Outre-mer - En Ouganda : l'attentat contre le président Obote pourrait entraîner une évolution plus rapide des formules autoritaires - Au Dahomey : nouvelle intervention de l'armée dans les affaires de l'État
En Ouganda, l’attentat contre le président Obote pourrait entraîner une évolution plus rapide vers des formules autoritaires
Le 19 décembre 1969, M. Milton Obote, président de la République ougandaise a été blessé d’un coup de feu qui l’a atteint au visage, au moment où il sortait du stade de Kampala où venait de se terminer le Congrès du United People’s Congress, le parti gouvernemental majoritaire qu’il préside. Son état n’était cependant pas très grave puisqu’après quelques jours d’hôpital, le Chef de l’État a pu reprendre ses occupations. Toutefois, cet incident a appelé à nouveau l’attention sur ce pays, qui a eu l’honneur l’an dernier d’accueillir sur son sol le Souverain Pontife [Paul VI], mais qui se heurte, comme beaucoup d’autres États africains, aux délicats problèmes de sa construction nationale.
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C’est qu’en effet, en parvenant à l’indépendance, en octobre 1962, l’Ouganda avait hérité de l’ancienne puissance coloniale britannique une organisation politique qui était bien loin d’être simple.
Ses quelque six millions d’habitants étalés du lac Victoria aux sources du Nil blanc, animistes, catholiques, protestants ou musulmans comprenaient des Bantous auxquels s’étaient superposés des Nilotiques venus du Nord, des arabisés dans le Nord-Est et quelque 12 000 blancs expatriés, plus de 70 000 Indiens et 25 000 Asiatiques. La colonisation britannique avait maintenu, pour s’appuyer sur eux, quatre royaumes traditionnels, très attachés à la conservation d’institutions typiquement africaines. Parmi ceux-ci, celui du Bouganda, qui représentait à peu près le tiers de la population, était de loin le plus riche et le plus puissant. Mais à côté de ces royaumes, l’autorité britannique s’exerçait directement sur deux territoires et dix districts dotés pour leur part d’une administration centralisée. L’État indépendant qui prit alors naissance ne pouvait être qu’un État fédéral très complexe, livré aux luttes des partis politiques d’alors : le Democratic Party (DP) de M. Kiwanuka soutenu par les catholiques, l’Uganda People’s Congress (UPC) de M. Milton Obote plus socialiste sans doute, mais tous deux favorables aux thèses d’un État unitaire, le Kabaka Yekka (KY) implanté au Bouganda et favorable quant à lui, à la tradition monarchiste. Cette situation devait engendrer de multiples tensions et trouver un premier épilogue dans le « Coup d’État » de 1966. Cette « manœuvre compliquée » entraîna l’effondrement des royaumes, l’éviction du Kabaka, le roi du Bouganda, pourtant premier Président de l’État fédéral, puis l’affirmation et la consécration du président de l’UPC, lequel instaura rapidement une nouvelle Constitution, républicaine, centralisatrice et autoritaire.
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Porté ainsi au pouvoir avec l’appui d’une bonne partie de la police et de l’armée, le Président qui passe pour manier avec beaucoup d’intelligence l’art difficile du compromis, n’a cependant pas que des amis, comme en témoignent les difficultés auxquelles il se heurte dans ses efforts de modernisation et d’émancipation du pays.
Nilotique, originaire de Lango, dans le Nord, il est, de ce fait, dit-on, contesté dans le Sud peuplé en majorité de Bantous. Protestant et se voulant pourtant impartial il est en lutte avec l’ancien Premier ministre, président du Parti démocrate, le catholique et libéral Kiwanuka son seul éventuel rival, aujourd’hui traduit en justice pour publication, selon l’accusation, d’écrits séditieux. Républicain, il reste coupable aux yeux des derniers monarchistes bougandais et malgré son mariage avec une Bougandaise, d’avoir chassé le Kabaka, lequel, décédé le 22 novembre dernier, à Londres où il vivait en exilé depuis 1966, restera enterré en terre étrangère. Syndicaliste critiqué par la bourgeoisie ougandaise, il est aussi critiqué au sein de son propre parti. Mais il parvient néanmoins à rassurer et à imposer ses vues avec autant d’habileté que de fermeté comme le prouve l’adoption récente par le UPC des principes de la « charte du simple citoyen » qui s’inscrit dans le cadre du « Mouvement à gauche », programme d’action qui se veut spécifiquement ougandais.
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Cette profession de foi, anti-féodale et anti-capitaliste apparaît en fait comme un désir de réformes, sous l’égide du parti au pouvoir en vue d’une promotion économique et sociale des individus selon des méthodes progressistes dans un esprit collectiviste. L’inspiration se défend d’être marxiste. Elle est essentiellement égalitaire et nationaliste, l’économie en définitive devant être mise au service du peuple. Ce n’est, en somme, que la version ougandaise d’un progressisme modéré comparable en certains points au « Socialisme africain » du Kenya ou à la « Déclaration » tanzanienne d’Arusha. C’est dans cet esprit que diverses mesures d’application ont déjà été prises : création par exemple d’un syndicat unique appelé à « canaliser les forces des populations travailleuses », création d’un Service national, appelé à « donner aux jeunes une formation nationale et civique », obligation pour les banques étrangères d’avoir à se « transformer en établissements de droit ougandais », toutes décisions commentées au cours de manifestations de masses ou même au Parlement et qui ont accru sans aucun doute le prestige personnel du Chef de l’État. Celui-ci s’est d’autre part employé à se montrer rassurant, tant à l’égard des notables ougandais qu’envers l’opinion conservatrice et même les étrangers – Indiens ou Pakistanais notamment, lesquels, comme chacun sait, monopolisent encore d’importantes affaires. Il s’est efforcé ainsi de désamorcer une campagne de dénigrement menée par ceux qui sentaient leurs intérêts menacés par ces tendances de nationalisme économique, tout en manifestant beaucoup d’égards à son armée exaltant, en particulier à l’occasion de manœuvres, et son moral et son sens de la discipline.
