Outre-mer – Addis-Abeba : 6e Conférence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA – Signature à Amena de la 2e Convention d’association du Kenoutan et de la CEE – Évolution de la situation militaire au Nigeria
Addis-Abeba : 6e Conférence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA
La XIIIe session ordinaire du Conseil des ministres et la 6e Conférence au sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’OUA [Organisation de l’unité africaine] se sont déroulées à Addis Abeba, respectivement du 24 août au 6 septembre puis du 7 au 10 septembre dernier.
Les observateurs n’ont pas manqué de remarquer les défections relativement nombreuses des principaux responsables africains, puisqu’en effet, plus de la moitié des chefs d’État ou de Gouvernement s’étaient simplement fait représenter. Ces défections touchaient aussi bien les francophones que les anglophones et elles traduisaient, pour nombre des observateurs, un certain sentiment de lassitude des partenaires à l’égard d’une organisation jugée trop souvent impuissante à résoudre ses problèmes essentiels.
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La XIIIe session du Conseil des ministres avait, dans un premier temps et conformément à la charte de l’organisation, examiné les problèmes et préparé les recommandations qui devaient être soumis à la Conférence des chefs d’État, seule habilitée à prendre des décisions sur la base de recommandations ministérielles.
À cet effet, trois commissions avaient été constituées :
– une commission administrative, qui devait étudier les questions de budget et de réforme du secrétariat général ;
– une commission économique, qui examinerait les problèmes de restructuration de la commission économique de l’ONU pour l’Afrique dont les compétences étaient jugées trop exclusives et trop étendues ;
– une commission politique, enfin, qui devait se pencher sur les problèmes brûlants d’actualité que constituent le conflit nigéro-biafrais, la décolonisation des territoires portugais, la ségrégation raciale en Afrique australe, tant en Rhodésie qu’en Afrique du Sud ou au Sud-Ouest africain.
Les discussions furent particulièrement vives et les attaques menées contre les puissances « colonialistes » par le groupe des « révolutionnaires » furent même souvent violentes. Cependant, le groupe des « réalistes » finit par avoir raison des « extrémistes » et le rôle des pays modérés de l’OCAM [Organisation commune africaine et malgache], auxquels s’étaient joints Maroc, Tunisie, Éthiopie et bon nombre de pays anglophones comme le Ghana, la Zambie, l’Ouganda ou le Kenya, devait être déterminant dans la recherche de cette orientation raisonnable.
La conférence des chefs d’État n’eut ni le temps ni le désir de rouvrir les discussions. Elle se contenta de confirmer ses positions antérieures ou de renvoyer les affaires à des comités d’experts.
Les textes adoptés sur la colonisation et l’apartheid reprennent en effet les critiques déjà formulées l’an dernier au Sommet d’Alger et condamnent une fois de plus le Portugal et l’Afrique du Sud ainsi que la Grande-Bretagne pour sa politique rhodésienne et même la France pour ce qui concerne le TFAI [Territoire français des Afars et des Issas] ou les Comores. Le problème de la réforme du Comité de Libération a de son côté été renvoyé à l’examen d’un Comité de huit experts chargés de présenter leur rapport à la prochaine session du Conseil des ministres en février 1970. Cette mise en sommeil ajourne ainsi toute décision pour la poursuite des luttes de libération. On notera cependant que dans un esprit de compromis, seuls ont été reconnus, parmi les mouvements de libération, le PAIGC [Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert] en Guinée Bissau, le MPLA [Mouvement populaire de libération de l’Angola] et le FLNA [Front national de libération de l’Angola] en Angola, le FRELIMO [Front de libération du Mozambique] en Mozambique, le ZANU [Union nationale africaine du Zimbabwe] et le ZAPU [Union du peuple africain du Zimbabwe] en Rhodésie, l’ANC [Congrès national africain] et le PAC [Congrès panafricain d’Azanie] en Afrique du Sud et le SWAPO [Organisation du peuple du Sud-Ouest africain] pour le Sud-Ouest Africain.
