Outre-mer – En Afrique du Sud, création de nouveaux bantoustans – En Rhodésie, le nouveau code électoral et les projets de législation foncière accentuent la tendance à l’apartheid – Conclusion d’un nouvel accord pour la construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie – Nigeria, offensive des Forces fédérales contre le réduit biafrais
En Afrique du Sud, création de nouveaux bantoustans
Créé en 1963, le Transkaï [Transkei] * a été le premier des bantoustans – États bantous – à être doté d’institutions propres, gouvernement et parlement en partie élu. L’an dernier, le gouvernement sud-africain s’est décidé à accélérer la mise en place d’autres bantoustans, et c’est ainsi qu’ont été successivement créés le Ciskei en novembre 1968, le Tswanaland en décembre 1968, le Sotholand méridional [le QwaQwa] en avril 1969 et enfin en août 1969 le Sotholand septentrional [le Lebowa], tous dotés d’institutions semi-autonomes qui doivent servir selon les Sud-Africains de transition avant la mise en place d’institutions semblables à celles du Transkaï.
C’est dans le cadre de cette politique que deux nouveaux Bantoustans viennent d’être créés.
Il s’agit des territoires :
– Du Vendaland [Venda] qui, dans le nord du Transvaal, couvre une superficie d’environ 7 500 km2, y compris deux petites enclaves en zone blanche. Bordé au nord par le fleuve Limpopo et ses affluents, il est habité par environ 300 000 Vandas, dont certains groupes débordent au-delà de la frontière en territoire rhodésien.
– Du Tsongaland [le Gazankulu], qui regroupe à l’est du Vendaland 500 000 Shangaans-Tsongas, répartis sur plus de 7 800 km2, en deux régions bordant la partie nord du parc Kruger.
L’économie de ces territoires est de type tropical. Elle est essentiellement agricole : culture de céréales, de légumes et de fruits notamment dans les zones irriguées grâce aux rivières relativement bien alimentées. Quelques cultures industrielles ont été entreprises, coton et sisal en particulier. L’élevage des bovidés, des moutons ou des chèvres vient s’ajouter à ces activités. Des prospections ont révélé d’autre part l’existence de minerais de cuivre, de nickel, de graphite et quelques pierres précieuses, mais ces gisements ne sont pas encore exploités.
Les dispositions institutionnelles qui viennent d’entrer en vigueur prévoient la mise en place :
– D’un Conseil exécutif de six membres dont chacun est responsable d’un « département ministériel » finances et affaires publiques, justice, agriculture, travaux publics, éducation et culture. Un chief councillor [soit, en français, conseiller en chef ou conseiller principal] préside cet embryon de Cabinet et est appelé petit à petit à se substituer au Commissaire du gouvernement qui jusqu’ici administrait ces territoires.
– D’une Assemblée territoriale, formée de délégations de deux membres des différentes tribus – le chef de tribu et un représentant du Conseil tribal.
– D’une Administration africaine, encore supervisée par des fonctionnaires blancs, mais qui est appelée elle aussi à prendre progressivement la direction des affaires du pays.
Selon les autorités sud-africaines, c’est l’Assemblée territoriale qui détient le pouvoir et prend les décisions. Mais il semble bien qu’un rôle prépondérant soit réservé à l’embryon de Cabinet et en particulier au chief councillor, choisi parmi les chefs de tribus les plus influents. Son autorité dépendra évidemment de sa personnalité, car chaque tribu garde encore une réelle autonomie et la tâche du Conseil n’en sera pas simplifiée pour autant.
Ainsi cette combinaison de traditions africaines et d’usages parlementaires paraît-elle être de nature à amorcer quelques progrès. Elle satisfait sans doute les chefs traditionnels qui voient leur autorité confirmée, sinon renforcée, mais elle n’intéresse peut-être pas encore la masse de populations qui vivent paisiblement selon des modes de vie encore archaïques dans des régions où l’apartheid est beaucoup moins perceptible et choquant que dans les zones blanches. La formule adoptée qui laisse évidemment la réalité du pouvoir entre les mains de la nation protectrice est néanmoins susceptible d’évoluer. Elle paraît, au moins en attendant, offrir l’avantage de préparer les élites noires des réserves à de plus grandes responsabilités administratives et politiques.
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En Rhodésie, le nouveau code électoral et les projets de législation foncière accentuent la tendance à l’apartheid
Les premières élections générales prévues aux termes de la nouvelle constitution républicaine rhodésienne doivent en principe se dérouler au mois d’avril prochain, le parlement actuel ayant été dissous. C’est ce qu’a déclaré récemment le Premier ministre rhodésien [Ian Smith], précisant d’ailleurs que cette nouvelle constitution ne favorisait en rien la séparation des races et ne reléguerait pas les Africains au rang de citoyens de seconde classe.
