Outre-mer - Répercussions à l'Organisation de l'unité africaine (OUA) et la Communauté est-africaine du changement de régime en Ouganda - Visite officielle en France du président de la République démocratique du Congo
Répercussions à l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et dans la Communauté est-africaine du changement de régime en Ouganda
La crise, née du coup d’État militaire qui en Ouganda a porté au pouvoir le 25 janvier 1971 le général Amin, Chef d’état-major de l’armée, a eu pour effet dans l’immédiat, d’accentuer les tensions au sein de l’OUA, et de paralyser les institutions communes de la Communauté est-africaine, mieux connue souvent sous le nom de Kenoutan (Kenya, Ouganda, Tanzanie).
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Le problème de la représentation de l’Ouganda s’est en effet posé à Addis Abeba un mois plus tard, dès la 16e session du Conseil des ministres de l’OUA. Deux délégations ougandaises revendiquaient alors le siège de ce pays au sein de l’organisation : l’une était conduite par le nouveau ministre des Affaires étrangères du Gouvernement de Kampala, l’autre comprenait les représentants de l’ancien président Obote, réfugié en Tanzanie depuis le coup d’État du général Amin.
Les ministres n’ont pu se résoudre à effectuer un choix entre les deux délégations, divisés qu’ils étaient entre les partisans d’une reconnaissance du nouveau régime et ceux qui, comme la Zambie, la Tanzanie, la Guinée-Conakry et le Congo-Brazzaville s’efforçaient, aux côtés du Secrétaire général de l’OUA, de faire prévaloir les thèses de l’ancien président Obote. Aussi, pour éviter toute cassure et sur les conseils prudents de l’empereur Hailé Selassié, les ministres se sont-ils séparés dès le 1er mars, ajournant sine die la conférence mais souhaitant néanmoins que le problème soit à nouveau abordé en juin prochain, lors de la réunion périodique des chefs d’État de l’OUA.
En se donnant ainsi un temps de réflexion supplémentaire, les ministres africains évitaient aussi de mettre en question un certain nombre d’autres problèmes d’actualité pour lesquels l’unanimité était loin d’être faite. C’était le cas notamment des problèmes de l’Afrique australe, au moment d’ailleurs où la Grande-Bretagne annonçait la reprise de la vente de certains armements à l’Afrique du Sud dans le cadre des accords de Simonstown. C’était le cas aussi des problèmes posés par la perspective d’ouverture d’un dialogue entre les pays africains et les régimes d’Afrique australe. Sans doute, cette approche semblait être envisagée favorablement à Tananarive (Madagascar), à Abidjan (Côte d’Ivoire) ou à Accra (Ghana), par exemple, et l’Afrique du Sud elle-même n’en repoussait pas l’idée, comme en témoigne d’ailleurs une déclaration plus récente du chef du gouvernement de Pretoria. Mais beaucoup d’États africains y sont encore hostiles, soit qu’ils entendent rejeter par avance toute compromission quelconque avec les régimes blancs d’Afrique australe qu’ils estiment condamnés à terme, soit qu’ils pensent que l’évolution à rechercher au bénéfice des Africains doit provenir d’une maturation ou d’une lutte politique à engager sur place. Quoi qu’il en soit, l’affaire ougandaise, en provoquant l’ajournement de la 16e session du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’OUA a permis à ceux-ci d’éluder pour un temps ces problèmes délicats.
La crise ougandaise devait d’autre part entraîner des réactions au sein de la Communauté est-africaine, qui réunit depuis juin 1967 sous le nom de Kenoutan, le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie. Sans doute, depuis cette date, la poussée croissante des nationalismes a entamé peu à peu l’idée d’une fédération politique des trois États. Ceux-ci ont accepté néanmoins de gérer en commun un certain nombre de services, comme l’aviation civile, les services météorologiques, les PTT, les services de douane, des impôts, la Banque est-africaine de Développement, etc. Certes, l’ensemble a fonctionné régulièrement sous l’impulsion d’une Haute autorité permettant les rencontres périodiques des trois chefs d’État concernés. Mais la vie de la Communauté a connu parfois des moments difficiles. Toutefois, l’esprit de la conciliation a toujours existé aux niveaux les plus élevés, et cet effort a été particulièrement sensible en octobre dernier par exemple, au moment ou 40 000 Kenyans, qui bénéficiaient jusqu’alors des règles communes de libre circulation de la main-d’œuvre, se sont trouvés expulsés d’Ouganda dans les conditions que l’on sait. En tout cas, la crise, née du coup d’État du 25 janvier, affecte aujourd’hui la Communauté est-africaine et la Haute autorité, organe essentiellement politique, est la première atteinte.
