Outre-mer – Le problème de cohabitation des races en Rhodésie et la situation après le dernier référendum – Évolution de la situation militaire au Nigeria
Le problème de cohabitation des races en Rhodésie et la situation après le dernier référendum
Êtes-vous favorable à la proclamation de la République ?
Approuvez-vous le projet de Constitution présenté par le gouvernement ?
Telles étaient les deux questions posées le 20 juin dernier au Corps électoral rhodésien, composé d’environ 90 000 Blancs sur les 230 000 que compte le territoire, et d’environ 6 000 Africains seulement sur les 4 300 000 Noirs qui peuplent la Rhodésie.
Il s’agissait pour le Front rhodésien, parti au pouvoir, et le gouvernement de M. Ian Smith, de faire plébisciter par cet électorat blanc les options prises en ce qui concerne la manière dont ils pensaient résoudre dans ce pays le problème fondamental de cohabitation des races.
* * *
Ce problème grave se comprend mieux s’il peut être situé dans sa perspective historique.
Les populations de Rhodésie sont loin d’avoir des structures aussi complexes que celles d’Afrique du Sud. S’il n’y a pas, parmi les Blancs, de dualité comme en Afrique du Sud – Afrikanders, Sud-Africains de langue anglaise – il faut tout de même tenir compte ici des fortes proportions de ceux qui sont nés les uns en Afrique australe, les autres en Grande-Bretagne, sans parler des 25 000 Asiatiques et Métis. Et parmi les Noirs, il faut aussi distinguer de la population autochtone, la main-d’œuvre qui vient des pays voisins.
À l’origine, les Noirs de Rhodésie avaient été marqués par la conquête militaire et une répression sévère qui imposèrent de manière absolue la suprématie des Blancs. Le pouvoir politique passa ensuite des mains de la compagnie à charte qu’était la British South Africa Company de Cecil Rhodes à celles des colons blancs constituant une oligarchie qui refusait aux Noirs les formes de la démocratie puisqu’elle exigeait, pour l’accès à l’électorat, un revenu et une instruction auxquels ceux-ci ne pouvaient prétendre.
Le problème de la cohabitation des races se trouva posé avec une certaine acuité dès 1962 au moment du démembrement de la Fédération des Rhodésies. Celle-ci groupait alors, sous l’autorité britannique, la Rhodésie du Nord qui devait devenir la Zambie, le Nyassaland qui devait donner naissance au Malawi, et la Rhodésie actuelle qui réclamait déjà son indépendance sous la pression du Front rhodésien.
Cette fédération d’Afrique centrale, comprise entre les deux façades portugaises qui bordent les côtes, était essentiellement un groupement politique né de la poussée britannique vers le Nord, suivant la ligne du Cap au Caire, très chère à Cecil Rhodes, l’animateur de la célèbre compagnie à charte royale (British South Africa Company), laquelle jusqu’en 1923 exerça sur ces territoires un contrôle régalien.
Les régions rhodésiennes semblaient avoir toujours été destinées, dans l’esprit des Britanniques, à jouer le rôle d’une digue politique. Au début, il s’agissait de contenir l’expansion des Boers du Transvaal, des Allemands du Sud-Ouest africain et d’Afrique orientale, des Portugais du Zambèze. En 1953, quand la fédération fut créée, il s’agissait d’empêcher les successeurs du Premier ministre de l’Afrique du Sud Daniel François Malan d’étendre leur contagion raciste vers le Nord, les disciples extrémistes de Kwame N’Krumah de gangrener le Sud et l’Est de l’Afrique, sans pour cela pratiquer les illusions assimilationnistes des Portugais. Mais le pragmatisme britannique, caractérisé par une volonté d’évolution libérale, progressive et ordonnée, qui tient compte à la fois des aspirations nationalistes, des nécessités économiques et du degré de développement social, achoppait cette fois sur un obstacle nouveau : le facteur temps.
Tandis que les difficultés semblaient s’accroître en raison directe du pourcentage d’Européens dans chacun des trois territoires, les Africains de leur côté voyaient dans la Fédération un artifice habile, propre à maintenir et à étendre la suprématie blanche en Afrique centrale par l’intermédiaire, pensaient-ils, de la Rhodésie du Sud.
Cela leur semblait d’autant plus vrai que cette Rhodésie jouissait du statut de colonie autonome, ce qui interdisait au gouvernement de Londres d’exercer dans ses affaires intérieures toute influence libérale. On sait combien cette conception des choses a été et demeure critiquée, notamment à l’ONU lorsqu’est évoquée la responsabilité britannique dans toute cette affaire.
