Institutions internationales – Difficultés d’une « relance atlantique » – Le prix Nobel à l’Organisation internationale du travail (OIT) – Difficultés européennes – Désenchantement aux Nations unies
Le 24 octobre 1929, voici donc 40 ans, se déclenchait à la Bourse de New York la crise la plus cruelle, la plus longue, la plus lourde de conséquences de l’histoire du capitalisme. John Rockefeller, Pierpont Morgan, Ford, tous les noms magiques dans l’ordre de l’argent y étaient mêlés. Après des millions d’Américains, des millions d’Européens furent entraînés. Ce fut le tristement célèbre « Jeudi noir ». La Seconde Guerre mondiale eût-elle éclaté sans les répercussions de cette crise financière ? Il est difficile de répondre à cette question, mais il est bien certain que les bouleversements et les crises provoqués par cette crise favorisèrent les forces qui devaient, dix ans plus tard, aboutir à la Seconde Guerre mondiale.
Le monde d’aujourd’hui pourrait-il connaître une situation comparable ? Certes, l’histoire ne se renouvelle jamais exactement. Mais certains déséquilibres ont parfois donné le sentiment que des crises monétaires pourraient jouer un rôle à bien des égards comparable à celui du krach de 1929. D’autres émettent une opinion contraire : selon eux, les techniques prévisionnelles ont fait de tels progrès qu’une telle « surprise » est devenue impossible, et qu’au surplus les processus de mise en œuvre des solidarités joueraient. Il est certain que les problèmes financiers retinrent l’attention de ceux qui, à la fin de la guerre, s’efforcèrent de donner à la paix des bases plus solides que celles du Traité de Versailles.
Les Accords de Bretton Woods [en juillet 1944] *, la création du Fonds monétaire international et de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement, furent aussi significatifs que la création des Nations unies elles-mêmes. Cette coopération « institutionnalisée » devait s’amplifier, avec le GATT [en français, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce], avec l’OECE [Organisation européenne de coopération économique], etc. Que plusieurs de ces accords et de ces organismes aient « vieilli », qu’en des points d’importance majeure de nouvelles règles s’imposent, nul n’en disconvient. Mais il serait grave de ne pas reconnaître la place de ces institutions dans la vie des États. Leur activité est mal connue du public, parce que son objet est très technique. Elles n’en jouent pas moins un rôle très important, mis depuis quelques années en lumière par les controverses sur le déséquilibre de la balance américaine, sur le rapport dollar-or, sur la crise chronique de la livre sterling, sur la dévaluation du franc, sur la réévaluation du mark.
Cet aménagement des solidarités internationales est, au-delà des traditionnelles relations entre États, l’objet des institutions créées au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ces institutions qui, par leur seule existence, sont un des traits distinctifs du monde d’aujourd’hui.
Difficultés d’une « relance atlantique »
Certaines de ces institutions, créées en fonction d’une situation bien définie, éprouvent des difficultés pour s’adapter à une nouvelle situation, sans que pour autant, d’ailleurs, leur création n’ait répondu qu’à des exigences conjoncturelles. C’est particulièrement évident pour l’Alliance atlantique : en 1949, la signature du Traité de l’Atlantique Nord a traduit le souci des Occidentaux d’organiser ensemble leur défense, mais ce réflexe collectif trouvait ses racines dans l’existence de solidarités atlantiques très antérieures à la diplomatie stalinienne et indépendantes d’elle. Ces solidarités demeurent, mais les « blocs » n’étant plus ce qu’ils étaient à l’époque de la guerre froide, de nouvelles forces s’étant affirmées, l’organisation qui leur avait été donnée doit être repensée.
Deux organisations viennent d’affronter ces problèmes. Ni la Conférence des parlementaires de l’Otan, ni l’Association du Traité de l’Atlantique ne possèdent d’existence statutaire au sein de l’Otan, et la première, en dépit de son titre, n’a même pas une autorité consultative. Mais l’une et l’autre ont souvent joué un rôle utile en permettant des confrontations qui eussent été difficiles au niveau des gouvernements eux-mêmes. Dans les réunions qu’elles ont tenues, respectivement à Bruxelles et à Washington, elles se sont efforcées de définir les mesures à prendre pour donner à l’Alliance « son second souffle », 20 ans après le Traité de Washington.
