Institutions internationales – Le scepticisme commun des deux « Grands » – Religion et droit international – Les constantes de la diplomatie française – Échéances et préoccupations européennes – L’Europe et les étudiants
Une conférence de presse du secrétaire général de l’ONU constitue traditionnellement le prélude à la session annuelle de l’Assemblée générale. M. Thant a respecté cette tradition, mais ses propos n’ont pas, et d’ailleurs ne pouvaient pas apporter d’éléments nouveaux aux problèmes dont les grandes puissances sont à la fois témoins et acteurs, et dont elles voudraient parfois être arbitres. M. Thant proposa la proclamation d’une « décennie du désarmement » à partir de 1970.
Il est en effet inquiet devant le fait que de nombreuses Nations « en voie de développement » consacrent une part importante de leurs ressources à leur armement. Le désarmement ? « Il est temps pour chaque gouvernement de faire de sérieux efforts pour associer les cinq grandes puissances nucléaires à toutes les discussions sur le désarmement. Seul un accord entre les cinq puissances peut libérer le monde de la peur nucléaire ». Mais comment associer la Chine à cet effort (alors qu’il est exclu qu’elle soit admise à l’ONU ?). Comment faire admettre, comme la France le suggère, qu’il ne peut y avoir désarmement que s’il y a destruction des vecteurs ? M. Thant a, en fait, approuvé l’idée de négociations américano-soviétiques sur la limitation des armements stratégiques. « La supériorité est une illusion, et cette illusion ne peut que conduire à une surenchère, chaque camp renforçant sa capacité nucléaire afin d’égaler ou de dépasser celle de l’autre jusqu’à ce que s’élève la spirale de la course aux armements nucléaires tandis que celle de la sécurité s’abaisse ».
En réclamant un « gel » des armements nucléaires au niveau actuel, en attendant leur diminution, M. Thant a déclaré que « toute rupture de cet équilibre » ou « déstabilisation » créerait des tentations et des pressions sans précédent et accroîtrait considérablement le danger d’une possible erreur de calcul. Il est difficile de ne pas être d’accord avec les perspectives morales dans lesquelles se place le secrétaire général de l’ONU. Mais l’histoire est faite autant de réalités que d’espérances, et la réalité s’est exprimée par le scepticisme à l’égard des possibilités de l’ONU.
Le scepticisme commun des deux « Grands »
Une fois de plus, le débat général qui s’est déroulé à pareille époque dans le Palais de verre des Nations unies n’a guère apporté de raisons d’espérer un règlement rapide des grands problèmes de notre temps. L’intervention du président [américain] Nixon fut plutôt décevante, celle de M. Gromyko ne fut pas plus encourageante. Il est vrai qu’il était illusoire d’attendre du ministre [des Affaires étrangères] soviétique une promesse de « médiation » dans le conflit vietnamien. M. Gromyko n’a fait que répéter ce que les dirigeants soviétiques ont toujours dit devant les sollicitations de ce genre : les États-Unis doivent trouver seuls le moyen d’en sortir, et ils n’y parviendront qu’en rappelant toutes leurs troupes. Certes, ces semonces publiques peuvent cacher une attitude plus nuancée : le Kremlin a montré à plusieurs reprises, notamment en 1966, puis l’an dernier, lors de l’ouverture des conversations de Paris, qu’il pouvait, s’il le voulait, faciliter la négociation. Mais ce rôle semble assez limité aujourd’hui.
Le refus opposé au projet d’embargo sur les livraisons d’armes au Moyen-Orient est également dans la logique des positions soviétiques antérieures : Moscou subordonne tout à l’évacuation par Israël des territoires conquis en 1967, et évite toutes les initiatives diplomatiques qui pourraient contribuer à « geler » ce statu quo. Mais, en attendant, la course aux armements se poursuit au Moyen-Orient, alimentant la guerre pratiquement ouverte qui s’y poursuit.
L’attitude de M. Gromyko à propos des offres américaines de conversations sur la limitation des armements stratégiques fut également décevante. Une fois de plus, le ministre soviétique admit l’importance d’un tel dialogue, mais il ne se montra guère pressé de fixer une date, comme le souhaitait Washington.
