Outre-mer – En Zambie, la nationalisation récente des mines de cuivre est un test capital pour l’avenir du pays – En Somalie, le coup d’État du 21 octobre appelle à nouveau l’attention sur la corne orientale d’Afrique – Au Nigeria, la situation militaire n’a guère évolué
En Zambie, la nationalisation récente des mines de cuivre est un test capital pour l’avenir du pays
Le 11 août dernier, le président Kenneth Kaunda, chef de l’État zambien, a annoncé, à l’issue du congrès du Parti unifié de l’indépendance nationale [United National Independence Party, UNIP], parti majoritaire dont il est le leader, un certain nombre de mesures importantes parmi lesquelles on pouvait relever l’interdiction du droit de grève, le blocage des salaires, l’annonce d’impôts accrus sur les revenus importants mais aussi et surtout la nationalisation de l’industrie du cuivre, principale richesse du pays. Cette décision, survenant après les remous politiques de cet été, n’a pas manqué de soulever de nombreux commentaires.
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Ancien protectorat britannique, la Rhodésie du Nord fut autrefois l’un des territoires de l’ex-Fédération d’Afrique Centrale qui comprenait en outre la Rhodésie du Sud et l’actuel Malawi. Il groupait à peu près 2 500 000 Africains répartis entre quelques 80 tribus, 75 000 Blancs et environ 11 000 Asiatiques vivant dans un vaste ensemble où la nature n’avait pas constitué de véritables frontières, mais où les hasards de la colonisation avaient, là comme ailleurs, découpé des entités administratives et politiques qui devaient évoluer différemment et qui avaient chacune leurs problèmes spécifiques.
Pour la Rhodésie du Nord – devenue en 1964, la Zambie indépendante – le fond du tableau c’était d’abord [la région de] Copperbelt, [soit, littéralement] la ceinture cuprifère, avec ses gisements immenses, ses immenses besoins de main-d’œuvre, ses liens fonctionnels multiples avec ses voisins pour l’exportation des minerais, avec la Rhodésie du Sud surtout d’où provenait en particulier le charbon. Mais c’était aussi une sorte de discrimination raciale de fait qui se traduisait jusque dans la disparité des salaires, et aussi une sourde opposition d’un nationalisme naissant pouvant aller jusqu’à la haine ou la violence face au petit groupe des Blancs qui contrôlait l’économie mais craignait cette supériorité du nombre.
Sans doute aujourd’hui, sous l’impulsion habile du président Kaunda, les choses ont-elles évolué dans le sens de la conciliation. Mais les données fondamentales de la géologie et de la géographie humaine sont demeurées les mêmes alors que l’affaire rhodésienne oblige à des reconversions coûteuses au moment où la Zambie, qui cherche à développer ses richesses, se heurte aux difficultés de sa construction nationale.
L’affaire rhodésienne domine en effet dans son ensemble toute la politique zambienne. En cherchant à appliquer le programme de sanctions votées par l’ONU, la Zambie s’est engagée dans une voie difficile. Elle se trouve être aujourd’hui, avec une production annuelle de 750 000 tonnes, le troisième pays producteur de cuivre dans le monde, après les États-Unis et l’URSS, mais avant le Chili. Tous ses espoirs de développement reposent ainsi sur le cuivre qui lui procure la moitié de ses revenus et représente 95 % de ses exportations. Il s’agit donc pour elle de mener à ce sujet une politique à la fois réaliste et prudente, tout en cherchant à rompre les nombreux liens économiques qui peuvent la lier encore avec la Rhodésie. Aussi peut-on voir petit à petit se diversifier les sources d’approvisionnements et les aides, en même temps que s’établissent de nouvelles voies d’écoulement des produits, qui cherchent à éviter, pour les mêmes raisons politiques, le transit par les territoires portugais. Aussi ne doit-on pas être surpris ni des tentatives faites pour secouer le joug des puissantes sociétés minières qui ont des intérêts en Rhodésie ou en Afrique du Sud, ni des liens qui ne cessent de se renforcer avec la Tanzanie, puisque « la voie nationale congolaise » ne peut à l’heure actuelle absorber cet important trafic.