Lors du séjour qu’il fit à Bruxelles, le 24 février dernier, en première étape de son périple européen, le président [américain] Nixon avait déjà émis cette idée. [Son] secrétaire d’État Rogers l’a reprise : l’Alliance ne peut plus se contenter d’objectifs militaires, elle ne peut pas se contenter d’y adjoindre des objectifs politiques, elle doit se préoccuper du domaine social, dans l’intérêt même de ses membres, tous confrontés aux difficultés de l’adaptation de l’homme à la civilisation moderne, et pour favoriser l’affermissement de la détente entre l’Est et l’Ouest. Cette nécessité d’un « second souffle » a été mise en lumière, également, par M. Rostow, ancien sous-secrétaire d’État pour les Affaires politiques : « L’Alliance pourrait devenir le centre d’efforts visant à stimuler et à coordonner la vaste gamme des problèmes politiques et sociaux. Une évolution de ce genre pourrait utilement s’ajouter au travail préliminaire de l’Alliance pour réussir la dissuasion, et sur la base de cette dissuasion, la négociation et la détente ».
À cela, le général Speidel [commandant en chef des forces terrestres de l’Otan] répond qu’il ne faut pas perdre de vue les exigences militaires, et que « le rôle militaire de l’Otan doit rester inchangé ». Or, les discussions militaires ont été dominées par l’éventualité d’une réduction des forces américaines en Europe. Le général Goodpaster, commandant en chef des forces alliées en Europe, a insisté sur les faiblesses de l’Otan par rapport au Pacte de Varsovie : insuffisance des effectifs d’active et de réserve, des stocks d’armement et de matériel, des possibilités d’accueil des renforts et des réserves, mauvaise protection des avions au sol, lenteur des systèmes de télécommunications, insuffisance du nombre des chars lourds. Le général Goodpaster ne doit pas se faire d’illusions : l’effort consenti après l’invasion de la Tchécoslovaquie a épuisé la bonne volonté des gouvernements, et les ministres des Finances se feront longtemps prier avant d’accepter les dépenses supplémentaires nécessaires pour combler le vide que laisserait le rapatriement éventuel, en 1970 ou 1971, d’une partie du contingent américain d’Allemagne. Pour la première fois, le secrétaire général de l’Otan, M. Brosio, a demandé que les raisonnements soient basés sur l’éventualité de cette réduction des forces américaines d’Europe.
C’est alors qu’a été émise, une nouvelle fois, l’idée d’un « pilier » européen de l’Otan. L’essentiel réside évidemment dans les questions nucléaires. M. Blumenfeld [député démocrate-chrétien allemand et auteur d’un rapport sur la défense européenne et atlantique] a indiqué que les experts étudient la possibilité de donner aux Européens une petite force nucléaire. Mais il n’a pas précisé à quelle autorité elle serait soumise, ni si les États-Unis envisageaient de modifier leur législation en matière de secret (la fameuse loi McMahon). Faute de ces précisions, on peut se demander s’il ne s’agirait pas d’une nouvelle version de la force multilatérale qui, après la rencontre Kennedy-Macmillan des Bahamas [le président américain et le Premier ministre britannique se sont rencontrés en décembre 1962], suscita tant de controverses avant de sombrer dans les inconciliables et les contradictions les plus insurmontables.
Selon certains, le fondement le plus solide de ce « pilier » européen serait une étroite association entre les forces nucléaires anglaise et française – après M. Blumenfeld, un autre démocrate-chrétien allemand, M. Strauss, a repris l’idée d’une « CED [Communauté européenne de défense] nucléaire ». Mais, pas plus qu’avant, l’exigence politique n’a été rappelée : on ne connaît de forces nucléaires que nationales, et l’on imagine mal la collectivisation du pouvoir de décision en matière nucléaire. M. Healey, ministre britannique de la Défense, y songeait peut-être, en proposant, dans un premier temps, la définition d’une conception commune pour les opérations. Mais, très vite, on se heurte au problème de l’autorité politique, et s’il est facile de parler d’intégration, il est infiniment plus difficile de réaliser cette intégration ! Aucun État n’est actuellement disposé à aliéner cette part essentielle de ses prérogatives et de ses responsabilités qui, seule, permettrait l’intégration. Le simple réalisme conduit à penser que les seules formules viables sont fondées sur l’association et la coordination.
