Outre-mer - Au Liberia : la disparition du président Tubman - L'Ouganda dans une situation délicate - Coups d'État… et… contre-coup d'État au Soudan
Au Liberia : la disparition du président Tubman
William Tubman, président de la République du Liberia, est mort à Londres le 23 juillet 1971 à la suite d’une intervention chirurgicale à la prostate. Il était âgé de 76 ans.
« Vice-doyen » des chefs d’États africains, il n’avait pas cessé de diriger son pays d’une main ferme depuis le 3 janvier 1944, date de sa première élection à la présidence.
Ses obsèques ont été célébrées le 29 juillet à Monrovia au milieu d’une foule énorme venue de tous les horizons du Liberia et en présence de délégations envoyées par quelques pays occidentaux et par de nombreux pays africains, souvent représentés par le chef d’État lui-même.
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Bien qu’inachevée, l’œuvre du président Tubman dans les domaines politique et économique est considérable.
À l’intérieur, le président Tubman a été le premier chef d’État libérien à se faire l’artisan de l’unité nationale. Il s’est efforcé de réconcilier l’élite dirigeante et nettement minoritaire constituée par les descendants des esclaves noirs rapatriés d’Amérique et les populations autochtones peu évoluées et tenues à l’écart des affaires publiques. Aujourd’hui, les Noirs de l’intérieur du pays accèdent peu à peu aux responsabilités. Disposant de la moitié des sièges à la Chambre des Représentants, leur influence politique s’affirme. Néanmoins, les « américano-libériens », qui détiennent toujours les postes-clefs dans l’administration et les milieux d’affaires, continuent de dominer la vie politique.
Le président Tubman, soucieux de promouvoir le développement économique de son pays et partisan convaincu du libéralisme économique, a su se dégager partiellement de l’emprise économique des États-Unis en favorisant l’entrée des capitaux étrangers d’origine européenne. Cette politique d’ouverture a été couronnée de succès.
Jadis vouée à la monoculture de l’hévéa, imposée par les compagnies Firestone, Goodrich et Allen Grant, l’économie libérienne est maintenant largement diversifiée et connaît une expansion certaine : les productions agricoles sont en progrès et le Liberia, tout en développant la culture du caoutchouc, l’exploitation de l’or, des diamants et des bois, est devenu, en une dizaine d’années, le troisième exportateur mondial de minerai de fer. La balance commerciale est très largement excédentaire.
En matière de relations extérieures, le président libérien a toujours pratiqué en Afrique une politique de bon voisinage. Modéré, il a fait fréquemment office de médiateur lors des conflits entre États africains. Sa modération ne l’a toutefois pas empêché, récemment, de condamner les propositions ivoiriennes en vue de l’ouverture d’un dialogue avec l’Afrique du Sud.
Parmi les grandes puissances, les États-Unis ont évidemment une influence prépondérante au Liberia et notamment sur la minorité d’origine américaine. Le président Tubman cachait tellement peu ses préférences pour les pays « occidentaux » qu’il n’a jamais voulu entretenir de relations diplomatiques avec l’URSS ou la Chine populaire.
En ce qui concerne plus spécialement les rapports du Liberia avec la France il convient de noter que lors de son dernier passage à Paris, le président Tubman avait manifesté le désir de voir se renforcer les liens économiques et culturels existant entre les deux nations.
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En dépit des progrès accomplis le pays n’était pas exempt de tensions internes et il semble que, depuis quelques années, le président Tubman ait vécu dans la crainte des complots.
Ainsi en novembre 1968, il faisait emprisonner de hauts fonctionnaires accusés de soutenir l’ex-ambassadeur Henri Boïnia Fahnbulleh, lui-même condamné quelques mois auparavant à vingt ans de prison.
En septembre 1969 il faisait arrêter le général Albert White, Chef d’état-major général, accusé de sédition.
