la plus étoffée, comprenait 4 escorteurs d’escadre, dont le Chevalier Paul portant la marque de l’amiral Lainé CEC (commandant en chef), les 2 porte-avions Foch et Clemenceau, sur lequel étaient embarqués le gros du Groupement de fusiliers marins Commandos (Groufumaco) et la Flottille 33 F d’hélicoptères d’assaut, la frégate lance-engins Suffren, 3 escorteurs rapides, 1 pétrolier-ravitailleur et 1 gabare.
La seconde se réduisait à 1 escorteur d’escadre, 2 escorteurs rapides, 1 bâtiment base, transportant un élément du Groufumaco, et 1 bâtiment de soutien logistique ; son bâtiment de commandement, le croiseur antiaérien Colbert portant la marque de l’amiral Philippon CEC, et l’escorteur d’escadre D’Estrées accomplissaient en effet depuis le mois de janvier une croisière de représentation et d’amitié en Afrique occidentale et n’ont rallié l’escadre qu’à la mi-février.
Réunies dans les eaux des Canaries, nos deux forces navales y ont procédé, entre le 16 et le 20 février, à un certain nombre d’exercices en commun sous la direction de l’amiral Lainé, conjointement avec les Forces sous-marines, elles aussi en croisière d’hiver.
Elles se sont ensuite séparées, l’escadre de l’Atlantique pour faire escale à Lisbonne et continuer à s’entraîner dans le golfe de Gascogne, l’escadre de la Méditerranée et les Forces sous-marines, renforcées par le Clemenceau, pour participer, sous la double autorité de l’amiral Romero Manso CEC de la flotte espagnole et de l’amiral Philippon, à l’exercice combiné Atlantide 69, dont le thème essentiel consistait en une opération héliportée, exécutée sur une des Canaries sous menace sous-marine et aérienne (25 au 28 février).
Il est à peine besoin de rappeler l’importance de ces exercices franco-espagnols : ils ne rendent pas seulement plus étroites les relations professionnelles et psychologiques unissant les deux marines voisines, ils les familiarisent l’une et l’autre avec un théâtre d’opérations, mi-atlantique et mi-méditerranéen, où elles auraient à défendre des intérêts majeurs.
Le projet de budget de la Marine britannique pour l’exercice fiscal 1969-1970 (1er avril au 31 mars)
Pour la première fois depuis 1958-1959, les prévisions budgétaires du ministère britannique de la Défense, présentées aux Communes le 20 février par M. Healey, sont inférieures à celles de l’exercice précédent, même en prix courants : 2 226 millions de livres, chiffres arrondis, au lieu de 2 271. En prix constants, compte tenu d’une hausse des salaires et des prix évaluée à 106 M£ pour l’année écoulée, la réduction des dépenses par rapport à leur montant global en 1968-1969 atteint 111 M£. Elles représentent moins de 6 % du produit national brut, contre 7 % jusqu’en 1965.
Ces résultats n’ont pu être obtenus que grâce aux progrès du désengagement à l’Est de Suez (cession de l’arsenal de Singapour au gouvernement local en décembre 1968, rapatriement de plus de 5 500 hommes en service en Malaisie ou à Singapour durant l’exercice fiscal 1968-1969, etc.), combiné avec des mesures d’austérité en métropole (diminutions d’effectifs corrélatives à une augmentation de la productivité, fermeture de bases en sommeil, etc.).
Cependant, l’invasion de la Tchécoslovaquie et la présence navale russe en Méditerranée, qui ont accru la tension en Europe et au Moyen-Orient, exigent un renforcement important de la puissance militaire britannique à l’Ouest de Suez. Ce renforcement affecte surtout, comme on le verra plus loin, la Royal Navy et la Royal Air Force.
Les prévisions budgétaires pour la Marine en 1969-1970 se montent à 645 624 000 £, soit 33 % des dépenses proprement militaires et 28,5 % du montant global du budget de la Défense (1).
Elles se décomposent comme suit :
Postes de dépenses |
1969-1970 |
1968-1969 (pour mémoire) |
Soldes de la Royal Navy et des Royal Marines |
102 882 000 |
105 930 000 |
Royal Naval Reserves |
1 584 000 |
1 480 000 |
États-majors et services centraux |
5 815 000 |
5 371 000 |
Recherche et Développement |
37 501 000 |
34 007 000 |
Service de Santé. Éducation. Salaires du personnel des Royal Fleet Auxiliaires |
20 025 000 |
18 894 000 |
Services logistiques (combustibles, vivres, armes et stocks) |
230 655 000 |
244 404 000 |
Constructions neuves et réparations, achats d’aéronefs et d’armes, salaires du personnel des arsenaux (*) |
202 363 000 |
219 157 000 |
Divers |
14 335 000 |
12 466 000 |
Paiement des retraites |
30 464 000 |
27 006 000 |
Total |
645 624 000 |
668 715 000 |
(*) Rosyth, Portsmouth, Chatam et Devonport.
