Aéronautique – Le Pentagone face aux problèmes budgétaires – Création de la Société nationale aérospatiale – Les satellites et la navigation aérienne
Le Pentagone face aux problèmes budgétaires
En cette période de fin d’année où la préparation du budget 1970 est une préoccupation primordiale des gouvernements, les attaques subies par le ministère de la Défense américaine quant au volume des crédits militaires ont conduit à une violente critique du Bureau d’Analyse des systèmes qui, sous l’impulsion de M. McNamara [secrétaire à la Défense], était chargé de la rationalisation des choix budgétaires sous l’administration Johnson.
Plusieurs articles parus dans la presse américaine, en particulier dans l’hebdomadaire Aviation Week, font état de la violente campagne menée aux États-Unis pour une réduction des crédits militaires, campagne soutenue par une opinion publique extrêmement sensibilisée. Il nous a paru intéressant de rapporter dans cette chronique les raisons qui en sont données ainsi que la réaction du Pentagone.
Au dire de l’éditorialiste Robert Hotz, le mécontentement général provient en grande partie de la guerre du Vietnam qui, sans résultats tangibles, traîne en longueur et soulève une répulsion croissante de la part des jeunes gens et des familles, mais aussi de l’accroissement continu du budget militaire dont une partie pourrait plus utilement servir à résoudre les problèmes sociaux.
Les incidents malheureux de Corée du Nord (affaire du « Pueblo » et de l’avion de reconnaissance électronique), les rumeurs jetant le discrédit sur les troupes du Vietnam, les commandes en série d’appareils ou armements inadaptés se combinent pour créer le sentiment que les militaires devraient être plus sévèrement contrôlés et critiqués dans leur utilisation des deniers publics et de la jeunesse américaine.
Si, dans l’ensemble, les premiers votes du Congrès n’ont pas été défavorables aux programmes militaires, il ressort du moins qu’à l’avenir le Pentagone devra justifier pleinement ses options avant d’obtenir un accord et que le Bureau d’analyse des systèmes (correspondant au système 3 PB [planification, programmation, préparation du budget] à l’étude à la Défense nationale française) devra retrouver son rôle original de conseiller qu’il avait peu à peu transformé en un organisme tout puissant de prise de décision.
Conscient des critiques qui lui sont faites et devant la nécessité absolue de procéder à des restrictions budgétaires, le Bureau d’analyse des systèmes a été amené à proposer au secrétaire d’État à la Défense non seulement la suspension des programmes à la pointe du progrès technique mais également l’arrêt de matériels en service.
Les économies ainsi réalisées atteindraient 300 millions de dollars au cours des années fiscales 1970 et 1971 et seraient obtenues de la façon suivante :
– Abandon des projets de chasseurs très évolués F-14 et F-15 destinés à la Navy et à l’Air Force au profit d’appareils plus légers avec système de radar et conduite de tir rudimentaire tout en conservant un rapport poussée-poids équivalent ;
– Retrait de dix sous-marins atomiques armés de Polaris type Lockheed 598-608 dès la mise en service des navires équipés de Poseidon. La façon la plus économique de s’en débarrasser serait de les couler purement et simplement au milieu de l’océan ;
– Suspension momentanée des crédits accordés au développement du programme de porte-avions à propulsion nucléaire et prolongation de quatre ans de vie de certains porte-avions de la classe « Hancock » ;
– Arrêt de la commande du 4e escadron de C-5A (transport logistique lourd) compensé par une augmentation du taux d’utilisation des appareils en service et l’achat de quelques C-141 ;
– Annulation du projet de la Navy VSX, appareil de lutte anti-sous-marine embarqué destiné à remplacer le Grumman S-2 ;
– Désarmement de trois à cinq porte-avions et de leurs escadres de lutte anti-sous-marine, et de cinq navires de défense aérienne dotés d’engins Talos et Terrier jugés périmés ;
– Réduction de la commande de F-III D, chasseurs à géométrie variable et remplacement de l’équipement électronique de pointe prévu par un matériel moins évolué et moins coûteux ;
– Expectative quant aux besoins de l’Armée de terre en missiles sol-air Raytheon ;
– Diminution de la charge portante (20 t au lieu de 40 t) pour le projet d’hélicoptère grue. En matière de voilures tournantes, le programme d’hélicoptère rapide armé AH-56A a été également arrêté en cours d’année car trop cher et en retard sur les délais de réalisation.
En dépit de violentes attaques comme celle du sénateur Proxmire contre le C-54, nombre de propositions du Bureau d’Analyse de systèmes n’ont pas été retenues et vraisemblablement le potentiel de guerre américain n’en sera guère amoindri.
Toutefois, le Pentagone se doit de revoir rapidement ses concepts stratégiques de défense et de porter toute son attention à « la manœuvre globale de préparation dans laquelle la science, la technique, l’art militaire, l’organisation industrielle et l’économie ont leurs parts, étroitement imbriquées d’ailleurs » (1).
