Outre-mer - Coup d'État militaire au Soudan - Rupture des relations diplomatiques entre l'URSS et la Côte d'Ivoire - La défense de la route du Cap : préoccupation pour le Gouvernement sud-africain
Coup d’État militaire au Soudan
Pour la deuxième fois depuis la proclamation de l’indépendance en janvier 1956, l’armée est intervenue dans la politique soudanaise pour mettre un terme, devait-elle affirmer, à l’impuissance des pouvoirs établis.
Dans la nuit du 24 au 25 mai, en effet, des unités de parachutistes et de blindés stationnées dans la région d’Omdurman, près de Khartoum et renforcées d’éléments d’aviation, ont occupé par surprise et sans aucune résistance le palais présidentiel où résidait le président Ismaïl al Azhari, les domiciles des ministres, les principaux bâtiments administratifs et notamment les Postes et Télécommunications, tandis que simultanément l’aérodrome neutralisé était interdit au trafic. Ce coup d’État était le fait du colonel Gaafar al Nimeïri, commandant de la garnison de Knartoum, l’un des leaders de la « Révolution d’Octobre 1964 », connu depuis pour ses campagnes contre les Sud-Soudanais.
Porté à la présidence du Conseil de la Révolution qui venait ainsi de s’emparer du pouvoir, et qui, dès lors, se trouvait être l’instance suprême de l’État, il a été promu général commandant en chef, dans le même temps où le seul civil du Conseil, M. Aboubakr Aouadallah, ancien président de la Cour suprême de Justice, se trouvait lui-même nommé Premier ministre.
L’armée entière devait aussitôt adhérer au mouvement. La junte, qui comprenait essentiellement des jeunes officiers, en proclamant le Soudan République Démocratique, annulait aussitôt la Constitution en vigueur, suspendait les institutions et par conséquent le Parlement, prenait des mesures draconiennes pour étouffer dans l’œuf toute tentative d’opposition, annonçant en particulier la dissolution des partis politiques corrompus, l’interdiction des réunions publiques, la suspension provisoire des journaux, promettant, dans la gamme des sanctions édictées, jusqu’à la peine de mort à tous ceux qui commettraient des actes hostiles envers le gouvernement, y compris les éventuels grévistes. Le ministère mis sur pied par M. Aouadallah comprend 21 membres, 19 civils dont 2 Sudistes et 2 officiers. Neuf d’entre eux appartiennent au Parti socialiste soudanais, nom qu’a pris au Soudan le Parti communiste interdit, quatre autres vivaient jusqu’ici plus ou moins réfugiés en Égypte.
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C’est la deuxième fois que les militaires interviennent dans la vie politique soudanaise. En 1958, l’Armée, alors groupée autour du Maréchal Abboud, avait justifié son action par l’impuissance du régime des partis. Le système parlementaire qui découlait de la Constitution de 1955 avait été entravé non seulement par des rivalités religieuses ou des oppositions de personnes, mais aussi par les rivalités du Parti unioniste favorable à une collaboration avec l’Égypte et du Parti Oumma, d’inspiration musulmane et fidèle au Mahdi.
La dictature du Maréchal Abboud, qui ne réussit pas à maîtriser la rébellion sud-soudanaise, devait s’effondrer en 1964 devant un mouvement de tendance plus libérale. Mais l’action de la nouvelle coalition gouvernementale, qui rassemblait Parti unioniste et Oumma, demeurait tout autant paralysée, de sorte que le président al Azhari, unioniste qui, en deux ans, n’avait pu faire voter une Constitution, devait, en février 1968, se résoudre à dissoudre l’Assemblée ; cela ne manqua pas d’entraîner de violentes résistances. Cependant vingt-huit partis politiques se présentèrent aux élections et l’Oumma, qui se scindait en deux fractions hostiles, devait céder la place au parti Unioniste démocratique qui devenait majoritaire avec 10 % des sièges sur les 218 députés élus. Ainsi les luttes stériles des partis continuaient de plus belle.
Dans ses déclarations à la radio le général al Nimeïri a exposé les raisons qui avaient amené le coup d’État. Après avoir dénoncé la corruption et l’incurie des trop nombreux partis politiques et leur collusion avec l’impérialisme et le sionisme, il a précisé que la Junte, qui se défend d’être communiste mais qui se veut nationaliste et socialiste, s’inspirerait désormais des principes de la Révolution d’Octobre 1964, affichant par ailleurs une réelle bonne volonté et un arabisme intransigeant.