La seule nouveauté du discours de M. Gromyko fut une omission : pour la première fois depuis que le problème se pose, le délégué soviétique n’a soufflé mot de la Chine populaire et de son admission à l’ONU. Bien évidemment, l’aggravation du conflit soviéto-chinois et la tension aux frontières expliquent cette entorse à la « ligne ». Le ministre soviétique a également évoqué ce « système de sécurité collective » en Asie, dont M. Brejnev [secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique] avait parlé pour la première fois au printemps dernier. Mais on n’en sait toujours pas plus sur la forme que Moscou voudrait donner à un tel système.
Quant au projet de déclaration sur la « consolidation de la sécurité internationale » déposé par le chef de la délégation soviétique, le moins qu’on puisse en dire est qu’il n’est pas décisif. Présenté par un pays qui n’hésite pas à parler de « non-ingérence » dans les affaires d’autres pays après avoir montré comment il applique ce principe en Tchécoslovaquie, ce texte ne changera strictement rien aux usages internationaux, même s’il était, d’ici décembre, adopté par l’Assemblée.
En fin de compte, la proposition d’interdiction des armements bactériologiques et chimiques reste le seul élément positif de la confrontation sur laquelle s’est ouverte cette 24e session de l’Assemblée générale des Nations unies.
Ce sentiment se trouve confirmé par l’analyse du discours du président Nixon. Depuis l’affaire de la baie des Cochons [à Cuba], les rapports entre Washington et l’ONU ont été dominés par des crises et par des heurts dont la « valse des ambassadeurs » fut une expression. Le président Nixon a tenu à présenter un message de réconciliation et de déférence pour les causes que l’ONU poursuit. Mais il n’a traduit qu’une foi modérée dans les vertus des procédures onusiennes, dont M. Nixon a relevé qu’il n’était pas en leur pouvoir de résoudre les grands problèmes de l’heure plus rapidement que le multilatéralisme classique. Le champ qu’il ouvre à la relance de la coopération internationale est celui délimité, selon sa propre expression, par l’« unanimité » au moins latente des intéressés : la neutralisation des pirates de l’air prend même le pas sur des objectifs plus traditionnels, comme l’assistance technique, l’aide au développement, la lutte contre la faim ou la surpopulation.
On ne reprochera donc pas à M. Nixon d’avoir rendu à l’ONU un hommage hyperbolique ou attaché à ses initiatives une importance disproportionnée. Le président a même rappelé que l’internationalisme n’était pas l’unique chance de salut du genre humain, qu’il y a de bons nationalismes comme il y en a de mauvais, que les États-Unis ne négligeraient à l’avenir ni les responsabilités qu’ils avaient héritées de la Seconde Guerre mondiale, ni ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts nationaux particuliers. Il n’a sacrifié aux génies du lieu qu’en exaltant la paix et en proposant d’élever en commun « une cathédrale de l’esprit célébrant les capacités infinies de l’être humain », autoglorification collective qui eût sans doute étonné les bâtisseurs des vraies cathédrales… En d’autres termes, pour M. Nixon, l’horizon est toujours bouché, et l’heure reste à l’attentisme.
Religion et droit international
Cette session de l’Assemblée générale des Nations unies aurait pu être le prétexte à une « relance » de la « concertation à quatre » sur le Moyen-Orient. En fait, si cette « concertation » fournit le thème de quelques conversations, elle n’apporta rien de nouveau. C’est qu’en effet, alors même que s’ouvrait cette session se terminait à Rabat [au Maroc] la conférence islamique convoquée sur l’initiative des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Ligue Arabe. Dans notre dernière chronique, nous faisions allusion au rôle que tient la religion dans les relations politiques, et nous évoquions les affrontements irlandais et l’affaire de l’incendie de la mosquée El Aqsa. C’est cette affaire qui a été le prétexte de la réunion de la conférence de Rabat. Sans doute a-t-on quelque peu exagéré les appels lancés en faveur de la « guerre sainte » par certains leaders musulmans, mais il n’en demeure pas moins que cette conférence a montré que les musulmans – ils sont probablement plus de quatre cents millions dans le monde – souhaiteraient se présenter moins en tant qu’États indépendants réunis les uns aux autres par les liens classiques qu’en tant que communauté.