D’autre part, malgré l’intervention de la Tanzanie, les positions du 5e Sommet d’Alger concernant le conflit nigéro-biafrais se sont trouvées confirmées. Dans le cadre des principes de l’Organisation, l’unité du Nigeria s’est trouvée réaffirmée et le conflit n’en est pas résolu pour autant.
Enfin, la crise du Moyen-Orient n’était pas à l’ordre du jour. Mais à la suite du raid opéré en Égypte le 9 septembre par les Forces de défense israéliennes sur la rive occidentale du golfe de Suez, la conférence a voté une résolution, se référant à la résolution du 22 novembre 1967 du Conseil de sécurité de l’ONU « condamnant cette nouvelle agression et réaffirmant en cette circonstance la solidarité des chefs d’État africains avec la République arabe unie [l’Égypte] ». Un message particulier devait même être adressé à ce sujet au président [égyptien] Nasser.
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Pour beaucoup d’observateurs ce sixième Sommet s’est donc en définitive soldé par un constat d’échec, la plupart des problèmes évoqués restant en suspens. La déception fut en effet fort vive, notamment chez ceux qui espéraient une « grande confrontation » à propos du conflit nigérian. Cependant le bilan n’est pas entièrement négatif. L’OUA a réussi à surmonter ses querelles. Les propositions modérées ont fini par triompher et l’on a pu noter en particulier que la résolution sur la décolonisation mentionnait le manifeste de Lusaka établi en avril dernier par le président [zambien] Kaunda, lequel recommandait, pour résoudre les conflits d’Afrique australe, d’épuiser les solutions pacifiques avant de recourir à la force.
Cette ouverture au dialogue et à la négociation se voit ainsi approuvée par le Sommet africain. C’est pour le moins un résultat qui n’est pas négligeable, s’il pouvait amorcer une approche réaliste des problèmes d’Afrique australe par une OUA où l’on peut sentir de plus en plus une certaine maturité et une influence grandissante des pays modérés.
Signature à Amena de la 2e Convention d’association du Kenoutan et de la CEE
Le 24 septembre dernier, au cours d’une cérémonie solennelle qui s’est déroulée au centre de la Ligue des jeunesses tanzaniennes à Arusha, la deuxième Convention d’association du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie avec la CEE [Communauté économique européenne] a été signée en présence de nombreuses personnalités de la CEE et des trois pays est-africains. La CEE était représentée par le Président en exercice du Conseil des ministres [le Néerlandais Joseph Luns], la France par son Secrétaire d’État aux Affaires étrangères chargé de la Coopération et les trois partenaires africains par leurs ministres du commerce.
Le nouvel accord qui a été conclu pour cinq ans, prévoit que les importations de la CEE en provenance du Kenoutan [Communauté économique Est-africaine] (Kenya, Ouganda, Tanzanie) seront exemptées de droits de douane et ne seront pas contingentées, exception faite de certains produits agricoles comme les conserves d’ananas (860 tonnes par an), les clous de girofle (120 t) ou le café (56 000 t).
Les États du Kenoutan, de leur côté, ont accordé à la CEE des préférences douanières pour des exploitations qui ne sont pas en principe contingentées et qui portent sur des machines de bureau, des appareils photo, des vernis, du vin, etc.
On pourra noter enfin qu’il n’a pas été prévu d’aide financière du Fonds européen de développement.
Sans doute cet accord ne satisfait pas en totalité les aspirations du Kenoutan qui souhaitait se voir accorder des avantages analogues à ceux prévus pour les 18 États signataires de la Convention de Yaoundé, en particulier en ce qui concerne les aides financières et les produits contingentés.
Il n’en reste pas moins vrai, comme le souligne le communiqué de la CEE, que cette nouvelle convention témoigne du désir des membres du Marché commun européen d’établir avec tous les États africains qui le désirent, des relations économiques et sociales basées sur l’amitié et la confiance mutuelle. Il est peu probable que l’on assiste à brève échéance à une augmentation des échanges entre les partenaires, bien que les six pays européens soient déjà, après la Grande-Bretagne, les principaux clients du Kenoutan.
