Aéronautique – Le Salon du Bourget : Présentations en vol – Les absents – Le Milan – Les Concorde – L’exposition statique – Premier bilan
Le Salon du Bourget s’achève : les premiers bilans sont publiés. Le nombre des entrées a approché d’un million et demi ; l’enthousiasme pour les Concordes en vol simultané dans le ciel de Paris et du Bourget a été chez les Français unanime. Je laisse à des sociologues le soin de trouver les raisons ou de tirer les conclusions de ces comportements. Il n’en reste pas moins que pour les organisateurs le succès a dépassé toutes les prévisions et que le spectacle offert par les manifestations aéronautiques demeure, quelles qu’en soient les raisons profondes, un des plus goûtés du public.
Présentations en vol
Les présentations en vol mettaient bien en valeur les réussites de l’industrie aéronautique française, dans le domaine civil comme dans le domaine militaire : Mirage F1 (1), Mirage G, Milan, Jaguar (2), ont fait, comme on sait, de remarquables démonstrations ; on a vu en vol, parmi d’autres, le Mystère 20 dont le succès ne se dément pas, le Breguet 941, le Transalp, toute une gamme d’hélicoptères : Alouette II équipée de la turbine Turbomeca Astazou de 550 chevaux (3), Alouette III, SA330 Puma (l’hélicoptère de manœuvre de l’armée de Terre), SA340 Gazelle (remplaçant futur des Alouette), SA321 Super Frelon dans sa version civile et sa version militaire (Marine), enfin et surtout les deux Concordes, dont la présence simultanée le samedi, puis le dimanche, représente, quand on songe qu’il s’agit de prototypes récents, une belle réussite. Il faut d’ailleurs accorder également cette palme au Boeing 747, même si son départ prématuré a empêché beaucoup de spectateurs de le voir ou, faute d’un avion d’accompagnement donnant l’échelle, d’apprécier son énormité.
En revanche, le vide laissé par les avions militaires américains était sensible ; ils ne nous ménageaient pas naguère leurs démonstrations ; leurs patrouilles, Blue Angels et Sky Blazers, enrichissaient le programme de la fête aérienne. Rien de tel cette année, aucun avion militaire nouveau sur l’aire d’exposition statique. On peut épiloguer sur les raisons avouées ou cachées de cette abstention : reste de rancœur contre la politique extérieure française, désir d’éviter des dépenses inutiles à l’étranger, souci de ne pas revenir sur une position péremptoire ; aucune n’est satisfaisante : il est plus vraisemblable que l’Amérique, accusée partout d’impérialisme, ne souhaitait pas se montrer au Bourget sous des apparences trop militaires ni faire étalage d’une puissance trop écrasante. En développant au contraire ses stands d’équipements ou de sous-ensembles, en insistant sur la conquête pacifique de l’espace, elle servait mieux ses intérêts matériels et moraux.
Elle y était d’une certaine façon encouragée par l’attitude bien connue de la Russie. Celle-ci ne répugnerait sans doute pas à faire montre de sa puissance dans les pays occidentaux, mais la crainte de divulguer des secrets et la hantise de l’espionnage s’ajoutant à une attitude permanente de « partisan de la paix », l’ont toujours jusqu’ici dissuadée de déplacer à l’étranger un matériel militaire moderne. Sans doute a-t-elle présenté en vol cette fois le gros Antonov An-22 déjà vu au sol il y a deux ans, mais il s’agissait d’un avion de transport pouvant être à la rigueur utilisé comme avion commercial. Ainsi les deux géants paraissaient-ils se mesurer exclusivement au Bourget dans les domaines pacifiques de la technique, du commerce et du progrès scientifique, tout en restant assurés de trouver de nombreux clients pour leurs modèles d’avions militaires.
