Défense en France - Réunion du Conseil supérieur de la fonction militaire - Bilan législatif 1969-1971
Réunion du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM)
Le Conseil supérieur de la fonction militaire s’est réuni le 13 juillet à Paris, non pas pour une session de délibérations, mais pour recevoir, de la bouche de son président, M. Michel Debré, ministre d’État chargé de la Défense nationale, la primeur des mesures adoptées par le Conseil des Ministres du matin concernant le personnel militaire.
Parmi ces mesures, applicables au 1er janvier 1972, certaines s’inscrivent dans le cadre de l’effort entrepris depuis plusieurs années pour améliorer la condition des militaires, d’autres répondent à des besoins nouveaux. Dans la première catégorie, les dispositions adoptées tendent à améliorer la condition matérielle des militaires en ce qu’elles affectent l’avancement, les rémunérations, la retraite. C’est ainsi que les sous-lieutenants issus du recrutement semi-direct (École militaire interarmes, École militaire de la flotte, École militaire de l’air), bénéficieront d’une bonification d’ancienneté d’une année et recevront leur deuxième galon après un an de grade.
Afin de rattraper une certaine érosion du pouvoir d’achat, l’indemnité pour charges militaires sera majorée de 5 % et la prime de qualification pour diplômes ou titres de guerre de 25 %. En effet, le montant de ces compléments de la solde étant fixé de façon forfaitaire et non indexé, il importe de le réviser périodiquement ce qui n’avait pas été fait depuis début 1970 pour l’une et juillet 1968 pour l’autre.
Pour améliorer les retraites, l’ancienneté dans le grade ne sera plus exigée pour l’accès aux derniers échelons des grades de lieutenant et de capitaine. Cette mesure favorisera les officiers issus du rang en leur permettant d’atteindre, avant la limite d’âge, par la seule ancienneté de service l’échelon maximum de leur grade, échelon qui sert de base au calcul de leur retraite. De même, les militaires ayant une limite d’âge relativement courte, en principe inférieure à 58 ans, bénéficieront d’une bonification de trois annuités, après 25 ans de service. Cette mesure tend à compenser la diminution des possibilités d’acquérir des bonifications pour campagne comptant pour le calcul de la pension de retraite.
Dans la seconde catégorie de mesures, celles visant à faire face à des problèmes nouveaux, on peut ranger les dispositions concernant les officiers du personnel navigant de l’Armée de l’air, les sous-mariniers et les officiers désirant quitter le service actif.
Les limites d’âge des officiers du personnel navigant étant considérées comme beaucoup trop basses, il a été décidé de les relever d’un an et de réduire d’autant le congé accordé à la limite d’âge qui est donc ramené à quatre ans. Cette mesure sera étalée sur quatre ans, par tranches annuelles de trois mois, pour ne pas modifier trop brutalement la gestion des effectifs.
On sait que la mise sur pied de la force de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (4 ou 5 SNLE comportant chacun deux équipages et demi de 135 hommes) impose à la Marine un effort considérable de recrutement et de formation. En effet, les effectifs globaux qui étaient de 1 700 en 1970 doivent être portés à 4 000 en 1980. Pour encourager le volontariat, un certain nombre de mesures prendront effet du 1er janvier 1972 : aménagement de la majoration de solde pour service sous-marins, attribution d’une majoration à certains sous-mariniers non embarqués, création d’une prime de volontariat variable suivant le grade et la durée de l’engagement, relèvement du plafond de la bonification d’annuités comptant pour la pension de retraite. Rappelons qu’il est déjà instauré une substantielle prime de patrouille, indépendante du grade, pour récompenser une croisière solitaire de près de trois mois en plongée.
Enfin, la dernière mesure est destinée à faciliter la réduction des effectifs. Cette réduction, fixée à environ 1,5 % par an pendant toute la durée du 3e plan militaire, a été décidée pour contenir la croissance du titre III (fonctionnement) du budget. Pour encourager les départs volontaires, il est prévu que certains des officiers ayant accompli 25 ans de service pourront bénéficier de la retraite du grade ou de l’échelon supérieur. Cette disposition complète celles déjà prises (1).
Pour conclure, le ministre d’État chargé de la Défense nationale a souligné l’importance de l’effort financier pour le budget de la Défense nationale. Ces nouvelles dispositions s’ajoutent en effet à celles arrêtées antérieurement et dont l’application se poursuit chaque année : amélioration de l’échelonnement indiciaire des militaires non-officiers pour rattraper le décalage des indices par rapport aux personnels civils, amélioration de la pyramide des grades du personnel féminin et des hommes du rang de l’Armée de terre, augmentation du prêt du soldat. Michel Debré n’en a pas moins affirmé son intention de poursuivre l’action entreprise en faveur des militaires de carrière.
