Outre-mer - Le problème des minorités asiatiques en Afrique orientale est toujours en suspens - Un second pont inauguré à Lagos - Dixième anniversaire de la Commission économique de l'ONU pour l'Afrique
Le problème des minorités asiatiques en Afrique orientale est toujours en suspens
La récente conférence du Commonwealth, qui vient de se tenir à Londres au début de cette année, a de nouveau appelé l’attention sur le problème que pose l’existence d’une importante minorité d’origine asiatique établie en Afrique orientale. Il intéresse plus de 200 000 Indo-Pakistanais qui vivent encore au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie et en Zambie, où ils tiennent généralement, dans les petites et moyennes entreprises, les leviers de commande du commerce ou même de l’industrie. Certains sont menacés d’expulsion sans avoir pour autant l’assurance d’être accueillis en Grande-Bretagne ou aux Indes.
Ce n’est pas d’aujourd’hui que des colonies asiatiques se sont établies en Afrique orientale. Les Grecs, au début de notre ère, signalaient déjà l’existence d’un commerce florissant entre l’Inde et l’Afrique. Plus tard, Vasco de Gama trouva à Mombassa le pilote indien qui devait le conduire jusqu’à la côte ouest de l’Inde. Livingstone à Zanzibar rencontra lui aussi des commerçants indiens et Stanley, même en pleine brousse, ne manqua pas de remarquer les épiceries indiennes qui jalonnaient sa route.
L’arrivée en nombre des premiers émigrants venus des Indes coïncida avec les débuts de l’établissement de la Grande-Bretagne en Afrique orientale. Au début de ce siècle, ils n’étaient guère plus de 6 000 répartis sur la côte. Les nouveaux arrivés employés tout d’abord à des travaux de construction des routes et des chemins de fer – plus de 30 000 furent recrutés par les Anglais pour construire les voies ferrées – se tournèrent rapidement, une fois les travaux terminés, vers le petit commerce et les emplois subalternes dans les bureaux de l’administration, des entreprises ou des chemins de fer, prenant en main une bonne partie des structures de l’économie, mais devenant par ce même fait aux yeux des Africains les auxiliaires, intéressés et efficaces, de la colonisation anglaise.
C’est ainsi qu’en 1967, ils étaient plus de 370 000, répartis pour 190 000 environ au Kenya, 90 000 en Ouganda, 85 000 en Tanzanie et 10 000 en Zambie. Fonctionnaires de tous grades, employés de bureau, ouvriers d’usines, artisans, entrepreneurs, électriciens, charpentiers, chauffeurs, commerçants petits ou grands, et même parfois médecins, dentistes, avocats, ingénieurs, telle était la diversité des fonctions et des emplois de cette minorité dynamique, disposant d’un revenu moyen très supérieur à celui de l’Africain, préservant jalousement d’ailleurs et sa personnalité et ses coutumes et ses religions. Cependant, l’Indépendance rendit les Africains maîtres de leur destin. Les Asiatiques, quant à eux, devaient être acculés à un choix : ou bien ils conserveraient le statut de citoyen britannique, ou bien ils demanderaient la nationalité de leur pays d’adoption. Pour la très grande majorité, ils choisirent la citoyenneté britannique. 150 000 au Kenya, 45 000 en Ouganda, autant en Tanzanie, quelque 6 000 en Zambie préférèrent ainsi, hormis quelques milliers gardant leur citoyenneté indienne, bénéficier des passeports britanniques.
Cependant, dès l’automne de 1967, les gouvernements africains, sensibles à des préoccupations de politique intérieure, s’engagèrent dans une politique d’africanisation des administrations et du commerce, n’hésitant pas à réglementer sévèrement l’exercice du commerce tout en renforçant également les lois sur l’immigration.
Inquiets pour leur avenir, menacés dans leurs biens et parfois dans leurs personnes, les Asiatiques avec leurs passeports britanniques, surtout ceux du Kenya, et à un moindre degré quelques-uns d’Ouganda, se ruèrent alors en Grande-Bretagne avant qu’elle aussi à son tour ne leur ferme ses portes. L’exode devait atteindre son point culminant en février 1968, peu avant le vote par le Parlement de Londres, des lois sévères d’immigration qui réduisaient à 1 500 par an le nombre des chefs de famille acceptés désormais dans l’ancienne métropole.
Dès lors, les colonies asiatiques demeurées en Afrique orientale – au Kenya et en Ouganda notamment – devaient connaître tour à tour l’inquiétude ou l’espoir.
L’inquiétude fut en effet très grande au Kenya au 1er janvier de cette année, lorsque les autorités de Nairobi retirèrent les licences de commerce à plus de 700 Asiatiques en annonçant d’ailleurs leur intention d’étendre la mesure, dans les mois qui viennent, à plus de 3 000 autres commerçants.