Le président Nyerere (Tanzanie), en effet, persiste à reconnaître M. Obote comme le chef de l’État ougandais, tandis que le président Kenyatta (Kenya) a hésité à reconnaître le gouvernement du général Amin. La rencontre des chefs d’État, retardée d’ailleurs par la conférence de Singapour [NDLR 2021 : relatif au Commonwealth, 14-22 janvier 1971], a été ajournée. Les organisations communes attendent les décisions que seule la Haute autorité peut prendre, et le fonctionnement des services en est ainsi paralysé.
Cependant, le gouvernement de Nairobi s’est montré soucieux de préserver l’existence de la Communauté. Aussi s’est-il employé à confirmer son désir d’attachement à l’association, malgré les réticences des Tanzaniens ou l’expectative des Kenyans. Sans doute, certains observateurs pensent-ils que l’association réduite à l’Ouganda et au Kenya pourrait somme toute survivre. Mais d’autres pensent aussi que l’intérêt bien compris des trois partenaires voudrait plutôt que la Communauté parvienne à surmonter ses dissensions en évitant les clivages.
Il semble à l’heure actuelle que le temps travaille au profit du nouveau gouvernement Ougandais et qu’à l’OUA comme au sein de la Communauté est-africaine les solutions de compromis ne soient pas à exclure.
Visite officielle en France du lieutenant-général Mobutu, président de la République démocratique du Congo
Le lieutenant-général Mobutu, président de la RDC, vient d’effectuer en France, du 29 mars au 3 avril 1971, une visite officielle dont le principe avait été retenu voici plus de deux ans lors du séjour privé que le chef de l’État congolais effectua alors à Paris et au cours duquel il avait rencontré à l’Élysée le général de Gaulle.
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Venant de Kinshasa, le général et Mme Mobutu, accompagnés de MM. Cardoso (ministre des Affaires étrangères), Namwisi (Finances) et Loango (Commerce extérieur), sont arrivés en effet à Nice le 27 mars pour en repartir le 29 pour Paris.
Accueillis à l’aéroport d’Orly par le président de la République et Mme Pompidou, le couple présidentiel et sa suite ont gagné les Invalides en hélicoptères avant d’être conduits en cortège d’apparat à l’Élysée où les honneurs militaires furent rendus. Les allocutions de bienvenue qui ont été ensuite prononcées ont aussitôt mis l’accent sur le caractère amical des relations qu’entretiennent les deux pays qui parlent la même langue, et elles ont souligné à la fois la politique de coopération qui est celle de la France et qui répond au souhait des Congolais, et l’avenir prometteur qui est désormais celui d’un Congo grand comme l’Europe, doté, qui plus est, de richesses potentielles considérables. Ces thèmes devaient être repris le soir même au Grand Trianon à Versailles lors des allocutions prononcées à l’issue du dîner de gala offert au Président congolais dans ce cadre majestueux et unique. Le général Mobutu a tenu à rappeler à cette occasion les grandes lignes de la politique de redressement national et de développement économique qu’il poursuit avec succès depuis novembre 1965, date à laquelle il fut contraint de prendre le pouvoir, pour sauver son pays du chaos.
Le 30 mars au matin, le chef de l’État congolais accompagné du Premier ministre français, M. Chaban-Delmas, a déposé une gerbe sur le tombeau du Soldat inconnu selon le cérémonial habituel et a été ensuite reçu officiellement avec le faste traditionnel à l’Hôtel de Ville de Paris. L’après-midi, accompagné de M. Kaspereit, secrétaire d’État à la moyenne et petite Industrie, il devait visiter à Flins les installations de l’usine Renault « Pierre Lefaucheux » avant de s’entretenir à l’Élysée une seconde fois avec le président Pompidou qu’il recevait le soir au Palais des Affaires étrangères.
La journée du 31 mars a été consacrée à des contacts multiples avec les personnalités du monde économique français, et les 1er et 2 avril le général Mobutu et sa suite se sont rendus en province, en Bretagne d’abord, dans les Alpes et l’Aquitaine ensuite, pour de rapides visites.
En Bretagne, les hôtes de la France ont visité Coëtquidan le 1er avril sous la conduite de M. Michel Debré, ministre d’État chargé de la Défense nationale. Le général s’est particulièrement intéressé aux méthodes de formation des officiers ainsi qu’aux exercices qui lui ont été présentés et auxquels participait un stagiaire congolais, élève officier d’active à Saint-Cyr.