Sans prétendre énumérer tous les appareils présentés, je m’arrêterai au passage à quelques démonstrations frappantes : ainsi de la plus surprenante, celle de ce Shrike Commander, dont un pilote particulièrement habile coupait les deux moteurs au cours d’une boucle, effectuant ensuite un tonneau à facettes pour se poser enfin, ses deux hélices toujours arrêtées (il est vrai que cela ne prouve rien en faveur ou au détriment des qualités de cet avion d’affaires) ; ainsi des avions à décollage vertical, Hawker P.1127 Harrier et Dornier Do 31 E, dont la performance comme les évolutions inattendues sont un spectacle remarquable (on avait vu passer auparavant deux Harriers recevant en vol le carburant d’un Victor) ; ainsi du Saab Viggen suédois, très attendu, dont la silhouette baroque et les performances apparentes n’ont pas déçu.
Les absents
Si le vol des deux Concorde a été un des grands moments du Salon, on n’en a pas moins déploré le forfait du Tupolev Tu-144. Celui-ci a pourtant repris ses vols depuis la fin de mai. Il est piquant d’entendre les Russes invoquer, pour expliquer cette absence, des raisons analogues à celles que la maison Boeing a fait valoir pour justifier la visite éclair de son 747 : « il ne saurait être question d’interrompre les essais intensifs en cours, alors que l’industrie aéronautique soviétique désire mettre en service le plus tôt possible cet appareil », comme si la date de cette mise en service avait, à huit jours près, une importance vitale ; ou bien alors, nous faudrait-il croire que l’industrie est soumise aux mêmes contraintes, aux mêmes impératifs économiques, à l’est qu’à l’ouest ? Il est plus logique de penser que tout simplement le Gouvernement soviétique ne se souciait pas de faire accomplir un aussi long voyage à un avion qui pose sans doute de nombreux problèmes techniques, et les raisons du C-5A Galaxy américain ne sont peut-être pas très différentes. Cela ne signifie nullement d’ailleurs que l’un et l’autre avions ne seront pas, au stade de la série, parfaitement réussis.
Les raisons de Boeing pour limiter le temps de séjour à Paris du 747 sont beaucoup plus claires. La société doit avant tout fournir les avions commandés – par 28 compagnies aériennes – à la date prévue. Or le 6 mai dernier, au cours d’un point fixe, le feu s’est déclaré au moteur intérieur droit du premier prototype ; quelques jours après on découvrait des criques (4) sur la plupart des axes de turbines « basse pression » (5) du turboréacteur Pratt & Whitney JT9D1 ; cet incident ne devrait pas avoir de conséquences graves car, si l’on en croit P&W, il s’agit là de moteurs de présérie conçus pour 50 heures de fonctionnement seulement et qui ont dépassé ce nombre pour la plupart, mais bien entendu les heures d’essai qui n’ont pu s’effectuer pendant qu’on réparait les axes doivent être rattrapées pour que Boeing puisse livrer à la Pan American Airways le premier exemplaire avant janvier 1970, – le premier des 184 appareils commandés. Pour ce constructeur, le problème prioritaire n’est pas pour le moment de chercher à vendre davantage, mais de livrer à temps, et le gouvernement aurait été mal fondé de lui reprocher son attitude alors que le Pentagone faisait vraiment peu d’efforts pour soutenir le prestige américain.
Quant au C-5A Galaxy, les essais en vol se poursuivent et la revue Aviation Week, dans un entrefilet glissé au milieu de ses articles consacrés au Salon du Bourget, faisait observer que les quatre prototypes étaient en vol pendant le week-end du 23 au 25 mai. Cela n’exclut pas l’existence de difficultés d’ordre technique, comme les six mois de retard pris par ce programme le font supposer, mais celles-ci seront tôt ou tard résolues ; ce genre d’incident est inévitable en matière aéronautique où la théorie permet toujours d’expliquer les phénomènes constatés, mais se révèle parfois impuissante à les prévoir, et il soulève beaucoup moins de tempêtes que les dépassements de prix, déjà évoqués dans cette chronique. Il serait fastidieux de rapporter les discussions que ce renchérissement suscite chez les défenseurs et chez les détracteurs des formes de marchés inventées par M. McNamara. Il demeure que l’atmosphère n’est pas bonne autour du C-5A et que Lockheed – qui a d’autres ennuis avec l’hélicoptère AH-56A Cheyenne dont l’Armée de terre vient d’annuler le marché de production en série (6) – pas plus que le Pentagone, ne devaient souhaiter ce déplacement à l’étranger pour un appareil suscitant de pareilles controverses.