Le prix Nobel à l’OIT
« C’est un hommage rendu à l’homme des multitudes anonymes du monde entier, à tout ce que la paix représente pour lui, comme à sa contribution à la paix. » Telle a été la réaction du Directeur général du Bureau international du travail (BIT), M. David Morse, en apprenant que le Prix Nobel de la paix venait d’être attribué pour 1969 à l’Organisation internationale du travail (OIT), dont on célèbre cette année le 50e anniversaire. Dans un article récent (1) Georges Lefranc en a retracé l’origine, la structure et l’activité passée. Nous n’y reviendrons donc pas, nous contentant seulement d’évoquer ici l’immensité des tâches qui l’attendent au regard du bilan dont elle peut être fière.
La principale activité de l’organisation portera, dans les prochaines années, sur l’établissement d’un programme mondial de l’emploi. Le nombre de personnes en chômage ou sous-employées est actuellement de 300 millions, pour une population active d’un milliard, et ce chiffre augmentera de 50 % au cours de la prochaine décennie. « C’est un monstre endormi auquel l’OIT doit trouver les moyens de faire face, a déclaré M. Morse. Ce sera la nouvelle tâche de l’OIT, maintenant que la période des conventions et de leur application est déjà dépassée ». Cette œuvre législative est importante : 128 conventions, 132 recommandations, qui n’ignorent à peu près aucun domaine – droits fondamentaux de l’homme, libertés syndicales, relations industrielles, emploi, conditions et administration du travail, sécurité sociale, sécurité et hygiène du travail, etc. Certes, en cas de violation des conventions ratifiées, l’OIT ne dispose pas de moyens de contrainte. Néanmoins, sa condamnation morale n’est pas sans efficacité à la longue sur certains gouvernements.
Le Prix Nobel de la paix a été décerné pour la première fois en 1901 au Suisse Henri Dunant et au Français Frédéric Passy pour leur activité humanitaire. À plusieurs reprises il fut donné non pas à titre individuel, mais à une organisation. La première à le recevoir fut, en 1904, l’Institut de droit international de Gand. La Croix-Rouge internationale l’obtint en 1917, en 1944 et en 1963. L’Office international Nansen pour les réfugiés, installé en Suisse, le reçut en 1938. En 1954 ce fut le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et, en 1965, ce fut l’UNICEF, Fonds des Nations unies pour l’enfance.
En 1919, il fallait établir un code du travail de portée universelle. Aujourd’hui, le problème est autre. Les pays industrialisés ont pris conscience de l’effroyable et toujours croissant décalage qui les sépare du tiers monde. « La pauvreté, où qu’elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous », déclaraient en 1944 les participants à la Conférence internationale du travail, réunie à Philadelphie. Le budget des programmes d’assistance technique est passé de 300 000 dollars à 25 millions de dollars en 20 ans. Cette somme est bien loin de suffire pour offrir du travail à une main-d’œuvre abondante, mais sans qualification professionnelle, sans encadrement de techniciens, souvent sans protection sociale ni même syndicale… Mais l’OIT ne dispose pas de ressources propres et ne vit que sur les contributions des gouvernements…
Difficultés européennes
Les « Européens » de stricte observance avaient cru voir se lever, avec l’éloignement du général de Gaulle, un nouvel âge pour les ambitions communautaires : le Marché commun allait repartir du bon pied, les institutions de Bruxelles s’affermir, et Paris pourrait reprendre le flambeau de l’Europe politique. Or, c’est à partir de la France qu’un craquement dans la charpente des « Six » se fit entendre le 8 août dernier, avec la dévaluation du franc. Plus grave encore fut celui que provoqua la République fédérale d’Allemagne en décidant, le 30 septembre, de laisser le mark « flotter ». C’était peut-être là le « moindre mal », comme devait le dire M. Colombo [ministre du Trésor italien], étant donné la pression des spéculateurs et le vide politique d’après les élections. Il n’empêche que d’un seul coup la Communauté [économique européenne ou CEE] était plongée dans une difficulté extrême, puisque les marchés agricoles, si difficiles à unir, étaient à nouveau cloisonnés. Une nouvelle fois, les « Six » ont donc dû se saisir du « paquet d’orties » des prix communs après la fixation de la nouvelle parité du mark. Les difficultés étaient d’autant plus grandes qu’en soi l’évolution du secteur agricole est décevante : productions excédentaires, augmentation trop lente du revenu des paysans, surcharges budgétaires pour les États…
Des taxes sur les importations de produits agricoles ont été établies pour une durée de six semaines, aux frontières de la République fédérale. Elles seront ensuite supprimées et les prix agricoles allemands s’aligneront alors sur les prix communs, c’est-à-dire diminueront de 8,5 %. La perte de revenus en résultant pour les paysans d’outre-Rhin sera pour l’essentiel compensée grâce à des manipulations de la TVA. Toutefois, pendant deux ans, mais de façon dégressive, ces subventions allouées par le biais de la fiscalité seront complétées par des versements directs à la charge du Fonds agricole européen. La première année, cette contribution communautaire devrait s’établir aux environs de 370 millions de marks (550 millions de francs) alors qu’au total les compensations aux agriculteurs atteindront 1,7 milliard de marks.