Gagnant Grenoble dans la soirée, le Président, accompagné de M. Ortoli, ministre du Développement industriel et scientifique, a visité le 2 avril la Société grenobloise d’études et d’applications hydrauliques (SOGRÉAH), dont les activités ne pouvaient manquer d’intéresser les responsables d’un État qui équipe actuellement à Inga au Congo, l’une des plus grandes chutes hydrauliques du monde et qui envisage de créer, à l’embouchure du Congo, un vaste port en eaux profondes à Banana. Le Président devait également s’attarder quelque peu aux Établissements Neyrpic qui sont présentement l’un des premiers constructeurs de turbines hydrauliques du monde et qui ont déjà participé et participent encore – et pour une part très importante – à l’équipement hydraulique de la RDC, comme en témoignent les installations de la Tshopo en Province orientale, celles de le Marinel au Katanga ou celles prévues à Inga dans le Bas-Congo. À Saint-Égrève, le général a visité l’usine de la Thomson-CSF où sont regroupées une partie des études et fabrications de tubes électroniques, ainsi que celles des semi-conducteurs et composants intéressant la microélectronique de sa filiale, la Sescosem. Ces deux sociétés, qui concourent à l’équipement de l’infrastructure du Congo ont créé à Kinshasa une filiale, la « Thomson-CSF-Congo » dont la vocation consiste à développer sur place les moyens techniques nécessaires à l’installation et à la mise en œuvre des équipements électroniques modernes. Malheureusement et faute de temps, les usines dans lesquelles sont réalisés l’émetteur de 600 kW de Kinshasa, les grands axes de liaisons hertziennes ou les réseaux de télécommunications à bande latérale unique qui équiperont le Congo, n’ont pu être présentées. À Voreppe enfin, le général Mobutu s’est intéressé au Centre de recherches du groupe Pechiney dont les activités portent essentiellement sur les recherches appliquées, le développement et les recherches de base concernant l’aluminium et ses alliages, certains métaux rares ou certaines études physico-chimiques concernant le domaine du traitement des minerais.
À Bordeaux, où il s’est rendu au début d’après-midi, le président de la RD Congo devait assister, en présence de M. Fanton, secrétaire d’État auprès du ministre d’État chargé de la Défense nationale, à une remarquable démonstration d’un Mirage V, dernier né de la série des appareils militaires des usines Dassault. Il s’est particulièrement intéressé ensuite aux Mystère 20 et au prototype du Mercure, avion de court-courrier et de grande capacité de charge, qui est sur le point d’effectuer ses premiers vols d’essai.
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De retour à Paris, le général Mobutu et sa suite ont pris congé le 3 avril du Président et de Mme Pompidou au cours d’une brève cérémonie à l’Élysée tandis qu’un communiqué franco-congolais était publié à l’issue de cet ultime entretien. Ce communiqué souligne notamment que :
– le zaïre, monnaie nationale congolaise, sera désormais coté officiellement à la Bourse de Paris ;
– le Gouvernement français étendra à la RDC la garantie accordée dans la zone franc aux investissements privés, et encouragera les industriels français à s’établir au Congo et à y développer leurs investissements ;
– la coopération franco-congolaise sera augmentée d’environ 30 % notamment dans le domaine de l’enseignement supérieur, de l’assistance technique et culturelle ;
– le renforcement de la coopération se traduira également par un accroissement doublé de l’aide du FAC (Fonds d’aide et de coopération) et portant en particulier sur des opérations de développement rural, des recherches minières, les télécommunications, l’urbanisme, les transports, la sécurité aérienne…
D’autre part, il a été annoncé la construction à Kinshasa d’une usine de fabrication d’automobiles, comme suite à une convention signée le 3 avril entre le Gouvernement congolais et la Régie Renault-Saviem et Peugeot. L’usine qui nécessitera un investissement global de plus de 22 millions de francs, comprendra en outre une école de formation professionnelle et produira dans un premier stade environ 6 000 véhicules par an.
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En bref, cette visite qui s’est déroulée tout au long dans une excellente atmosphère se solde donc par un bilan constructif ; les contacts qui ont été pris avec les industriels français et les dispositions arrêtées en matière économique ne peuvent que contribuer à développer encore une coopération déjà importante et chaque jour grandissante.
Visiblement satisfait de son séjour en France, le chef de l’État congolais s’est envolé le 5 avril pour l’Extrême-Orient après s’être incliné sur la tombe du général de Gaulle à Colombey-les-Deux-Églises dans la journée du 4 avril. ♦