Institutions internationales – L’ONU et les passions religieuses irlandaises – La Suisse et l’ONU – L’aveuglement, la passion, la loi – La dévaluation française et l’Europe
L’été n’a pas été calme. Certes, nul ne pensait que l’anniversaire de l’occupation de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie [en août 1968] pourrait ne pas être marqué par des manifestations populaires, donc par une répression, et nul ne pensait davantage que la guerre du Vietnam et la tension au Moyen-Orient pourraient prendre des aspects fondamentalement nouveaux, du moins dans le sens de l’apaisement. Mais il eut fallu être devin pour prévoir les violences qui ont affecté l’Irlande du Nord, et, quels qu’aient pu être les déséquilibres monétaires, la dévaluation du franc.
Qu’il s’agisse du drame vietnamien, de l’univers kafkaïen dans lequel vivent les populations du Moyen-Orient, des affrontements irlandais, ou de la dévaluation du franc, ces événements ont d’abord concerné les gouvernements, et les institutions internationales n’ont pu qu’en enregistrer les développements ou essayer d’en restreindre ou d’en canaliser les conséquences. Mais il n’en est pas moins intéressant d’esquisser quel impact ces événements ont eu sur les institutions internationales, comment elles en ont influencé le déroulement.
L’ONU et les passions religieuses irlandaises
L’Irlande du Nord a, une nouvelle fois, été le théâtre de violents affrontements entre catholiques et protestants. Nous disons « une nouvelle fois », car l’histoire irlandaise en a connu bien d’autres. Il ne saurait être question, dans le cadre de cette chronique, d’étudier les origines de la situation, de rappeler les phases de son aggravation, et encore moins de formuler un jugement sur la légitimité des thèses défendues par les uns et les autres. Que des considérations politiques, économiques et sociales aident à comprendre comment la tension est devenue explosive, c’est bien certain. Mais ces causes politiques, économiques et sociales n’ont de véritable signification que replacées devant un arrière-plan dont l’essentiel est d’ordre religieux. Il y a là, si l’on veut aller au-delà des événements eux-mêmes, une source de réflexions dont les conclusions n’incitent guère à l’optimisme. En effet, alors que les gouvernements et les institutions internationales s’efforcent d’imposer une loi commune à toutes les opinions philosophiques et religieuses, alors que même ceux des gouvernements en qui le pouvoir temporel est l’expression d’une religion proclament le droit des minorités à conserver leur religion, périodiquement des explosions montrent que l’idée de tolérance demeure fragile, que la cohabitation entre groupes de convictions différentes demeure difficile. Certes, on ne saurait comparer les affrontements dont l’Irlande du Nord a été le théâtre au drame du Cachemire, par exemple, mais ils n’en témoignent pas moins de la permanence d’une disponibilité des hommes pour défendre ce qui leur paraît constituer l’essentiel de leur « moi », à savoir leur enracinement dans une religion.
L’ONU ne pouvait pas intervenir par elle-même. Mais, le 20 août, le Conseil de sécurité a entendu le ministre des Affaires étrangères de Dublin, M. Patrick Hillery, proposer l’envoi d’une force de l’ONU pour maintenir l’ordre en Irlande du Nord. Mais il en est resté là, et il s’est ajourné sine die sans débattre du problème. Si l’Angleterre s’est trouvée, une nouvelle fois, sur la sellette devant le Conseil de sécurité – où la plupart des problèmes traités depuis la création de l’ONU découlent de la liquidation de l’Empire britannique – il était clair que personne ne souhaitait rendre sa position plus difficile, ni surtout ajouter une vieille guerre civile européenne à la longue liste des problèmes insolubles dont l’organisation est saisie. L’ajournement fut décidé après que le Conseil eut entendu une argumentation juridique de Lord Caradon, ministre britannique des Affaires étrangères, fondée sur l’incompétence de l’ONU, selon la charte, de traiter une affaire intérieure d’un État membre, et un exposé du ministre irlandais des Affaires étrangères, M. Patrick Hillery, qui s’est toujours fait le champion de forces internationales sous l’égide de l’ONU. Nul ne songeait à mettre la Grande-Bretagne en difficulté, et si le ministre irlandais reçut un bref appui de principe du représentant de l’URSS, même Lord Caradon rendit hommage à la modération de celui-ci (qui, il est vrai, parlait le jour anniversaire de l’invasion de la Tchécoslovaquie).