Quoi qu’il en soit, tandis que la Fédération craquait et que la Rhodésie du Nord et le Nyassaland évoluaient chacun vers leur indépendance, les Blancs de Rhodésie du Sud demeuraient aux prises avec leurs problèmes politiques qui devenaient de plus en plus aigus au fur et à mesure que prenait forme la tumultueuse montée de l’opposition noire.
* * *
Sans doute, la ségrégation de fait qui s’était instaurée devait-elle être tempérée de temps à autre, sans doute l’université ouvrait-elle parfois ses portes à quelques Noirs, mais les Blancs entendaient conserver la suprématie politique ce qui ne pouvait que pousser l’élite noire dans une opposition active.
L’agitation fut jugulée par des mesures draconiennes. Et en réaction à cette menace pour l’ordre établi, qu’encourageait l’impuissance de Londres, les Blancs devaient élire de consultations en consultations, selon la Constitution de 1961 que les Noirs ne reconnaissaient pas, des représentants de plus en plus durs pour aboutir au Parlement actuel entièrement aux mains du Front national.
Dans le même temps, l’obstination avec laquelle Londres, aiguillonné par les pays de couleur du Commonwealth, réclamait pour les Noirs des droits politiques immédiats, jugés excessifs par Salisbury, devait conduire en octobre 1965 à l’échec des « négociations de la dernière chance » et à la proclamation unilatérale de l’Indépendance rhodésienne le 11 novembre 1965.
La Grande-Bretagne, qui se refusait à employer la force, se contenta alors d’appliquer dès le lendemain des sanctions économiques contre la « colonie rebelle ». L’ONU, de son côté, proclamait par la suite l’embargo sur les produits pétroliers, avant de décréter des sanctions économiques obligatoires et totales. Ces mesures – aussi bien que la recommandation faite à Londres d’avoir à « écraser la rébellion » – demeurèrent inefficaces car la Rhodésie, après quelques difficultés, parvint à maintenir avec l’appui tacite de ses voisins sud-africain et portugais, l’essentiel de ses courants d’échanges.
L’échec de nouvelles négociations anglo-rhodésiennes et les progrès des oppositions blanches et noires devaient alors entraîner M. Smith à brusquer les choses. Obligé de choisir entre une confrontation ouverte avec ses « ultras » et le ralliement à des thèses plus dures, il donnait des gages aux Blancs mécontents de ses premiers projets, espérant ainsi maintenir la cohésion dans son parti.
Le projet de Constitution qu’il a soumis le 20 juin dernier à l’approbation de l’électorat blanc consacre la rupture définitive des liens avec l’ancienne métropole et s’inspire fortement de la théorie du « développement séparé ».
* * *
Ce projet de Constitution prévoyait en effet que la future Assemblée nationale comprendrait 50 Européens élus par le collège des Européens, des Asiatiques et des Métis, et 16 Africains dont 8 cooptés par les chefs coutumiers et huit autres élus par un collège selon les modalités d’un rigoureux suffrage censitaire.
Par la suite, au fur et à mesure que le produit national brut de la masse autochtone s’élèverait, le nombre de sièges des Africains serait augmenté jusqu’à la parité complète entre les deux représentations. Les compétences du Conseil constitutionnel étaient d’autre part transférées à un Sénat de 23 membres, dix Européens élus par l’Assemblée Nationale, dix chefs coutumiers élus par le Conseil des chefs et trois désignés par le chef de l’État.
Enfin à cette ségrégation électorale, s’ajoutait d’une manière plus discriminatoire la ségrégation foncière : la Rhodésie était divisée en trois zones d’établissements, une zone européenne, une zone à peu près équivalente africaine et une zone dite nationale, chacune d’elles étant dotée d’assemblées provinciales ayant des pouvoirs d’intérêt local.
* * *
Ce projet a rencontré de multiples oppositions.
Sur le plan intérieur, les ultraconservateurs, favorables à une solution de type sud-africain, l’ont estimé trop tiède. Le Parti du centre (aile gauche du Front rhodésien groupant des hommes d’affaires), a craint l’explosion du conflit racial latent et surtout l’aggravation des sanctions économiques qui nuiraient à l’économie du pays. Les partis parlementaires africains ont naturellement condamné la légalisation de la ségrégation, au même titre que la majorité des Églises rhodésiennes.
Sur le plan extérieur, le projet a rencontré l’hostilité viscérale des États noirs d’Afrique, la réprobation de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) comme celle des États-Unis et de l’ONU, mais aussi l’inquiétude de voisins jusqu’ici complaisants – Portugais hostiles à toute ségrégation, Africains du Sud contrariés dans leurs approches auprès des États africains modérés.
