Outre-mer - À Addis-Abeba, 8e Sommet des chefs d'État de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) - À Bamako, nouvel effort de la présence de la Chine populaire - Au Congo-Kinshasa, désordres à l'Université de Lovanium
À Addis-Abéba, 8e Sommet des chefs d’État de l’Organisation de l’unité africaine (OUA)
La 8e Conférence au Sommet des chefs d’État de l’OUA s’est tenue à Addis-Abéba du 21 au 23 juin 1971, dans une atmosphère assez tendue au début. C’est qu’en effet cette conférence avait été préparée par deux sessions ordinaires du Conseil des ministres des Affaires étrangères des pays de l’Organisation, sessions qui furent dominées par l’étude du problème que posent les relations à établir entre les États noirs indépendants d’Afrique et la République Sud-africaine. Les discussions abordées à cette occasion n’ont pas manqué d’être fort vives et quelquefois assez passionnées.
La 16e session du Conseil des ministres, qui s’est déroulée dans la capitale éthiopienne du 11 au 15 juin, avait sans doute admis en son sein sans trop de difficultés la délégation ougandaise qui représentait le nouveau gouvernement du général Amin [Dada]. Mais elle avait surtout traité des problèmes financiers de l’Organisation, fixant le budget de fonctionnement aux alentours de 3 millions de dollars, déterminant la contribution financière à apporter au fonds spécial d’aide aux mouvements de libération africains. Mais déjà l’absence de trois délégations – Congo-Kinshasa, République centrafricaine et Île Maurice – avait été particulièrement remarquée.
La 17e session qui suivit aussitôt – elle se tint en effet à Addis-Abéba du 15 au 19 juin – s’est pour sa part consacrée uniquement aux problèmes politiques. Le problème des relations à établir avec l’Afrique du Sud a naturellement été au centre des discussions. Nous avons déjà eu l’occasion dans des chroniques antérieures (1) de rappeler les thèses en présence à ce sujet. La Côte d’Ivoire, pour sa part, restait le chef de file des États partisans de contacts prudents et concertés en vue de l’ouverture d’un dialogue entre les deux parties. Ils s’opposaient ainsi à ce sujet aux États modérés et progressistes qui, quant à eux, rejetaient à des degrés divers toute conversation directe, les premiers souhaitant plutôt que l’affaire se traite entre Noirs et Blancs en République Sud-Africaine, les seconds n’écartant pas, pour forcer la décision, l’appel à la violence, avec en particulier et tout naturellement l’appoint d’un soutien armé venu de l’étranger. C’est dire les clivages que ces tendances représentaient au sein de l’Organisation. Aussi, ne nous étonnons pas si, après de longues discussions, les représentants de la Côte d’Ivoire et du Gabon, estimant que le problème en définitive était du ressort des chefs d’État eux-mêmes, ont fini par quitter la conférence, tandis que d’autres se sont contentés – comme le Dahomey [futur Bénin], la Haute-Volta [futur Burkina Faso] ou le Togo – de s’abstenir de participer aux débats.
Finalement le 19 juin, les ministres ont approuvé par 27 voix sur 33 une résolution constatant qu’il n’existait « aucune base pour un dialogue valable avec l’Afrique du Sud », tandis que dans une autre motion, votée le même jour, ils condamnaient une fois de plus les puissances qui livraient des armes à ce pays.
C’est donc dans une atmosphère assez tendue que devait se réunir, du 21 au 23 juin, la 8e Conférence au Sommet des chefs d’État africains.
Sur les 41 États indépendants du continent, 11 seulement étaient représentés par leur chef d’État, mais beaucoup avaient néanmoins envoyé à la tête de leur délégation des personnalités importantes. Le renouvellement traditionnel du président de l’Organisation se fit sans difficulté. Il revenait cette année au chef d’État de la Mauritanie, Moktar Ould Daddah, d’assurer cette présidence en remplacement du chef d’État zambien. Mais d’entrée de jeu, l’Empereur d’Éthiopie, Haïlé Sélassié Ier, dans son discours d’ouverture, rappelait l’objet essentiel de la réunion. Selon lui le seul dialogue possible à établir devait l’être entre les dirigeants des mouvements de libération d’Afrique australe et le gouvernement de Pretoria. Cette position relativement conciliatrice rejoignait, dans une certaine mesure, celle d’autres chefs d’État comme celle exprimée par le président Senghor (Sénégal) qui se référait au manifeste de Lusaka de 1969. Ce texte préconisé à l’époque par le président Kaunda de Zambie et qui fut par la suite présenté à l’ONU par le président Ahidjo du Cameroun, envisageait en effet la possibilité « d’un progrès pacifique vers l’émancipation des Noirs d’Afrique du Sud ». Aussi, le désir de concilier toutes les thèses l’emportant, la Conférence en vint à entériner sans trop les modifier, les deux résolutions adoptées par la 17e session du Conseil des ministres, et il était stipulé notamment que l’OUA rejetait la prétendue politique d’ouverture du gouvernement sud-africain. Ces textes furent confirmés par un nouveau vote le 23 juin 1971 après qu’ait été rejetée une nouvelle proposition ivoirienne de rencontre des chefs d’État, rencontre qui aurait été exclusivement consacrée à un autre examen du problème.
Ainsi l’OUA est-elle parvenue, une fois de plus, à surmonter ses dissensions. Il n’en reste pas moins que les tendances exprimées au cours de la dernière conférence demeurent et que certains pourraient être tentés de les exploiter en attendant le prochain sommet qui a été fixé, pour juin 1972 à Rabat. Il est peu probable que d’ici là et dans la conjoncture présente le problème des relations des États noirs indépendants avec la République Sud-africaine ait très sérieusement évolué.
