Militaire – République fédérale d’Allemagne : Controverse sur l’Innere Führung – Pays de l’Est : Budgets de défense 1969 – URSS: tirs de missiles – Thaïlande : Organisation et emploi des forces terrestres ; les forces terrestres ; la subversion intérieure – Sud-Vietnam : Pertes américaines en hélicoptères
République fédérale d’Allemagne (RFA) : Controverse sur l’Innere Führung
L’Innere Führung est une sorte de charte de la formation civique et morale du militaire élaborée autour des années 1950, visant à faire de la Bundeswehr l’armée d’un État démocratique. Cette doctrine est fondée sur deux principes essentiels :
– la prise de conscience des valeurs fondamentales dans l’ordre spirituel et moral ;
– la responsabilité personnelle de chaque citoyen.
Le 5 mai, à Munich, M. Gerhard Schroeder, ministre fédéral de la défense, s’adressant aux élèves-officiers des trois armées, a annoncé que la doctrine de l’Innere Führung devait être adaptée aux circonstances et allait, en conséquence, faire l’objet d’une nouvelle étude. Cette mise au point du ministre intervient à la suite d’une longue série de déclarations de personnalités politiques ou d’officiers généraux, qui révèlent un certain malaise dans l’armée allemande.
Dans son numéro du 7 avril le Spiegel s’est fait l’écho de propos qu’aurait tenus le général Grashey, Inspecteur adjoint de l’Armée de terre, à l’École de Guerre de Hambourg devant un auditoire non exclusivement militaire. Selon lui, les difficultés de l’armée allemande proviendraient de trois causes internes : l’existence d’un délégué parlementaire à la Défense, le poids excessif de la bureaucratie militaire et l’idéologie de l’Innere Führung.
En effet, pour l’Inspecteur adjoint de l’Armée de terre, l’institution d’un délégué parlementaire ne faisait qu’exprimer un sentiment de défiance aussi nuisible qu’inutile à l’égard des militaires ; l’administration de la Bundeswehr, indépendante du commandement, gênait l’exécution du service et enlevait tout enthousiasme au soldat. L’Innere Führung intouchable et jamais réformée avait été, à l’origine, une concession au Parti social-démocrate réfractaire au réarmement. Elle portait la responsabilité principale du malaise. L’émotion provoquée par ces propos amena des réactions en chaîne. Le général de Maizière, Inspecteur général de la Bundeswehr, le ministre, différentes personnalités politiques durent prendre position. L’affaire, examinée par la commission de défense, fut finalement classée faute d’information suffisante.
Le calme était à peine rétabli que, en avril, une nouvelle controverse naissait. La presse allemande rapportait une opinion qu’aurait exprimée une autre personnalité militaire, le général Karst, chargé des questions d’éducation et de formation à l’État-Major de l’Armée de terre. Selon lui la doctrine de l’Innere Führung conduit à un échec parce qu’elle est en contradiction avec elle-même et vise à créer une armée dépourvue d’esprit militaire. Devant l’agitation croissante soulevée par ces polémiques, il était logique que M. Schroeder fît connaître la position gouvernementale.
Dans son exposé du 5 mai aux élèves-officiers, le ministre a établi une nette distinction entre les principes de l’Innere Führung et son application dans la vie quotidienne de la troupe. Les principes doivent rester intangibles, mais leur application doit être adaptée aux circonstances. En ce qui concerne les principes, le ministre a réaffirmé la primauté de la direction politique sur le commandement militaire, l’intégration des forces armées dans un État libéral et juste, l’image exemplaire du « citoyen en uniforme » ou mieux encore du « citoyen-soldat », la protection légale de la personnalité du militaire, la considération de la dignité humaine de chacun en toutes circonstances et enfin le respect des conventions internationales en cas de guerre. Le ministre a d’autre part admis que certains domaines d’application de la doctrine pouvaient être adaptés aux circonstances, entre autres les manifestations de la discipline, les formes de l’instruction et de l’organisation, le style du commandement, la réglementation des carrières et les aspects de l’activité politique. M. Schroeder a, en outre, affirmé la nécessité pour l’État de se protéger contre les agissements subversifs de certains groupes politiques et s’est prononcé, en particulier, contre les abus de l’objection de conscience.
