Outre-mer - Le 2e plan de développement quadriennal du Nigeria souligne l'avenir très prometteur de ce pays - Aux termes d'un récent accord, le Togo et le Dahomey [Bénin] pourront utiliser en 1972 l'énergie électrique provenant du barrage ghanéen d'Akosombo - Recrudescence des incidents à la frontière du Sénégal et de la Guinée-Bissau - En Côte d'Ivoire, l'arrestation de Gnagbé-Opadkle marque l'inconsistance et la fin de la tentative d'agitation dans la région de Gagnoa
Le 2e plan de développement quadriennal du Nigeria souligne l’avenir très prometteur de ce pays
Le 1er octobre 1970, à l’occasion du 10e anniversaire de l’Indépendance du Nigeria, le général Gowon a déclaré en substance que son gouvernement militaire conserverait le pouvoir jusqu’en 1976.
Cette décision a naturellement entraîné la déception de quelques hommes politiques chevronnés qui escomptaient un retour plus proche à un régime civil. Mais dans l’ensemble ces marques de mauvaise humeur n’ont rencontré aucun écho parmi les populations. Celles-ci paraissent aujourd’hui s’accommoder d’un régime stable et autoritaire qui s’efforce de panser les blessures d’une crise qui a duré quatre ans. Confiant dans le dynamisme du pays, le gouvernement du général Gowon s’est ainsi donné le temps nécessaire à la mise en œuvre d’un plan quadriennal de développement qui vient tout juste d’être publié.
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L’examen de cet important document est particulièrement intéressant. Prenant pour objectif l’année 1985, le plan vise à doubler à cette date le revenu national réel par habitant, estimé à l’heure actuelle à environ 30 livres nigérianes par an (1). Dans cette perspective, les auteurs du plan en concluent que le taux de croissance annuelle du PNB pour la période 1970-1974 doit atteindre 6,6 %, la hausse des prix en ce cas ne devant pas dépasser 1,5 % par an.
D’autre part le plan s’est également donné comme objectif en 1980, le remplacement dans le commerce et dans l’industrie de tous les personnels étrangers. C’est dans ce cadre qu’une politique accélérée de nigérianisation a été recommandée pour l’ensemble des secteurs de l’activité nationale.
Enfin il a été prévu d’adapter le volume de l’armée à la capacité de l’économie du pays. Aussi le gouvernement nigérian compte-t-il, dans cette optique, reconvertir et réorganiser ses forces armées en démobilisant notamment une partie des effectifs actuels dont l’entretien grève lourdement le budget de la Fédération.
Le plan porte sur un total d’environ 1,6 milliard de £ nigérianes soit à peu près 93 Md de francs. Une grande partie des ressources est attendue des revenus fournis par le pétrole. Les ventes d’hydrocarbures représentent en effet actuellement environ 43 % en valeur des exportations nigérianes et les revenus annuels qui en résultent pour les finances de la Nation constituent déjà près de 36 % des recettes du budget fédéral, soit 100 M£ nigérianes sur 278 M de recettes au total. Or, les prévisions de production pour les années à venir sont estimées au quadruple de la production actuelle. De 26 M de tonnes en 1969, elles devraient passer en 1972 à 100 Mt plaçant ainsi le Nigeria, qui est déjà au premier rang des pays producteurs d’Afrique Noire, au deuxième rang en Afrique, après la Libye (170 Mt en 1970) mais avant l’Algérie, l’Égypte ou le Gabon.
Ce pétrole, d’excellente qualité, présente l’avantage d’être exploité dans une zone géographique restreinte située près de la mer. Sans doute ces gisements sont-ils, pour la majorité, inclus dans les limites définies par l’ancien Biafra sécessionniste. Mais la situation paraît maintenant dans l’ensemble redevenue normale dans ces provinces et spécialement dans la région de Port-Harcourt où les installations pétrolières remises en état fonctionnent aujourd’hui à peu près comme par le passé. D’autre part des réserves importantes existent et en particulier celles des gisements offshore, tandis que dans le Central-Eastern d’autres gisements sont sur le point d’être exploités.