Ce n’est qu’à ce prix que le Pentagone retrouvera son crédit auprès du public et la confiance du Congrès dans sa capacité à réaliser les objectifs nationaux de défense de son pays.
Création de la Société nationale aérospatiale
Au cours du Conseil des ministres du 8 octobre 1969, la décision a été prise de regrouper en une seule société, la Société nationale aérospatiale (SNA), les trois grandes firmes : Sud-Aviation, Nord-Aviation et SEREB (Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques).
Succédant à de nombreux regroupements dans l’industrie chimique et automobile, la fusion de ces trois firmes aéronautiques était indispensable si la France veut pouvoir faire face avec réalisme au futur développement de l’aéronautique dont les projets sans cesse croissants ne sont plus à la mesure des sociétés existantes. La floraison des programmes établis en coopération nationale ou internationale en fournit une preuve évidente. La SNA est constituée en société d’économie mixte avec des représentants de l’État dans le conseil d’administration, tandis que le poste de président-directeur-général est confié à M. Henri Ziegler, actuel président de Sud-Aviation.
En regroupant les activités d’études, de fabrication et de vente des avions, hélicoptères, fusées et engins des trois fûmes, la SNA emploiera environ 40 000 personnes avec un chiffre d’affaires de 2,3 milliards de francs. Bien qu’atteignant la taille des firmes britanniques BAC (British Aircraft Corporation) ou Hawker Siddeley, la SNA ne disposera pas pour autant en France du monopole en matière aérospatiale, l’Aéronautique Marcel Dassault, renforcée de Breguet, et la Société Matra demeurent des concurrents non négligeables grâce à la valeur unanimement reconnue de leurs bureaux d’études et de leurs productions.
La création de la SNA nous fournit l’occasion de rappeler brièvement les principales réalisations, en collaboration ou non, propres à chacune des trois firmes.
Sud-Aviation emploie environ 26 000 ouvriers et s’occupe particulièrement d’avions civils et militaires, d’hélicoptères, d’engins, de fusées-sondes, de satellites et de lanceurs.
La Caravelle, sans cesse améliorée depuis son premier vol en 1959, a été construite à plus de 220 exemplaires et est en grande partie à l’origine de la réputation mondiale de Sud-Aviation, encore accrue grâce [au] Concorde dont les essais se montrent particulièrement encourageants.
En liaison avec l’Allemagne, Sud-Aviation poursuit l’étude de l’Airbus A300B, court-moyen courrier de 250 places.
Il ne faut pas oublier non plus que Sud-Aviation est le grand spécialiste français des hélicoptères dont les différents modèles équipent une trentaine d’armées étrangères. La production totale a dépassé 1 500 unités (Alouette II, Alouette III, Djinn). Le SA341, hélicoptère léger utilitaire, d’une conception technique très avancée doit, à partir de 1970, prendre la relève de l’Alouette II. Le SA330 « hélicoptère de manœuvre », transport tactique biturbine a été conçu pour répondre aux impératifs opérationnels des armées françaises et anglaises. SA330 et SA341 seront produits en coopération avec la firme britannique Westland. Enfin, on ne peut passer sous silence le Super Frelon, hélicoptère amphibie tous temps pouvant transporter de 34 à 37 passagers à 240 km/h sur 200 km ou participer à la lutte anti-sous-marine.
Sud-Aviation est également associé à Potez pour la production des Fouga Magister et à la Socata pour celle des avions légers Rallye ou Horizon.
En ce qui concerne les fusées-sondes, Sud-Aviation est spécialisé dans les véhicules à propergols solides (Bélier, Dragon, Dauphin).
Nord-Aviation, avec 10 000 personnes, s’occupe principalement d’avions civils et militaires, de missiles, de turboréacteurs et participe au projet du satellite Symphonie.
L’appareil le plus répandu demeure le N2501, construit à 400 exemplaires dont 135 sous licence en Allemagne. Il équipe le transport militaire français et allemand et commence à être remplacé par le C-160 Transall fruit de la coopération Nord-Mersserchmitt-Bolkow. Le C-160, biturbopropulseur pouvant transporter 8 t à 4 500 km a été commandé à 150 exemplaires : 100 par l’Allemagne, 50 par la France.
Le Nord 262, primitivement appelé Super Broussard, est destiné à remplacer le vieux DC-3 ; transportant 25 passagers sur 1 500 km il est utilisé en France et à l’étranger pour l’exploitation de lignes intérieures (Japon, États-Unis).
Avant même la création de la SNA, Sud et Nord travaillaient en commun à la réalisation d’un biréacteur de transport léger et d’affaires, le SN-600.