Ainsi, les plus hautes autorités politiques et militaires admettent une évolution nécessaire de l’Innere Führung. Cette évolution ira certainement dans le sens d’un renforcement de l’autorité, prenant la forme d’une définition plus précise – et probablement plus restrictive – des libertés.
Pays de l’Est : budgets de défense 1969
Les budgets officiels de défense des pays de l’Est présentent en 1969, à l’exception de celui de l’URSS, des augmentations à première vue impressionnantes par rapport aux crédits militaires prévus pour l’année précédente.
Elles paraissent en effet considérables pour trois d’entre eux : l’Albanie (38 %), la Hongrie (24,6 %) et la Roumanie (23,3 %) ; très importantes pour trois autres pays : la Yougoslavie (15,4 %), la Bulgarie (14,4 %) et la Pologne (14,2 %) ; et loin d’être rassurantes dans le cas de l’Allemagne de l’Est (9,5 %) et de la Tchécoslovaquie (entre 7,6 et 9,9 %). Seule, l’augmentation du budget de défense de l’URSS paraît raisonnable, puisqu’elle ne dépasse pas 6 %, alors que le budget général augmente de 8,3 % par rapport aux prévisions faites pour 1968.
En fait, cette présentation sommaire, si elle s’en tenait à ces chiffres bruts, serait quelque peu trompeuse, car elle exagérerait l’importance de certaines augmentations, tandis qu’elle minimiserait l’effort consenti par d’autres pays.
Pour la Bulgarie, l’augmentation du budget de défense correspond à celle du budget général et son poids reste le même que les années précédentes dans l’ensemble des dépenses de l’État (6 %). C’est à peu près le même cas pour la Tchécoslovaquie, où le budget de défense représente environ 9 % du total, comme l’année dernière, ce qui est d’ailleurs méritoire, étant donné les difficultés économiques du pays.
En Yougoslavie, les augmentations sont beaucoup moins importantes qu’elles ne le paraissent, car le budget de défense a bénéficié en 1968 de 400 millions de dinars de crédit supplémentaire, ce qui réduit l’accroissement de 1969 à 7,9 % (au lieu de 15,4 %). Deux facteurs ont joué dans des proportions inégales : en premier lieu, l’effort de défense entrepris l’année dernière au moment de l’invasion de la Tchécoslovaquie, et en second lieu, mais dans une moindre part, l’élévation générale des prix.
En Allemagne de l’Est, l’augmentation de 9,5 % du budget de défense est, en réalité, très importante, lorsqu’on la compare à la croissance du budget général (13 %) et la part de la défense passe de 8 à 8,5 % du total des dépenses. En URSS également, l’augmentation du budget de défense (6 %), bien qu’elle paraisse plus faible que l’augmentation officielle du budget général (8,3 % par rapport aux prévisions de dépenses pour 1968), est supérieure à l’augmentation réelle de ce même budget général (3,8 % par rapport aux dépenses effectives). C’est d’ailleurs la plus forte de tous les chapitres de budget.
En Albanie, l’augmentation considérable du budget de défense peut s’expliquer par un retour à la normale. Depuis plusieurs années, en effet, les forces armées albanaises vivaient sous un régime d’économies forcées et devaient, en principe, vivre en grande partie sur leurs propres ressources. Il est fort possible, dans ces conditions, que le budget de 1969 corresponde à la fin de cette politique de restrictions. La Chine populaire a très bien pu d’ailleurs subordonner à ce changement d’orientation la poursuite de son aide militaire.