Sur le plan de la politique intérieure et pour parfaire la construction nationale, le président Kaunda s’est efforcé depuis l’indépendance, de créer un sentiment d’unité nationale. Face au loyalisme parfois douteux d’une population blanche pourtant indispensable au fonctionnement d’une économie complexe, il doit lutter contre les rivalités tribales qui sont encore très vives comme en témoignent les rivalités politiques qui se calquent en général sur les oppositions des ensembles ethniques. Son propre parti, l’UNIP ? est en fait le parti des Bemba, ethnie prédominante du Nord, et il n’est pas exempt de dissensions internes.
L’opposition, c’est celle de l’ANC – African National Congress – dont le noyau le plus important est celui des Tonga du Sud, à laquelle est venue s’adjoindre l’aristocratie des Lozi, c’est-à-dire celle des Barotze qui au temps du protectorat, jouissaient d’une autonomie politique et administrative plus grande que celle des autres districts. Toutes ces oppositions encouragent à l’occasion les revendications coûteuses des mineurs ou exploitent les mécontentements de ceux qui ne peuvent plus aller travailler en Rhodésie ou en Afrique du Sud ou de ceux qui sont réduits au chômage à la suite du départ de certains colons blancs généralement découragés. Les unes comme les autres paraissent vouloir ignorer l’ampleur et les difficultés des problèmes économiques auxquels la Zambie doit faire face, mais leurs réactions xénophobes ou démagogiques sont des réalités que l’on retrouve aussi parmi certains membres taxés d’extrémistes dans la majorité au pouvoir et on ne peut pas l’ignorer.
Poursuivant sa politique de « zambianisation » de l’administration et des postes importants de la vie politique et économique du pays, le président Kaunda avait déjà décidé en 1968 d’imposer le contrôle de l’État à 25 grandes sociétés industrielles et commerciales britanniques et sud-africaines, les obligeant en particulier à investir en Zambie la moitié au moins de leurs bénéfices. Mais certains extrémistes ont jugé ces mesures insuffisantes et ces critiques s’ajoutant à d’autres d’origines diverses, ont déterminé au sein même du parti UNIP de très vives tensions qui atteignirent leur point culminant en août dernier au moment de la session du Conseil national de l’UNIP.
Pour mettre un terme à cette agitation qui menaçait l’unité du parti, le Président s’est résolu à annoncer le 11 août la mise en application d’un programme en 30 points, établi pour faire prendre à la Zambie le contrôle de son économie. C’est dans ce cadre que le gouvernement a alors invité les sociétés minières à lui céder 51 % des actions de leurs mines afin, devait-il être précisé, « d’engager la Nation sur la voie de l’indépendance économique ». Les sociétés minières relèvent en Zambie de deux grands groupes : L’Anglo American Corporation, filiale de l’Anglo American Corporation d’Afrique du Sud dont Harry Oppenheimer est le président et le principal actionnaire, et la Roan Selection Trust dont les actions sont détenues par l’American Metal Climax de New York. L’ensemble des investissements de ces groupes serait estimé à environ 60 milliards de francs.
Des négociations se sont engagées dès la fin du mois d’août dans un climat assez favorable avec la Société nationale zambienne INDECO – Industrial Development Corporation – mais elles risquent de durer encore plusieurs semaines. Il s’agit de déterminer le montant et les modalités des indemnisations des compagnies étrangères intéressées et de mettre au point les accords qui permettront de poursuivre efficacement l’exploitation des mines. Les mines de cuivre existantes obtiendraient un bail de 25 ans, et les sociétés de prospection auraient un délai de trois ans pour soumettre des plans d’exploitation pour les régions prospectées. Le gouvernement se réserverait le droit d’autoriser d’autres groupes étrangers à prospecter en Zambie sur la base d’un bail de 25 ans et d’une participation de 51 % du gouvernement zambien. Cependant, une ombre provisoire se dessine au tableau : il semble que la production du cuivre va connaître sous peu une réduction sensible en raison de la diminution des fournitures rhodésiennes de charbon au cours des trois derniers mois.
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Quoi qu’il en soit, l’importance du problème ainsi posé ne saurait échapper. Le succès ou la faillite de l’opération paraît bien devoir dépendre du sort qui sera réservé aux techniciens blancs du Copperbelt autant que de la confiance que les Zambiens auront su inspirer dans la gestion de cette énorme entreprise.