En novembre 1969, il rétablissait la « loi sur les pouvoirs spéciaux » à la suite d’incidents raciaux survenus à Monrovia, et en 1970, le Chef d’état-major de l’armée, le général George T. Washington, accusé d’avoir projeté l’assassinat du général Korbey Johnson, son successeur, et de M. Allen H. Williams, secrétaire d’État à la Défense, était démis de ses fonctions en mars et incarcéré en octobre.
Ces arrestations de hautes personnalités ne signifiaient pas pour autant que le régime était menacé. En réalité, habilement entretenue par tous les moyens d’information dont disposaient l’État et les institutions sociales, universitaires, voire religieuses, la popularité de « l’oncle Shad », était demeurée tellement vivace qu’elle avait incité le vieil homme à briguer et à obtenir en mai 1971, avec une confortable majorité, un 7e mandat présidentiel.
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La succession du président Tubman s’annonce difficile à assurer et cela d’autant plus qu’un désir diffus de changement se fait jour, en particulier chez les jeunes qui aspirent à une évolution dans le domaine social et dans l’enseignement.
Conformément à la Constitution, M. William R. Tolbert, élu vice-président de la République en 1952, régulièrement réélu depuis, et considéré par les Libériens comme le légataire universel du président défunt, l’a tout naturellement remplacé à la tête de l’État.
Dix-neuvième président du Liberia depuis l’indépendance de ce pays en 1847, docteur en Droit, M. Tolbert, qui est ce qu’on appelle dans le pays « un homme de Dieu », préside la « Convention missionnaire et éducatrice baptiste du Liberia », après avoir été Président de l’Alliance mondiale baptiste.
Il a assuré dans ses premières déclarations officielles que, « modeste continuateur du grand homme d’État disparu que personne n’égalera jamais », il poursuivrait, dans tous les domaines, la politique de son prédécesseur.
L’Ouganda dans une situation délicate
Le général Amin [Dada], Chef d’état-major de l’armée ougandaise, a pris le pouvoir le 25 janvier 1971, profitant de l’absence du président Obote alors à Singapour où il participait à la conférence du Commonwealth. Les premiers mois du nouveau régime ont été hérissés de difficultés que le nouveau chef de l’Ouganda s’est employé à réduire avec des fortunes diverses.
Sur le plan international tout d’abord, les missions diplomatiques accréditées à Kampala se sont maintenues après le coup d’État, ce qui équivalait à une reconnaissance implicite du nouveau régime. Compte tenu des tendances « progressistes » de l’ancien président et des déclarations franchement « libérales » du nouveau, les pays occidentaux apparaissent cependant plus favorables au général Amin que les pays socialistes.
Ces options idéologiques ont eu des répercussions décisives sur la vie économique du pays. Ainsi, les mesures hâtives de socialisation décidées par le Président déchu, en désorganisant complètement la production agricole et industrielle et surtout en décourageant les investissements étrangers, avaient créé un mécontentement général dans tout le pays. Depuis son arrivée au pouvoir, le général Amin s’efforce de rétablir la situation économique, en mettant un frein aux mesures de nationalisation et en recourant à l’aide étrangère.
Mais c’est dans le domaine politique qu’ont surgi les problèmes les plus graves. Le renversement de M. Obote, accusé d’avoir favorisé les tribus du Nord, dont il est originaire, au détriment de l’important groupe ougandais du Sud, a provoqué une réaction qui prend les apparences de luttes tribales ; celles-ci sont aggravées parfois par les brutalités de l’armée. Le général Amin s’efforce d’atténuer les conséquences de ces maladresses en adoptant une attitude de conciliateur. Cela lui est facilité par le discrédit dans lequel était tombé son prédécesseur en raison de son autoritarisme et de son insuccès en matière économique. Mais le Président déchu essaie de regrouper ses partisans, aidé en cela par certains pays voisins de l’Ouganda.