Dans la même région il a été découvert également des réserves de gaz qui ne sont pas encore exploitées et qui portent dans une première estimation sur quelque 150 Md de mètres cubes au minimum.
Ainsi, en plus de ses richesses agricoles qui sont déjà considérables, le Nigeria peut-il compter sur des ressources pétrolières croissantes qui ne peuvent que contribuer à la prospérité et à la stabilité économique du pays.
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Aussi, s’appuyant sur ces données prometteuses, le 2e plan quadriennal a-t-il prévu la réalisation d’importants projets qui sont tout à fait dans le domaine du possible.
Il est envisagé en effet de doubler la raffinerie de Port-Harcourt (2 Mt), qui bientôt ne suffira plus à couvrir les besoins de la Fédération, par une seconde raffinerie d’une capacité de 1 500 000 t à la construction de laquelle s’intéressent des groupements financiers anglo-saxons ou japonais. Ces derniers s’offrent aussi à contribuer à l’installation d’un complexe pétrochimique d’une capacité totale de plus de 40 000 t.
D’autres projets sont encore à l’étude : fabrique d’engrais, usine de liquéfaction de gaz, usines de montage de voitures, fabriques de papier, sucreries (125 000 t), huileries de palme (100 000 t)… Un projet d’industrie sidérurgique d’une capacité de 700 000 t d’acier devrait se concrétiser en 1974, avec sans doute la participation des Soviétiques.
Dans le domaine agricole plus de 100 M£ nigérianes sont réservées à des investissements intéressant cultures vivrières ou cultures d’exportation. Des centres de recherche seront construits pour améliorer la culture du riz, des fruits ou des légumes. En ce qui concerne les productions industrielles l’effort portera surtout sur le cacao et les palmites – à l’exclusion, semble-t-il, des arachides, du café et de l’hévéa.
Le total des dépenses et des participations du secteur public approche le milliard de livres nigérianes qui seront couvertes, espère-t-on, pour une bonne part, par les ressources attendues du pétrole et une aide extérieure à laquelle doit s’ajouter la participation étrangère prévue dans bon nombre de projets industriels. Mais il est bon de remarquer que dans l’esprit d’une « nigérianisation » de l’économie du pays, le gouvernement du général Gowon s’est réservé une participation obligatoire de 55 % dans les industries-clés (sidérurgie, pétrochimie, raffinerie, etc.) et une participation minimum de 35 % dans les autres projets.
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En bref, le Nigeria, favorisé par la nature, bénéficie de ressources agricoles et minières vraiment exceptionnelles. Le 2e plan quadriennal qu’il vient de se donner reste dans les limites du raisonnable et du possible. Ce pays est donc appelé à connaître dans les années qui viennent un essor particulièrement brillant pour peu qu’à la stabilité économique corresponde la stabilité politique. Quoi qu’il en soit, ces perspectives prometteuses ne peuvent qu’attirer les investissements étrangers et confirmer les dirigeants nigérians dans leur intention déjà plusieurs fois affirmée de vouloir jouer en Afrique un rôle de premier plan.
Aux termes d’un récent accord le Togo et le Dahomey pourront utiliser en 1972 l’énergie électrique provenant du barrage ghanéen d’Akossombo
Après de laborieuses négociations qui durent en fait depuis 1967, le Ghana, le Togo et le Dahomey ont signé le 14 octobre 1970 à Accra un accord pour la construction d’une ligne de haute tension appelée à transporter dans les deux pays francophones l’énergie électrique produite par le barrage d’Akossombo situé sur la Volta au Ghana. Le financement de cette opération sera assuré grâce à la coopération canadienne.