Le personnel militaire à entretenir en 1969-1970 atteindra (officiers compris) : 82 400 h. pour la Royal Navy, 9 200 pour les Royal Marines, 3 900 femmes pour les Services féminins de la Flotte.
Le Livre blanc et les Estimates qui l’accompagnent abondent en renseignements sur la situation de la flotte, les constructions ou les conversions en cours, annoncées et projetées.
L’effectif de la Polaris Force demeure fixé à 4 unités. Le Resolution est opérationnel. Le Repulse et le Renown, qui achèvent leurs essais, deviendront opérationnels à leur tour, l’un au printemps de cette année, l’autre à l’automne, après qu’ils auront fait l’épreuve de leurs engins balistiques au large du cap Kennedy, en liaison avec les spécialistes américains. Le Revenge sera admis au service au cours de l’hiver, mais ne deviendra opérationnel qu’en 1970.
Pour ce qui est des forces à usage général :
– Les deux derniers des 8 destroyers lance-engins surface-air de la classe County (Antrim et Norfolk, 6 200 tonnes pleine charge) rejoindront la flotte à la fin de 1969 ou au début de 1970.
– Le Bristol, légèrement plus grand que les County (6 750 tpc), mais qui n’aura pas de successeur, entrera vraisemblablement en service en 1971.
– 4 nouvelles frégates polyvalentes de la classe Leander rallieront au cours de l’exercice fiscal 1969-1970, si bien qu’il n’en restera qu’une en construction sur les 24 formant cette classe.
– 3 Fleet Submarines (sous-marins de chasse à propulsion nucléaire, mais lanceurs de torpilles) sont en service ou en réparations. Un 4e, le Churchill, lancé au mois de décembre dernier, entrera en service au mois de janvier 1970 ; 3 autres, dont 2 seuls ont reçu des noms jusqu’à présent (Conqueror et Superb) sont en construction et l’on compte sur la prochaine mise en commande d’un huitième. La Royal Navy porte un vif intérêt aux Fleet Submarines, qu’elle considère comme un des principaux composants des flottes du proche avenir.
Quelques lignes seulement du Livre blanc touchent les programmes des nouveaux navires de surface, croiseurs, destroyers et frégates, en général encore à l’étude. La commande vient néanmoins d’être passée du premier des destroyers de série destinés à embarquer le fameux missile surface-air Sea Dart, d’une portée de quelque 50 km : bien que de dimensions inférieures de moitié à celles des County, ces destroyers disposeront d’un armement anti-avions et antimissiles beaucoup plus puissant.
Des négociations sont d’autre part en cours avec la firme Yarrow-Vosper pour la construction d’un type de frégate remplaçant des Leander.
Les conversions les plus notables concernent les 3 croiseurs de la classe Blake, à transformer en porte-hélicoptères anti-sous-marins (ASM) : ils seront équipés d’abord du Wessex Mk3, plus tard du Sea King dont la charge utile et le rayon d’action sont très supérieurs. Le Blake ralliera la flotte en 1969. La conversion du Tiger continue, celle du Lion n’est encore qu’envisagée.
On a décidé, en effet, de doter dorénavant d’hélicoptères tous les navires d’un tonnage au moins égal à celui de la frégate. Il faut convenir que les services de recherche et d’études britanniques ont accompli des efforts considérables pour enrichir la gamme de ces appareils. Les Wessex Mk3 ASM, pourvus d’un sonar perfectionné, d’un radar et d’un système entièrement automatisé de contrôle de vol (poids en charge : près de 6 t) sont en service ; le Sea King, de 8 t, fera son apparition cette année ; le Wasp, de 2,5 t, peut maintenant embarquer des missiles légers air-surface, et son successeur, l’hélicoptère franco-britannique WG.13 dont l’entrée en service est attendue vers 1973-1975, aura des capacités d’attaque et de reconnaissance supérieures. L’on attache un intérêt particulier à la possibilité pour les hélicoptères de poursuivre leurs opérations, quel que soit l’état de la mer et du temps.
Il y aurait peu de choses à dire de la distribution actuelle des forces navales britanniques, n’était qu’une bonne part de celles qui servent à présent dans les eaux européennes est réservée pour affectation en cas de besoin à l’Otan, et que la présence russe en Méditerranée a rendu nécessaire le déplacement d’un certain nombre d’unités vers cette mer : « Nous sommes, est-il écrit dans le Livre blanc, la seule puissance européenne dont les missions et les moyens militaires couvrent à la fois les trois fronts principaux de l’Otan, sur terre, sur mer et dans l’air, depuis l’Arctique jusqu’au Caucase ». En 1969, un porte-avions, un transport de commandos ou un transport d’assaut stationnera presque en permanence en Méditerranée, où séjournent déjà 2 frégates basées à Malte ; un destroyer lance-missiles les rejoindra en 1970 ; une patrouille maritime de la Royal Air Force aidera l’Otan à contrôler les mouvements de la flotte soviétique, et la Grande-Bretagne a accepté de contribuer à la formation en Méditerranée d’une nouvelle Allied Naval Force, approuvée en principe le 16 janvier dernier par le Defence Planning Committee de l’Organisation.