Le Premier ministre de son côté a affirmé que le régime, qui désirait la construction d’un Soudan moderne, instaurerait un « socialisme soudanais ». Il devait exposer le programme économique de son gouvernement, programme jugé prioritaire, soulignant notamment son désir de voir développer les relations économiques et commerciales avec les États arabes et les États socialistes, tout en libérant l’économie soudanaise « des contraintes du marché impérialiste ». Il annonçait aussi diverses mesures d’urgence appelées à faire face à la crise économique actuelle : réduction des dépenses de l’État, contrôle des prix, contrôle des importations, institution d’un monopole sur les biens de consommation et de production, etc.
Sur le plan des relations extérieures, le chef du nouveau gouvernement a fait état des relations historiques liant le Soudan aux pays arabes, précisant d’autre part que les masses populaires voulaient voir le Soudan prendre sa place véritable au sein de la nation arabe, lutter pour la cause palestinienne – et à ce titre il a confirmé l’aval de Khartoum à la résolution de l’ONU du 22 novembre 1967 – ajoutant qu’il entendait défendre son pays contre les infiltrations impérialistes et sionistes, et régler seul d’autre part, les problèmes du Sud.
Sur ce dernier point, M. Aouadallah ajoutait que le nouveau régime considérera, le cas échéant, toute tentative d’intervention étrangère dans ce problème comme une « violation des lois internationales ».
Des thèmes identiques devaient être développés par le Président du Conseil de la Révolution. Le général al Nimeïri rappelait en effet non seulement que le « Sud était partie intégrante du Soudan », mais aussi que les Soudanais souhaitaient entretenir les meilleurs rapports avec les pays limitrophes, que ce soit sur la base de l’arabisme avec la République arabe unie (RAU) ou dans l’optique de l’africanisme avec les autres voisins, Éthiopie notamment.
Cependant les observateurs n’ont pas manqué de remarquer le communiqué suivant lequel le Soudan, qui reçoit déjà dans le cadre d’accords de coopération en vigueur, une aide militaire importante de la part de l’URSS, va prendre une série de mesures destinées à renforcer le potentiel de l’Armée soudanaise et à moderniser son organisation et ses équipements.
Enfin, l’une des premières mesures du nouveau régime a été la reconnaissance de l’Allemagne de l’Est (RDA). Cela n’a pas manqué d’entraîner les protestations de l’Allemagne fédérale (RFA) qui considère ce geste comme inamical, alors que les Soudanais n’y voient que le témoignage de leur désir de non-alignement, avec peut-être aussi le secret espoir d’une aide supplémentaire dont ils ont bien besoin.
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En bref, l’instauration à Khartoum d’un régime à tendance nationaliste et socialiste met sans doute en lumière les difficultés internes d’un pays dont l’unité est menacée, écartelé qu’il est entre l’arabisme des populations musulmanes du Nord et l’africanisme des populations animistes ou chrétiennes du Sud.
L’option nationaliste et socialiste qui a été prise semble traduire un réel désir de bien faire parmi la jeune équipe, mais elle pourrait peut-être entraîner par la suite une influence grandissante des pays de l’Est du Soudan.
Il n’est pas impossible que dans cette hypothèse, certains États, et notamment certains États limitrophes s’en inquiètent et que la rébellion sud-soudanaise de son côté puisse trouver dans cette perspective une occasion d’en tirer profit.
Rupture des relations diplomatiques entre l’URSS et la Côte d’Ivoire
L’annonce, le 30 mai 1969, de la rupture des relations diplomatiques entre l’URSS et la Côte d’Ivoire n’a guère surpris les observateurs. Ceux-ci, en effet, s’interrogeaient depuis quelques jours sur les motifs du retour inopiné à Abidjan de l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en Union soviétique, lequel avait été suivi à quelques jours d’intervalle par tout le personnel de l’ambassade ivoirienne, en poste à Moscou.
La rupture devait être consommée le 2 juin avec le départ pour Moscou de l’ambassadeur russe à Abidjan, sans que d’un côté comme de l’autre, aucune précision officielle vienne justifier ces rappels.
À vrai dire, et comme le souligne la presse soviétique, les relations entre les deux pays manquaient singulièrement de chaleur. Les Soviétiques condamnaient la « voie capitaliste » choisie en toute liberté par la Côte d’Ivoire pour assurer son développement et sa méfiance à l’égard des régimes socialistes africains n’était pas faite pour plaire à Moscou. La presse ivoirienne, de son côté, n’avait pas ménagé ses critiques lors de l’intervention russe en Tchécoslovaquie et la Côte d’Ivoire en reconnaissant le Biafra prenait une position contraire à celle des Soviétiques qui soutiennent au Nigeria le gouvernement fédéral.
C’est dans ce contexte que la récente agitation des étudiants à l’Université d’Abidjan a entraîné une détérioration des relations entre les deux pays, détérioration qui devait très rapidement conduire à la rupture.
