L’association des 18 États africains et malgache avec la Communauté économique européenne (CEE) continue : la nouvelle convention d’association a été signée à Yaoundé le 29 juillet dernier – Au Kenya, l’assassinat de M. Tom Mboya avive les tensions politiques et tribales – Évolution de la situation au Nigeria
L’association des 18 États africains et malgache avec la CEE continue : la nouvelle convention d’association a été signée à Yaoundé le 29 juillet dernier
Après de laborieuses négociations, ouvertes voici plus d’un an à Kinshasa, poursuivies ensuite à Bruxelles puis à Luxembourg, les représentants des six États-membres de la Communauté économique européenne (CEE) et ceux des 18 États associés africains et malgache ont réussi les 26 et 27 juin dernier à dégager les compromis qui devaient permettre un accord sur les dispositions d’une nouvelle convention d’association faisant suite à la convention de Yaoundé, venue à échéance le 31 mai 1969.
Cette convention qui lie désormais les États intéressés pour cinq nouvelles années devait être signée solennellement le 29 juillet dans la capitale du Cameroun, devenue comme le soulignait le président [camerounais], [Ahmadou] Ahidjo, le « lieu géométrique de l’amitié et de la coopération eurafricaine ».
Inscrite dans le Traité de Rome en 1957, l’association se poursuit ainsi, avec les aménagements qui ont été rendus nécessaires et par l’accession à l’indépendance des pays africains et par l’évolution économique qui s’est produite depuis. C’est dire les difficultés qui n’ont pas manqué de surgir sur la route commune qui est déjà vieille de plus de dix ans.
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Création continue, l’association s’est en effet dotée depuis 1957 d’institutions qui n’existaient pas à l’origine, puisqu’à cette époque, les 18, territoires d’outre-mer ou mandats, dépendaient encore de leurs métropoles européennes. Aujourd’hui un Conseil et un Comité d’association qui se réunissent périodiquement groupent les ministres des 24 États, ou leurs représentants. Une Conférence parlementaire rassemble en nombre égal des membres des Parlements européens et africains. Une Cour arbitrale peut siéger à Luxembourg ; et c’est en véritables négociateurs que les délégués africains et malgache se sont assis face aux européens aux tables des conférences.
Création originale, l’association comporte des dispositions financières et des dispositions commerciales. Toute organisation collective d’aide d’origine multiple comporte, nécessairement un fonds commun. Pour la première période d’application du Traité de Rome, échelonnée entre 1958 et 1963, le Fonds européen de développement (FED) groupant la contribution des « Six » au bénéfice des 18 États associés, disposait au total de 581 millions de dollars, montant qui fut porté à 730 millions de dollars par la 1re Convention de Yaoundé – non compris les 70 millions de dollars de la Banque européenne d’investissement – pour atteindre aujourd’hui dans la nouvelle convention, un milliard de dollars, 810 millions consistant en des dons, 90 millions en des prêts spéciaux et 100 millions en prêts de la Banque européenne d’investissement. Sans doute l’augmentation de ces crédits est-elle en partie compensée par la dépréciation de la monnaie, mais il n’en reste pas moins vrai que cette aide globale reste proportionnellement une des plus fortes actuellement consenties dans le monde. France et Allemagne fournissent au fonds environ le tiers de ses revenus, l’Italie y contribuant pour environ 15 %, la Belgique et les Pays-Bas pour environ 9 % et le Luxembourg pour environ 0,27 %. Par ailleurs, les mécanismes financiers de répartition de cette aide, rigides à l’origine, se sont trouvés considérablement assouplis à la demande des bénéficiaires, afin de répondre au mieux aux besoins.
Sur le plan commercial, malgré notamment les réticences des Néerlandais favorables à la liberté des échanges dans un cadre mondial, ou des Allemands sans doute compréhensifs, mais peu enclins à accroître l’aide aux pays en cours de développement, il n’a pas été porté atteinte au fondement même de l’association qui demeure l’octroi réciproque de préférences dans le cadre de zones de libre-échange. Ainsi, les États associés continuent à bénéficier, au sein de la Communauté, du régime de franchise à l’exception des produits taxés dans le cadre de la politique agricole commune, selon les dispositions qui sont d’ailleurs plus favorables aux associés dans la nouvelle convention que dans l’ancienne.