Les États africains, en effet, sont partagés sur le problème ougandais, en raison du rôle primordial que jouait Milton Obote dans les orientations progressistes de l’Afrique, aux côtés de Julius Nyerere (Tanzanie). L’OUA, dont le dernier « sommet » s’est déroulé à Addis-Abeba dans une certaine confusion, n’a pu réduire cette cause de discorde.
Parmi les voisins de l’Ouganda, deux pays, le Soudan et la Tanzanie, sont nettement hostiles au régime du général Amin. Les partisans de M. Obote, originaires pour la plupart du Nord du pays, trouvaient refuge au Soudan. Mais les bouleversements récents auxquels le gouvernement de Khartoum a dû faire face le préoccupent suffisamment pour l’inciter à une politique étrangère plus circonspecte. Les réfugiés ougandais se seraient donc repliés en Tanzanie d’où ils s’infiltreraient en Ouganda pour s’y livrer à des actions de terrorisme. Le général Amin accuse le gouvernement de Dar-es-Salam non seulement d’encourager ces menées subversives mais même d’y participer. Estimant que les affrontements sanglants, mettant périodiquement aux prises les troupes ougandaises loyalistes et des militaires tanzaniens soutenant les Ougandais rebelles, prenaient une ampleur inquiétante, il a décidé d’assurer personnellement le commandement de l’armée et n’a pas hésité à mettre en cause la Chine populaire, en affirmant qu’au cours d’un violent accrochage survenu dans le Sud du pays, un officier chinois avait été tué. Cette information a été démentie par Dar-es-Salam et par Pékin mais la situation reste tendue à la frontière.
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La dégradation des relations entre l’Ouganda et la Tanzanie a pour autre conséquence de paralyser le fonctionnement des institutions de la Communauté économique de l’Est-africain qui regroupait ces deux pays et le Kenya.
L’Ouganda, pour faire face aux dangers qui le menacent, tant à l’intérieur que du fait de ses voisins, se tourne vers les pays occidentaux et aussi vers Israël afin d’obtenir l’aide économique et surtout militaire qui lui permettra de consolider une position quelque peu délicate.
Il semble cependant que la solution à tous les problèmes en suspens entre l’Ouganda et la Tanzanie puisse être trouvée par la négociation et non par les armes.
On peut espérer du reste que le président Nyerere, en butte lui-même à certaines oppositions intérieures, mettra une sourdine à sa véhémente hostilité à l’égard du nouveau régime ougandais et que cette belle région d’Afrique retrouvera son équilibre dans un proche avenir.
Coups d’État… et… contre-coup d’État au Soudan
Le 19 juillet, dans l’après-midi, on apprenait par la radio d’Omdurman que le général Nimeiry, chef de l’État soudanais, avait été arrêté et que le commandant Hachem el Atta avait pris le pouvoir. Puis, après une brève période de flottement, la situation était renversée le 22 juillet au profit du général Nimeiry.
Ce coup d’État avorté constituait, pour « les milieux bien informés », le dénouement logique d’un drame en quatre actes… qui avait, du reste, commencé par un coup d’État réussi !
En effet, le 25 mai 1969, le putsch des « Officiers libres » faisait du général Nimeiry, président du Conseil de la révolution, le chef de l’État soudanais. Soutenu par des officiers dynamiques comme le colonel Babikr el Nour, le commandant Hachem el Atta et le commandant Osman Hamadallah, tous trois membres du Conseil de la Révolution, s’appuyant sur les forces populaires et notamment sur le Parti communiste soudanais, un des plus anciens et des plus structurés du monde arabe, le général Nimeiry s’attaquait tout d’abord à l’opposition conservatrice symbolisée par El Mahdi. Celui-ci ayant fomenté un soulèvement, le 30 mars 1970, était écrasé dans le réduit de l’île d’Aba où il trouvait la mort.