Cependant, un projet de code électoral et un projet de législation foncière viennent d’être soumis à l’actuel Parlement rhodésien dans le but de compléter le code institutionnel qui doit déboucher en mai 1970 sur le nouveau régime républicain. C’est ainsi qu’il est prévu le découpage du territoire national en 50 circonscriptions, dont 18 à caractère rural et ces circonscriptions doivent grosso modo comporter le même nombre d’électeurs. Huit d’entre elles seront réservées à huit députés africains élus des zones d’établissement autochtone. Les électeurs seront désignés selon un système censitaire différent pour les Européens et les Africains en fonction à la fois et du degré d’instruction et des ressources financières des citoyens.
Cela revient en fait à limiter le corps électoral à environ 90 000 électeurs blancs sur un total approximatif de 230 000 habitants, et environ 12 000 noirs sur une population de l’ordre de 4 800 000 environ. D’autre part, le projet de législation foncière doit entraîner l’abrogation du Land Apportionment Act qui datait de 1928 et qui jusqu’ici réservait aux Européens le tiers environ des terres cultivables. Selon le nouveau code foncier, les terres réservées aux Africains et celles réservées aux Européens le seront dans une proportion équivalente d’environ 46 % tandis que les 8 % restant demeureront terres domaniales. Dans ce système, Européens et Africains ne pourront s’établir, acquérir ou louer que dans leur zone de résidence exclusive, à l’exception de quartiers à caractère multiracial pour lesquels des dispositions particulières sont néanmoins prévues. Il est également envisagé que les Africains travaillant dans les centres urbains où dans les fermes européennes habiteront dans des townships [quartiers pauvres habités par des non-Blancs] gérés par les municipalités ce qui revient en fait à leur retirer les droits civiques. Dans les zones africaines enfin, la seule autorité de droit sera représentée par le chef coutumier.
Ces deux projets ne vont certainement pas manquer de provoquer des critiques et notamment celles des députés africains de l’actuel Parlement, d’autant plus d’ailleurs que l’application du nouveau code foncier devrait entraîner le déplacement de plus de 10 000 familles africaines, transférées d’autorité dans d’autres zones d’occupation. Déjà certains chefs coutumiers sont en lutte ouverte avec l’administration comme en témoigne l’affaire du chef Tangwena qui refuse d’abandonner ses terres pour aller s’implanter ailleurs.
Ainsi ces nouveaux projets sont-ils de nature à accentuer en Rhodésie la tendance à un système de développement séparé qui s’apparente à celui de l’Afrique du Sud. Cette évolution est susceptible d’aviver les tensions en favorisant notamment chez les Africains un sentiment de frustration qui à la longue pourrait rendre presque inévitable un affrontement racial. Cela ne semble pourtant pas préoccuper à l’heure actuelle la grande majorité des Blancs bien que quelques-uns d’entre eux envisageraient déjà de s’expatrier ailleurs.
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Conclusion d’un nouvel accord pour la construction du chemin de fer Tanzanie-Zambie
Le 15 novembre dernier, les gouvernements tanzanien et zambien ont signé à Lusaka avec les représentants de la Chine populaire un accord concernant le financement et la construction de la ligne de chemin de fer qui doit relier les deux capitales.
Cet accord intervient après de nombreuses études et de longues négociations. Les deux gouvernements africains intéressés se sont d’abord adressés à des sociétés occidentales et à la Banque mondiale lesquelles ont fini par décliner l’offre, considérant l’opération comme non rentable. Les Africains se sont alors tournés vers le gouvernement de la Chine populaire qui au contraire a trouvé dans cette vaste entreprise de multiples avantages présents et à venir qui servent évidemment son prestige et ses intérêts tout en répondant au souhait actuel des Zambiens et des Tanzaniens.
Il s’agit en effet pour ces derniers d’une part, en ce qui concerne la Zambie, de diversifier les circuits traditionnels d’exportation de son cuivre, liés jusqu’ici aux voies rhodésiennes et portugaises et d’autre part, pour la Tanzanie, de bénéficier, en échange de sa participation à la réalisation du projet, des facilités de développement qui seront apportées aux régions méridionales de ce pays, particulièrement déshéritées du fait du manque de voies de communications.
Engagés par les accords préliminaires de septembre 1967 puis par les protocoles d’avril 1968, les 1 200 à 1 300 techniciens chinois, venus sur place pour effectuer le piquetage du tracé, devraient avoir terminé leurs travaux d’ici quelques mois.
L’accord qui vient d’intervenir à Lusaka est un nouvel accord partiel qui doit permettre à ces techniciens de terminer leurs travaux. Beaucoup d’éléments manquent encore pour déterminer le coût réel de l’entreprise. Aussi, les études se poursuivent-elles et de nouvelles négociations sont-elles prévues, les unes au début de l’an prochain, à l’issue des travaux de piquetage, les autres ultérieurement aux différentes phases des travaux d’exécution. Ces travaux, dont la durée est estimée à 5 ans, seraient financés par un prêt sans intérêt d’environ 150 millions de livres. Les Chinois fourniraient en outre la main-d’œuvre nécessaire et exigeraient des Africains l’achat en Chine de biens de consommation pour un volume correspondant aux sommes dépensées sur place pour le paiement et l’entretien de leurs personnels.