Toutefois, malgré l’opposition de certains États associés, les aides à la production et au soutien des cours, qui constituaient l’une des principales dispositions de la première convention, et qui permettaient de faciliter progressivement la commercialisation aux prix internationaux, ont été supprimées. Seule une somme variant de 60 à 85 millions de dollars UC [Universal Currency, littéralement « monnaie universelle »] a été réservée avec possibilité d’augmentation au bout de trois ans d’application, de manière à faire face, le cas échéant, à une trop brutale chute des cours mondiaux – problème évidemment crucial pour les États dont l’économie est exclusivement fondée sur la monoculture.
Enfin, si la nécessité d’une assistance technique aux États associés a été reconnue et même renforcée, il a été aussi convenu que les industries naissantes des États associés seraient encouragées et auraient la possibilité d’être protégées contre la concurrence européenne. À cet effet, des limitations à la libre concurrence pourront être introduites en faveur d’entreprises locales, par une procédure accélérée de lancement des appels à la concurrence pour les marchés de travaux inférieurs à 500 000 $ UC, laissant ainsi en fait une priorité aux entreprises locales, ou pour les marchés de fournitures, la préférence étant donnée aux États africains et malgache avec une protection à établir cas par cas et ne devant pas dépasser 15 %. Dans le même temps, la nouvelle convention s’est aussi préoccupée d’améliorer la concurrence entre les entreprises des « Six ».
Ainsi, d’une manière générale, malgré l’âpreté des discussions, la nouvelle convention de Yaoundé n’en constitue pas moins un progrès par rapport à la précédente, notamment en ce qui concerne l’assistance technique et financière.
Sans doute elle ne comble pas totalement les espoirs que les associés africains et malgache avaient placés en elle. Les Africains, en effet, s’estimant engagés politiquement, voulaient voir dans l’association autre chose que l’organisation d’une zone de libre-échange.
Sans méconnaître les tentations mondialistes de certains de leurs partenaires – néerlandais notamment – ils ont été sensibilisés par les discussions portant par exemple sur les avantages préférentiels, les aides au soutien des cours des produits tropicaux ou le montant du FED. Ils se sont montrés malgré tout réalistes.
Tout en appréciant les efforts des Européens et les aspects positifs de la nouvelle convention – assistance technique et financière comme industrialisation – ils demeurent conscients des dangers qu’un trop grand optimisme pourrait faire courir à leurs productions, si celles-ci devaient se voir exposées sur les marchés mondiaux, sans les garanties de prix et de débouchés qui ont joué jusqu’ici à leur avantage.
Quoi qu’il en soit, l’association demeure « un exemple unique de solidarité et de coopération entre des pays développés et des pays en voie de développement ». Même si elle n’est pas parfaite, elle existe, elle fonctionne et elle est suffisamment souple « pour permettre à tous les États africains qui le désireraient et dont la structure économique et la production sont comparables à celles des 18 États associés, de négocier leur association à la CEE ou au moins de conclure des accords particuliers avec elle ». La nouvelle convention doit maintenant être ratifiée d’ici la fin de l’année par les 24 pays signataires. En attendant, des mesures transitoires ont été définies d’un commun accord et la date de son expiration fixée au 31 janvier 1975.
En définitive et malgré tout, l’association sort renforcée au terme de ces longues négociations dont le succès doit beaucoup aux efforts du président nigérien Hamani Diori comme à ceux du président du Conseil des communautés, ainsi qu’à la sagesse du ministre des Finances de la Côte d’Ivoire [Henri Konan Bédié], qui a conduit les discussions au nom des États africains et malgache.
