Outre-mer - Nouvelles perspectives pour l'économie du Congo-Brazzaville - Le coup d'État militaire en Ouganda - Évolution de la situation en Guinée-Conakry
Nouvelles perspectives pour l’économie du Congo-Brazzaville
Petit pays qui n’atteint pas 350 000 km2 et qui est peuplé par un peu plus d’un million d’habitants, le Congo-Brazzaville groupe l’essentiel de ses populations et de ses activités dans la région située entre la capitale et la côte atlantique. Bacongos et Niaris qui y vivent sont concurrents entre eux mais ils s’opposent aussi aux ethnies moins nombreuses dispersées dans le Nord. Du temps de la colonisation française, le pays, qui formait alors le territoire du Moyen-Congo, avait servi de base à la pénétration vers l’intérieur avant de servir de débouché naturel vers la mer pour les territoires de l’Oubangui-Chari–Tchad. Tandis que l’administration de l’ensemble, auquel fut incorporé le Gabon, se centralisait dans la capitale congolaise, l’économie qui se développa à cette époque fut fortement influencée par cette vocation naturelle de transit qui caractérisait cette région. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les statistiques du moment pour constater que la prospérité générale du territoire reflétait largement la prospérité des courants d’échanges établis avec ce vaste arrière-pays.
Aujourd’hui, après plus de dix ans d’indépendance, la République populaire du Congo qui s’est donné un régime politique qui se veut socialiste, détient toujours les meilleurs débouchés vers la mer, ce qui ne peut manquer d’intéresser les pays de l’intérieur que sont la République centrafricaine (RCA) et le Tchad et même, dans une certaine mesure, son voisin du sud, le Congo-Kinshasa. Mais ces pays poursuivent maintenant une politique basée sur une option fondamentale différente, de sorte qu’une certaine circonspection préside à leurs rapports avec le Congo-Brazzaville. D’autre part, les institutions fédérales de l’ancienne Afrique équatoriale française (AEF) ont éclaté petit à petit avec le temps, et s’il en reste quelques survivances nécessaires, malgré tout, au maintien de rapports économiques vitaux, le Congo-Brazzaville pour sa part en butte à la concurrence du Cameroun, au particularisme gabonais et à la puissance grandissante du Congo-Kinshasa, a tendance à se replier sur lui-même. Il espère néanmoins être à même de consolider son autonomie avant de pouvoir reprendre par la suite, dans la zone, semble-t-il, le rayonnement qui fut le sien autrefois.
C’est dans ces perspectives que se situe aujourd’hui l’économie congolaise mais elle n’est pas sans éprouver de multiples difficultés.
L’agriculture en effet n’est possible que sur le quart des terres, car la forêt équatoriale recouvre à peu près 50 % du pays et les marécages près de 25 %. Cela explique la modicité des ressources agricoles qu’il s’agisse des cultures vivrières ou des cultures industrielles. Cependant les industries alimentaires : brasseries, savonneries, huileries, sucreries, minoteries, etc. occupent une bonne place dans le commerce congolais et 30 à 40 % de leur production est exportée vers les pays de l’Union douanière et économique de l’Afrique centrale (UDEAC). Les textiles et les industries chimiques – matières plastiques, verrerie, peinture, etc. – exportent également plus de 30 % de leurs produits vers les mêmes pays.
Les ressources minières, par contre, sont un peu plus prometteuses On y trouve un peu d’or alluvionnaire et quelques réserves de cassitérite et surtout de zinc, de cuivre ou de plomb, estimées par les Soviétiques, au total, à plus d’un million et demi de tonnes. Mais c’est essentiellement sur les potasses de Holle que de grands espoirs avaient été fondés. Le gisement découvert en 1960 à une cinquantaine de kilomètres de Pointe Noire renfermait, estimait-on alors, quelque 50 Mt de sylvinite d’une teneur jugée exceptionnelle. L’exploitation en fut confiée à la Compagnie des potasses du Congo en mai 1969, mais la compagnie s’est heurtée à de sérieuses difficultés d’extraction et la production pour progresser devrait recourir à de nouveaux investissements. Pour être rentable en effet il faudrait qu’elle atteigne rapidement une moyenne annuelle de 500 000 t alors qu’elle n’a pas encore pu dépasser le cap des 200 000. D’autres espoirs reposent aussi sur les réserves de fer de Zanaga, dans le nord du Niari, où un gisement de 300 Mt d’une teneur convenable a été découvert. Mais son exploitation est handicapée par les problèmes que pose l’évacuation du minerai. Là aussi, de nouveaux investissements sont indispensables pour construire, en particulier, la bretelle ferroviaire de Loudima à Zanaga qui raccorderait la mine au chemin de fer du Congo-Océan.