Nous avions déjà eu l’occasion d’appeler l’attention sur l’importance de ce barrage (2) qui a coûté quelque 70 M de livres et qui a été financé en majeure partie par des prêts de la Banque mondiale, de l’Import-Export Bank, de l’Association internationale pour le développement (AID) et du gouvernement britannique. Construit par une firme italienne, il a en effet une longueur de 670 mètres et une hauteur maximum de 88 m. Sa mise en eau a entraîné la création d’un lac artificiel de plus de 80 000 km3 atteignant 400 km dans sa plus grande longueur, favorisant ainsi les communications entre le Nord et le Sud du pays tout en entraînant l’implantation de nouvelles cultures et même la naissance d’une industrie de pêche dont la production annuelle est de l’ordre de 18 000 t. La puissance moyenne effective qui sera fournie l’an prochain par la centrale hydroélectrique située sur la rive droite du fleuve est estimée à environ 640 MW, ce qui dépasse largement les besoins actuels du Ghana.
Aussi le gouvernement du Docteur Busia, reprenant une idée déjà ancienne, s’est-il efforcé de conclure avec ses voisins immédiats un accord pour l’exportation de l’énergie excédentaire dont ces derniers ont naturellement besoin.
Il s’agissait de financer la construction de 280 km de lignes à haute tension pour relier la centrale ghanéenne aux réseaux dahoméen et togolais, ainsi que les stations de transformation intermédiaires. Les travaux qui viennent de commencer devraient se terminer en 1972. Ils sont couverts par un prêt canadien de 8,5 M de nouveaux Cedis (3) remboursable en 50 ans, par le Ghana pour 2 M de NC, par le Togo pour 3 M de NC et par le Dahomey pour 3,5 M de NC. On peut noter que les « dépenses locales » au sujet desquelles pendant longtemps les négociations achoppèrent seront couvertes en ce qui les concerne par une subvention globale canadienne et que les deux générateurs supplémentaires nécessaires à la centrale d’Akossombo seront payés par le Ghana grâce à une aide spéciale canadienne accordée dans les mêmes conditions.
L’importance de cet accord ne saurait échapper. Outre que chacun des partenaires y trouve son avantage, il constitue un exemple de coopération régionale entre pays francophones et pays anglophones que l’on ne peut manquer de rappeler.
Recrudescence des incidents à la frontière du Sénégal et de la Guinée-Bissau
Faisant le point de la situation à la frontière du Sénégal et de la Guinée-Bissau dans la chronique d’octobre dernier nous pensions que de nouveaux incidents du genre de ceux qui étaient alors signalés devaient malheureusement se reproduire. Effectivement fin octobre et au début de novembre des avions portugais ont survolé plusieurs fois le village de Samine refuge connu de certains éléments du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), tandis que des accrochages ont opposé Portugais et partisans du PAIGC en plusieurs autres points de Casamance le long de la frontière. Selon certains communiqués de presse, les troupes portugaises auraient, à cette occasion, récupéré d’importantes quantités de munitions ainsi que des armes diverses, mitrailleuses et mortiers notamment.
Sans doute cette recrudescence des activités portugaises correspond-elle à une recrudescence semblable de celles des partisans du PAIGC qui auraient reçu ces temps-ci de nouvelles armes destinées aux maquis opérant dans le nord de la Guinée Bissau.
Mais il est bien évident qu’en ces régions d’accès difficile, il n’est guère possible aux troupes sénégalaises de s’opposer à de pareilles incursions, comme il leur est également difficile de contrôler comme elles le désireraient les activités des commandos du PAIGC qui n’hésitent pas, semble-t-il, à malmener les villageois.
Ainsi cette situation est-elle susceptible de durer, d’autant plus que sur le plan politique les deux adversaires s’accrochent à des positions toujours aussi inconciliables et que les Sénégalais de leur côté, tout en s’efforçant de faire respecter leur frontière, ne peuvent espérer voir leur politique de conciliation déboucher prochainement sur des résultats concrets.
Tout au plus peut-on espérer que ces affrontements resteront limités si tant est que Portugais et PAIGC ne veulent ni l’un ni l’autre voir s’envenimer leurs relations avec le Sénégal.