Au Kenya, l’assassinat de M. Tom Mboya avive les tensions politiques et tribales
Le 5 juillet dernier, M. Tom MBoya, ministre de l’Économie, de la planification et du développement du Kenya était assassiné à coups de pistolet, en pleine rue, à Nairobi, alors qu’il effectuait des achats dans une pharmacie.
Ce crime, qui demeure encore inexpliqué, devait aussitôt provoquer la colère des Luos, ethnie à laquelle appartenait l’intéressé, et l’inquiétude dans un pays qui demeure sensible au souvenir des violences Mau Mau.
Ce jeune ministre de 38 ans était en effet une personnalité fortement en vedette. Né sur les bords du lac Victoria dans une famille nombreuse et pauvre, il fut remarqué par les missionnaires qui apprécièrent son intelligence précoce et qui le poussèrent dans ses études qu’il poursuivit jusqu’en Angleterre. Quand il revint à Nairobi à sa majorité et qu’il obtint un poste dans l’administration municipale, la révolte Mau Mau commençait à ensanglanter le Kenya.
L’accaparement des bonnes terres par les Européens, la détribalisation et la création d’un prolétariat urbain à Nairobi, le développement d’une élite politique et syndicale qui se sentait de plus en plus frustrée par l’absence de droits politiques et, par-dessus tout, les injustices et les discriminations raciales avec leur cortège d’humiliations, avaient provoqué l’insurrection Mau Mau, révolte aveugle de caractère religieux et raciste. Mais c’était l’affaire des Kikuyus, ethnie majoritaire du Kenya, et Tom MBoya, ambitieux et d’origine luo, ne pouvait de ce fait prétendre y jouer un rôle majeur. Aussi se lança-t-il dans l’action syndicale. C’est alors qu’il crée la Fédération des travailleurs kenyans qu’il affilie à la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) d’obédience américaine. Il acquiert très vite une audience qui va lui permettre de se placer d’emblée au premier plan de la scène politique, dans les gouvernements successifs formés par Jomo Kenyatta, le vieux leader nationaliste kikuyu, qui prit le nom symbolique de Kenyatta, et qui sortit de prison pour devenir ministre, qui fut ensuite porté au pouvoir par les premières consultations électorales et qui préside encore aux destinées du Kenya.
Les observateurs n’ont pas manqué de remarquer que dans ce pays de plus de 8 millions d’habitants, dont 20 % sont kikuyus et 14 % luos, le régime de parti unique, auquel inclinent de nombreux dirigeants africains, n’a pas été instauré. Les partis s’opposent sur des questions politiques qui débordent le cadre de simples rivalités ethniques, mais néanmoins le tribalisme comme les rivalités de personnes demeurent encore des facteurs parfois déterminants dans le jeu politique. C’est ainsi que le Kanu (Kenya African National Union) de M. Jomo Kenyatta et de son vice-président [Daniel] arap Moi, parti majoritaire nationaliste à prédominence kikuyu et qui comptait dans ses rangs le Luo qu’était M. Tom MBoya, s’oppose aujourd’hui au KPU (Kenya People’s Union) de M. Oginga Odinga, Luo lui aussi mais de tendance progressiste et dont la popularité est loin d’être négligeable. Tandis que les autorités accordent toute leur attention aux activités jugées subversives, le Kanuy, très habilement s’emploie à grignoter les rangs de ses adversaires. Mais il semble bien qu’aujourd’hui la disparition de M. Tom MBoya n’ait fait qu’aviver toutes ces tensions politiques et tribales.
L’exaltation, l’inquiétude et la violence des incidents qui ont accompagné les funérailles du jeune ministre, en qui beaucoup voyaient déjà un dauphin possible de l’actuel chef d’État, ont sans doute marqué les esprits et poussé les groupes ethniques à resserrer leurs rangs. Aussi la stabilité et l’orientation du régime pourraient-elles s’en trouver affectées.
Quoi qu’il en soit, l’assassin présumé a été traduit devant une Haute Cour de Justice. Cependant, les mobiles du crime restent encore particulièrement nébuleux alors que les passions déchaînées à cette occasion sont à peine apaisées.