Évolution de la situation militaire au Nigeria
Les combats se sont poursuivis au cours du mois de septembre particulièrement sur les fronts nord et sud du réduit biafrais. Mais il semble que les difficultés que rencontrent les Biafrais les condamnent pour un temps à demeurer dans une attitude défensive, alors que les Fédéraux de leur côté maintiennent leur pression, mais s’inquiètent du malaise qui s’est répandu dans l’État de l’Ouest, où des troubles à plusieurs reprises, ont été signalés.
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Sur le front nord du réduit, les unités de la 2e Division fédérale ont exploité leurs succès du mois dernier et occupé la presque totalité de la zone d’action de la 57e Brigade biafraise au Nord de la route Onitsha-Akwa. De violents combats se sont en outre déroulés dans les secteurs d’Onitsha et d’Asaba, mais les forces fédérales, malgré les moyens mis en œuvre, n’ont pu déboucher vers le Sud.
Sur le front sud, les unités de la 3e division fédérale ont poursuivi leurs actions offensives sur l’axe Ahoada-Owerri mais, si elles ont par ailleurs enregistré quelques succès locaux dans les secteurs d’Ebocha et d’Ohaba, elles ont été freinées par des contre-attaques biafraises menées à partir d’Omoku. Dans la région nord de Port Harcourt, les unités biafraises marquent le pas. Elles ont atteint Agwa, à 25 km au Nord-Ouest de Port Harcourt, mais elles se heurtent à une sérieuse résistance fédérale, et leurs moyens paraissent insuffisants pour en venir à bout.
La situation est demeurée stationnaire sur le front ouest, tandis que les Fédéraux sur le front Est renforçaient le secteur d’Okigwi en vue d’y exercer de nouvelles pressions.
L’activité des forces aériennes est restée soutenue. Du côté des Biafrais, on a pu noter les 13 et 15 septembre des interventions des Militrainers sur la centrale électrique de Sapele, à environ 50 km au sud de Benin City ainsi que sur la raffinerie et la tour de contrôle de l’aérodrome d’Ughelli, à environ 100 km au Sud de Benin City.
L’aviation fédérale, quant à elle, a repris ses bombardements sur l’aérodrome d’Uli en même temps qu’elle effectuait de nombreuses missions d’appui des troupes au sol.
Ainsi dans l’ensemble, la situation militaire est demeurée à peu près stationnaire. Toutefois, à l’intérieur du réduit, la situation alimentaire et sanitaire paraît s’aggraver sérieusement. En plusieurs endroits la famine sévit et les restrictions atteignent même les troupes qui participent aux combats.
Cependant les Fédéraux doivent faire face dans le même temps à une situation nouvelle qui résulte des troubles de plus en plus nombreux qui ont éclaté dans l’État de l’Ouest, dans les régions d’Ibadan et d’Abeokuta, à environ 75 km au Sud-Ouest d’Ibadan. Il est difficile de chiffrer le nombre des morts qui, selon certaines agences de presse, aurait déjà dépassé la centaine. Il semble qu’une administration trop autoritaire et médiocre soit à l’origine de ces troubles qui inquiètent les autorités fédérales et qui pourraient entraîner un renforcement du dispositif militaire dans ces régions, au détriment des forces engagées contre le réduit biafrais.
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D’autre part, tandis que, faute d’accord des deux partis intéressés, les vols de la Croix rouge internationale n’ont pu encore reprendre, les vols de la Joint Church Aid et de la Croix rouge française, par contre, ont pu se poursuivre, bien qu’ils aient été perturbés par les interventions aériennes fédérales sur l’aérodrome d’Uli.
Enfin, sur le plan diplomatique la Conférence des chefs d’État de l’OUA réunie à Addis Abeba [en Éthiopie] le 10 septembre, n’a pu trouver les voies d’un compromis acceptable par les deux adversaires. Cependant les contacts noués à cette occasion peuvent permettre d’espérer de nouvelles approches d’autant plus que dans les deux camps la lassitude et les difficultés diverses pourraient entraîner quelques assouplissements dans des positions demeurées jusqu’ici toujours aussi intransigeantes. ♦