Outre-mer - En Afrique occidentale, l'échec d'un coup d'État militaire en Sierra-Leone entraîne un rapprochement de ce pays avec la Guinée-Conakry - À Madagascar, flambée de violence dans le Sud de la Grande île - En Tanzanie, nouveaux progrès de pénétration chinoise
En Afrique occidentale, l’échec d’un coup d’État militaire en Sierra Leone entraîne un rapprochement de ce pays avec la Guinée-Conakry
La Sierra Leone, qui a connu, depuis la proclamation de son indépendance en 1961, de nombreuses périodes de troubles, vient de connaître une nouvelle crise politique à la suite d’une tentative de coup d’État militaire.
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Ancien protectorat britannique, la Sierra Leone compte actuellement un peu plus de 3 millions d’habitants pour une superficie d’environ 71 000 km2. Devenue indépendante en 1961, elle reconnaissait néanmoins au sein du Commonwealth comme chef de l’État la reine d’Angleterre qui était représentée sur place par un gouverneur général, mais le pouvoir politique était aux mains d’un Premier ministre, élu par le Parlement. Ce pays a connu depuis dix ans diverses péripéties au cours desquelles se sont affrontés les deux partis politiques basés sur des assises tribales : le Sierra Leone People’s Party dominé par l’ethnie Mende majoritaire dans le sud du territoire et l’All People’s Congress (APC) représentant les ethnies créole et Temne, majoritaires dans le Nord. Victorieux aux élections de mars 1967, l’APC que présidait M. Siaka Stevens devait néanmoins s’incliner, quatre jours plus tard, devant un premier coup d’État militaire qui, à l’instigation du général Lanzana, alors commandant en chef, portait au pouvoir le colonel Juxon Smith, nommé président d’un Comité national de réforme.
Un an après, le 18 avril 1968, à la suite de diverses péripéties, un nouveau coup d’État effectué en définitive par un groupe de sous-officiers donnait le pouvoir à un « Mouvement révolutionnaire contre la corruption » qui, peu de temps après, cédait la place à un « Conseil national » que présidait le colonel Bangura. Celui-ci fit rétablir dans ses fonctions de Premier ministre, M. Siaka Stevens, le vainqueur des élections de 1967.
Depuis lors, le gouvernement de M. Stevens avait dû faire face sur le plan intérieur, aux problèmes posés par la construction nationale. Il s’était efforcé de lutter contre le tribalisme et contre la corruption tout en préconisant une politique d’austérité de tendance socialiste. Partisan de la proclamation de la République, il voulait trancher les derniers liens qui rattachaient ce pays à la couronne britannique, tandis que sur le plan des relations extérieures, il ne cessait d’améliorer ses rapports avec la Guinée de M. Sékou Touré.
Cependant en avril 1970, le procès des instigateurs du coup d’État de mars 1967 fournit à l’opposition un motif d’agitation nouvelle. Tandis qu’un certain favoritisme à l’égard des Krio de Freetown provoquait un mécontentement grandissant parmi les autres ethnies, on pouvait noter au cours du second semestre la reprise d’une opposition politique plus active. Au début de cette année, le Congrès de l’APC décidait, devant cette relance d’activité, de surseoir pour un temps aux projets de modification de la Constitution, ce qui entraînait le maintien au pouvoir jusqu’en 1973 et du Parlement et du gouvernement Stevens.
Dans le même temps, et dans l’esprit des décisions prises à Lagos à la suite de la conférence de l’OUA (Organisation de l’unité africaine), Guinée, Liberia et Sierra Leone négociaient un accord régional d’assistance mutuelle en cas d’agression extérieure. Tel est le contexte dans lequel devait éclater en mars dernier la nouvelle crise politique qui a secoué la Sierra Leone.