En Roumanie, la variation très importante du budget de défense provient vraisemblablement en grande partie des réformes économiques mises en vigueur en 1968 et 1969. L’établissement de l’autonomie comptable et du principe de la rentabilité des entreprises a certainement provoqué un réajustement substantiel des prix des matériels de guerre. Au demeurant, le poids du budget de défense dans le budget général reste encore très faible : 4,2 %.
En Hongrie, l’augmentation importante qui apparaît cette année est due à des raisons semblables, mais il faut tenir aussi compte du crédit supplémentaire d’un milliard de forints accordé à la défense de 1968. Le Chef d’état-major hongrois a en effet déclaré que l’accroissement du budget de défense qui représente 5,1 % du budget général était de 6,8 au lieu de 24,7 %.
Il semble en fin de compte que les augmentations constatées en 1969 dans les budgets de défense des pays de l’Est ne soient vraiment significatives que pour trois d’entre eux : l’URSS, l’Allemagne de l’Est et la Pologne. Mais il faut, toutefois, rappeler que ces budgets officiels sont certainement loin de représenter tous les crédits affectés à la défense nationale, sauf en ce qui concerne la Yougoslavie.
URSS : tirs de missiles
Le 23 avril, les Soviétiques ont effectué un tir à destination de la zone-cible, située à mi-distance entre Hawaï et le Japon. Selon le département de la défense américaine, le missile lancé était un SS-9 à ogive multiple. Le SS-9 peut être équipé soit d’une ogive simple de 25 mégatonnes, soit d’une ogive multiple comprenant trois armes de 5 Mt. Ce missile a déjà fait l’objet de divers tirs d’essais portant notamment sur l’utilisation de trajectoires basses (mai 1968). En août 1968, une première expérimentation d’ogive multiple avait eu lieu, la cible étant alors située dans la mer d’Okhotsk.
L’efficacité des missiles soviétiques a été récemment mise en valeur par les déclarations du général Pavlovski, commandant en chef des Forces terrestres, et du maréchal Zakharov, chef d’état-major général des Forces armées. Tous deux ont précisé que les fusées dont sont dotées les forces soviétiques ont, notamment dans leur variante globale, un rayon d’action illimité et sont capables de percer les réseaux de défense antimissile : déclarations qui ne constituent d’ailleurs pas un fait nouveau.
Le rayon d’action des fusées soviétiques est maintenant bien connu. Si leur aptitude réelle à surmonter les systèmes de défense antimissile est difficile à apprécier, elle avait déjà été affirmée à plusieurs reprises du côté soviétique, notamment, le 7 novembre 1968, par le Maréchal Gretchko qui déclarait : « nos fusées stratégiques sont capables de surmonter la défense anti-fusées de l’adversaire et constituent une arme imparable ».
Thaïlande : organisation et emploi des Forces terrestres
Entourée de pays dont les régions limitrophes sont parcourues par des bandes d’obédience le plus souvent communiste et maoïste, la Thaïlande est, depuis plus de quatre ans, le théâtre, dans ses provinces excentriques, d’une subversion encouragée sinon aidée par Hanoï et Pékin. Face à cette menace, la Thaïlande a confié comme mission principale, à ses Forces armées, la « défense du pays contre le communisme » dont elle ne s’estime pas protégée par ses voisins, étant donné leur situation intérieure. C’est dans ce cadre qu’elle a été amenée à devenir membre de l’Organisation du Traité de l’Asie du Sud-Est (Otase) dès sa création en 1955, à se lier de plus en plus étroitement aux États-Unis (traité d’amitié signé pour dix ans en 1966, bases américaines, Military Advisory Assistance Group) à envoyer au Sud-Vietnam un corps expéditionnaire qui est passé de 2 500 hommes en 1967 à près de 12 000 hommes, et enfin à entreprendre, sur son territoire, la lutte contre les éléments rebelles.