Ainsi la réglementation se faisant plus rigoureuse, certains commerçants établis de longue date à Nairobi par exemple, se sont-ils vus invités à quitter les lieux et à remettre leurs magasins à leurs anciens employés africains. L’interdiction aux « non-citoyens » de vendre des marchandises de grande consommation tend à se généraliser et des mesures restrictives atteignent même parfois des Asiatiques qui ont acquis la nationalité kényane.
Sans doute ceux qui se refusent à quitter le pays sont-ils vivement pressés de se reconvertir dans la petite industrie locale dont ils favoriseraient l’essor. Mais ils hésitent devant l’incertitude qui pèse sur la durée de leur séjour possible.
L’inquiétude est tout aussi vive en Ouganda où la politique d’africanisation est désormais inéluctable. Sans doute, les Asiatiques ont-ils commencé par être informés qu’ils demeuraient les hôtes du pays tant que le gouvernement les tiendrait pour d’utiles éléments de sa vie économique. Mais s’ils ont été avisés aussi qu’ils ne seraient pas inquiétés dans la mesure où ils participeraient au développement du pays, ils ne doivent plus avoir de doutes quant à la volonté du gouvernement ougandais de hâter au maximum la reprise aux Asiatiques des leviers de commande de l’économie ougandaise.
Les toutes récentes lois sur l’immigration viennent en effet de donner aux autorités l’instrument qui leur permettra d’imposer à tout moment le remplacement des non-citoyens par des Ougandais dans le secteur public et le secteur privé au rythme qui sera jugé nécessaire. Ces textes donnent aux officiers de l’immigration des pouvoirs très étendus pour les enquêtes, perquisitions, détentions paraissant indispensables à l’établissement de la légalité du séjour de tout résidant non-citoyen ou tout simplement sur l’opportunité même de ce séjour. De nouveaux « certificats de résidence » seront délivrés pour une période qui ne pourra pas dépasser 8 ans – prolongation comprise. Certes des aménagements ne sont pas exclus, mais ces exemptions relèvent de la seule décision du ministre de l’Intérieur et sont sans appel.
Dans le même temps une réglementation des licences industrielles et commerciales a été mise sur pied. Elle doit permettre de suivre de près les développements de l’africanisation du commerce et de l’industrie.
En bref, cette africanisation ne peut être freinée maintenant que par l’impérieuse nécessité de préserver le fonctionnement normal de l’industrie et du commerce et de ne pas compromettre leur développement en appliquant avec trop de hâte des principes qui sont fixés aujourd’hui d’une manière irréversible. Mais elle pourrait être accélérée aussi par des poussées de fièvre nationaliste que le gouvernement serait bien obligé de prendre en considération.
Paradoxalement, c’est en Tanzanie que l’inquiétude est la moins grande. Certes, le fond du problème est à peu près le même et de nouvelles tensions ne sont pas impossibles. Mais ici, les minorités – tout au moins dans la province continentale de la République unie – semblent s’être mieux intégrées dans la vie nationale, participant notamment, à la satisfaction des autorités locales, à la politique de nationalisation d’Arusha.
Cet épineux problème a été soigneusement éludé lors de la dernière Conférence du Commonwealth, bien que les discussions qui n’ont quand même pas manqué d’avoir lieu à ce sujet fussent parfois très vives. La politique d’africanisation traduit sans doute dans ces pays un ressentiment qui ne peut être sous-estimé, mais un nouvel exode ne servirait en rien les intérêts ni des uns ni des autres. Chacun est donc resté sur ses positions, malgré les nombreuses démarches entreprises pour tenter de trouver un compromis acceptable. Ainsi, pour le moment, le problème demeure-t-il avec toute son acuité, mais le sens de l’évolution prévisible ne saurait faire de doute.
Un second pont inauguré à Lagos
Port lagunaire, dont la configuration rappelle étrangement celle d’Abidjan, Lagos, capitale du Nigeria, est en fait bâtie sur une île.
Favorisée par la présence d’une population nombreuse et très active et l’existence d’un arrière-pays aux ressources des plus variées, l’agglomération déploie une activité fébrile, mais la circulation y est rendue difficile par l’enchevêtrement des ruelles, des rues ou des avenues. Jusqu’ici, l’île n’était reliée à ses faubourgs industriels et à l’aérodrome que par un seul pont, étroit, vétuste, sans cesse congestionné, emprunté chaque jour par une foule énorme et un nombre important et sans cesse grandissant de véhicules. Depuis longtemps, le besoin s’était fait sentir d’un nouvel ouvrage appelé à relier l’île à ses faubourgs.
C’est en 1964 que le gouvernement nigérian a pu entreprendre, grâce à un prêt à long terme de plus de 6 millions de livres octroyé par les soins de l’Allemagne fédérale (RFA), la réalisation du projet et le nouveau pont a été inauguré en février dernier.