Il serait exagéré de parler d’une « organisation », bien qu’à Kuala-Lumpur [en Malaisie] en avril dernier se soit tenue une première conférence islamique. Officiellement, selon le message adressé par le roi du Maroc [Hassan II] aux chefs d’État musulmans, ceux-ci étaient invités à « débattre de la catastrophe survenue à la mosquée El Aqsa » et à discuter de la question de Jérusalem. En fait, les chefs religieux musulmans pensent depuis longtemps à la force potentielle de l’oumma, la communauté idéale et fraternelle des croyants. Ils ont rêvé de mobiliser cet ensemble formidable. Des hommes politiques de l’un ou de l’autre des pays musulmans ont songé à l’appui que pourrait fournir à leurs desseins nationaux la fraternité musulmane. En Europe et en Amérique, une vague crainte ressurgit parfois, de la vague arabo-berbère sur l’Espagne et de la bataille de Poitiers aux khanats de la Volga, auxquels Moscou paya tribut jusqu’en 1480, et à l’assaut turc sur Vienne en 1683. Le danger paraissait bien écarté… Il n’a pas ressurgi, car la communauté musulmane, pour réelle qu’elle soit sur le plan religieux, n’est, sur le plan politique, qu’une juxtaposition d’États entre lesquels existent bien des rivalités. De l’Asie centrale soviétique à la savane d’Afrique noire, c’est bien une communauté religieuse qui s’étend, mais l’Islam n’est pas « un » : il n’est que de songer à tout ce qui sépare, pour ne citer que cet exemple, l’Islam wahabitique de l’Islam maraboutique… Au surplus, chaque État musulman a « son » régime intérieur, et le régime turc, « laïciste » depuis Atatürk, est considéré comme un « traître » par ceux qui identifient pouvoir religieux et pouvoir temporel. La participation au « sommet » de Rabat revêtait une signification particulière pour la politique intérieure de chacun d’eux.
Mais, si cette diversité affectait l’unanimité à laquelle prétendaient les promoteurs de cette réunion, il n’en demeure pas moins que l’on s’est trouvé en présence de la réaffirmation d’un principe religieux dans les relations internationales. Certes, le droit respecte la religion en tant que telle, mais il entend se situer au-dessus d’elle afin de les respecter toutes. C’est un des principes de l’ONU. La conférence de Rabat a mis ce principe en question, puisque ses participants se présentent autant en États « musulmans » qu’en États indépendants.
Il est peu probable que cette réunion donne naissance à une institution. Mais elle n’en méritait pas moins d’être évoquée dans cette chronique.
Les constantes de la diplomatie française
Devant l’Assemblée générale des Nations unies, [le ministre des Affaires étrangères] M. Schumann a, selon la tradition, exposé la politique du gouvernement français. Son intervention était attendue avec beaucoup d’intérêt à l’ONU, où l’on s’interroge encore sur les conséquences du départ du général de Gaulle. En fait, l’exposé de M. Schumann n’apporta aucun élément de surprise. Il témoigna de la permanence de la politique française, qu’anime toujours la recherche de la paix et du progrès, par le moyen, essentiellement, d’une « concertation entre les dirigeants des principales puissances, conséquence elle-même d’une politique de détente et de dialogue ». Il a donc déploré « les lenteurs et subtilités » qui empêchent le retour de la paix au Vietnam, et affirmé catégoriquement, en ce qui concerne le règlement du conflit du Moyen-Orient, que la concertation à quatre était « la seule méthode équitable et durable ».
« La France, a déclaré M. Schumann, a l’obsession de la paix, et cette obsession lui inspire depuis de longues années, et continue à lui inspirer, trois orientations fondamentales : d’abord, l’équilibre mondial doit être consolidé, ce qui exclut le développement d’hégémonies nouvelles et l’affrontement des blocs, et toutes les manifestations de l’esprit de conquête, de domination ou d’intolérance. Ensuite, la réconciliation des peuples doit être recherchée sans répit, ce qui nous a dicté notre rapprochement avec l’Allemagne, et impose que l’Est et l’Ouest continuent à se rapprocher sans se laisser entraîner ou enchaîner dans des conflits locaux.