Ses Forces armées représentent un potentiel non négligeable. Comparées à celles des pays voisins, elles sont en effet bien organisées, équipées, entraînées. Mais, dans la lutte contre la subversion intérieure, elles ont paru relativement moins manœuvrières et moins mobiles qu’escompté. Ces lacunes n’ont pas échappé au commandement des Forces thaïlandaises auquel la perspective d’un certain désengagement américain dans le Sud-Est asiatique a fait, en outre, prendre conscience de la nécessité de mettre le pays en état de se défendre par ses propres moyens. Pour répondre à ce double souci, un plan militaire de cinq ans, visant à moderniser les Forces armées et à combler le déficit permanent des unités, a été adopté le 1er octobre 1967. Les États-Unis participent à l’exécution de ce plan par la fourniture de matériels à titre onéreux.
Le roi Rama IX est le chef suprême des Forces armées, mais la responsabilité réelle de la Défense nationale appartient au Premier ministre, le général Thanom Kittikachorn, également ministre de la Défense et commandant en chef des Forces armées. Le ministre de la Défense exerce ses fonctions avec l’aide d’un sous-secrétaire d’État dont dépendent le Secrétariat général du ministre, la direction de la Justice, la direction des Finances, la direction de l’Énergie, la direction des Industries de défense, le bureau des aides de camp du roi et le commandement suprême des Forces qui, outre un Secrétariat général, comprend un certain nombre de directions interarmées et actionne les trois armées (Terre, Air, Mer) et les écoles.
Dépendant du commandement suprême, le commandant en chef de l’Armée de terre, assisté d’un commandant adjoint et d’un état-major, actionne les trois Régions militaires (RM), chacune à deux subdivisions et une subdivision indépendante. À chaque RM correspond une division d’infanterie dont le chef est le commandant de RM. Il y a donc, de fait, unité du commandement opérationnel et du commandement territorial et logistique. L’armée thaïlandaise est à base d’appelés. L’incorporation est faite par les subdivisions tous les deux mois. Celle des montagnards exemptés de service militaire jusqu’à maintenant, serait à l’étude. Depuis un an certains étudiants bénéficient d’exemption. Le service militaire dure théoriquement deux ans, mais, en pratique, sa durée varie avec les possibilités budgétaires toujours trop réduites et il en résulte un sous-effectif dans les unités.
Les Forces terrestres
L’Armée de terre comprend trois divisions d’infanterie, une division de cavalerie, une division d’artillerie antiaérienne, des unités non endivisionnées de réserve générale et le Corps expéditionnaire au Sud-Vietnam (division des Black Panthers).
La division d’infanterie se compose de plusieurs Regimental Combat Teams (RCT) à base d’infanterie et d’artillerie de campagne et d’éléments organiques divisionnaires. La division de cavalerie, outre les mêmes éléments organiques de commandement et des services que la division d’infanterie, compte plusieurs groupes d’artillerie de campagne, un RCT et des régiments de cavalerie équipés de matériels blindés de reconnaissance ou à cheval. La division d’artillerie antiaérienne comporte deux régiments d’artillerie antiaérienne légère et un groupe d’automoteurs d’artillerie lourde ; l’équipement en Hawk débute. Les unités non endivisionnées comprennent des bataillons de transmissions, du génie de police militaire, de l’artillerie à longue portée, des unités de transport et des dépôts du matériel.
La division légère des Black Panthers forte de 12 000 hommes environ, employée au Sud-Vietnam est articulée en deux RCT (le premier a rejoint en août 1968, le second en février 1969). Cette division a été mise sur pied avec des réservistes volontaires encadrés par des personnels d’active. Elle a été entièrement équipée par les États-Unis.