Il n’empêche que le corps électoral rhodésien, constitué pour sa très grande majorité par les Blancs, a répondu affirmativement aux questions qui lui étaient posées, 80 % environ étant favorables à la proclamation de la République, 70 % environ approuvant le projet de Constitution qui lui était soumis.
La rupture entre Londres et Salisbury est aujourd’hui consommée, après la démission du dernier gouverneur Britannique de Rhodésie, Sir Humphrey Gibbs, et la fermeture des missions diplomatiques qui subsistaient encore dans les deux capitales.
Cependant, malgré l’appel des Afro-Asiatiques, l’ONU n’a pas voulu s’engager dans une guerre économique faite à l’ensemble de l’Afrique australe. Mais les pays du Commonwealth sont prêts à appliquer des sanctions additionnelles pour tenter d’accroître l’efficacité des mesures punitives adoptées par l’ONU. Certains avancent même l’hypothèse qu’un réveil des populations africaines ou des mécontentements qui naîtraient de l’aggravation des sanctions pourraient bien, à plus ou moins lointaine échéance, provoquer des affrontements susceptibles d’entraîner une accélération dans le règlement du conflit.
En attendant, la Grande-Bretagne maintient toujours ses points de vue. Elle se refuse à employer la force, espérant bien qu’un jour viendra où le dialogue pourra reprendre sur la base du « plan du Fearless » avec une équipe nouvelle plus modérée et plus compréhensive. C’est dire que les perspectives d’une résolution rapide de la crise sont assez peu encourageantes et qu’en tout cas l’évolution vers un compromis acceptable sera certainement longue.
* * *
Évolution de la situation militaire au Nigeria
Le mois d’avril avait été marqué par l’offensive des Forces fédérales au nord du réduit biafrais. Elle s’était traduite par l’occupation partielle d’Umuahia, la capitale biafraise, tandis que dans le Sud, les sécessionnistes accentuant leur pression autour d’Owerri parvenaient à réduire les éléments des Fédéraux qui y étaient encerclés.
En lançant début mai leurs commandos à l’ouest du Niger, puis un peu plus tard à l’ouest de la rivière Ase, les Biafrais ont porté la guerre chez l’adversaire, assez loin en territoire du Moyen-Ouest. Pour contenir cette poussée inquiétante, les Fédéraux ont dû étaler des troupes sur la rive Ouest de l’Ase, entre Ossissa et le Sud d’Ashaka, laissant aux Biafrais le contrôle des régions marécageuses entre le Niger et l’Ase. Les Biafrais n’en ont pas moins réussi à menacer les installations pétrolières nombreuses dans le territoire, provoquant d’ailleurs le repli sur Warri de la majeure partie du personnel qui travaillait sur ces chantiers d’extraction.
C’est à cette occasion qu’au cours de divers accrochages, 11 employés de l’AGIP (Azienda Generale Italiana Petroli) devaient être tués le 9 mai, dans la région à l’est de Kwalé, tandis que 17 autres – 14 Italiens et trois Allemands – étaient faits prisonniers. Ces derniers, accusés d’avoir aidé les Fédéraux, ont été par la suite condamnés à mort par un tribunal biafrais, puis graciés et libérés le 11 juin. Le général Ojukwu a profité de l’incident pour lancer un avertissement sévère aux étrangers coopérant avec les troupes fédérales.
Dans le secteur d’Umuahia, les sécessionnistes par contre se sont maintenus aux lisières sud de l’ancienne capitale ainsi qu’aux environs de Bende, plus à l’Est. Ils ont, par ailleurs, mené de nombreuses actions de harcèlement sur les lignes de communications fédérales, notamment dans la région d’Uzuakoli, mais ces actions paraissent avoir été mal coordonnées puisque les Fédéraux ont pu maintenir leurs liaisons entre les garnisons d’Uzuakoli, de Bende et d’Umuahia.
Dans le Sud, depuis mai, les Biafrais ont repris l’initiative des opérations face aux unités de la 3e Division fédérale. Des éléments de leur 14e Division ont consolidé leurs positions autour d’Elele, tout en progressant au Sud d’Okpala. D’autres éléments de la 12e Division biafraise auraient atteint la ville d’Owaza. Ainsi se trouvent à la fois menacées les régions pétrolières de l’État des Rivières et celles du Nord de Port Harcourt tandis que par ailleurs s’accentue la pression sur Aba.
Dans le Nord enfin, la 1re Division fédérale tient toujours solidement Okigwi et l’axe Onitsha-Awka alors que les Biafrais continuent d’assurer malgré tout des liaisons avec leur 57e Brigade qui, plus au Nord, quadrille la région d’Aguleri.
D’une manière générale, dans les divers secteurs, peu d’opérations importantes ont marqué la fin du mois de juin.
* * *
Rhodésie Biafrais