Le Milan
Ce fut une des surprises du Salon. Développé par Dassault et la Fabrique fédérale d’avions d’Emmen, l’avion en soi ne différait pas des Mirage de série, mais il présentait un dispositif original : des « moustaches » rétractables, dont l’objet est d’améliorer la maniabilité à basse vitesse. On sait qu’un inconvénient des voilures delta provient de l’impossibilité de munir de dispositifs hypersustentateurs classiques (volets) le bord de fuite occupé par les élevons (qui jouent le double rôle de gouvernail de profondeur et d’ailerons) et les volets amortisseurs de tangage. En outre le braquage des élevons en vue de l’arrondi et de l’atterrissage engendre une perte de portance : on doit adopter en conséquence des vitesses d’approche élevées et une position cabrée qui compliquent l’atterrissage.
Le dispositif monté sur le Milan a été étudié à la suite du souci manifesté par la Suisse de pouvoir faire évoluer les Mirage dans des régions encaissées. Mais il se traduit de façon frappante par l’amélioration des performances à l’atterrissage ; un gain de plus de 25 kilomètres/heure sur la vitesse, à angle de cabré égal.
Le processus aérodynamique est le suivant : les « moustaches » déployées engendrent un couple cabreur, si bien que l’angle de braquage des élevons n’a plus besoin d’être aussi fort et que la perte de portance est bien moindre. Étant donné que ces petits éléments se rétractent à volonté dans la partie avant du fuselage, le profil de l’avion reste le même à grande vitesse et garde toutes ses qualités bien connues, notamment pour l’accélération aux vitesses supersoniques.
Les Concorde
Comment ne pas en parler un peu, même si tout a été dit et diffusé dans le public au sujet de cet avion prestigieux ? Le « phénomène Concorde » a beaucoup frappé les Américains : « Jamais peut-être depuis Austerlitz, écrivent-ils, la fierté nationale des Français n’avait atteint un tel degré ». Et il me faut ici rendre hommage une fois de plus à l’honnêteté intellectuelle des rédacteurs de la revue Aviation Week, en l’occurrence à l’éditorialiste qui ajoute aussitôt : « C’était un beau spectacle de le voir prendre l’air ; Concorde était bien la plus brillante vedette de ce 28e Salon ».
Plus qu’un programme d’avion nouveau, dont le prix ou les avantages commerciaux peuvent être discutés par des experts ou des parlementaires, dont le bruit ou l’onde de choc peuvent inquiéter certains, Concorde est un symbole. Sans doute sa réussite commerciale est-elle d’un intérêt capital pour les conditions de l’emploi dans l’industrie aéronautique, mais le succès de ce programme apportera en s’affirmant la preuve que les industries européennes sont capables, dans certains domaines des techniques avancées, de rivaliser malgré tous les « défis », avec celles des deux Grands. Il sera la garantie du maintien d’une certaine « confiance en soi », indispensable pour tenir un rang honorable dans la course au progrès.
Sud Aviation et la British Aircraft Corporation escomptent des commandes globales sur 200 appareils, même dans l’hypothèse la plus défavorable où les États-Unis décideraient l’été prochain de mettre tous leurs efforts dans la construction de l’avion SST (Supersonic Transport) de Boeing et où plusieurs pays restreindraient les survols d’avions supersoniques par crainte des bangs. Sinon des commandes plus importantes encore pourraient être envisagées.
