Aéronautique – L’avenir du transport aérien de 1970 à 1980 vu d’outre-Manche – Dilemme pour la Défense américaine
L’avenir du transport aérien de 1970 à 1980 vu d’outre-Manche
À moins que tous les signes avant-coureurs actuels tournent court, la décennie 1970 devrait être la plus étonnante et la plus riche en événements que le transport aérien ait connue depuis son apparition il y a un demi-siècle.
Si l’on se tourne vers le passé, chaque décennie a vu se développer l’aviation de transport autour d’un thème principal :
– Pour les années 1940, ce fut la grande expansion des routes internationales d’après-guerre, en particulier en ce qui concerne les traversées transocéaniques qui, jusqu’en 1939, n’étaient restées l’apanage que de quelques grandes compagnies, pionnières de l’aviation commerciale (Air France, Imperial Airways et Pan American).
– Pour les années 1950, ce fut l’apparition des premiers réacteurs et turbopropulseurs (Cornet et Viscount) avec l’élargissement de la clientèle des voyages aériens grâce à la création de la classe « touriste ».
– La décennie 1960 qui touche à sa fin a vu le turboréacteur l’emporter définitivement sur les autres types de moteurs et être utilisé sur toute la gamme des lignes aériennes, des plus longues au plus courtes.
La note dominante des années 1970 est, semble-t-il, la « croissance ». Mais cette croissance ne concerne pas seulement le plan technique ou commercial, comme ce fut le cas précédemment avec le turboréacteur ou les tarifs réduits, mais l’ensemble de tous les éléments qui conditionnent le transport aérien.
Cette expansion va se répercuter sur l’habileté de toutes les industries à fixer au mieux leur politique, leur organisation, et à améliorer leur rentabilité, leur taux de production et leur système de financement.
Elle couvrira non seulement la mise en service du Concorde, du Tu-144 et ultérieurement du Boeing supersonique avec le passage du mur du son et tous les problèmes liés au vol supersonique, mais aussi l’arrivée du Lockheed L-1011 et du Douglas DC-10 dans leurs versions moyen-courrier et long-courrier, tout comme celle de leurs rivaux européens [British Aircraft Corporation] BAC 3-11 et Airbus A300B.
En version long courrier, ces énormes appareils entreront en compétition de plus en plus serrée avec le Boeing 747 qui sera exploité dès décembre 1969 par la Pan American puis un peu partout dans le monde en 1970.
À l’autre bout de l’échelle, pour satisfaire au nouveau besoin déjà en pleine expansion en Amérique qu’est le prolongement des lignes aériennes des grands terminus vers les centres secondaires se dessine une adaptation des moyens courriers, le BAC 1-11 en particulier.
Aux États-Unis, la Société Beechcraft a choisi délibérément cette voie en lançant plusieurs projets de réacteurs et turbopropulseurs. En Europe, également, Hawker Siddeley avec le HS-144 et Yakovlev avec le Yak-40 ont suivi la même orientation couronnée de succès pour Yakovlev qui a déjà vendu quatre appareils à la Colombie pour ses lignes intérieures.
Si les prix deviennent suffisamment intéressants grâce au développement des moteurs, des régions comme l’Amérique latine, l’Asie et l’Afrique représentent un immense marché pour le transport léger à réaction comme c’est déjà le cas pour les bimoteurs légers (Aztec, Cessna 310, Islander).
Beechcraft fait remarquer que les lignes américaines de complément ont, en 1968, réalisé un trafic en passagers et heures de vol supérieur de 80 % à celui obtenu par toutes les compagnies américaines en 1938 et en déduit une expansion rapide de cette nouvelle forme d’activité.
Vu sous cet angle, son projet 499 (4 turbopropulseurs et 32 passagers) – comparable au premier Viscount – devrait très rapidement nécessiter, comme ce fut le cas pour ce dernier, une extension portant sa capacité à 60 sièges.
Le nombre des lignes aériennes de complément (appellation américaine commuter lines) est passé de 165 en octobre 1967 à 240 en novembre 1968, mettant en œuvre 1 270 avions et transportant 3 500 000 passagers en un an.
Les plus importantes d’entre elles ont déjà atteint, de par l’importance de leur flotte, le niveau des compagnies de transport aérien d’il y a une décade.
Tout en tenant compte de la disparition des sociétés les moins rentables qui seront annexées par les plus florissantes, les compagnies aériennes de ce type atteindront vraisemblablement avant 1980 le nombre de 500. Le développement de ce troisième type de transport aérien (les deux premiers étant les long et moyen-courriers) et la rapidité avec laquelle le Boeing 747, le L-1011 et le DC-10 ont été financés et mis en chantier laissent bien présager de l’avenir.
Moyen type de cette catégorie de transport, l’avion commercial à décollage vertical devrait être au point à la fin de la prochaine décade pour assurer les liaisons de centre-ville à centre-ville avec des capacités de 100 à 150 passagers.
Actuellement en Grande-Bretagne trois formules sont expérimentées utilisant pour la sustentation soit un réacteur, soit un rotor rigide ou une hélice carénée.