Il va de soi, d’autre part, que, même après l’évacuation de l’Asie du Sud-Est et du golfe Persique à la fin de 1971, armée, marine et aviation du Royaume-Uni continueront à entraîner les forces militaires des gouvernements locaux (Union des émirats arabes, Malaysia, Singapour) et à s’entraîner elles-mêmes en liaison avec elles, ainsi qu’avec les forces australiennes.
La flotte de commerce française et la construction navale mondiale au 1er janvier 1969
La flotte de commerce française en service au 1er janvier dernier a atteint pour la première fois 5,5 millions de tonneaux, son tonnage global dépassant de 5,3 % celui du 1er janvier 1968 (au cours de l’exercice précédent, l’augmentation n’avait été que de 2,2 %). La profonde mutation qu’elle a commencé de subir il y a quelques années se poursuit rapidement : le pourcentage des navires à passagers est tombé, entre 1968 et 1969, de 8,2 % à 7 %, et celui des cargos de lignes régulières ou navires non spécialisés de 26,8 % à moins de 20 %, au bénéfice des pétroliers long-courriers (49 %), des minéraliers ou gros porteurs de vrac (14 %), des fruitiers et polythermes (3 %) et des transporteurs de gaz liquéfiés (près de 2 %).
L’évolution paraît plus caractéristique encore si nous passons de la flotte en service au tonnage en construction ou en commande pour compte français au 1er janvier dernier, qui se monte, d’après le Secrétariat général à la Marine marchande, à 2 616 000 tx (soit 47 % de la flotte en service, proportion remarquablement élevée) (2). Aucun navire à passagers (paquebot, mixte ou car-ferry) n’est inscrit au carnet de commandes, mais seulement 2 naviplanes (3), et les cargos non spécialisés n’y figurent que pour 5,1 % ; 5 porte-conteneurs y ont au contraire leur place avec plus de 83 000 tx (3,1 %), 6 polythermes avec 83 600 tx (3,1 %), 5 gros minéraliers ou céréaliers avec 273 000 tx (10,4 %), 2 transporteurs de gaz liquéfiés avec 55 000 tx (2,1 %) et 19 pétroliers long-courriers avec 1 972 000 tx (75 %, et tonnage unitaire moyen de 103 800 tx). Le tonnage global des navires de charge spécialisés atteint presque 94 %.
Selon la Chambre Syndicale des Constructeurs de Navires, le carnet de commandes mondial s’élevait, en principe, à quelque 50 000 000 tjb au 1er janvier dernier, en augmentation d’une dizaine de millions de tonneaux sur son montant au 1er janvier 1968. Mais nos chantiers ont enregistré, tout à fait à la fin de décembre, de nombreuses commandes dont il n’a pas toujours été tenu compte dans les statistiques établies au terme de l’année par la presse internationale spécialisée.
Au vrai, notre carnet de commandes au 1er janvier 1969 atteignait 4 215 000 tjb, « ce qui plaçait probablement la France au 3e rang dans le monde, après le Japon et la Suède, mais devant l’Allemagne et la Grande-Bretagne ». Il comprenait 41 % de commandes pour l’étranger et 59 % pour compte national, chiffres arrondis ; les pourcentages par catégories de navires étaient de 69,60 % pour les pétroliers ; 26,03 % pour les cargos et transporteurs de vrac (polythermes : 9,78 %, porte-conteneurs : 2,68 %) ; 3,79 % pour les transporteurs de gaz liquéfiés et 0,58 % pour les divers. Mais, en termes de production, l’application de la méthode des tonneaux de jauge brute pondérés – devenue familière à nos chantiers depuis une dizaine d’années – rendrait un compte plus juste de la part de chacune des catégories de navires composant notre carnet de commandes : le pourcentage des pétroliers se situerait alors à 44 %, celui des polythermes à 20 %, celui des transporteurs de gaz à 11 % et celui des porte-conteneurs à 9 % : tirons-en la conclusion que la construction de ces trois types d’unités hautement spécialisées assurerait à notre industrie une activité presque égale à celle des pétroliers de gros tonnage.
Ceux-ci conservent, néanmoins, le premier rang : il y en a 24 de la classe des 200 000-250 000 t de port en lourd inscrits au carnet de commandes français : nous devons ce succès, qui nous permet de rivaliser avec le Japon, la Suède et l’Allemagne, à l’achèvement des deux grandes formes de construction de Saint-Nazaire et de La Ciotat, inaugurées officiellement le 8 février dernier. ♦
(1) Près de 400 000 000 £ de ce budget sont effet dépensées par le ministère de la Technologie (ex-ministère de l’Aviation), le ministère des Travaux publics et l’Atomic Energy Authority.
(2) Commandes en France et commandes à l’étranger totalisées. Les premières se montent à 2 465 000 tx, les secondes à 151 000 tx, chiffres arrondis.
(3) 2 N300 de la SEDAM seront mis en service au mois d’avril prochain sur la côte d’Azur.