Bilan législatif 1969-1971
Les périodes calmes comme celles des congés d’été étant favorables à la réflexion et à la synthèse, profitons-en pour dresser le bilan du travail législatif du département de la Défense nationale entre juillet 1969 et juillet 1971 et qui comporte 20 textes de lois adoptées et promulguées.
En dehors des habituelles lois de finances qui fixent ou rectifient annuellement le budget des Armées, la période considérée a vu l’élaboration de la 3e loi de programme, la réforme du Service national et la création du CSFM. Mais outre ces produits spectaculaires du travail législatif, nombre de lois, de portée plus modeste, ont vu le jour, dont seule la somme permet de voir qu’elles s’inscrivent dans une action d’ensemble qui vise à réformer certaines structures des Armées dans le sens de la rationalisation et de la simplification.
Dans le domaine financier 5 lois ont successivement rectifié le budget 1969 (69-1160 du 24 décembre), établi et rectifié le budget 1970 (69-1161 du 24 décembre et 70-1283 du 31 décembre), fixé le budget 1971 (70-1199 du 21 décembre) et établi le programme d’équipement pour la période 1971-1975 (loi 70-1058 du 19 novembre). Les budgets militaires 1970 et 1971 ont été analysés en leur temps (2). Leur caractéristique était de représenter une part toujours moindre du budget général de l’État et du Produit national brut (PNB) et de contenir la croissance du titre III (fonctionnement) pour maintenir les investissements à un niveau satisfaisant.
La loi de programme autorisant le déroulement du 3e plan militaire (3) innove par rapport à la précédente en ce qu’elle couvre la totalité des équipements militaires et donne valeur législative aux autorisations de programme chiffrées. Elle se caractérise par la priorité donnée aux forces nucléaires stratégiques par rapport à la modernisation des autres forces.
Afin de faciliter la réduction d’effectifs décidée pour réduire la croissance du titre fonctionnement du budget des armées, la loi 70-2 du 2 janvier 1970, complétée par un train de décrets, a fixé les conditions dans lesquelles les officiers en activité pourraient avoir accès aux administrations de l’État, aux collectivités locales, aux établissements publics, aux offices, sociétés nationales et sociétés concessionnaires.
La grande réforme de la période considérée aura été celle du service national. Les principales innovations de la loi (70-596 du 9-7-70) concernent :
– la réduction à 12 mois de la durée du service obligatoire,
– le choix de la période d’incorporation entre 18 et 21 ans,
– la suppression des sursis remplacés par des reports d’incorporation beaucoup plus restrictifs,
– la possibilité d’effectuer le service militaire dans la Gendarmerie,
– l’instauration d’un service volontaire féminin (4),
– l’attribution du droit de vote aux citoyens à l’issue du Service national quel que soit leur âge.
Cette loi a été reprise dans le Code du Service national (loi 71424 du 10 juin 1971) qui regroupe de façon homogène la documentation concernant les obligations de service des citoyens (5). Par ailleurs la loi 70468 du 3 juillet 1970 a autorisé l’approbation de la convention franco-espagnole relative au service national des doubles nationaux.
Dans le cadre de la modernisation du style de vie des Armées, la grande innovation aura été la création du Conseil supérieur de la fonction militaire par la loi 69-1044 du 21 novembre 1969. Il a déjà été rendu compte de l’activité de ce Conseil (6) qui, aux termes de la loi, « exprime son avis sur les questions de caractère général relatives à la condition et au statut des personnels militaires ».
Dans le domaine du regroupement des différents corps, la Marine, à qui on reproche souvent son particularisme, qui est pourtant dû à sa vocation très spéciale, a subi de grandes réformes.
Dans un souci d’harmonisation avec les Armées de terre et de l’air, la loi 69-1138 du 20 décembre 1969 d’une part supprime le recrutement des élèves-officiers de Marine et des officiers des équipages de la flotte, le recrutement semi-direct étant assuré par l’École militaire de la flotte, d’autre part crée un corps d’officiers techniciens de la Marine recrutés soit par concours direct soit parmi les officiers-mariniers des deux plus hauts grades.
La loi 704 du 2 janvier 1970 intègre les ingénieurs hydrographes dans le corps des Ingénieurs de l’armement (IA), corps unique créé au 1er janvier 1968 par le regroupement des différents corps des ingénieurs du génie maritime et de l’artillerie navale, et des ingénieurs militaires de l’air, des poudres, des fabrications d’armement, des télécommunications.