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Certains observateurs ont pu regretter que le rythme des présentations en vol ait été moins soutenu, moins rapide que dans les exhibitions précédentes.
Ceci est dû aux règles de sécurité sévères qui avaient été établies, réglementation évoquée ici dans une précédente chronique. Son application s’est traduite notamment par l’ordre donné au « solo » de la remarquable patrouille italienne d’interrompre son vol après une série d’évolutions effectuées à trop basse altitude. Mais le fait qu’après le déplorable accident d’hélicoptère survenu le jeudi, aucune nouvelle catastrophe ne soit venue endeuiller les deux grandes journées du samedi et du dimanche, constitue a posteriori une justification suffisante de cette décision.
L’Exposition statique
Parmi les maquettes exposées, soit à l’extérieur, soit dans les halls, on a pu remarquer une maquette partielle de l’Airbus et les maquettes grandeur nature du SN-600 Corvette, du Mini Falcon, du Breguet Dornier Alpha et du Mercure.
On sait que le protocole d’accord entre Allemands et Français sur le lancement du programme de l’Airbus européen a été signé le 29 mai au Salon, mais que le choix du moteur – Rolls-Royce RB 211/51 ou P&W JT9D-17, l’un et l’autre de quelque 22 tonnes de poussée – n’a pas encore été fait. Le premier vol aurait lieu en 1972. Si la Grande-Bretagne ne participe pas à titre officiel à cette opération, l’association à titre privé de la firme britannique Hawker Siddeley n’est pas exclue.
Le SN 600 Corvette, ex-Diplomate, est un projet conjoint d’avion de liaison et d’entraînement étudié par les sociétés Sud et Nord Aviation, qui serait équipé de deux turboréacteurs Snecma-Turbomeca Larzac de 1045 kilogrammes de poussée, en cours d’essais au banc. Le prototype sera essayé avec d’autres moteurs, en principe dès le printemps de 1970. À la masse de 5 tonnes, il devrait voler à 740 kilomètres à l’heure.
Le Dassault Mini Falcon qui n’est pas sans lui ressembler est un biréacteur de liaison et d’affaires ; il pourrait recevoir lui aussi des moteurs Larzac. Ses dimensions (12 mètres de longueur et d’envergure) ainsi que ses performances devraient être analogues à celles du Corvette.
Breguet et Dornier, comme cela fut annoncé également au cours du Salon, sont désormais liés par un accord en vue de la mise au point d’un avion franco-allemand. Cet appareil, baptisé Alpha et exposé sous forme de maquette dans un des halls, sera en concurrence avec un projet de Sud Aviation et Messerschmitt-Boelkow-Blohm. Quel que soit l’avion choisi, il se présentera entre 1975 et 1980 comme un remplaçant possible, à la fois des T-33 Silver Star, des Fouga Magister, des Fiat G.91T et du T-38 Talon. Il sera propulsé lui aussi par le turboréacteur Larzac.
Le Dassault Mercure a été présenté dans le numéro du 10 mai de la revue Air et Cosmos. C’est un avion « court courrier » destiné aux étapes inférieures à 1500 kilomètres, mais de grande capacité. Le raisonnement tenu par le constructeur est que sur de telles étapes, les avions actuellement utilisés n’ont pas un rendement satisfaisant : structures trop lourdes, réservoirs en partie vides, moteurs surpuissants. L’étude du marché potentiel a abouti à la conclusion que le besoin d’un tel avion à partir de 1973 se chiffrerait à près de 1 500 exemplaires. Cet appareil pourrait emporter de 116 à 155 passagers selon les versions, pèserait 50 tonnes au décollage et serait propulsé par deux turboréacteurs P&W JT8D-11 de 6 800 kilogrammes de poussée chacun. Le premier vol est prévu à la fin de 1970 ou au début de 1971.