L’ouvrage a été conçu par des ingénieurs nigérians. Il est en béton, mesure plus de 1 700 mètres de long, 29 m de large et comporte près de 5 000 m de voies d’accès. Le pont lui-même comprend 4 chemins de roulement pour les véhicules, 2 pour les piétons et les cyclistes. Les travaux, qui ont duré plus de deux ans, ont employé 1 500 ouvriers et techniciens nigérians, indépendamment des ingénieurs européens, et le tracé des routes a entraîné l’expropriation et le déplacement de plus de 10 000 personnes.
L’ouvrage, qui arrive à son heure, contribue grandement à l’amélioration de la circulation dans la capitale.
Dixième anniversaire de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique
La 9e session de la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, et à laquelle 41 pays africains participaient, s’est réunie du 3 au 14 février dernier à Addis Abeba sous la présidence du délégué du Congo-Brazzaville, M. Pascal Lissouba. La session coïncidait avec le 10e anniversaire de la Commission dont la création avait été décidée en effet par l’Assemblée générale des Nations unies en 1957. Son siège est fixé dans la capitale éthiopienne depuis 1958.
La nouvelle Commission avait alors reçu mission de faciliter le développement économique et technologique de l’Afrique en s’efforçant de coordonner les activités des États africains dans ces domaines. Dès 1962, elle devait encourager l’étude de ces problèmes de développement dans un cadre sous-régional et à cet effet, quatre bureaux régionaux avaient été mis en place : un en Afrique du Nord, un en Afrique occidentale, un en Afrique centrale et un en Afrique orientale.
C’est dans ce cadre que depuis dix ans de très nombreuses études ont pu être entreprises. La CEA s’est attachée à faire dresser un inventaire des ressources minérales et des ressources hydrauliques et énergétiques du continent. De très nombreux travaux portant sur les problèmes de main-d’œuvre, d’habitat, sur la cartographie, sur l’agriculture, l’industrie, les transports, l’administration ont pu être menés à bien et constituent aujourd’hui une documentation de base très utile.
Les efforts de la Commission se sont portés aussi vers la recherche statistique et la formation de statisticiens africains, entreprise nouvelle et particulièrement hardie en Afrique, où comme chacun le sait, la documentation statistique est le plus souvent à l’état embryonnaire. Dans le domaine de la prospective économique, les travaux effectués ont permis de mieux situer les perspectives de développement et quelquefois de mieux harmoniser les études de certains projets industriels intéressant plusieurs États relevant des sous-groupes régionaux.
Ainsi la CEA est devenue un organisme d’animation du développement africain qui cependant n’était pas exempt de critiques.
L’ordre du jour de sa 9e session était particulièrement chargé.
Parmi les problèmes qui furent soumis à l’examen des délégués figuraient en bonne place les projets de réforme des structures de la Commission et ses rapports avec l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
Les débats sur ces deux sujets furent parfois passionnés, mais en définitive l’accord finit par se faire sur la réforme du secrétariat, souhaitée par beaucoup et qui devra s’africaniser. Il a été admis en particulier qu’il comporterait désormais une répartition plus équitable des postes entre francophones et anglophones, alors que jusqu’ici les anglophones y apparaissaient comme des privilégiés.
Le problème des rapports avec l’OUA devait, quant à lui, donner lieu à de multiples interventions. Certains auraient voulu que les ministres africains réunis au sein de la CEA adoptent pour principe de s’inspirer constamment, en matière économique, des directives de la Conférence des chefs d’États et de gouvernements de l’OUA. Les activités de la Commission, soumises régulièrement à l’examen de cette conférence, recevant en échange, une fois ratifiées, tout l’appui politique nécessaire.
C’est finalement une formule plus souple mais ambiguë qui a été retenue ; elle permet néanmoins à la Commission de coordonner désormais son action avec celle de l’OUA qui prend ainsi une place privilégiée en son sein.
Un même effort de coopération a d’autre part été prescrit entre les responsables de la Commission et ceux de la Banque africaine de développement afin que soient mieux définies des positions communes africaines touchant aux grands problèmes de développement économique de l’Afrique, et des réunions périodiques des trois organisations s’efforceront de coordonner leurs actions.
Ainsi l’aide multilatérale de l’ONU aux pays africains en voie de développement tend-elle à accroître son influence et recherche-t-elle plus d’efficacité au moment où certaines aides bilatérales auraient plutôt tendance à se restreindre. Sans doute les liens économiques traditionnels conserveront-ils encore pendant longtemps toute leur valeur, mais cette coopération internationale, si elle veut prospérer, devra se placer à l’abri des critiques de ceux qui, bien souvent, ont pu jusqu’ici lui reprocher une certaine partialité. ♦