La Suisse et l’ONU
Dans le même temps, les milieux diplomatiques se demandaient si l’ONU n’allait pas s’enrichir d’un nouveau membre, la Suisse – alors que depuis 1945-1946 les seules adhésions ont été celles des pays ayant accédé à l’indépendance et que seuls demeurent absents les États divisés, l’Allemagne, la Corée, le Vietnam. Il est certain que, à petits pas, la Suisse tente de se rapprocher de l’ONU, à laquelle elle n’a pas voulu adhérer, considérant que les obligations militaires auxquelles peuvent être contraints les États-membres (et, en 1945, le Comité d’état-major avait des prérogatives qu’il a perdues depuis) étaient en contradiction avec sa neutralité. Mais le gouvernement helvétique estime qu’il est encore prématuré d’envisager une adhésion à part entière. Selon le rapport établi par le Conseil fédéral suisse, « les Nations unies s’inscrivent dans le tracé de l’histoire » et poursuivent les mêmes objectifs que la Confédération. Si le Conseil fédéral préfère s’abstenir « pour le moment » de recommander aux Chambres l’adhésion à l’ONU, c’est en grande partie par crainte d’être ensuite désavoué par les citoyens appelés à ratifier une telle décision. Les déclarations de M. Willy Spuehler [Spühler], chef du département politique suisse, ne laissent aucun doute à cet égard : « Le Conseil fédéral est conscient que le peuple suisse est resté dans sa majorité plutôt sceptique ou indifférent envers les Nations unies. Or, un vote négatif du peuple et des cantons pourrait susciter à l’étranger des interprétations peu favorables à notre position internationale et à nos relations avec l’ONU. » La Suisse tient également à trouver une solution compatible avec sa neutralité, qu’en aucun cas elle n’accepterait d’abandonner ou de modifier pour entrer à l’ONU. Son statut de neutralité lui interdirait, par exemple, de participer à une action militaire, comme nous l’indiquons plus haut. En restant à l’écart de l’ONU, la Suisse n’a certes pas subi de préjudice, mais pour M. Spuehler [Spühler], du moins, les avantages d’une adhésion l’emporteraient maintenant sur les inconvénients.
Membre des Nations unies, la Confédération pourrait participer plus activement à l’élaboration du droit international, et elle aurait de plus grandes possibilités de prêter ses bons offices. Elle appartient déjà à la plupart des institutions spécialisées de l’ONU. En attendant de pouvoir un jour occuper son siège à Manhattan, le Conseil fédéral envisage de prendre les mesures suivantes en vue de renforcer ses liens avec l’ONU :
– Augmenter dans certains cas sa contribution financière aux activités de l’ONU ;
– Mettre un plus grand nombre de personnalités suisses à la disposition des Nations unies en vue de participer à ses actions de paix et à ses missions de surveillance et d’observation ;
– Développer l’aide aux victimes de catastrophes survenant à l’étranger ;
– Participer de façon plus intense au programme des Nations unies pour le développement ;
– Adhérer éventuellement à la Commission économique pour l’Europe, au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale ;
– Prendre des initiatives nouvelles en vue du développement du droit humanitaire, en convoquant éventuellement une conférence de la Croix-Rouge.
L’actuel responsable de la diplomatie helvétique a sans doute joué un rôle personnel dans l’orientation de la politique suisse en direction de l’ONU. De sérieux obstacles restent encore à surmonter, et il ne faut pas s’attendre à une adhésion formelle avant plusieurs années.
L’aveuglement, la passion, la loi
Cette neutralité suisse, que nous évoquons après avoir fait allusion aux déchirements de l’Irlande, nous conduit à consacrer quelques lignes à la situation au Moyen-Orient. Aucune institution internationale ne peut plus rien, et aucune d’elles ne se fait plus d’illusions. Que l’un ou l’autre des antagonistes soit blâmé par les Nations unies ne change rien à la situation, et les combats se succèdent, de plus en plus violents, tandis que les Arabes proclament qu’ils n’acceptent pas la présence des forces israéliennes sur certains territoires (et même, parfois, l’existence d’Israël en tant qu’État) tandis qu’Israël accorde une signification psychologique de dissuasion à ses raids de représailles ou de prévention.