Jusqu’ici, seule la France bénéficiait de ce soutien communautaire. Aujourd’hui, l’Allemagne va en bénéficier, ce qui, politiquement, peut donner une nouvelle dimension aux problèmes posés par la concrétisation de la solidarité. La Commission de Bruxelles a pesé de tout son poids pour obtenir cette participation du Fonds agricole européen, car les Italiens et les Belges se montraient très réticents.
Ceci met en lumière les trois grands problèmes qui vont se poser aux responsables des « Six », indépendamment de celui de l’éventuelle adhésion de la Grande-Bretagne.
Jusqu’ici, on s’est beaucoup occupé de l’agriculture : sept à huit conseils des ministres sur dix lui ont été consacrés, alors que ce secteur ne représente que 7 % du produit communautaire brut. Certes, l’ambition de réaliser en quelques années un marché agricole unique, fondé sur une organisation commune comportant des prix uniques pour les principaux produits, un régime uniforme d’échanges avec les pays tiers et une priorité d’écoulement à la production communautaire, demandait une concentration de négociations et d’efforts considérable. Il fallait tourner le dos à des siècles de traditions, de législations nationales, de soutien, de particularismes politiques, etc. Mais les promoteurs du Marché commun comptaient sur une progression politique plus rapide, laquelle aurait permis de faire avancer la coopération monétaire, voire même de créer une monnaie unique. La « relance » politique est donc une nécessité.
La coopération monétaire telle qu’elle est prévue par le « plan Barre » [vice-président de la Commission européenne] est utile, mais elle sera insuffisante pour consolider l’édifice de la Politique agricole commune, en cas de soubresauts des parités. Le problème n’est pas tant aujourd’hui de s’aider les uns les autres à amortir les conséquences des déficits de balance des paiements, mais de faire en sorte que chacun des membres de la Communauté mène une politique d’expansion dans la stabilité. Au reste, il n’est pas possible de concevoir une monnaie commune sans un budget unique, sans une banque centrale de style fédéral, donc sans une base de supranationalité incompatible avec la conjoncture politique de l’heure (laquelle n’est pas dominée exclusivement par la position française, car les autres États, non plus, ne veulent pas de supranationalité).
Aux moments les plus difficiles de l’histoire du Marché commun, aucun gouvernement n’a poussé les choses jusqu’au point de remettre en cause l’acquis de la CEE. L’idée de l’Europe est donc suffisamment forte pour empêcher l’irrémédiable. Mais elle ne l’est pas assez, toutefois, pour s’imposer aux intérêts des États, et les mobiles nationaux restent tout puissants. Peu importent les responsabilités – qui, au demeurant, sont partagées. L’essentiel est qu’après la réunion « au sommet » de La Haye [1er et 2 décembre] les gouvernements parviennent à concrétiser la volonté politique qui s’est exprimée. Ni les uns ni les autres ne veulent que la Communauté se réduise à une zone de libre-échange, et c’est pourtant à cela qu’elle se réduirait sans un effort politique. Les responsables des « Six » en sont convaincus. Le passage du Marché commun à la « phase définitive » le 1er janvier prochain va ainsi coïncider avec une période de recherche politique.