Sur le plan énergétique, trois centrales électriques nationalisées alimentent Brazzaville, Pointe Noire et Dolisie, mais les réserves sont considérables ; elles pourraient être développées soit par le barrage du Kouilou s’il finissait par être construit, soit par une série d’ouvrages plus modestes. Quant aux activités pétrolières, elles sont restées jusqu’ici relativement peu importantes. La Société des pétroles d’Afrique équatoriale a pu produire jusqu’à 1966 quelque 100 000 t par an grâce à la Concession de Pointe Indienne près de Pointe Noire.
Toujours est-il que ces temps derniers la Société Elf-Congo vient de découvrir un gisement offshore dans la même zone où les réserves atteindraient – dit-on – quelque 500 Mt. Cependant là encore, des difficultés techniques sont venues retarder la mise en exploitation du gisement. Il devrait néanmoins atteindre en 1972 une production de démarrage que l’on espère voir se situer aux environs de 3 Mt. D’autres permis de prospection ont été également attribués qui pourraient amener des découvertes intéressantes.
Quoi qu’il en soit, la situation économique actuelle du pays souffre du déficit croissant des finances publiques. Aussi les dirigeants congolais ont-ils tendance à pratiquer dans ce domaine une politique relativement libérale pour favoriser les échanges et attirer les investissements. Malgré leurs options politiques, ils ont rencontré jusqu’à présent à cet égard plus de facilités et de compréhension chez les Occidentaux que dans les pays socialistes. Le commerce avec la Chine populaire et l’URSS par exemple ne représente qu’à peine 3 % des importations et 4,5 % des exportations ; et pour ce qui est des investissements, les pourcentages sont du même ordre. Les investissements français par exemple occupent de très loin la première place, distançant largement les investissements de l’Allemagne fédérale (RFA), de l’Italie, d’Israël ou des Sud-Africains. Il n’empêche que la balance commerciale est déficitaire. Mais elle pourrait s’améliorer pour peu que se développent la production du bois, possible en raison de l’importance des réserves, et celle des potasses ou bien celle du pétrole. On notera que la balance des échanges avec les pays de l’ancienne AEF reste largement excédentaire tandis que le commerce avec Kinshasa est à peu près inexistant. Le Congo-Brazzaville a donc tout intérêt, en l’état actuel des choses, à conserver des liens avec son ancienne métropole et les pays du Marché commun ainsi qu’avec ses partenaires de l’UDEAC. Il vient même de proposer, dans cette perspective, la construction à Pointe Noire d’une seconde raffinerie.
En bref, cet aperçu sommaire souligne peut-être les difficultés de l’économie congolaise qui se trouve confrontée à de nombreux problèmes notamment en ce qui concerne l’exploitation des potasses de Holle, exploitation qui s’avère jusqu’ici peu rentable, mais il n’empêche que dans l’ensemble la situation se présente de manière à peu près favorable. Sans doute il subsiste bien des incertitudes, mais le Congo très sagement n’a jamais cherché à quitter la zone franc. En tout cas, il est souhaitable que l’économie du pays soit préservée, dans toute la mesure du possible, des aléas de la politique intérieure, sensible aux activités des extrémistes comme aux interférences et aux rivalités des Sino-Soviétiques. C’est le prix, semble-t-il, de tout espoir de progrès.
Le coup d’État militaire en Ouganda
Nous avions déjà eu l’occasion d’attirer l’attention sur la situation en Ouganda et sur les difficultés qu’éprouvait alors le gouvernement de M. Obote (1). Celles-ci se sont accusées depuis et dans la nuit du 24 au 25 janvier dernier, l’armée, s’appuyant sur la fraction modérée du pays et sur les Bougandais, a renversé le régime établi.
Profitant de l’absence du chef de l’État qui participait à Singapour à la conférence du Commonwealth, un certain nombre de militaires et de policiers mécontents, conduits, semble-t-il, par de jeunes officiers, ont neutralisé la « force spéciale » de police que constituait la garde personnelle du Président, ainsi que divers autres militaires originaires de la tribu de celui-ci, et dont la carrière, de ce fait, avait été favorisée.
Cette action aurait coûté la vie à plusieurs centaines de victimes dont le nombre d’ailleurs n’a pu être confirmé et comprenant entre autres deux missionnaires canadiens. Certains partisans de M. Obote auraient réussi d’autre part à s’enfuir avec leurs armes soit en brousse soit à l’étranger. Il semble aussi que le général Amin commandant en chef de l’armée ainsi que M. Oryema, Directeur de la Police, considérés jusqu’ici comme des fidèles du Président se soient ralliés au mouvement dans des circonstances qui restent à établir. Le général Amin en effet a expliqué publiquement qu’il avait pris cette décision dans le but d’éviter la division de l’armée.