Comme en Irlande, le fait religieux tend à s’imposer – l’incendie de la mosquée Al-Aqsa, le 21 août 1969 en témoigne. Un vieil adage romain dit que l’auteur du crime est celui auquel il rapporte. L’incendie de cette mosquée ne pouvait rien apporter au gouvernement israélien, sinon une aggravation des difficultés auxquelles il devait déjà faire face. Une émotion considérable s’est en effet emparée du monde arabe devant les dégâts subis par ce sanctuaire, troisième en importance, après La Mecque et Médine, de ceux que la tradition islamique enseigne à vénérer. Il était fatal, dans le climat de surexcitation où vit le Moyen-Orient depuis la guerre des Six Jours, que se répandît l’idée qu’il s’agissait d’un nouveau crime des sionistes. Certes, un coupable a été arrêté, mais le mal n’était-il pas fait ? Si la colère des foules est compréhensible, et donc, excusable, si l’on peut admettre que des gouvernements à première vue prévenus contre tous les actes du gouvernement d’Israël n’accordent pas crédit aux conclusions d’une investigation menée par ses services, les dirigeants arabes auraient dû comprendre le tort qu’ils faisaient à leur cause en décrétant, sans rien en savoir, qu’il s’agissait d’un crime et en refusant la commission d’enquête internationale proposée par Mme Golda Meir et à laquelle ils auraient pu se faire représenter. Nombre d’entre eux ne peuvent ainsi que jeter le doute sur leur aptitude à contrôler des masses dont il faudrait alors admettre qu’elles ne sont mues que par des réactions passionnelles. Mais une commission d’enquête internationale se référait à la raison – et comme en Irlande (et avec une intensité aggravée par les luttes armées), c’est la passion religieuse qui l’emporte. Tel est le prix de l’obstination des uns et des autres. Des Arabes qui, depuis 22 ans, n’arrivent pas à prendre une bonne fois leur parti de l’existence d’un État juif dont ils savent bien pourtant qu’ils n’ont pas le moyen de le détruire. Des Israéliens qui n’ont pas fait assez d’efforts pour tenir compte des réactions et des aspirations d’un peuple qui les accuse de l’avoir dépossédé et qui découvrent, au spectacle des foules hurlantes, l’ampleur des illusions nourries, au lendemain de leur dernière victoire, quant à une possible réconciliation, sous leur houlette, des Juifs et des Arabes. Pour sortir de ce drame d’autant plus horrible qu’il oppose deux Nations également persuadées de leur bon droit, il faudrait qu’un leader se lève, proclame que la force ne peut mener à rien. M. U Thant, Secrétaire général des Nations unies, a plusieurs fois tenté de jouer ce rôle. Il s’est rendu compte qu’il prêchait dans le désert.
Bien entendu, les Nations unies ont été saisies de l’incendie de la mosquée Al-Aqsa. L’arrestation de l’incendiaire n’avait pas désarmé le monde arabe, et c’est un appel à la guerre sainte que le roi Fayçal d’Arabie saoudite et le président égyptien Nasser avaient lancé contre Israël. Cette colère frénétique a paru sur le point de faire trébucher l’ONU, menaçant de dérégler les habituels jeux de bascule et offrant aux forces anti-israéliennes, à défaut de revanche militaire, une chance réelle de désarçonner l’ennemi diplomatiquement. Mais l’atmosphère n’a pas tardé à se modifier. Techniquement, le tournant a été constitué par l’arrestation de l’incendiaire. Politiquement, c’est l’excès même de la réaction officielle adoptée par les capitales arabes qui a contribué à rétablir le sang-froid. L’ONU peut s’accommoder de beaucoup de choses, mais difficilement d’un appel à la guerre sainte, tel qu’il avait été lancé simultanément par le président Nasser et le roi Fayçal. Quant au Kremlin, s’il ne voyait pas d’inconvénient à stigmatiser Israël comme « l’ennemi de Dieu » après l’avoir dénoncé en 1967 comme « l’ennemi du progrès », il n’entendait pas se laisser forcer la main. Fin août, l’agitation diplomatique n’était évidemment pas terminée. Il apparaissait probable que le Conseil de sécurité serait appelé à réaffirmer, en termes plus catégoriques, ses résolutions antérieures sur le statut de Jérusalem. Mais l’ambiance, paradoxalement, n’était plus celle que les Israéliens pouvaient craindre avant les appels à la guerre sainte. Qui veut trop prouver ne prouve rien, et l’ONU n’a pas compris l’intérêt qu’aurait pu avoir Mme Golda Meir à jouer les [Hermann] Goering, ou, en des termes plus précis, à faire de l’incendie de la mosquée Al-Aqsa un nouvel incendie du Reichstag (1933).