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L’extraordinaire variété des matériels présentés et le grand nombre des exposants font qu’il ne saurait être question de donner ici une description même limitée ou résumée des centres d’intérêt que les spécialistes et les profanes de toutes les catégories ont pu y rencontrer. Il faut donc se borner à faire part de quelques impressions, sans prétendre le moins du monde introduire un classement et encore moins nier la qualité des avions, des stands, des matériels dont il n’est pas fait mention.
Apollo VIII était à coup sûr l’attraction capitale de la partie statique de l’exposition, en raison des grands événements survenus depuis décembre dans le domaine de l’exploration des approches lunaires, en raison aussi du fait que pour la première fois, l’intérêt du matériel exposé par les Russes était moindre que celui que présentaient les Américains et d’ailleurs très réduit par rapport aux prévisions : absence de la capsule Soyuz notamment. La longue queue des visiteurs témoignait de ce renversement de situation.
On était frappé par la petite taille – relative – de la capsule Apollo à côté de l’énorme maquette du premier étage de la fusée Saturne 5, par l’état du revêtement du « bouclier », noirci, irrégulièrement brûlé ; réchauffement était même sensible sur la base de la partie tronconique. On notait également le moteur-fusée F1, la représentation du sol lunaire, la maquette du Lunar Excursion Module (LEM)…
Sur une tout autre échelle bien entendu, il convient de mentionner le remarquable pavillon du Centre national d’études spatiales (Cnes), la présentation de toutes les expériences françaises passées ou en cours, avec des maquettes miniaturisées, éclairées et sonorisées figurant successivement toutes les séquences des expériences.
Premier bilan
Il faut attendre plusieurs mois avant de pouvoir mesurer vraiment les conséquences sur le plan commercial de cette vaste exposition. Cependant on se plaît toujours à annoncer à cette occasion la conclusion des accords ou la signature des contrats de fabrication ou de vente qui étaient en cours de négociation.
C’est ainsi qu’on a appris officiellement les achats de Mirage F1 et de Nord 262 (équipés de turbopropulseurs Bastan VII) au profit de l’Armée de l’air. Mais la grande nouvelle a été bien entendu l’importante commande passée par la Pan American World Airways (Business Jets Division) : 25 Fan Jet Falcons (Mystère 20) et autant en option ; 45 Mini Falcons (Mystère 10) et 120 en option, ce qui constitue, évidemment, dans le cas de ce modèle un beau succès pour une maquette. Il est vrai que la plupart des 200 Mystère 20 déjà construits volent en Amérique et qu’on y a apprécié leurs qualités, que les commandes précédentes de la Pan American s’élevaient déjà à 60 exemplaires et qu’une version réduite dérivée directement d’un modèle si réussi inspire confiance.
Les Américains résument ainsi l’impression produite par la partie purement commerciale de la manifestation : les productions de l’industrie aéronautique européenne, où la part allemande est de moins en moins négligeable, tendent à pénétrer de plus en plus dans des secteurs réservés jusqu’ici aux firmes américaines ; l’industrie aéronautique japonaise semble en mesure de produire à échéance un puissant courant d’exportations ; enfin, les constructeurs d’avions et d’équipements, quel que soit leur pays d’origine, cherchent à étendre leur clientèle au monde entier.
Le Hawker P.1127 Harrier n’a pas seulement un succès de curiosité : les Marines de huit nations s’y intéressent pour leur aviation embarquée, car cet avion se contenterait d’une plateforme moins vaste et moins complexe que le porte-avions classique.
On le voit par cet exemple : le Salon aura certainement été l’occasion de contacts où la France ne jouait qu’un rôle d’hôtesse, ce qui n’est pas possible à Farnborough où les matériels présentés doivent toujours avoir quelque chose de britannique ; mais aussi l’intérêt du Salon du Bourget est plus soutenu, ce qui suscite l’admiration des Américains qui trouvent cependant que le précédent Salon montrait plus de « nouveautés ». Il est vrai qu’ils sont déçus par la faible participation de leur pays à la parade aérienne.