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En effet, dans la nuit du 22 au 23 mars, des éléments militaires obéissant aux ordres du général Bangura, commandant en chef des Forces armées, attaquaient à Freetown la résidence du Premier ministre, tandis que la radio annonçait la prise du pouvoir par l’Armée. Mais en réalité, le putsch devait échouer en raison de l’opposition d’une partie de l’armée, restée fidèle à la légalité représentée par M. Siaka Stevens, tout en étant désireuse aussi de sauvegarder une unité déjà fort éprouvée. Aussi pour emporter la décision, M. Stevens dut faire appel au président Sékou Touré, signant même avec lui un accord de défense qui permit quelques jours plus tard, de légaliser l’envoi à Freetown les 28 et 29 mars d’un contingent de militaires guinéens.
Fort de cet appoint de quelques centaines d’hommes, M. Siaka Stevens pouvait alors se permettre d’annoncer – face à l’armée sierra-léonaise restée dans ses casernes – la création d’une milice populaire tout en menant à bien son projet de modification des institutions qui se soldait le 19 avril par la proclamation de la République par le Parlement. La même assemblée, amendant la Constitution, faisait du président de la République le chef réel de l’exécutif, et élisait à ce poste M. Siaka Stevens demeuré jusqu’alors Premier ministre.
Prêtant aussitôt serment, ce dernier déclarait que la République de Sierra Leone resterait membre du Commonwealth, tout en se gardant la possibilité d’entretenir avec tous les pays qui le désiraient « des relations amicales fondées sur le respect et l’égalité avec elle ».
Ainsi ont été tranchés les liens institutionnels qui unissaient encore la Sierra Leone à la Couronne d’Angleterre. Sans doute les Britanniques se sont-ils inquiétés des perspectives d’évolution de cette situation nouvelle. Si M. Siaka Stevens semble avoir maintenant la situation en mains, il n’en reste pas moins qu’au cours des débats parlementaires, l’opposition n’a pas ménagé ses critiques, visant en particulier les accords de défense avec la Guinée-Conakry. Il y a peut-être là matière à conflit pour l’avenir d’autant plus que dans l’immédiat le nouveau régime paraît être fortement influencé par son voisin guinéen.
À Madagascar, flambée de violence dans le sud de la Grande Île
La presse a fait état de graves incidents qui ont éclaté au début du mois d’avril 1971 dans certaines régions du sud de la Grande Île et qui se sont poursuivis pendant 48 heures. Cette action est à mettre à l’actif du Monima, Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar. Elle n’a pas semblé avoir surpris les autorités locales qui avaient fait procéder dans la soirée du 31 mars à l’arrestation d’une dizaine de dirigeants de ce mouvement, dont la tentative en définitive s’est soldée très rapidement par un échec.
Le Monima est un parti politique d’opposition d’audience très limitée, qui date d’avant l’indépendance de l’île. Il fut fondé en juillet 1958 par M. Monja Jaona ancien maire de Tuléar. Exploitant l’esprit particulariste des habitants de cette région et leurs réticences répétées à l’égard du pouvoir central, tendance d’ailleurs qui existait déjà au temps de la monarchie merina, il avait fait campagne aux côtés du Parti du congrès pour l’indépendance de Madagascar – AKFM – parti marxisant qui préconisait le « non » au référendum de septembre 1958 [NDLR 2021 : référendum constitutionnel qui visait également à la création de la Communauté française en lieu et place de l’Union française]. Par la suite, Monja Jaona s’était désolidarisé de ce dernier pour prendre d’ailleurs des positions beaucoup plus extrémistes. Il avait réussi à se maintenir dans la province de Tulear, région pauvre où le développement économique est encore faible et où l’insécurité est chose relativement courante sous la forme du brigandage épisodique et traditionnel ou de l’enlèvement de troupeaux. Mais l’implantation de ce parti dans cette zone de peuplement non homogène était restée fort limitée. M. Monja Jaona d’autre part ne cachait pas ses sympathies pour la Chine populaire qu’il avait d’ailleurs récemment visitée.