À Bamako, nouvel effort de présence de la Chine populaire
En avril et au début de mai 1971, une délégation malienne, conduite par le ministre des Affaires étrangères, le capitaine Cissoko, a séjourné en Chine populaire dans le but, comme l’a souligné le ministre à son retour à Bamako, de consolider les rapports entre les deux pays et d’accroître davantage les activités de coopération.
II semble bien que, malgré les déclarations rassurantes de certains membres de la délégation, les conversations qui se sont engagées à cette occasion aient été particulièrement importantes et l’on rapporte notamment que les Maliens auraient obtenu des Chinois l’engagement de construire le barrage régulateur et hydroélectrique de Manantaly. Ce barrage, dont le coût serait de l’ordre de 250 millions de francs CFA, est prévu sur la rivière Bafing, affluent du fleuve Sénégal et doit permettre la mise en culture de plus de 300 000 hectares ainsi que la fourniture de l’énergie nécessaire à la création d’industries diverses. C’est dire son importance dans l’économie du pays.
Il est bien évident que la construction de ce barrage, s’il doit se réaliser un jour, va entraîner un afflux de nouveaux coopérants chinois indispensables aux études préliminaires comme aux études propres aux problèmes financiers. Cela demandera du temps, de sorte que l’on peut penser que les travaux, dans cette hypothèse, ne pourront commencer que dans plusieurs années. Comme ceux-ci sont susceptibles de durer également plusieurs années, on pourrait donc s’attendre avec toutes les conséquences que cela peut entraîner, à une implantation durable de techniciens chinois dans cette région Sud-Ouest du pays.
Il est bien évident aussi que la politique chinoise s’en trouverait tout naturellement renforcée. Ayant déjà des sympathies tant à Alger qu’à Conakry (Guinée), elle pourrait ainsi peser d’un poids plus lourd dans la politique intérieure malienne. Quand on rapproche cette situation des efforts des Chinois faits dans le même temps en Tanzanie, en Mauritanie, au Congo-Brazzaville, en Somalie ou en Zambie, on ne peut exclure l’hypothèse d’un nouvel effort de la Chine en direction de l’Afrique. Il y a là un problème à suivre qui intéresse non seulement le Mali et ses voisins mais aussi toute l’Afrique.
Au Congo-Kinshasha, désordres à l’Université Lovanium
Le 4 juin 1971, des désordres se sont produits à l’Université Lovanium, située dans la banlieue de Kinshasa et le général Mobutu, chef de l’État, a été contraint de prendre des mesures aussi fermes que spectaculaires pour mettre un terme à cette agitation.
L’université catholique Lovanium, la plus importante des universités congolaises après celles de Lubumbashi et de Kisangani, abrite quelque 4 000 étudiants qui s’étaient déjà signalés à l’attention des autorités, notamment en juillet 1970 au cours d’incidents sanglants. On se souvient que ces jeunes gens s’opposèrent alors, au cours d’une manifestation, aux forces de la gendarmerie et de l’Armée nationale congolaise. Ayant voulu célébrer cet anniversaire, 2 000 étudiants environ ont organisé le 4 juin dernier un simulacre d’enterrement du chef de l’État tandis qu’ils molestaient leur Recteur. Envoyé sur les lieux pour rétablir l’ordre, le commandant en chef par intérim de l’ANC, le général Bosango, s’était fait accompagner d’une escorte qui fut amenée à ouvrir le feu dans des conditions mal connues. Plusieurs étudiants furent blessés.
Décidé à agir fermement et rapidement, le gouvernement sous l’impulsion énergique de son chef décidait le lendemain que les étudiants compromis dans cette affaire seraient enrôlés dans l’armée pour deux ans. Entre le 8 et le 10 juin, 2 700 étudiants furent donc incorporés dans l’ANC. Quelques manifestations hostiles ayant eu lieu à l’université de Lubumbashi, le choix fut donné aux étudiants contestataires d’avoir à se décider entre la poursuite de leurs études ou un engagement de sept ans dans l’ANC. 126 d’entre eux optèrent pour un engagement dans l’armée. C’est ainsi que, au total, 2 900 étudiants environ ont revêtu l’uniforme militaire. Des poursuites ont par ailleurs été engagées contre une soixantaine de récalcitrants qui ne se sont pas présentés aux bureaux de recrutement. 16 d’entre eux considérés comme insoumis ont été condamnés, le 12 juin, à dix ans de prison.
Conscient néanmoins des problèmes qui se posent aux universités congolaises, le gouvernement du général Mobutu étudie par ailleurs une réorganisation de l’enseignement supérieur au Congo. Une commission spéciale comprenant entre autres des responsables du Bureau politique du Parti, des membres de l’Enseignement et de la Magistrature, étudie ces problèmes. Il est prévu très prochainement la réunion d’un congrès des enseignants au cours duquel le Parti indiquera aux professeurs « le sens dans lequel les jeunes du pays doivent être orientés pour être des Congolais authentiques ».
Pour le moment, ces décisions n’ont guère suscité de réactions dans le pays. Considérés par les populations comme des privilégiés, les étudiants se retrouvent ainsi seuls face à leurs problèmes. Il est possible qu’ils s’assagissent avec le temps, ce qui pourrait entraîner de la part du Gouvernement un assouplissement des mesures qui viennent d’être prises à leur encontre.
(1) Cf. « Chronique d’Outre-Mer », Revue Défense Nationale, juin 1971.