Les officiers sont formés à l’Académie militaire de Chulachomklao, près de Bangkok. Les élèves sont, soit des cadets issus de l’École préparatoire des Forces armées, soit des sous-officiers, soit des étudiants volontaires et remplissant les conditions requises (ces derniers plus nombreux). Les cours à l’Académie militaire durent cinq ans pour les anciens cadets. Ils sont plus courts pour les autres élèves officiers. À leur sortie de Chulachomklao, les officiers suivent un cours d’application dans le centre d’instruction de leur arme ou service. Au cours de leur carrière, ils peuvent être admis à l’École d’état-major puis au Collège d’état-major des Forces armées comme officiers supérieurs, à l’École de guerre comme lieutenants-colonels ou jeunes colonels ou au Collège de la Défense nationale comme colonels anciens ou généraux. En outre, nombre d’officiers thaïlandais suivent des stages à l’étranger, principalement aux États-Unis, mais aussi dans les pays occidentaux et notamment en France où, depuis 1965, quatre officiers thaïlandais ont suivi les cours de l’École supérieure de Guerre (ESG), quatre ceux de l’École d’état-major (EEM) et quatre ceux d’écoles d’application.
Depuis 1967, toutes les compagnies passent successivement dans les centres d’instruction antiguérilla et de combat de jungle sous la direction de conseillers américains des Special Forces. À en juger par les résultats obtenus par le corps expéditionnaire thaïlandais au Sud-Vietnam, l’instruction est menée d’une manière satisfaisante, bien que la valeur de ce corps expéditionnaire ait été très discutée à Saigon. L’instruction des réserves est faite par convocation, pour quelques jours, des soldats libérés du service actif depuis moins de deux ans. Ces périodes permettent de vérifier la position des intéressés.
À côté des Forces terrestres il existe une force de police : police provinciale, police frontière, police maritime et unités spéciales axées sur la lutte contre la subversion. Celles-ci comprennent des unités mobiles et une division aérienne en plein développement, disposant notamment d’hélicoptères et chargée en particulier d’appuyer les unités mobiles engagées dans la lutte antisubversive.
Les matériels de la police sont les mêmes que ceux des unités d’infanterie.
En butte à une subversion intérieure, engagées au Sud-Vietnam et dans une faible mesure au Laos, les Forces terrestres thaïlandaises ont démontré à l’extérieur une bonne valeur. Elles paraissent, par contre, malgré leurs efforts, éprouver des difficultés à juguler la subversion intérieure.
La subversion intérieure
Regroupant, sous le nom de Front uni des patriotes thaïlandais, plusieurs organisations ayant leur direction centrale en Chine populaire, la subversion thaïlandaise compte quelques milliers de partisans actifs constitués depuis peu en Armée de libération du peuple avec un « commandement unifié » dont le Parti communiste, de tendance maoïste, est l’élément moteur. Elle se recrute plus particulièrement chez les populations minoritaires (Meos dans le Nord, Chinois et Thaïs musulmans dans le Sud, Laos et réfugiés vietnamiens dans le Nord-Est). Les cadres sont formés notamment au Nord-Vietnam près de Hoa Binh. Leur transit avec le Nord-Vietnam et la Chine ainsi qu’un trafic limité de matériel d’armement moderne s’effectuent par le Laos. Entretenue et encouragée par une propagande inlassable sur les ondes jusque dans les villages les plus reculés, la subversion n’a, semble-t-il, que faiblement accru son potentiel armé depuis trois ans. Par contre, elle a gagné en étendue, au point que maintenant plus du tiers des régions est reconnu officiellement comme touché par elle. En effet, les éléments subversifs trouvent auprès de leurs frères de race, sinon un réel appui, du moins un accueil bienveillant qui complique singulièrement l’action des forces de l’ordre.