La dévaluation française et l’Europe
Dans notre dernière chronique, nous évoquions l’« ouverture » européenne décidée par la France – « ouverture » qui, en principe, devrait se concrétiser par un « sommet » de l’Europe des Six. De ce point de vue, les vacances n’ont pas modifié la situation, et aussi bien le gouvernement français que ses partenaires de la Communauté souhaitent, à partir d’une rencontre « au sommet », dégager les discussions européennes de certains malentendus. Les partenaires de la France savent à quel point, [le ministre des Affaires étrangères], M. Maurice Schumann, est un « Européen » convaincu, mais il ne suffit pas d’être « européen » pour que les solutions deviennent faciles. L’« ouverture » a essentiellement pour objectif de créer une ambiance nouvelle. Mais il est bien évident que les problèmes subsistent.
Fin juillet, les « Six » ont exprimé leur solidarité en ripostant à la violation par les États-Unis de l’accord sur le blé. Signé à Rome en août 1967 à la suite du Kennedy Round, cet accord n’a été appliqué qu’un seul hiver : comme on l’avait vu à propos du café et d’autres matières premières, un prix minimum n’est respecté qu’aussi longtemps que l’offre reste inférieure à la demande. Après le Canada, les États-Unis ont décidé de ne plus respecter l’accord de Rome. M. Jacques Duhamel, ministre français de l’Agriculture, a alors marqué la nécessité d’affirmer une attitude « communautaire, ferme et immédiate », et celle d’« affirmer l’indépendance de la Communauté vis-à-vis des États-Unis, et du même coup la solidarité de ses membres. » [Le vice-président de la Commission européenne, chargé de l’Agriculture], M. Sicco Mansholt, approuva ce point de vue qui ne pouvait qu’aider à placer sous de bons auspices le prochain « sommet » des « Six ».
Le climat « européen » a donc changé, et le quotidien Le Monde pouvait parler d’une « deuxième génération européenne », et écrire : « On constate ainsi que tombent peu à peu les obstacles psychologiques et politiques, au moins aussi sérieux que les obstacles économiques, qui encombraient la route des “Six” depuis des années. Ce n’est pas seulement dans les mots, mais dans les faits, que s’opèrent les rapprochements des points de vue ». Les deux grands problèmes qui se posent à la Communauté – son renforcement, son élargissement – paraissent ainsi devoir être abordés dans une optique différente, dans la mesure où les questions seront étudiées en elles-mêmes. La France entend, dans une première phase, « écouter » ses partenaires à propos de l’éventuel élargissement, mais, dans le même temps, et ne fût-ce que pour témoigner de sa bonne volonté, elle tient à apporter des idées positives sur la manière de renforcer la Communauté.
Sans doute, depuis longtemps, circule au sein des institutions communautaires une liste des actions à entreprendre pour passer de l’union douanière à l’union économique : politiques communes de l’énergie, des transports, des fiscalités, etc. Mais le gouvernement français voudrait insister surtout, pour cette « deuxième génération » du Marché commun, sur la nécessité d’une politique industrielle commune. Le plus clair du temps, dans les instances bruxelloises, a été passé jusqu’ici à parler d’agriculture et de relations extérieures. Il faut maintenant s’occuper de ce qui fait la force principale des nations, l’industrie.