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C’est dans cette suite d’événements que devait se tenir, du 17 au 19 décembre, le Congrès annuel du UPC, lequel, en approuvant la nouvelle orientation politique préconisée par le Président, a recommandé au gouvernement l’institution d’un parti unique.
C’est en sortant du stade où ces résolutions venaient d’être prises que le Président a été blessé. Des mesures d’exception ont été décrétées, certains partis d’opposition ou des groupements politiques ont été interdits et des arrestations opérées. Les observateurs s’interrogent encore sur les mobiles exacts de l’attentat dont une des premières conséquences pourrait bien être, dans le domaine intérieur, une évolution plus rapide vers des formules autoritaires et une accélération dans l’application du programme présidentiel.
Au Dahomey, nouvelle intervention de l’Armée dans les affaires de l’État
Le 10 décembre 1969, après quelques hésitations, semble-t-il, le lieutenant-colonel Kouandete, Chef d’état-major de l’Armée dahoméenne, s’appuyant sur un groupe restreint d’officiers, déposait le Docteur Zinsou, Chef de l’État, puis, en butte aux réticences de certains des cadres qui avaient été tenus en dehors de l’action, se voyait contraint d’accepter la constitution d’un Directoire militaire qui assumait dès lors la responsabilité du pouvoir. Ainsi, après dix-huit mois de régime civil, l’Armée a-t-elle repris la direction des affaires du pays.
C’est en effet en juillet 1968 que le gouvernement militaire du lieutenant-colonel Alley avait procédé à l’investiture du Dr Émile Zinsou à la tête de l’État et du gouvernement, investiture d’ailleurs confirmée presque aussitôt par un référendum qui accordait au nouveau Président le soutien de plus des trois quarts des suffrages exprimés. Le nouveau gouvernement s’était mis rapidement au travail, s’efforçant de faire face à une situation économique et financière particulièrement préoccupante.
Cependant, certains cadres de l’Armée n’avaient pas cessé de s’intéresser aux affaires publiques. Tandis que le lieutenant-colonel Kouandete, ancien chef du gouvernement militaire provisoire était nommé Chef d’état-major de l’Armée, le lieutenant-colonel Alley, ancien chef de l’État, refusait de prendre le poste qui lui était offert à l’étranger et se voyait condamner, à la suite d’une tentative d’enlèvement du Chef d’état-major, à une peine de dix ans de prison. Cette sanction devait entraîner des remous au sein des forces armées dahoméennes tandis que le lieutenant-colonel Kouandete était l’objet de deux nouveaux attentats.
Par-delà ces querelles de personnes, il semble que certaines rivalités ethniques ou politiques soient venues s’ajouter au malaise ressenti par quelques officiers peu enclins à se voir relégués dans des tâches spécifiquement militaires. Soucieux de mettre un terme à cette situation, le président Zinsou décidait, le 9 décembre, de créer un « Tribunal de la Nation » nommé par le gouvernement et appelé à juger sans appel toute atteinte à la sûreté de l’État. Il est probable que cette initiative a fortement poussé les cadres qui s’estimaient menacés à passer à l’action dès le lendemain, entraînant dans l’opération le Chef d’état-major qui paraissait jusqu’alors hésitant. Celui-ci devait néanmoins préciser peu après les raisons de l’intervention des militaires : « l’Armée, devait-il dire, avait donné pour mission au gouvernement du Dr Zinsou de réconcilier tous les fils du Dahomey et d’entretenir son unité retrouvée… Le régime a créé une insécurité totale. Il s’est écarté délibérément des lignes tracées par la proclamation du 17 juin 1968. L’Armée, une fois encore, a repris ses responsabilités. »
Hormis l’arrestation mouvementée du Dr Zinsou, l’ordre public n’avait pas été troublé et le calme n’avait cessé de régner sur tout le territoire. Cependant, il a fallu trois jours de discussions pour qu’un compromis intervienne entre les diverses tendances qui opposaient entre eux les cadres militaires. Ceux-ci ont alors décidé de la création d’un Directoire de trois membres choisis dans l’ordre de la hiérarchie et qui s’est vu donner pour tâche d’assumer conjointement la direction des affaires de l’État, de coordonner les activités des différents départements ministériels et de conduire le pays à des élections générales dans les meilleurs délais. C’est alors que le lieutenant-colonel de Souza s’est vu confier avec la présidence du Directoire, la responsabilité des ministères de la Défense, de l’Intérieur, de l’Information et du Plan tandis que les ministères sociaux et économiques relevaient des lieutenants-colonels Singozan et Kouandete. Les anciens leaders politiques ont été invités à regagner le Dahomey, le Dr Zinsou a été libéré et les condamnés politiques amnistiés ; cette dernière mesure visant en particulier le lieutenant-colonel Alley.
Un projet de charte est actuellement à l’étude, tandis que les anciens Présidents s’efforcent de regrouper leurs partisans et que les cadres militaires paraissent avoir retrouvé leur cohésion pour faire face aux nombreuses difficultés politiques et économiques qui ne doivent pas manquer de se présenter. ♦