Parallèlement à une action de développement économique des régions troublées (qui sont les plus pauvres et les moins bien équipées du pays), la lutte contre la subversion a d’abord été confiée à la police provinciale. Devant l’aggravation de la situation un Commandement opérationnel pour la répression des activités communistes (CSOC) fut créé en 1965, actionnant les moyens de l’administration de la police, des organisations populaires et certains éléments de l’Armée de terre. Devant le peu de résultats obtenus par la police, la responsabilité de la lutte contre la subversion a été confiée en novembre 1967 aux Forces armées. En dépit des efforts faits et des moyens des Forces terrestres engagés, il semble bien que la subversion ne désarme pas, notamment dans le Nord et le Nord-Est, tandis que dans le Sud l’action concertée avec les forces malaises reste plus à l’état de principe qu’elle ne passe réellement dans les faits. En outre, les rebelles ont beau jeu, s’ils sont trop pressés par les forces de l’ordre, de passer la frontière pour se réfugier dans des zones mal contrôlées par les forces des pays voisins de la Thaïlande (Birmanie et Laos en particulier).
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S’étant résolument tournée vers les États-Unis depuis 1950 et s’étant de plus en plus liée à eux, la Thaïlande en a reçu en contrepartie une aide militaire sous forme de conseillers, d’instructeurs et de matériels ainsi qu’une aide financière importante dont près de 30 % ont été consacrés directement aux forces thaïlandaises et la plus grande partie du reste à des travaux d’infrastructure concernant des routes stratégiques, des terrains d’aviation et des moyens de communication. En liaison avec le développement de la guerre au Sud-Vietnam, les forces américaines atteignent maintenant en Thaïlande un effectif de 43 000 hommes, principalement des aviateurs répartis sur sept bases.
Grâce à l’aide des États-Unis, qui s’est intensifiée au cours des dernières années, des progrès sensibles ont été faits par les Forces armées thaïlandaises dans le domaine de l’instruction et de l’équipement malgré des moyens financiers relativement faibles. Si leur adaptation à la lutte contre la subversion intérieure a parfois été jugée insuffisante, elles ont cependant, jusqu’à maintenant, réussi à l’empêcher de devenir réellement dangereuse pour l’équilibre du pays.
Sud-Vietnam : pertes américaines en hélicoptères
Des statistiques, émanant du Department of Defense, relatives aux taux d’emploi et de pertes des hélicoptères au Sud-Vietnam sont de temps en temps publiées aux États-Unis. L’examen de ces données suggère les réflexions suivantes.
En 1962, les hélicoptères dont étaient dotées les forces terrestres américaines au Sud-Vietnam, se comptaient par quelques dizaines. En 1968, leur nombre atteignait 3 300 dont la moitié environ entrait dans la composition de la 1re Brigade d’Aviation légère de l’Armée de terre (Alat). On constate que cette augmentation a été en liaison étroite avec celle de l’engagement américain et, semble-t-il, avec les résultats obtenus par la 1re Division aéromobile de cavalerie arrivée au Sud-Vietnam en 1965. On estime parfois aux États-Unis que ces moyens en héliportage ont permis d’éviter un doublement des effectifs des forces alliées au Sud-Vietnam. La souplesse tactique et l’amélioration du commandement en cours d’opération et de la logistique (évacuation sanitaire en particulier) qu’offrent ces appareils, sont très probablement à l’origine de cette affirmation.
On sait que les exigences logistiques des hélicoptères sont en rapport direct avec le nombre d’heures de vol effectuées. Celui-ci résulte du nombre de sorties et de leur durée. Or si cette durée avoisinant 22 minutes, semble avoir peu varié depuis 1966, le nombre total de sorties annuelles entre 1966 et 1968 a été multiplié par 4,2, le nombre mensuel d’heures de vol par hélicoptère se situant actuellement aux alentours de 60 heures. Tout en confirmant l’utilisation croissante des hélicoptères par les forces alliées, ces chiffres montrent que, pour éviter un taux d’utilisation de ces appareils incompatible avec les moyens mis en place pour leur soutien d’une part, avec les normes de sécurité d’autre part, les États-Unis ont été conduits à accroître considérablement leur parc d’hélicoptères au Sud-Vietnam.