Si l’on en juge par le nombre élevé des techniciens, très discrets certes, qu’il a fallu envoyer pour la seule étude du tracé de la voie, on doit s’attendre à voir arriver à Dar es-Salaam, et pour au moins 5 ans, un contingent de main-d’œuvre particulièrement important. On assisterait ainsi à un phénomène apparemment semblable à celui vécu au début du siècle au moment où les Anglais firent appel à la main-d’œuvre hindoue pour la construction des premiers chemins de fer. Il est quand même peu probable qu’une fois leur travail terminé, les Chinois, comme le furent autrefois les hindous, soient autorisés à s’établir dans les deux pays intéressés qui ont pourtant besoin de main-d’œuvre spécialisée.
Quoi qu’il en soit, ce nouveau chemin de fer long de 1 800 km doit avoir une capacité de transport d’environ trois millions de tonnes par an. Il permettra ainsi à la Zambie d’acheminer sur Dar es-Salaam une grande partie de sa production cuprifère dans des conditions plus avantageuses que celles offertes par la voie routière, laquelle est en cours de modernisation grâce à l’aide occidentale.
En tout état de cause, cette opération chinoise, à caractère politique et économique est de loin la plus importante des activités de Pékin en Afrique. Elle mérite bien de retenir l’attention.
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Au Nigeria, offensive des Forces fédérales contre le réduit biafrais
Au cours du mois de novembre, les Forces fédérales ont accentué leur pression contre toutes les forces du réduit biafrais et ont contraint de ce fait les forces sécessionnistes à adopter une attitude défensive.
C’est ainsi que sur le front nord la 1re division fédérale a entrepris la réduction des derniers éléments de la 57e brigade biafraise qui opéraient encore aux environs d’Onitsha. Il semble que ces actions aient permis aux Fédéraux de marquer quelques succès dans ce secteur, notamment dans la région sud d’Aguleri. D’autre part, ces mêmes unités, récemment renforcées, ont exercé vers le sud une assez forte pression en direction générale de Newi [Nnewi], au sud de la route Onitsha-Enugu, tout en améliorant également leurs positions dans la région d’Awka.
Sur le front ouest, les éléments de la 2e division fédérale étalés nord-sud à hauteur de Kwale se sont efforcés de réoccuper les champs pétrolifères à l’ouest du Niger. Ils semblent avoir remporté initialement des succès notamment dans la région sud d’Asaba, mais paraissent en fin de mois avoir été contenus par les forces biafraises.
Dans le sud, les unités de la 3e division fédérale ont réussi à réoccuper au début de novembre, l’important centre pétrolier d’Owaza au nord de Port-Harcourt et atteint un peu plus tard le village d’Eberi. D’autres actions offensives ont également été menées au cours de la deuxième quinzaine du mois dans le secteur d’Ebocha, en direction de l’aérodrome d’Uli et dans les secteurs d’Ohoba à l’ouest d’Owerri et de Ozuza au sud d’Owerri, en direction de l’actuelle capitale biafraise ainsi menacée au sud-ouest et sud-est. Mais les unités biafraises semblent avoir réussi à contenir en général ces actions comme en témoignent les violents combats qui se sont déroulés le 19 novembre
Sur le front est, les Forces fédérales ont également été très active dans le secteur au nord d’Okigwi, mais là aussi, les Biafrais ont réussi à résister à ces pressions.
Dans chacun des deux camps, l’activité aérienne est demeurée fort vive. Le 30 octobre, l’aviation biafraise a attaqué avec succès deux pétroliers de nationalité inconnue dans l’embouchure du Forcados. Le 10 novembre, elle détruisait au sol sur les aérodromes de Port-Harcourt et d’Escravos plusieurs appareils fédéraux, deux Mig, un Iliouchine et quelques appareils de transport. L’aviation fédérale de son côté a continué ses bombardements sur l’aérodrome d’Uli, détruisant en particulier au sol le 2 novembre un DC-6 de la Joint Church Aid, et intervenant à plusieurs reprises en appui des troupes au sol.
En bref, les Forces fédérales se sont efforcées de poursuivre leur offensive sur les divers fronts du réduit, mais elles ne paraissent pas avoir réussi d’une manière générale à entamer notablement le dispositif des sécessionnistes. Les actions aériennes menées par ces derniers paraissent cependant avoir atteint leur but, puisque les compagnies pétrolières Shell-BP et Gulf ont annoncé récemment qu’elles se trouvaient dans l’obligation d’avoir à réduire leur production ce qui évidemment ne peut manquer de préoccuper les autorités fédérales.
Celles-ci demeurent par ailleurs vigilantes devant la tension latente qui persiste dans l’État de l’ouest, bien qu’un calme relatif ait été observé à la suite des mesures administratives apaisantes prises au cours du mois.
D’autre part, si le problème d’acheminement des secours de la Croix-Rouge internationale n’a pas évolué, sur le plan diplomatique de nombreux contacts se poursuivent dans l’espoir de réunir enfin les conditions qui devraient permettre l’ouverture d’un nouveau dialogue entre les adversaires. En attendant, les combats continuent.
* Les éléments entre crochets ont été ajoutés en décembre 2019.