Enfin, la justice et l’intérêt de tous exigent que l’aide des plus développés aux moins développés, loin de s’étioler comme elle semble le faire, se poursuive, se diversifie et se renforce… Ces trois orientations trouvent leur première illustration dans la politique que la France mène vis-à-vis de la construction européenne… » Les propos du ministre français des Affaires étrangères prenaient une particulière signification à quelques semaines du « sommet » européen prévu pour La Haye [aux Pays-Bas], et dans la perspective du passage du Marché commun à sa « phase définitive », le 1er janvier prochain. La « phase transitoire » s’achève, celle qu’Aristide Briand considérait déjà, il y a 40 ans, comme « la nécessité la plus pressante » : l’étape économique (1). Mais M. Schumann ne pouvait pas aller « trop loin », sur les problèmes de l’éventuel élargissement de la communauté et de son renforcement. « Les candidatures à l’association et même à l’adhésion sont nombreuses, et il est non seulement concevable, mais éminemment souhaitable qu’elles puissent aboutir ». Au surplus, M. Schumann parlait devant une audience dont la majorité africaine, asiatique et latino-américaine, éprouve à l’égard de la Communauté européenne plus de sentiments d’envie et de crainte que d’admiration, ce qui l’a incité à faire valoir que cette communauté n’était nullement fermée. Et c’est alors qu’apparaissent les problèmes européens.
Échéances et préoccupations européennes
Il est indéniable que les entretiens qu’ont eus le Président Pompidou et le Chancelier Kiesinger à la mi-septembre ont créé une détente entre Bonn et Paris. Certes, les soucis économiques qui accaparaient l’attention du gouvernement français, tout comme la proximité des élections en Allemagne fédérale, réduisaient la portée pratique de cette rencontre. Mais la volonté de coopération qui s’y est exprimée n’en est pas moins apparue de bon augure pour les relations entre les deux pays comme pour les prochaines négociations européennes.
Celles-ci sont dominées, selon le calendrier même du Traité de Rome, par le passage, le 1er janvier prochain, du Marché commun de sa « phase transitoire » à sa « période définitive ». Mais, politiquement, elles le sont par le problème britannique. Plus exactement, convient-il de « renforcer » la Communauté avant d’envisager sérieusement l’adhésion de la Grande-Bretagne et de plusieurs autres pays, ou convient-il au contraire d’accepter dès maintenant la candidature de ces pays, puisque tout renforcement rendrait leur adhésion plus difficile ? Lorsqu’on dit « ces pays », on pense à la Grande-Bretagne, puisqu’en fonction de leurs relations commerciales certains ne jugent le Marché commun que dans l’optique britannique. Le problème comporte une donnée nouvelle : l’opinion britannique paraît moins favorable à l’adhésion. Certes, M. Brown [leader adjoint du Parti travailliste et ancien Secrétaire d’État des Affaires étrangères] s’est encore posé en champion de l’adhésion de la Grande-Bretagne, mais un âpre débat ne s’en est pas moins engagé entre les partisans et adversaires de cette adhésion, et les seconds ont gagné du terrain. Un récent sondage du Daily Telegraph donnait 26 % de partisans, 57 % d’adversaires, 17 % de « sans opinion ». Le Daily Telegraph donnait ce commentaire : « Les sondages ont montré dans le passé que l’enthousiasme des Britanniques pour le Marché commun est le plus grand quand les chances d’entrée sont les plus faibles. Lorsque la porte paraît entrouverte, comme c’est le cas actuellement, les difficultés, telles que le coût pour la Grande-Bretagne de la Politique agricole commune, prennent le dessus ». Les Britanniques souhaitaient d’autant plus leur entrée dans la Communauté que le « non » français était prononcé sur un ton catégorique. Les difficultés et les obstacles sont les mêmes, mais le « non » n’étant plus prononcé de la même manière, les problèmes réapparaissent avec leurs véritables dimensions.
