Le Vatican et les États socialistes européens
Le 30 janvier 1967, le pape Paul VI recevait longuement M. Nicolas Podgorny, en tant que chef de l’État soviétique. L’événement – c’en était un – ne faisait pas sensation, parce qu’il avait été précédé par la visite au Souverain Pontife de M. Gromyko, ministre russe des Affaires étrangères, le 27 mars 1966, et par la réception, le 7 mars 1963, du gendre et de la fille de Nikita Khrouchtchev par Jean XXIII. De telles rencontres étonnaient moins qu’elles ne l’eussent fait plus tôt parce qu’elles s’inscrivaient dans le processus « d’aggiornamento » de l’Église romaine voulu par le pape et le Concile, et de la détente avec l’Occident recherchée par les successeurs de Staline. À la même époque, des pourparlers étaient engagés, en vue d’accords progressifs, entre la Papauté et plusieurs gouvernements de démocratie populaire.
Que pouvait-on attendre de tels contacts ? Il s’agit là de domaines où la précipitation est exclue. Le Vatican et le Kremlin sont traditionnellement les centres diplomatiques les plus entourés de secret, où les consignes de prudence sont les plus strictes et où les délais qui séparent l’expectative de la décision demeurent les plus imprévisibles. L’influence du Saint-Siège constitue un facteur de la politique mondiale que ses adversaires même ne contestent pas, bien qu’il soit difficile d’apprécier sa portée, de distinguer celle de la doctrine et celle d’hommes comme Jean XXIII qui rendent celle-ci plus accessible à tous. Fascistes, hitlériens, bolchevistes, ont été à des époques récentes les plus prompts à vouloir légitimer et consolider leurs régimes en obtenant de Rome la signature de traités, concordats ou arrangements particuliers. Le Vatican a signé au cours des dernières décennies des conventions de représentation diplomatique qui le relient à la grande majorité des États chrétiens ou non chrétiens. Les représentants des diverses nations auprès de la Papauté disposent là d’un poste d’observation privilégié, de précieuses possibilités de contacts internationaux discrets, notamment en période de tension ou de rupture diplomatique. Il en est souvent de même en ce qui concerne les envoyés du Saint-Siège dans beaucoup de capitales. La participation plus directe et personnelle du Souverain Pontife aux activités des Nations Unies et d’autres organisations internationales accroît l’audience de ses paroles. La doctrine catholique elle-même trouve davantage l’occasion de s’exprimer alors que se multiplient, par écrit ou en paroles, les affrontements idéologiques. Par réciprocité, la position de l’Église se trouve à son tour influencée par ceux-ci, par la part vivante qu’y prennent en son sein clercs et laïcs, par la nécessité, qu’elle reconnaît, de devoir être davantage dans le monde.
On conçoit le souci du Vatican de rester en rapport avec les dizaines de millions de catholiques vivant dans les États d’Europe à régime communiste, de tenter de leur assurer une liberté religieuse que le pouvoir établi – dont traditionnellement on demande le respect – reconnaît en principe et conteste en pratique, placé à regret devant le fait de la permanence de la foi. La recherche des possibilités de coexistence, l’organisation d’enquêtes sur la situation réelle et les tendances des communautés catholiques, le désir de maintenir à travers des frontières peu perméables l’autorité incontestée du Chef de l’Église et de diffuser les enseignements du Concile tout en sauvegardant des relations correctes avec les États intéressés, constituent des tâches délicates excluant toute publicité excessive. L’une des difficultés majeures réside dans le fait que, à la différence des puissances seulement temporelles, le Vatican ne peut signer la clause de non-ingérence dans les affaires intérieures, de règle dans les conventions entre États, les questions religieuses entrant pleinement dans le domaine interne de ceux-ci. Il en résulte dans l’élaboration et l’application des accords d’incessantes frictions, des conflits de souveraineté qui s’étendent parfois à la politique étrangère, comme dans le cas de la reconnaissance de nouvelles frontières non encore entérinées par des traités de paix, des limites de certains diocèses périphériques ou de la simple désignation de villes ou localités à noms multiples de nationalité contestée. Il en résulte pour la politique du Vatican un nécessaire pragmatisme qui soulève parfois objections et incompréhensions. L’aménagement de la séparation entre l’Église et l’État a de plus été partout et toujours hérissé de difficultés, et le pape doit souvent lui-même faire face à l’opposition ou aux réticences de certains milieux de la Curie toujours hostiles à un rapprochement avec des États qui prônent la négation agressive de Dieu.
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