L’examen des taux de perte donne lieu aux remarques suivantes. Le pourcentage d’hélicoptères abattus au combat, c’est-à-dire en vol, après avoir été pratiquement constant jusqu’en fin 1966 s’est accru notablement en 1967 et encore plus en 1968 – égalant presque celui des pertes dues à toute autre raison (accidents en vol, destruction au sol par l’adversaire) – On a donc assisté, du côté américain, à une amélioration de la discipline de vol hors opération. Cette interprétation est corroborée par le fait que le tour de départ des pilotes d’hélicoptères pour le Vietnam est deux fois plus rapide que pour les autres personnels et que la durée de leur séjour est de 18 mois au lieu de 12. Revenant sur un territoire où ils ont déjà servi, ils ont une plus grande expérience et sans doute un nombre moindre d’accidents. Par contre, du côté Vietcong, si l’amélioration de la puissance de feu a permis de détruire au sol un plus grand nombre d’appareils à l’occasion de bombardements d’installations américaines, on s’est accoutumé aux actions héliportées, on a utilisé avec une efficacité croissante le feu des armes automatiques contre les hélicoptères en vol et adopté, pour leur attaque, une tactique plus efficace. Le pourcentage des pertes totales en hélicoptères par rapport au nombre moyen d’appareils présents du Sud-Vietnam, après avoir été très élevé en 1962, a décru notablement et régulièrement jusqu’en 1966. Il s’est relevé brusquement en 1967, progressant encore en 1968. Ce relèvement est en liaison directe, semble-t-il, avec l’engagement accru des forces américaines dans la conduite des opérations, l’accroissement de l’intensité des combats en 1967, l’offensive du Têt 1968, et ce qu’il est convenu d’appeler la 2e offensive générale vietcong en mai 1968. Au cours des deux mois qu’ont duré ces deux offensives, les pertes totales en hélicoptères ont représenté le tiers des pertes pour l’année 1968. D’une manière générale, ces pertes en hélicoptères estimées à 570 millions de dollars paraissent exorbitantes mais ce jugement doit être nuancé. En effet, par rapport au nombre de sorties de combat, le taux des pertes a évolué entre deux chiffres qui ont été estimés acceptables par le commandement et, d’après un de ses porte-parole, inférieurs aux prévisions ; ceci, d’une part grâce à l’adoption de plaques de blindage pour la protection des parties vitales (sièges compris) des hélicoptères, d’autre part en raison de la capacité d’encaissement aux coups reçus dans les œuvres vives de certains d’entre eux (le CH-46 Sea Knight, en particulier, utilisé par le Marine Corps dans des conditions très souvent sévères). Quoi qu’il en soit, le problème du remplacement des hélicoptères détruits ne semble pas présenter de difficultés majeures puisque le nombre des appareils en service n’a cessé d’augmenter.
Depuis 1962, environ 900 hommes de l’Alat ont été tués au cours de sorties de combat et environ 800 à l’occasion d’accidents. Sur 24 millions de passagers transportés, 2 300 sont morts du fait de la perte d’hélicoptères. Certes, ces pertes sont en moyenne plus élevées que celles des autres unités de l’Armée de terre, mais elles ont néanmoins été considérées comme supportables par l’État-Major américain dans la mesure où le personnel d’équipage pouvait être remplacé. Il s’en est cependant suivi, comme cela a été signalé plus haut, un tour de départ accéléré pour les personnels de l’Alat américaine et une durée de séjour plus longue. Néanmoins, le problème du remplacement des personnels ne s’est pas révélé insoluble. Il ne paraît pas avoir atteint un seuil critique qu’une nouvelle augmentation du nombre des hélicoptères pourrait rendre difficile à résoudre. Cette opinion est confirmée par la transformation en cours de la 101e Division aéroportée (DAP) en division aéromobile.
Il n’est donc pas douteux que pour le commandement américain les avantages tirés de l’emploi intensif de l’hélicoptère surpassent malgré son coût ses inconvénients. ♦