Ils sont frappés par la croissance de l’aviation d’affaires et pensent même que le plus gros chiffre de vente sera réalisé dans ce domaine à la suite du Salon. Mais, à leur avis, les industries européennes ont encore des efforts à faire pour devenir réellement compétitives. Pour cela il leur faut avant tout résoudre les problèmes de la coopération selon des formules nouvelles, qui n’entraînent plus l’augmentation du coût global d’un programme.
Le gouvernement russe cherche manifestement à développer un courant d’exportations de matériel civil, comme l’ont montré les présentations du Tupolev Tu-154 (triréacteur de transport moyen-courrier – 128 à 164 passagers) et du Beriev Be-30 (biturbopropulseur de transport léger – 14 passagers), et c’est la première fois qu’il en fait sérieusement l’effort, ayant créé voici deux ans une compagnie commerciale de vente (l’Aviazagranpostavka) qui permet de tourner quelque peu le système étouffant d’une production rigoureusement planifiée, conforme aux besoins prévus par le ministère de l’Aviation civile, mais entraînant des délais considérables s’il se présente une commande imprévue.
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On peut en définitive considérer que ce Salon fut une réussite ; s’il a entraîné à l’occasion la conclusion de contrats où la France n’était pas une des parties, il serait mesquin de le déplorer. Au contraire, il convient de se réjouir que cette confrontation générale des techniques aéronautiques puisse avoir lieu à Paris : l’industrie française ne peut qu’y trouver un puissant stimulant et en retirer un avantage considérable à échéance ; d’autre part sans même parler des bénéfices réalisés par des marchands de boissons, de journaux ou de souvenirs auprès de visiteurs sortis du cadre de leurs habitudes et peu enclins à mesurer ou marchander leurs achats, il est certain que le « courant touristique » ainsi créé est profitable. Les gens pragmatiques peuvent donc se rassurer.
Quant aux autres, à ceux qui éprouvent encore en dépit de la mode d’autodénigrement une certaine satisfaction à voir voler de beaux et bons avions construits dans leur pays par des industries françaises, ils ont lieu d’être pleinement satisfaits, la « réserve » américaine ayant d’autant mieux mis en valeur la qualité des avions nouveaux présentés. Puis n’est-il pas important de montrer de temps à autre à des foules nombreuses ces avions, ces engins, ces véhicules spatiaux, qui forment une part essentielle de l’actualité et un décor inséparable de leur vie de demain ? Ne serait-ce que par cet apport de connaissance, le gigantesque musée de l’aéronautique que constitue le Salon du Bourget se justifierait pleinement, et il y a lieu d’être fier et de mesurer notre chance qu’il s’en tienne un tous les deux ans aux environs de Paris. ♦
(1) Ce prototype qui a atteint dès le 23 avril, pour son quinzième vol, 2,12 Mach et qui avait volé pour la première fois le 20 mars, représente une version modifiée et renforcée de celui qui avait été détruit au cours de l’accident où le pilote d’essai René Bigand avait trouvé la mort.
(2) Il s’agissait de trois prototypes français, deux en version biplace (entraînement), un en version monoplace (appui tactique).
(3) L’Alouette II classique est équipée de la turbine Turbomeca Artouste de 360 chevaux.
(4) Fissures dues à la fatigue du métal.
(5) C’est-à-dire, dans un turboréacteur à plusieurs corps, la turbine entraînant les étages « basse pression » – situés le plus en avant – du compresseur.
(6) Selon la revue Aviation Week, cette décision aurait eu une conséquence inattendue : le constructeur d’hélicoptères russes Mikhail Mil avait reçu commande d’un hélicoptère lourd à rotor rigide utilisant la formule de l’AH-56A, mais l’abandon de la production en série par les Américains aurait semé le doute dans l’esprit des responsables soviétiques sur la validité de cette technique.