Des versions à décollage court pour des appareils commerciaux en service sont d’ores et déjà à l’étude (Boeing 737, BAC 1-11). Aux États-Unis, des compagnies se sont groupées afin d’exploiter en commun ces lignes de complément à partir d’un grand centre. Le développement de ce type de transport pourrait bien amener de la part d’une de ces compagnies la première commande d’avion commercial à décollage vertical. Ce sera sans doute plutôt le fait d’un groupe d’entre elles exploitant le même terminus en raison du coût élevé de ce type d’appareil.
Le Breguet 941, dont la réussite en France est pour le moins laborieuse, a été expérimenté aux États-Unis sous l’appellation McDonnel Douglas 188 par deux grandes compagnies, Eastern et American, qui ont évalué ses capacités opérationnelles.
Ces essais se sont concrétisés de la part d’Eastern par le lancement d’un projet dont les spécifications concernant la cellule et les moteurs aboutiraient à un appareil à décollage court pour 100 à 150 passagers, ayant un rayon d’action de 800 km, une vitesse de croisière de 640 km/h et une vitesse d’atterrissage de 90 km/h, pouvant utiliser en toute sécurité un terrain de 500 m tout en restant plus silencieux qu’un réacteur usuel.
Eastern est déjà prête à commander des appareils de ce type qui pourraient entrer en service en 1975 si les pistes et moyens de navigation adaptés sont en place pour cette date.
La question qui se pose en Grande-Bretagne est de savoir si la BEA [British European Airways] ou toute autre compagnie anglaise en commandera en l’absence d’un avion européen équivalent, à moins que son expérience en la matière, qui date du « lit-cage volant » il y a une quinzaine d’années, ne débouche enfin sur un avion commercial à décollage vertical indispensable aux lignes intérieures actuellement non rentables.
Le déclin des lignes intérieures en dépit de l’aide gouvernementale, les atermoiements du gouvernement vis-à-vis de l’Airbus et sa lenteur à mettre au point un plan de développement aéronautique incitent à penser que ce sera probablement un appareil américain qui dans le futur desservira les routes intérieures de ce pays.
Ces différents problèmes examinés, il importe avant tout de garder en mémoire le taux de croissance annuel du transport aérien, qui est de 14 %, correspondant à un doublement des passagers/kilomètres tous les cinq ans.
À noter, comme contribuant à cette progression, la baisse du prix de revient du passager/km qui, avec la mise en service des appareils à grande capacité, devrait atteindre 2 % par an.
En Grande-Bretagne on estime que d’ici à 1980 il faudra 5 000 nouveaux avions de transport représentant 40 milliards de dollars dont 8 pourraient raisonnablement revenir aux constructeurs européens.
Le Concorde paraissant satisfaisant sur le plan technique et économique, [il] pourrait sans doute être vendu à 250 exemplaires d’autant plus que le retard du Boeing supersonique le laisse pour plusieurs années sans rival direct.
Il ne semble pas que le Concorde et les autres appareils à grande capacité soient en compétition, ces derniers étant surtout utilisés par les passagers payant leur voyage, tandis que le transport supersonique sera réservé au trafic type première classe.
Vers 1980, il faudra alors songer à une deuxième génération de transport supersonique, tel un Concorde de 250 sièges reliant directement par le pôle Paris ou Londres à la côte ouest des États-Unis.
Vers cette époque auront peut-être été commandés des appareils de 1 000 sièges comme le [Lockheed] C-5A Galaxy, encore qu’on puisse penser qu’ils correspondent plus précisément à un transport de fret très spécialisé.
Ceci étant, il est bien difficile de donner une idée exacte de la flotte de transport aérien future ; celle fournie par la revue Flight du 21 août 1969 est la suivante : 12 000 appareils soit le double de 1967, se répartissant ainsi suivant leur capacité :
– 20 à 40 sièges : 3 000
– 40 à 100 sièges : 1 500 (surtout pour les lignes de complément)
– jusqu’à 200 sièges : 1 200 (type avions actuels)
– 200 à 300 sièges : 1 200 (type Airbus)
– jusqu’à 400 sièges : 300 (super Airbus)
– 500 à 600 sièges : 1 100
– 1 000 sièges : 250 supersoniques
– variable : 500 (type C-5A)
Parallèlement à ce développement énorme des flottes aériennes, de nombreux problèmes restent à résoudre concernant l’embouteillage des zones d’approche et des aéroports, l’organisation des travaux et chargement aux escales, l’amélioration des moyens de navigation et d’atterrissage sans parler des moyens de financement.
Il y a dix ans, juste avant l’apparition des premiers transports à réaction, les compagnies aériennes durent faire preuve d’audace, elles ont à nouveau à se lancer vers la nouvelle aventure qu’est celle de l’Airbus et du transport supersonique, mais instruites des expériences passées, il est hors de doute qu’elles y réussiront.
Dilemme pour la Défense américaine
L’ère atomique n’a pas mis fin à la séculaire lutte de la lance et de la cuirasse, mais lui a donné une nouvelle forme : missiles ou antimissiles. Cette question se pose actuellement avec acuité aux États-Unis où l’opinion publique tout entière est divisée.