Désenchantement aux Nations unies
Durant les dernières semaines, l’Assemblée générale des Nations unies a poursuivi ses travaux dans une indifférence à peu près générale. Ceux qui avaient pu espérer que les deux super-Grands [États-Unis et URSS] saisiraient l’occasion offerte par cette 24e session de l’Assemblée générale pour rapprocher leurs positions dans l’un ou l’autre des problèmes brûlants de l’heure ne peuvent qu’être déçus. Dans notre précédente chronique, nous faisions état du désenchantement qui s’était rapidement imposé, après les discours du président Nixon et de M. Gromyko : on trouva dans ces discours, comme d’habitude, l’affirmation sans doute sincère de leur volonté de paix, mais nulle trace de cette compréhension du point de vue adverse ou de cette disposition au compromis, qui sont les conditions psychologiques de tout règlement pacifique. Ce désenchantement devient anxiété à propos du Moyen-Orient. Le président Nixon a insisté sur les droits de chaque Nation à des frontières sûres et reconnues ; il s’est prononcé en même temps contre des « modifications importantes » de la carte, tandis que le ministre soviétique des Affaires étrangères jugeait sévèrement la politique israélienne et la qualifiait de « défi direct aux Nations unies ».
En fait, ce qui se passe dans cette région du monde donne parfois tout autant l’impression d’une lutte d’influence entre les deux super-Grands que d’un affrontement arabo-israélien. Washington et Moscou livrent des armes avec lesquelles les deux antagonistes directs s’entre-tuent, mais ceux-ci ne sont-ils pas les victimes et les instruments insconscients d’une rivalité qui les dépasse ? Aussi bien, alors que la situation au Liban suscitait les inquiétudes les plus vives et les plus légitimes, le gouvernement français a-t-il pu, à l’issue du Conseil des ministres du 29 octobre, souhaiter que « les quatre membres permanents du Conseil de sécurité reprennent le plus tôt possible les efforts qu’ils ont entrepris ».
Que peuvent les Nations unies ? L’Assemblée générale ne devait pas discuter des conflits du Biafra et du Vietnam, et celui du Moyen-Orient ne figurait à son ordre du jour qu’à propos de la situation des réfugiés. Le Conseil de sécurité n’est pas plus favorisé : tenu à l’écart des problèmes du Vietnam et du Biafra, il s’est abstenu d’agir quant au fond du conflit israélo-arabe depuis sa résolution [242] du 22 novembre 1967 [à la suite de la guerre des Six Jours en juin 1967] qui, si elle reste la référence essentielle en vue d’une solution, est elle-même devenue l’un des points de cristallisation du conflit.
L’organisme international ne peut pratiquement rien faire. Si, par conséquent, on ne veut pas laisser le conflit du Moyen-Orient s’aggraver par le jeu même de sa propre logique interne, force est de considérer que seule une action concertée des quatre Grands – les membres permanents du Conseil de sécurité, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’URSS et la France – est susceptible d’aboutir à une solution. C’est, très exactement, la thèse française, à laquelle on revient dès lors que l’on s’en tient au simple réalisme.
L’Assemblée générale des Nations unies doit donc se contenter des sujets « classiques » : admission de la Chine, question de Corée, décolonisation, droits de l’homme, lutte contre le sous-développement sous toutes ses formes, réfugiés, désarmement, etc. Les discussions sont toujours utiles, mais les résultats, eux, ne sont guère positifs. Si un espoir reste permis, il réside moins dans l’action de l’organisme international que dans celle des quatre Grands.
Les Grands ? Il y a aussi « les petits ». Il est bien évident que l’Assemblée générale est victime du nombre des États membres de l’ONU, qui sont tous sur un pied de totale égalité, de telle sorte que le Yémen a les mêmes droits que les États-Unis. Ces derniers ont présenté un projet de statut, aux termes duquel les « micro-États » ne seraient pas des membres à part entière de l’ONU Ce projet a peu de chances d’aboutir, car il équivaut à remettre en cause l’égalité de toutes les unités nationales, et il suppose une entente sur les critères permettant de définir un « micro-État » : le problème est, quant au fond, analogue à celui du suffrage des citoyens, car si le suffrage n’est pas universel, il faut fixer les conditions dans lesquelles certains citoyens seulement ont le droit de vote. La France propose une autre formule : le groupement des micro-États – une formule de « confédération pour la représentation internationale » par laquelle un groupe d’États pourrait être représenté à tour de rôle par l’un d’entre eux. Le débat est ouvert. Mais, sur ce point encore, les opinions publiques restent à peu près indifférentes.
* Les précisions entre crochets ont été ajoutées en octobre 2019.
(1) Georges Lefranc : « L’Organisation Internationale du Travail a cinquante ans », Revue de Défense Nationale, novembre 1969.