De même les Ingénieurs des directions de travaux (IDT) de la Marine, des branches service hydrographique, transmissions, commissariat sont intégrés dans le corps des Ingénieurs des études et techniques d’armement (IETA) qui regroupe déjà, depuis le 1er janvier 1968, les IDT des constructions et armes navales, les ingénieurs militaires des travaux de l’air, des télécommunications, les ingénieurs des travaux d’armement, de poudrerie et les ingénieurs chimistes du service des poudres.
De ce fait ces nouveaux IA et IETA passent sous l’administration de la Délégation ministérielle pour l’armement (DMA) puisque les dispositions de la loi du 4 mars 1929 sur les corps de l’Armée de mer ne leur sont plus applicables. Aux termes de la loi 70-6 du 2 janvier 1970 cette même loi du 4 mars 1929 n’est plus applicable non plus au corps militaire des ingénieurs en chef et généraux des travaux maritimes. De façon similaire, la loi 70-5 du 2 janvier 1970 constitue au 1er janvier 1969 un corps militaire d’ingénieurs des études et techniques de travaux maritimes (IETTM) dans lequel sont intégrés les IDT de la branche travaux maritimes et auquel sont applicables les dispositions de la loi concernant les IETA.
En vertu de la loi 70-3 du 2 janvier 1970, la gendarmerie maritime, qui peut faire remonter ses origines à l’an 1337 et qui avait farouchement défendu jusqu’alors son indépendance, justifiée par l’originalité de ses missions, est intégrée au sein de la Gendarmerie nationale. L’officier en chef de 1re classe qui en commandait la Légion prend le titre de colonel, les premiers-maîtres deviennent adjudants et toutes les appellations sont celles de l’Armée de terre.
L’Armée de l’air, pour sa part, a vu fixer par la loi 69-1043 du 21 novembre 69, les modalités régissant le passage d’un corps à l’autre pour les officiers de l’air, les officiers des bases de l’air et les officiers mécaniciens de l’air.
Adoptée le 29 juillet 1970 après une longue navette entre les deux assemblées, la loi 70-631 relative à l’École Polytechnique ouvre notamment cette école aux candidats du sexe féminin et prévoit la création d’un cadre des personnels militaires féminins de réserve, traduisant ainsi, après la création du Service national volontaire, le souci du ministre d’offrir la possibilité au zèle, au dévouement et au patriotisme des femmes de se manifester au service de la nation.
La loi 70-540 du 24 juin 70 apporte quelques aménagements à celle du 31 juillet 1968 relative aux corps militaires du Service de santé des armées (SSA) et prévoit en particulier l’affectation à ce service des étudiants en médecine, en pharmacie et en chirurgie dentaire qui effectuent leur service militaire actif.
En raison de la diminution sensible du nombre des animaux utilisés dans les Armées, il était nécessaire de réviser l’emploi des vétérinaires militaires. C’est l’objet de la loi 71-460 du 18 juin 1971 qui détermine les fonctions des « vétérinaires biologistes des armées » : participer aux études, recherches et expérimentations d’ordre scientifique ou militaire en matière nucléaire, biologique et chimique, assurer la gestion et la surveillance sanitaire des animaux, contrôler les denrées d’origine animale destinées à l’alimentation du personnel.
Le vénérable service des poudres, héritier de la régie royale instituée par Turgot en 1775, a été profondément modifié par la loi 70-575 du 3 juillet 1970 portant réforme du régime des poudres et substances explosives.
Cette réforme, imposée par les articles 92 et 223 du Traité de Rome (1957), implique l’aménagement du monopole de l’État, donc la création d’une Société nationale des poudres et explosifs au sein de laquelle le service des poudres œuvrera en liaison avec des entreprises publiques ou privées. Il en résulte, dans la pratique, une meilleure rentabilité par la concentration possible des établissements et la spécialisation de la recherche et des fabrications. Les missions de « puissance publique » sont désormais, selon leur caractère militaire ou civil, réparties entre la DMA et le ministère du Développement industriel et scientifique.
Prévision, réforme, innovation et modernisation, tels sont donc les aspects de ce travail minutieux et au cheminement forcément lent puisqu’en matière législative il convient de peser tous les mots, tant au niveau du rédacteur qu’à celui du parlementaire, tel est donc ce bilan important du patient remodelage de la structure de la Défense nationale. ♦
(1) Voir Revue de Défense Nationale, juin 1971, p. 1021.
(2) Voir RDN, janvier 1970, p. 129 et janvier 1971, p. 16.
(3) Voir RDN, décembre 1970, p. 1897.
(4) Voir RDN, juin 1971, p. 1022.
(5) Voir RDN, août-septembre 1971, p. 1373.
(6) Voir RDN, janvier 1971, p. 143 et juin 1971, p. 1021.