Les nombreux opposants politiques, incarcérés depuis la proclamation comme parti unique de l’UPC (Uganda People’s Congress) parti du Président, ont été libérés. Des élections libres ont été annoncées et le pluralisme des partis rétabli. L’orientation de la politique économique et sociale du régime sera révisée et les mesures prises dans ce cadre adoucies, sinon annulées. Tandis que la presse et la radio se déchaînaient en critiques contre la personne du chef d’État déchu et contre son régime, la population pour sa part, et celle de la capitale notamment où les Bougandais d’ailleurs sont en majorité, a manifesté sa joie de voir ainsi évincé l’homme qui en 1966 avait éliminé son roi. Ainsi, après quelques jours d’isolement, la junte militaire que préside désormais le général Amin a réussi à prendre la situation bien en mains et les partisans de l’ancien Président en sont réduits à l’expectative. Le président Obote de son côté, après quelques jours passés au Kenya, a demandé asile en Tanzanie en sollicitant l’aide du président Nyerere, qui lui a promis son appui. Le Soudan, pour sa part, désapprouvant ces changements, ne semble pas disposé à l’heure actuelle à reconnaître le fait accompli.
La satisfaction manifeste des milieux britanniques et l’irritation des dirigeants tanzaniens indiquent assez nettement où se situent les sympathies du nouveau gouvernement du général Amin. Prenant d’ailleurs le contre-pied de l’attitude violemment antibritannique affichée par M. Obote à Singapour à l’occasion des discussions sur le problème des livraisons d’armes à l’Afrique du Sud, le nouveau chef de l’État ougandais s’est empressé de déclarer que son pays entendait demeurer au sein du Commonwealth.
Ainsi le coup d’État qui vient de secouer l’Ouganda est-il de nature à modifier l’équilibre actuel de la Corne orientale de l’Afrique et en particulier celui du Kenoutan (Kenya, Ouganda, Tanzanie). Les institutions communes de ce regroupement anglophone pourraient de ce fait se retrouver paralysées tandis que les États « progressistes » de Tanzanie et de Zambie qui s’accommodent de l’aide de la Chine populaire, risquent de s’opposer ouvertement aux « modérés » que sont maintenant Kenya et Ouganda dont les efforts doivent tendre à consolider leur situation intérieure. Cette évolution intéresse tout particulièrement les autres voisins du Nord, aussi bien le Soudan progressiste que l’Éthiopie modérée.
Évolution de la situation en Guinée-Conakry
Les jugements récents rendus sans appel par les tribunaux populaires guinéens et les exécutions publiques qui ont suivi ont à nouveau appelé l’attention sur la situation en Guinée-Conakry.
Ce pays, qui s’est coupé de la Communauté française dans les conditions que chacun connaît lors du référendum de 1958, vit, depuis l’adoption d’une constitution de type présidentiel en 1961, sous l’autorité de M. Sekou Touré, qualifié de « responsable suprême de la Révolution ». Il gouverne sans partage en s’appuyant sur un parti unique devenu selon la loi une institution de l’État. Le socialisme qu’il s’est donné est resté typiquement africain et le souci de non-alignement joint à des difficultés économiques énormes ont obligé le chef de l’État à diversifier les aides sollicitées à l’étranger. C’est ainsi que tout en coopérant avec les pays de l’Est, URSS, Chine populaire ou bien Cuba, le gouvernement guinéen n’a pas dédaigné la coopération occidentale et notamment celle offerte par les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne fédérale (RFA) ou l’Italie. Mais les résultats obtenus sont loin d’être ceux qui avaient été escomptés. La situation économique et financière n’est guère brillante, la balance des paiements est largement déficitaire et le montant de la dette publique va croissant. La Guinée a quitté la zone franc et sa monnaie nationale est aujourd’hui très dévalorisée. Pourtant les ressources ne manquent pas : bauxite, fer, diamants offrent cependant des perspectives qui pourraient être prometteuses. Mais c’est un fait qu’un malaise est perceptible dans les populations et que les autorités guinéennes ont dû faire face à cette opposition en prenant déjà de sévères mesures répressives en 1969 pour mater un complot au sein de l’armée et de l’administration. De nombreux mécontents se sont expatriés soit en Europe soit dans les États africains voisins, et ce sont eux qui sont, en partie, à la base des événements du 22 novembre 1970.
Depuis 1967, le président Sékou Touré, conscient des effets nocifs de son isolement diplomatique et économique, s’est résolu à de nouvelles approches en direction des États occidentaux – et de la France en particulier – ainsi qu’en direction des États africains modérés et tout spécialement ses voisins. Ces avances ont connu des fortunes diverses, mais la suite donnée aux récents événements de Conakry risque fort d’inciter ses interlocuteurs à une certaine réserve. Déjà le Sénégal, agacé par les outrances verbales injustifiées lancées par la Guinée à son encontre, n’a pas hésité à rompre ses relations diplomatiques avec elle. Ainsi la tension persiste-t-elle dans cette région d’Afrique. Malgré l’emprise que M. Sékou Touré conserve sur son pays et notamment sur les jeunes, il est bien évident que la brutalité des récentes répressions n’est pas de nature à calmer toutes les inquiétudes qui peuvent surgir à propos des affaires guinéennes. ♦
(1) Cf. RDN, chronique d’Outre-Mer, février 1970.