Après cette affaire le général Nimeiry dont les ambitions s’affirmaient, devait cependant composer avec les communistes, ses alliés du moment. Mais cet entracte durait peu. Très rapidement, trouvant sans doute ses compagnons de route encombrants parce que trop entreprenants, le général Nimeiry prenait ses distances. Puis, il passait aux actes et « démissionnait » le chef du gouvernement, Abou Bakr Awadallah, accusé de « complaisance » à l’égard des communistes. Fin 1970, il limogeait les ministres militaires, El Nour, El Atta et Hamadallah, connus pour leurs idées progressistes.
Dans le même temps, il réglait son compte au Parti communiste dont le chef, un ancien avocat Abdel Khalek Mahgoub, qui jouissait d’une certaine notoriété au sein du monde socialiste, était emprisonné. La rupture avec les communistes et la disgrâce des officiers « progressistes » annonçaient que l’épreuve de force devenait inévitable et laissaient présager que la lutte engagée se terminerait de manière tragique.
Pourtant le commandant El Atta vainqueur éphémère le 19 juillet n’ôta point la vie à son ennemi malheureux. Hésitation, ou magnanimité ? Machiavel aurait répondu « Faiblesse », donc faute ! Accumulant les erreurs, honnête jusqu’à l’excès, il avait même fait nommer au nouveau Conseil de la Révolution ses deux collègues El Nour et Hamadallah qui se trouvaient… à Londres. Et il les attendait sans doute pour prendre les grandes décisions. Or le temps jouait contre eux tandis que la solidarité arabe et les sentiments anticommunistes des dirigeants libyens et égyptiens œuvraient en faveur du général Nimeiry.
Alors les événements se précipitaient. Tout d’abord le colonel El Nour, et son compagnon d’infortune Hamadallah, étaient arrêtés par les autorités libyennes à Benghazi où l’avion de la BOAC avait été contraint d’atterrir. Puis le ministre de la Défense soudanaise, en voyage officiel en Yougoslavie, regagnait précipitamment Le Caire où l’on mettait au point l’opération de contre-coup d’État. Enfin à Khartoum, les troupes restées fidèles au général Nimeiry intervenaient en force et le libéraient dans l’après-midi du 22 juillet. C’était le 5e acte que les « Officiers libres » n’avaient pas prévu et qui devait leur être fatal !
En effet, aussitôt après la reprise du pouvoir, le général Nimeiry déclenchait une répression impitoyable contre les militaires ayant participé à la révolte et surtout contre les communistes. À noter que ceux-ci ne s’étaient ralliés qu’avec un temps de retard et une certaine réticence à ce coup d’État dont ils n’avaient pas l’initiative directe et qui devait leur paraître quelque peu entaché d’improvisation. Pour tous les protagonistes du putsch, le drame s’achevait en tragédie et les gibets de Khartoum faisaient un pendant sinistre aux pelotons d’exécution de Skirat [NDLR 2021 : lieu d’une tentative de coup d’État au Maroc].
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Les conséquences internationales de ces événements sont importantes, car les relations entre l’URSS et le Soudan risquent d’en être sérieusement compromises. Et le Soudan a trop besoin de l’aide soviétique pour laisser une crise entre Khartoum et Moscou s’éterniser et, partant, s’envenimer. Par ailleurs le général Nimeiry, débiteur du colonel Kadhafi et du président Sadate, devra manifester sa reconnaissance en resserrant les liens qui l’unissent à ses voisins arabes. Mais il est vrai également qu’il ne paraît pas pressé d’aliéner une parcelle de son indépendance au profit de ses bienfaiteurs.
En somme, s’il est clair que de graves problèmes restent encore à résoudre au Soudan et notamment celui posé par la rébellion endémique du Sud, il est tout aussi indiscutable que le général Nimeiry, débarrassé des deux oppositions qui entravaient son action, sort vainqueur de cette crise. Il a maintenant le prestige que confère la « baraka » et tous les atouts en main pour pouvoir gouverner. ♦