Dans un éditorial paru en juillet 1969 dans Aviation Week, Robert Hotz pose la question de savoir si le Congrès, par souci d’économies, prendra le risque de voir la sécurité de son pays compromise vers les années 1975 si la menace soviétique actuellement latente se matérialise. À ce sujet, il fait allusion à la politique de supériorité nucléaire menée par l’URSS en dépit des tentatives américaines de limitation des armements et concrétisée par la mise au point de nouvelles charges et nouveaux moyens de lancement, en particulier à longue portée.
Pour les États-Unis il s’agit dans un premier temps de ne pas renoncer au développement opérationnel des systèmes de défense des sites de Minuteman [missile balistique] dont le coût est évalué à 200 ou 300 millions de dollars, quitte à reporter à une date ultérieure leur déploiement qui représente des charges financières excessives. Ainsi, serait ménagée une possibilité de riposte efficace au cas où le besoin s’en ferait sentir dans quatre ou cinq ans.
Robert Hotz prête aux Russes le désir de détenir la supériorité nucléaire pour l’utiliser en tant qu’instrument politique majeur, comme ce fut le cas pour les États-Unis lors de l’affaire de Cuba.
La mise en place des Sandal [missiles R-12 Dvina] soviétiques à Cuba a brusquement renforcé la puissance de l’URSS vis-à-vis des États-Unis puisqu’elle pouvait menacer le territoire américain avec de nouvelles armes auparavant hors de portée. Contrairement à l’opinion générale, l’auteur déclare que ces missiles n’étaient pas dirigés contre les grandes villes américaines, mais plutôt contre les centres de communications et de commandement. Ne laissant à l’adversaire qu’un préavis très inférieur à celui des missiles intercontinentaux, ces Sandal avaient pour objectif principal de paralyser au maximum les moyens de riposte. Le retrait russe face à l’ultimatum américain n’a été décidé que parce que l’URSS non seulement connaissait exactement la position de riposte des forces de représailles mais également était consciente de son infériorité.
À la suite de cette défaite, les Soviétiques auraient cherché à acquérir une marge de supériorité leur permettant à leur tour d’utiliser leurs forces nucléaires comme argument diplomatique déterminant.
Leurs efforts portent sur toute leur panoplie d’armements – missiles mobiles à moyenne portée pour les théâtres européen et chinois, sous-marins nucléaires, missiles intercontinentaux à trajectoire tendue ou au contraire avec phase orbitale – et également sur les tactiques faisant appel à l’aéromobilité, l’enveloppement vertical, aussi bien qu’à l’autonomie qui caractérise leurs bases fixes ou mobiles.
Le pouvoir politique et les militaires américains ne sont pas sans être informés avec précision grâce à de nombreuses sources de renseignements.
Le président Nixon sait parfaitement que l’URSS dispose de 900 SS-11 (Savage) déployés dans des silos enterrés et camouflés et destinés à être remplacés par des SS-13 à combustibles solides. Bien qu’ils soient de la même classe que les Minuteman et dirigés vers les grands centres américains, le principal souci causé au Pentagone vient des SS-9 (Scarp), missiles intercontinentaux à liquides qui viennent d’être dotés d’une tête à triple charge et dont les essais dans le Pacifique sembleraient indiquer que les différents corps de rentrée pourraient être dirigés sur des objectifs indépendants.
Après un ralentissement en 1967, 1968, le redéploiement des silos a repris à un rythme correspondant à 400 ou 500 Scarp prêts en 1975. Avec une charge triple ces missiles pourraient frapper une part importante des Minuteman même profondément enterrés et amoindriraient considérablement les possibilités américaines de seconde frappe.
C’est pour parer à cette menace éventuelle que l’administration Nixon lutte afin d’obtenir l’installation de systèmes d’antimissiles autour de deux sites de silos dans le Montana et le Dakota du Nord. Ils permettraient d’entreprendre la mise au point opérationnelle et de réserver l’avenir.
Ce système de défense n’a qu’une lointaine ressemblance avec l’ancien Nike en raison des progrès technologiques dans tous les domaines. Il serait sensiblement voisin, quant à sa conception et ses aptitudes, du dernier système russe en cours de déploiement autour de Moscou.
Dans l’ignorance des intentions de l’adversaire, il importe avant tout de concevoir la défense face à ses possibilités matérielles, car à ce niveau aucune erreur ne peut être permise.
À l’ère nucléaire, celui qui l’emporte est celui qui a pu déborder son adversaire sur le plan technique et stratégique : c’est ce qui est arrivé à Cuba et pourrait se répéter au bénéfice de l’URSS si les États-Unis renonçaient prématurément à la défense antimissiles.
Au moment où le Congrès avait à se prononcer quant à l’attribution des 200 ou 300 millions de dollars destinés au premier déploiement expérimental du système de défense antimissiles, Robert Hotz concluait en attirant l’attention sur la véritable alternative : donner le temps aux États-Unis de préparer une parade à la menace soviétique SS-9 ou offrir à l’URSS l’occasion d’obtenir dans le futur une supériorité nucléaire significative et d’imposer ainsi sa loi. ♦