En Côte d’Ivoire, l’arrestation de Gnagbe-Opadjie marque l’inconsistance et la fin de la tentative d’agitation dans la région de Gagnoa
À plusieurs reprises, la presse s’est fait l’écho d’incidents qui ont éclaté dans la nuit du 26 au 27 octobre 1970 dans la région de Gagnoa, chef-lieu du département du même nom, à environ 300 kilomètres au Nord-Ouest d’Abidjan.
C’est qu’en effet cette nuit-là une bande armée d’une centaine d’hommes disposant d’armes blanches et de quelques fusils de chasse s’est attaquée soudainement à la Préfecture et au poste de Gendarmerie, à l’instigation d’un certain Gnagbe-Opadjie, agitateur connu et quelque peu illuminé. Repoussés par les forces de l’ordre, les assaillants se sont alors dispersés en brousse en donnant la chasse aux responsables locaux du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), parti unique de la Côte d’Ivoire et aux membres de l’ethnie Baoulé, à laquelle appartient le président Houphouët-Boigny. Dans le même temps, Gnagbe-Opadjie faisait circuler à Abidjan et à Gagnoa des tracts dans lesquels, après s’être proclamé « chancelier de l’État d’Eburnie et commandant en chef de l’Armée populaire nationale », il dénonçait la prépondérance politique des Baoulé tout en condamnant la présence des troupes françaises à Port-Bouet.
La sous-préfecture de Gagnoa dans laquelle ces troubles ont éclaté est une région essentiellement agricole et boisée qui s’intègre petit à petit dans le remarquable effort de promotion économique et sociale qui caractérise l’ensemble de la Côte d’Ivoire. Appelée à bénéficier du développement prévu par l’aménagement de tout l’ouest du pays, elle a devant elle des perspectives d’avenir encourageantes. Peuplée essentiellement de Bété qui connurent très tard le contact des Français, elle compte aujourd’hui environ 30 000 habitants, répartis en cinq cantons dont en particulier le canton Guébié, lequel groupe en dix-sept villages quelque 7 000 habitants. Diverses informations donnent à penser que c’est au sein de cette petite ethnie Guébié, qui a quelques affinités linguistiques avec les Bété, que Gnagbe-Opadjie avait réussi à recruter ses partisans. Agitateur né, il s’était déjà signalé à l’occasion de plusieurs tentatives de complot, en menant une action incohérente et en publiant un « appel aux tribus d’Eburnie », nouveau nom donné par lui à l’État ivoirien. Quoi qu’il en soit, l’armée et la gendarmerie ivoiriennes qui sont intervenues aussitôt ont mis très rapidement un terme à cette agitation, qui a entraîné néanmoins des assassinats de Baoulés dans la région. Dès le 3 novembre, le « PC » de Gnagbe-Opadjle, établi en brousse, était occupé et ses partisans progressivement arrêtés, tandis que les populations, reprenant confiance, regagnaient leurs villages. De sorte que le 10 novembre le couvre-feu, instauré dès le début des incidents, pouvait être levé. Pourchassé sans relâche, Gnagbe-Opadjle était arrêté le 24.
Ainsi ces incidents mineurs n’ont-ils connu aucun développement. Seule l’ethnie Guébié, peu évoluée et peu nombreuse, y a participé et les Bété ne se sont pas associés aux émeutiers. À vrai dire ces incidents à caractère tribal sont exceptionnels en Côte d’Ivoire car le pays, contrairement à de nombreux autres pays africains, n’a jamais connu de conflits ethniques susceptibles de menacer son unité nationale. Ils n’en prouvent pas moins une certaine rémanence du tribalisme qui ne devrait cependant guère avoir de conséquences. Cela semble en effet confirmé par le fait que les récentes élections présidentielles et législatives qui ont eu lieu en Côte d’Ivoire le 29 novembre, se sont déroulées dans le calme à Gagnoa et que le président Houphouët-Boigny et son parti ont obtenu dans cette circonscription le même pourcentage des voix que dans les autres départements du pays. ♦
(1) Une livre nigériane : 15,55 FF.
(2) Cf. Revue Défense Nationale (Chronique d’Outre-Mer), août 1968.
(3) Un Nouveau Cedi : 5,44 FF.