Évolution de la situation au Nigeria
Tandis que dans le monde les efforts se multiplient pour tenter de mettre un terme au conflit nigéro-biafrais, les opérations sur le plan militaire se sont poursuivies en juillet et en août à un rythme soutenu, se traduisant au bénéfice des Fédéraux par quelques gains de terrain indéniables sans pour autant ébranler la volonté de résistance des Biafrais.
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Sur le front Nord, au cours de la première quinzaine de juillet les unités biafraises opérant à l’Est d’Onitsha ont réussi à effectuer une brèche dans les lignes nigérianes et à rétablir les communications jusqu’alors interrompues avec la 57e Brigade biafraise. Celle-ci, étalée au nord de la route Onitsha-Awka, menait à partir de ces positions des actions de harcèlement sur les communications et sur les arrières des forces fédérales, notamment dans la région de Nachi. Pour parer à cette menace, les unités de la 2e Division fédérale en liaison avec celles de la 1re Division, ont déclenché au cours de la deuxième quinzaine de juillet et au début d’août, une série d’opérations qui ont eu pour effet de tronçonner en petits éléments isolés les uns des autres, les unités de la 57e Brigade avec lesquelles le commandement biafrais avait réussi à rétablir la liaison. Deux colonnes fédérales parties d’Umulokpa au Nord et d’Awka au Sud se sont rejointes dans la région d’Otuocha et ont poursuivi leur offensive en direction d’Aguleri où elles devaient retrouver une autre colonne fédérale venue dans le même temps d’Omo, à l’Est d’Umulokpa. Les Fédéraux ont ainsi réussi à mettre la main sur une région agricole d’où les Biafrais tiraient une partie de leurs approvisionnements, tout en dispersant les unités de la 57e Brigade repliées dans des zones d’accès difficile, les Fédéraux s’efforcent depuis d’exploiter leur succès afin de tenter de dégager Onitsha par le Nord-Est. Cependant, les Biafrais résistent avec opiniâtreté à cette poussée et, en fin du mois d’août, ils tenaient toujours les quartiers Est de la ville ainsi qu’une bonne partie de la route d’Onitsha à Awka.
Sur le front de l’Ouest, les troupes biafraises, sous la pression des bataillons fédéraux étalés le long de la rivière Ase, ont dû se replier à l’Est mais elles occupent toujours une large bande de terrain à partir de laquelle elles sont en mesure de faire peser une menace permanente sur les gisements pétrolifères du Bénin.
Sur le front Est, en dehors de la reprise par les Biafrais d’une partie de la ville d’Umuahia, les opérations ont été marquées en juillet par quelques engagements des Fédéraux, le long de la Cross River, dans le but de contrecarrer les projets de la Croix-Rouge internationale qui envisageait un moment la possibilité d’acheminer par cette voie d’eau des secours humanitaires au Biafra.
Sur le frond Sud, les Biafrais ne parviennent toujours pas à déboucher sur Port Harcourt. La 12e Division biafraise qui s’était emparé fin juin du centre pétrolier d’Owaza s’est efforcée depuis d’accentuer sa pression sur Aba, nœud important de communications routières et ferroviaires. Dans ce secteur, les éléments avancés biafrais se trouvent à environ 35 km de Port Harcourt, mais ils ne contrôlent pas entièrement la route Owerri-Port Harcourt et restent contenus par les Fédéraux qui opèrent à partir d’Elele et de Umu Nehu.
À l’Ouest du frond Sud, les unités de la 3e Division fédérale qui tente de reconquérir Owerri, ont réussi au début d’août à rétablir la liaison avec les éléments qui tenaient toujours Ohoba, tout en menant des actions offensives sur l’axe Ahoada-Oguta et auraient atteint la région d’Ebocha. Les Biafrais réagissent avec vigueur. Ils ont en particulier coupé la route Omoko-Ahoada en plusieurs endroits et réussi à isoler les détachements fédéraux les uns des autres.