Nord-Aviation est également le principal constructeur français d’engins tactiques sol-sol (Milan, SS-11, SS-12) ou air-sol (AS-11, AS-12, AS-20, AS-30), et d’engins cibles (CT20, C30).
Après avoir mis au point l’engin de reconnaissance R20, Nord-Aviation s’est vu confier le programme Pluton, futur système d’arme atomique monté sur châssis AMX devant équiper l’Armée de terre ainsi que le système d’arme de défense aérienne à basse altitude Roland.
Enfin, il faut mentionner dans le domaine expérimental la réalisation du Nord 500, muni d’une aile basculante équipée de deux hélices carénées. Cet appareil est destiné à l’étude et à la mise au point des futurs ADAV (avions à décollage et atterrissage courts).
SEREB, avec des effectifs d’environ 1 000 personnes, est orientée essentiellement vers les engins balistiques et lanceurs spatiaux.
Sous l’égide de la Direction technique des engins de la Délégation interministérielle à l’armement, la SEREB a été chargée de la mise au point des deuxième et troisième composantes de la force de frappe nucléaire française : le Sol-sol balistique stratégique (SSBS) de portée intermédiaire comporte deux étages à poudre pesant respectivement 16 et 10 tonnes ; le Mer-sol balistique stratégique (MSBS), également de portée intermédiaire, pourra être tiré des sous-marins en plongée et comprend deux étages à poudre de 10 et 4 tonnes.
Les satellites et la navigation aérienne
Malgré les énormes progrès réalisés en matière de navigation aérienne, en particulier avec le développement des systèmes autonomes de navigation à partir d’une centrale à inertie ou de l’effet Doppler, la crainte d’une erreur grossière non détectée n’a pas encore permis de réduire les standards d’espacement sur les trajets transocéaniques qui demeurent fixés à 120 milles nautiques soit environ 220 km.
L’extension du trafic, que ce soit au-dessus du Pacifique ou de l’Atlantique, exige que de nouvelles méthodes soient rapidement mises au point pour permettre un écoulement plus rapide du trafic dans des conditions de sécurité au moins égales sinon améliorées. Les études en cours, que ce soit en Amérique ou en Europe et en particulier en France, portent essentiellement sur l’utilisation des satellites de communication utilisés dans le double but de fournir une localisation des appareils en vol et une retransmission des communications air-sol ou sol-air.
Les études ou expérimentations en cours portent sur deux types de bandes de fréquences, VHF ou UHF (1540 à 1660 Mes). Les avantages de l’un ou l’autre système n’ont pu encore être complètement définis, mais il faut signaler que dans les deux cas, les problèmes techniques ne sont pas encore totalement maîtrisés surtout dans la réalisation des antennes.
Le principe général est le même et consiste en l’utilisation de deux satellites en orbite équatoriale synchrone retransmettant des signaux codés suivant une fréquence extrêmement stable contrôlée à partir d’une station sol. Les avions en vol disposent de « transpondeurs » et la mesure de distance peut être fournie soit par une mesure de temps soit par une exploitation de l’effet Doppler si l’on utilise simultanément plusieurs fréquences. Cette dernière méthode est préconisée par la France qui a entrepris d’importants travaux dans ce domaine depuis 1966, sous l’égide du CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et du Service Technique de la navigation aérienne.
L’ensemble émission-réception de bord qui sera essayé au printemps prochain a été mis au point par la société TRT (Télécommunications Radio-électriques et Téléphoniques) tandis que l’antenne à balayage électronique est le fruit des études de l’Elecma (division électronique de la SNECMA). On peut envisager la localisation de l’avion, soit par la station au sol, soit directement à bord par mesure de temps à condition de disposer d’une horloge atomique ou à cristal. Des canaux supplémentaires de transmissions de données sont prévus pour véhiculer les ordres du contrôle ou les communications des compagnies aériennes.
L’argument immédiat en faveur de la bande L (UHF) est de pouvoir fournir de plus grandes largeurs de bande et autoriser une précision de l’ordre du mille nautique (1 852 m). Mais sur le plan financier, la VHF, dont on peut attendre une précision de 3 à 5 MN, a l’immense avantage de pouvoir être utilisée après quelques aménagements à partir des postes émetteurs-récepteurs installés sur tous les appareils des flottes commerciales. Néanmoins les expérimentations en bande L doivent se dérouler au printemps prochain avec l’utilisation d’un satellite ATS-E construit par Hughes au profit de la NASA. L’agence fédérale de l’aéronautique américaine fournira un C-135 et la France un autre appareil.
Quel que soit le choix final qui sera dicté par des considérations financières et techniques, il apportera une amélioration sensible à la sécurité des vols transocéaniques, sécurité indispensable au développement futur du trafic intercontinental.
(1) Louf Pierre, « La rationalisation des choix en matière de préparation militaire de la Défense », Revue Défense Nationale, août-septembre 1969.