Histoire de l’impôt. T. I : De l’Antiquité au XVIIe siècle
Chaque chapitre, chaque page presque, de cette longue mais très intéressante étude nous fait découvrir avec étonnement l’influence qu’une simple exigence comme celle de lever l’impôt a pu avoir sur l’histoire générale de l’humanité, sur son histoire politique aussi bien que sur son histoire économique : on apprend ainsi que l’histoire de l’État est intimement liée à celle de l’impôt, le système fiscal constituant cette charnière indispensable entre l’infrastructure économique et la structure politique.
On apprend beaucoup d’autres choses : que les cités méditerranéennes de l’Antiquité, par exemple, n’ont pu devenir de véritables puissances qu’en substituant l’impôt aux réquisitions de biens et de personnes. Que la désagrégation de l’État a toujours accompagné celle de l’impôt : la décadence de l’Empire romain, ainsi, peut être due non pas à la perte de vertus guerrières, mais au fait que l’Empire n’avait plus les finances de sa défense et que la population romaine se montrait de moins en moins apte à l’impôt.
L’auteur nous montre comment, du XIIIe au XVIIe siècle, la reconstitution de l’État et la construction d’États modernes n’a pu se faire sans une reconstitution parallèle de l’impôt. Et comment la technique fiscale, la forme que prit l’imposition décidèrent de l’histoire économique des États depuis le Moyen-Âge.
De même, les choix différents faits par les États pour combattre les révoltes fiscales et en général la résistance à l’impôt sont à l’origine des différences profondes qui subsistent de nos jours. On découvre ainsi que le système de la contrainte, adopté en France comme solution à la résistance du milieu, est à l’origine de la centralisation administrative, comme de la structure des services publics avec ces intendants dont les attributions multiples et puissantes découlaient de leur fonction première, la levée de l’impôt, et dont nos préfets ne sont que les successeurs.
On découvre enfin l’origine fiscale des assemblées : c’est la nécessité de lever l’impôt, nous dit Gabriel Ardant, et la recherche de l’assentiment, de l’acquiescement d’une fraction au moins des contribuables qui est à l’origine des régimes représentatifs, en Angleterre comme en France avec les États généraux ou les États provinciaux.
En exagérant, on en viendrait à expliquer toute l’histoire du monde par cette nécessité première de la fiscalité. Mais Gabriel Ardant est loin d’une telle déformation, même s’il nous amène à plus de réflexion et de circonspection à l’égard des motivations profondes des hommes qui nous gouvernent. C’est avec intérêt que nous attendons la parution du second tome – qui sera consacré aux XVIIIe, XIXe et XXe siècles – de cette histoire de l’impôt. ♦