À ce moment-là, la Commission des communautés européennes adressait aux gouvernements son rapport annuel sur la conjoncture, intitulé Mémorandum relatif au maintien des conditions d’une croissance équilibrée. Ce document allait au-delà de la description de la situation économique et des classiques recommandations de circonstance. C’était un avertissement que lançaient les experts de Bruxelles, en déclarant que les « Six » devaient mobiliser toutes leurs énergies, le Marché commun se trouvant « engagé dans un processus inflationniste » dont « l’acceptation aurait des conséquences économiques et sociales graves ». La lutte contre la hausse des prix, qui « revêt des proportions inquiétantes dans la plupart des États membres », doit être « la priorité des politiques économiques conduites par les “Six” ». Analysant la situation communautaire, la Commission remarquait que, pour la première fois depuis de nombreuses années, les « Six » se trouvent engagés simultanément dans une phase d’expansion rapide, et que le taux de croissance du produit brut de la Communauté économique européenne (CEE) s’établira pour 1969 à environ 6,5 %, ce qui n’avait jamais été le cas depuis 1960. Mais les prix, dans la plupart des pays, se sont gonflés exagérément. Se défendant de préconiser une politique qui conduirait à la récession, mais soucieuse, au contraire, de l’éviter quand il est encore temps, par un « assainissement » de la situation, la Commission suggérait :
– d’accroître l’offre globale par une mobilisation systématique des ressources disponibles ;
– de limiter la progression de la demande aux possibilités d’accroissement de l’offre ;
– de faire participer de façon active les partenaires sociaux à la poursuite de cette politique.
C’est alors qu’intervint la dévaluation française. Il n’est pas dans notre propos d’analyser cette décision, d’étudier dans quelle mesure elle était ou non inévitable, d’analyser ce qu’elle a pu devoir à l’insuffisance de la concertation monétaire entre les Six, etc. Nous la considérons ici comme un fait acquis. Sur le plan européen, les ministres de la CEE se sont trouvés devant une question très précise : comment contenir les conséquences inflationnistes de l’application rigoureuse de la législation communautaire sur les prix agricoles ? Aux termes de celle-ci, en effet, les Français, après avoir dévalué, auraient dû accroître les prix des produits agricoles d’un pourcentage égal à celui dont leur monnaie a été amputée. Finalement, les Français ont été autorisés à ne pas augmenter leurs prix durant la campagne 1969-1970. Mais ensuite, la Commission et le Conseil jugeront sur pièces et décideront, s’il y a lieu, comme le voudrait Paris, de poursuivre l’expérience, c’est-à-dire d’attendre encore un an avant d’aligner complètement les prix français sur le niveau commun ou s’il convient, comme le souhaite La Haye, de trouver d’autres méthodes.
La principale conséquence de la dévaluation française, en ce domaine, est un retard apporté à la politique agricole commune. Les marchés français sont « isolés » et l’Europe des « Six » se retrouve, selon une boutade employée en d’autres temps par [l’ancien président du Conseil] M. Edgar Faure, avec « un marché unique pluralisé ». La France est isolée de ses cinq partenaires par un cordon de taxes. Celles-ci sont destinées à l’empêcher de tirer parti d’une « prime de change » qu’elle n’a pas le droit de se donner, en vertu de la politique européenne qui a institué des règles de jeu particulières pour le secteur agricole. Le « géant agricole » qui possède à lui seul la moitié des terres cultivables de la Communauté, et dont la puissance de production inquiète, est ainsi isolé de ses cinq partenaires encore déficitaires… et fort heureux de l’être.
Ceci prouve surtout, comme l’a dit M. Duhamel, le retard pris par l’Europe dans le domaine monétaire par rapport à la politique agricole commune. Avec sa « demi-monnaie », l’unité de compte qui lui sert à fixer ses prix agricoles et à calculer ses contributions budgétaires, l’Europe des « Six » mesure en effet l’inconvénient qu’il peut y avoir à s’arrêter dans la marche vers l’unité. Sous peine de se révéler fragile et artificielle, une politique agricole aussi ambitieuse que celle dont s’est dotée la Communauté appelle à terme une politique économique et donc monétaire commune. Est-ce le Marché commun agricole qui est en avance ou les autres secteurs qui sont en retard ? Il est difficile en tout cas de n’être plus tout à fait six et de ne pas être encore vraiment un… Sans doute serait-il temps que les « Six » se saisissent des deux grands documents politiques qui peuvent leur permettre de retrouver le fil d’Ariane qui leur a échappé des mains : le plan Mansholt de définition d’une nouvelle agriculture industrielle et collective, et le plan de coopération économique et monétaire [établi par M. Raymond] Barre [vice-président de la Commission européenne, responsable des Affaires économiques et financières]. Mais rien ne permet de penser qu’au cours de leur réunion « au sommet » les « Six » négligeront ces deux documents. Leur examen, en tout cas, est dans les intentions du gouvernement français, pour qui l’« ouverture » ne doit pas être seulement verbale. ♦