En Somalie, le coup d’État du 21 octobre appelle à nouveau l’attention sur la corne orientale d’Afrique
Le 15 octobre dernier, le président de la République de Somalie, M. Abdirashid Ali Shermarke, alors en tournée d’inspection dans le Nord du pays récemment éprouvé par une sécheresse prolongée, était assassiné par un policier pour des motifs et dans des conditions qui restent encore assez mal connues. Diverses mesures de sécurité furent aussitôt prises dans les provinces du Nord ainsi que dans la capitale, tandis que le Premier ministre M. Egal, alors en visite aux États-Unis, regagnait rapidement son pays. Les obsèques du président Shermake devaient se dérouler dans le calme le 20 octobre en présence de nombreuses délégations étrangères et en particulier d’un ministre soviétique, tandis que le Parlement se préparait à élire dans les délais constitutionnels le nouveau président.
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C’est dans la nuit du 20 au 21 octobre que, par surprise, l’armée et la police ont pris le pouvoir sans aucune effusion de sang d’ailleurs et selon une technique bien classique. Tandis que des troupes et des blindés quadrillaient la capitale, que les bâtiments publics étaient occupés, que les communications téléphoniques étaient suspendues et les aérodromes fermés, les membres du gouvernement étaient consignés à leur domicile et la « radio du peuple somalien » proclamait l’avènement d’un « Conseil supérieur révolutionnaire ». On sait maintenant que ce « Conseil suprême » comprend 21 membres, qu’il est présidé par le général Mohamed Syad [Mohamed Siad Barre], commandant en chef de l’Armée, qui s’est adjoint comme vice-présidents le chef de la police et le chef d’état-major de l’Armée ainsi qu’un autre général, sept colonels, sept majors et sept capitaines.
Ce n’est qu’au début de novembre que devait être formé un nouveau gouvernement de 14 membres, hauts fonctionnaires pour la plupart et dont le seul membre militaire est le général Korshel, par ailleurs chef de la police et chargé des affaires intérieures.
Dans des déclarations diverses la nouvelle équipe au pouvoir devait tour à tour annoncer l’abolition de la Constitution, la dissolution du Parlement, la nomination prochaine de conseils révolutionnaires et de districts dans les provinces. Elle devait également préciser qu’elle entendait, sur le plan de la politique extérieure, conserver des relations amicales avec ses voisins mais qu’elle était décidée à apporter son aide aux mouvements de libération africains.
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Il n’est peut-être pas sans intérêt de rappeler que c’est sous le premier gouvernement somalien indépendant que présidait alors M. Shermake, que le Parlement, sous la pression populaire, fut amené à voter en 1963, la rupture des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne tandis que s’aggravait le climat de tension avec l’Éthiopie et le Kenya à propos des différends frontaliers. Les partisans de la « Grande Somalie » en effet revendiquaient alors les territoires peuplés de Somalis au Nord du Kenya [Northern Frontier District ou NFO], au Sud-Est de l’Éthiopie (Ogaden) et au Sud du TFAI [Territoire français des Afars et des Issas] (Djibouti).
C’est également sous le premier gouvernement Shermake que furent conclus, à la suite de voyages à Moscou et à Pékin, des accords d’assistance militaire et économique avec l’URSS et la Chine populaire, qui font qu’aujourd’hui, l’armée somalienne est dotée d’un matériel moderne important mais qu’elle est entièrement dépendante de l’URSS tant sur le plan de la logistique qu’en ce qui concerne l’aide technique.
Cependant, après une courte éclipse, le président Shermake accéda à la magistrature suprême et fit appel, en juillet 1967, à M. Egal, ancien Premier ministre de l’ex-Somaliland, pour présider le nouveau gouvernement. Ce dernier héritait d’une situation économique difficile que devait encore aggraver la fermeture du canal de Suez. Le gouvernement Egal fut ainsi amené à définir une politique plus équilibrée entre l’Est et l’Ouest. Les contacts avec la Grande-Bretagne et l’Italie furent renoués tandis qu’il était fait appel, indépendamment de l’aide déjà sollicitée à l’Est, à des capitaux et des experts occidentaux. Dans le même temps, le nouveau gouvernement, profitant du quatrième sommet de l’OUA [organisation de l’unité africaine], reprenait le dialogue avec ses voisins et mettait en veilleuse les revendications territoriales des partisans de la « Grande Somalie ».