Quoi qu’il en soit, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1971, puis les deux nuits suivantes, des postes isolés de gendarmerie étaient attaqués, quelques prisonniers étaient libérés, quelques manifestations étaient orchestrées, principalement à Bekily (150 km au sud-est de Tulear) à Bezaha (60 km à Test de Tulear), à Bettoky (60 km à l’est-sud-est de Tulear), à Antanimora (110 km à l’ouest de Fort-Dauphin). Des heurts étaient signalés avec les forces de police entraînant quelques morts. Des renforts de gendarmerie dépêchés rapidement sur place permettaient aux autorités de reprendre en mains la situation dès le 3 avril et le calme petit à petit revenait dans les esprits. Répondant à l’appel radiodiffusé du chef de l’État, les populations de la Grande Île dans leur immense majorité étaient demeurées calmes et loyales à l’égard du gouvernement et la tentative de rébellion ainsi fomentée dans le Sud était matée. Seuls aujourd’hui quelques irréductibles demeurent encore en brousse, pourchassés sans relâche par les forces de l’ordre qui bénéficient le plus souvent de l’appui des populations. Les autres partis d’opposition – l’AKFM notamment et qui est majoritaire à Tananarive – ont adopté sur ces affaires une attitude prudente : ils ont condamné la violence et déclaré vouloir rester dans la légalité. Dans ces conditions, l’action isolée menée par le Monima était d’avance vouée à l’échec, bien qu’elle intervienne à un moment où, indépendamment de l’agitation estudiantine, commencent à se poser de plus en plus dans la Grande Île les échéances que représentent les élections de l’an prochain.
En Tanzanie, nouveaux progrès de la pénétration chinoise
Entre le 29 mars et le 4 avril 1971, trois cargos en provenance de la Chine populaire ont débarqué du matériel de guerre en Tanzanie dans le port de Dar-es-Salam.
Il est bien entendu fort difficile d’évaluer très exactement les matériels qui ont été ainsi livrés. Mais il est à peu près assuré qu’indépendamment d’armes et de munitions d’infanterie, des pièces d’artillerie, une quinzaine de chars, une vingtaine de blindés, quelques vedettes rapides ou des engins de débarquement ont été fournis soit à la Tanzanie, soit pour certains de ces matériels, à des mouvements de libération africains qui trouvent asile dans ce pays.
Les observateurs n’ont pas manqué de rapprocher ces faits des autres livraisons d’armes, pour autant qu’elles puissent être connues, faites antérieurement par la Chine, en soulignant d’autre part que depuis 1969 la RPC se trouve être le seul État étranger à apporter une aide militaire à la Tanzanie depuis le départ à cette date de la mission militaire canadienne. Ainsi ne doit-on pas s’étonner de voir petit à petit les matériels d’origine britannique qui équipaient jusqu’ici l’armée tanzanienne, être remplacés par des armes et équipements en provenance de la Chine communiste. D’autre part, le nombre des experts militaires chinois présents en Tanzanie dépasse déjà plusieurs centaines. Sans doute il ne semble pas avoir été augmenté ces temps-ci, mais il serait question d’en doubler ou même d’en tripler le nombre, afin de permettre notamment une meilleure instruction des guérilleros des mouvements de libération africains.
Enfin, il n’est pas sans intérêt de rappeler que la Chine populaire participe, par ailleurs, sur les plans technique et financier à un programme de grands travaux, destinés à doter l’armée tanzanienne d’une infrastructure moderne intéressant les forces terrestres, maritimes et aériennes, infrastructure qui lui manque en ce moment. Il semble néanmoins que cette lente pénétration de la présence chinoise au sein de l’armée tanzanienne ne soit pas sans provoquer des réticences, spécialement chez les officiers qui ont été autrefois formés dans les écoles ou selon les méthodes des Britanniques. Il n’en demeure pas moins qu’à l’heure actuelle la RPC semble avoir obtenu une sorte d’exclusivité pour l’assistance militaire aux forces armées de Tanzanie. Cela d’ailleurs ne peut que contribuer à renforcer sa présence et consolider ses intérêts dans une région où elle entretient d’autre part plusieurs milliers d’experts civils qui participent actuellement aux travaux de construction du chemin de fer tanzambien (Tanzanie-Zambie), lequel ne sera sans doute pas achevé avant au moins cinq ans. ♦