La situation n’est toutefois pas aussi simple. En effet, la contradiction, développée par certains, entre le « renforcement » et l’« élargissement » de la Communauté risque de provoquer d’âpres discussions. En effet, ce « renforcement » n’est que la poursuite de la politique communautaire définie par le Traité de Rome. Ce traité ne faisait pas du Marché commun une simple union douanière (réalisée), ni une simple union économique (à réaliser) : il voyait en lui le pilier d’une union politique. Au printemps 1957, il était entendu que le but dernier était un État fédéral européen. Depuis, les objectifs politiques ont été remis en question, et la logique fonctionnel-institutionnel a perdu la valeur qui lui avait été attribuée. C’est pourquoi les prochaines négociations « européennes » auront à définir la finalité politique, non du Traité de Rome, mais des réalisations obtenues dans le cadre de ce traité. Les « Européens » – notamment la Commission des communautés – estiment que le « renforcement » de la Communauté est d’abord un renforcement de ses institutions, ce qui met en question les pouvoirs de gestion de la commission (que celle-ci voudrait voir renforcés), l’autorité du Parlement européen (à la fois dans ses pouvoirs et dans son mode de recrutement) et la fusion des traités. Le renforcement de la communauté, et même la simple poursuite de l’effort communautaire, peuvent-ils rendre plus difficiles les négociations en vue de l’élargissement ? La Commission est formelle : le renforcement vaut par lui-même, et n’est pas une difficulté supplémentaire à l’élargissement. Au surplus, il faudra que les candidats à l’adhésion acceptent la communauté, non seulement telle qu’elle est économiquement, mais telle qu’elle a été conçue politiquement par le Traité de Rome. Selon M. Rey, président de la Commission, « le renforcement est l’une des conditions de l’élargissement ».
Ces problèmes domineront les prochaines conversations. Certes, les négociations sur le règlement financier du Marché commun agricole, qui se poursuivent au niveau des experts, monopoliseront l’attention pendant une bonne partie de décembre – et, la dévaluation française l’a montré, la coopération économique et monétaire la plus étroite est une exigence que l’on ne peut plus nier, ni même minimiser ou projeter dans le futur. Le gouvernement français a suggéré que les négociations entre les « Six » sur l’élargissement de la Communauté soient menées de pair avec celles qui doivent s’engager sur son renforcement. Les mois qui viennent seront bien remplis !
L’Europe et les étudiants
Ces problèmes se posent alors que, dans les divers pays de la communauté, la rentrée de l’enseignement secondaire crée des difficultés liées au nombre pour certaines d’entre elles, à la substance de cet enseignement pour d’autres. La prolongation de la scolarité et l’accroissement des effectifs, placent tous les responsables de l’éducation devant le problème de l’aménagement de leurs systèmes d’enseignement. Avec les formes violentes qu’a prises l’agitation des étudiants un peu partout dans le monde, la crise de l’université s’est trouvée au premier plan. Mais les difficultés ne sont pas moindres à l’échelon de l’enseignement secondaire, ne fût-ce qu’en raison des impératifs de l’orientation. Les ministres de l’Éducation des « Six » s’en préoccupent depuis longtemps. Tous sont soumis à la « pression du nombre », et tous sont affrontés à la nécessité d’une réforme des structures. La Commission de Bruxelles s’en préoccupe, plusieurs comités du Conseil de l’Europe s’y consacrent, des commissions franco-allemandes travaillent à une révision fondamentale des manuels d’enseignement, notamment dans le domaine de l’histoire. Jusqu’ici, aucun résultat véritablement sérieux n’a été enregistré.
Il ne saurait évidemment être question de concevoir « un » enseignement européen. Mais le but n’est pas cette uniformisation, au demeurant impossible. Il est une harmonisation des programmes, et peut-être des systèmes d’examen. Ceci est d’autant plus nécessaire que la liberté d’établissement des travailleurs (déjà réalisée dans le cadre du Marché commun, avec un retard, toutefois, pour les professions libérales) posera la question de la valeur des diplômes dans un des pays membres de la Communauté autre que celui où ils ont été obtenus. Dans quelle mesure, par exemple, un médecin allemand ou un architecte italien peuvent-ils s’installer en France, et vice-versa ? Une planification européenne rigide est impossible, mais la simple juxtaposition de systèmes « nationaux » ne peut plus répondre aux exigences créées par l’évolution de la Communauté. Les problèmes européens se situent à un niveau beaucoup plus profond que certains ne l’imaginent… ♦
(1) M. Schumann fait allusion ici au « Pacte européen » proposé par Aristide Briand [alors président du Conseil] à la Société des Nations le 12 septembre 1934 [NDLR : il y a ici un problème de date ; il s'agit plutôt, semble-t-il, du 5 septembre 1929]. Ce « Pacte européen » se voulait « fédéral », ce qui traduisait une équivoque, car il proclamait le maintien des souverainetés nationales alors que le fédéralisme implique l’aliénation d’une part de ces souverainetés au profit de l’État fédéral. En fait, en disant « fédération », Briand pensait « confédération », la confédération n’impliquant pas d’aliénations de souveraineté.