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Le nouveau régime qui vient de prendre le pouvoir à Mogadiscio semble animé par les principes d’un nationalisme progressiste qui devrait en particulier s’efforcer de parfaire la construction nationale en luttant contre la corruption, le népotisme et le tribalisme tandis qu’au plan extérieur il a déjà déclaré qu’il respecterait les accords intervenus entre la Somalie et les pays étrangers.
Ainsi l’attention est-elle à nouveau appelée sur la corne orientale de l’Afrique au moment où le nouveau régime somalien s’organise tandis que l’Éthiopie continue de faire face à la rébellion en Érythrée et que le Kenya connaît de nouveaux remous politiques.
Au Nigeria, la situation militaire n’a guère évolué
Au cours du mois d’octobre, les opérations militaires se sont poursuivies au Nigeria, mais dans l’ensemble la situation n’a guère connu de changements. Sur le plan humanitaire les vols de secours de la Croix-Rouge internationale n’ont toujours pas repris. Sur le plan diplomatique aucun accord n’est encore intervenu pour l’ouverture de négociations de paix.
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C’est ainsi que sur le front nord du réduit biafrais, les combats se sont poursuivis sans résultats décisifs entre les éléments de la 2e division fédérale qui s’efforçaient de déboucher au Sud de l’axe Onitsha-Awka et les troupes de la 2e division biafraise engagées sur ce front. À l’Est les Fédéraux ont fait effort à partir de la région d’Okigwe en direction de l’aérodrome biafrais d’Uga, à 50 km nord-est d’Owerri, mais ils n’ont pu entamer la résistance des éléments de la 15e division biafraise.
Dans le Sud, les Biafrais de leur côté se sont efforcés d’accentuer leur pression en direction de Port Harcourt et de violents combats se sont déroulés dans les secteurs d’Igrita (50 km au Sud d’Owerri) et de Owaza (60 km au Sud d’Owerri) où les sécessionnistes ont réussi cependant à occuper quelques puits de pétrole.
L’aviation fédérale, quant à elle, est demeurée active, bombardant notamment la piste d’UIi et le PC de la 15e division biafraise qui fut, semble-t-il, assez sérieusement éprouvé. L’aviation biafraise, pour sa part, a attaqué avec succès des installations pétrolières dans la région d’Oleh à une centaine de kilomètres au Sud de Benin City et l’aérodrome de ce dernier centre où un avion de transport fédéral aurait été détruit.
Ainsi, dans l’ensemble, ces opérations de portée limitée, n’ont-elles pas modifié sensiblement les positions des adversaires.
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Cependant, du côté fédéral, les troubles déjà signalés dans l’État de l’Ouest paraissent encore s’être accentués. Cette agitation qui s’inscrit dans le cadre des rivalités ethniques et politiques qui caractérisent depuis longtemps la vie intérieure de cette région, préoccupe évidemment les autorités fédérales qui auraient été dans l’obligation, pour y faire face, de renforcer les moyens militaires du gouverneur de cet État.
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Pendant ce temps, les délégués de la Croix-Rouge internationale n’ont pu obtenir un accord des deux adversaires qui leur aurait permis de reprendre leurs vols de secours. Le ravitaillement des populations biafraises repose donc toujours sur les ponts aériens mis en œuvre à Libreville [au Gabon] et à Sao Tomé par la Croix-Rouge française et la Joint Church Aid, en dépit des risques encourus. Un avion de cette dernière organisation s’est d’ailleurs écrasé le 27 septembre près d’Uli, entraînant la mort des cinq membres de l’équipage.
Ainsi l’état sanitaire et alimentaire des populations touchées par le conflit demeure toujours aussi critique.
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Sur le plan diplomatique, de nombreux contacts ont eu lieu sous l’égide de l’OUA pour tenter d’amorcer un dialogue. Mais les efforts déployés sont demeurés apparemment sans effets. Ainsi, l’affrontement militaire doit-il encore se poursuivre. Une nouvelle offensive fédérale à la fin de la saison des pluies n’est d’ailleurs pas exclue.