Dès le 27 mars, en effet, M. Philippe Yace, secrétaire général du Parti démocratique de la Côte d’Ivoire, en annonçant que le « Mouvement des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire », le MEECI, devenait un organe du parti gouvernemental au sein duquel tous les élèves et étudiants devaient militer, n’avait pas craint de dénoncer « certains étrangers » qui avaient, disait-il, induit en erreur les étudiants ivoiriens. « Nous dénions à quiconque, devait-il préciser, le droit de vouloir inculquer à nos enfants les doctrines de tous ordres en vigueur ailleurs que chez nous et contraires aux réalités de chez nous ».
Les Soviétiques n’étaient pas nommés, mais l’allusion était fort claire.
C’est l’Ambassade d’Algérie qui a été chargée de représenter à Abidjan les intérêts de l’URSS en Côte d’Ivoire.
La défense de la route du Cap préoccupe le Gouvernement sud-africain
La présentation du projet de budget devant le Parlement, diverses déclarations du Premier ministre (Hendrik Verwoerd) et du ministre de la Défense (Pieter Botha) ainsi qu’une vive activité diplomatique ont appelé l’attention sur les préoccupations du Gouvernement sud-africain en matière de défense.
La crainte des activités terroristes pousse en effet les dirigeants de Pretoria à développer l’organisation, l’entraînement et les moyens de la police et des forces armées, tandis que sur le plan stratégique un de leurs principaux soucis est de faire face à la menace que peut faire peser la présence navale soviétique sur la route du Cap, qu’ils considèrent comme essentielle à leur défense.
Estimant en effet que la dévolution de la base de Simonstown a attribué à l’Afrique du Sud de lourdes responsabilités dans la protection de la route maritime entre I’Atlantique-Sud et l’océan Indien, devenue, depuis la fermeture du canal de Suez, l’une des principales du monde, les dirigeants sud-africains attachent une importance particulière à l’expansion de leurs installations et de leurs forces navales.
Le plan de cinq ans rendu public au mois d’avril dernier prévoit des crédits de plus de un milliard et demi de rands – soit plus de 11 milliards de francs – pour couvrir l’ensemble des dépenses de défense jusqu’en 1974 – les principaux crédits ainsi prévus portent sur l’installation d’une base de sous-marins, d’un PC aéronaval souterrain doté d’un système de radio communications ultramoderne, sur l’achat ou la construction de patrouilleurs côtiers rapides et le remplacement des trois plus anciennes frégates de la flotte.
Consciente de sa faiblesse et de son isolement, l’Afrique du Sud cherche à intéresser à ses projets de défense de la route du Cap de Bonne Espérance, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, l’Argentine et le Brésil.
Le voyage du ministre des Affaires étrangères sud-africain (Hilgard Muller) en Argentine et au Brésil, celui de l’Amiral commandant la Marine argentine et de deux ministres brésiliens en Afrique du Sud, l’ouverture récente de la nouvelle ligne aérienne Johannesburg-Rio de Janeiro-New York, le prêt accordé récemment à la banque de développement du Brésil, constituent autant de gestes de bonne volonté réciproques et encourageants pour la politique des Sud-Africains.
Cependant, si l’Argentine paraît prête à des contacts d’État-Major, ou à une coopération commerciale, il ne semble pas que le Brésil veuille s’engager trop loin. L’idée de la création d’une « Organisation du Traité de l’Atlantique Sud » a bien été évoquée par la presse de Pretoria, mais aussitôt Argentins et Brésiliens se sont empressés de démentir pareilles intentions.
De leur côté, les gouvernements australiens et néo-zélandais ne paraissent pas plus pressés de s’engager. Sans doute depuis quelques mois on a pu noter des visites réciproques de personnalités diverses et le prochain voyage du ministre sud-africain des Affaires économiques (Nicolaas Diederichs) prévu en Australie et en Nouvelle-Zélande doit-il contribuer à élargir ces contacts. Mais l’idée d’un pacte naval est à l’heure actuelle considéré comme impensable à Canberra.
Quoi qu’il en soit, les Sud-Africains paraissent bien décidés à poursuivre leur politique d’ouverture vers l’extérieur. Ils espèrent que, malgré le problème rhodésien, les résultats encourageants obtenus récemment en Afrique du côté du Malawi et de Madagascar peuvent servir d’exemple à d’autres pays qui pourraient s’engager dans la voie d’une coopération prudente et limitée. C’est dans cette perspective que les problèmes posés par la défense de la route du Cap les incitent à persévérer dans leurs approches vers d’autres continents. ♦