Institutions internationales - La naissance de la nouvelle communauté européenne - L'« élargissement » de la Communauté et le droit - Les « Dix » et la reconstruction monétaire
Le « grand événement » du début de 1972 fut, évidemment, la signature à Bruxelles le 22 janvier, du traité qui restera dans l’histoire comme ayant « élargi » la Communauté économique européenne (CEE) : la Grande-Bretagne, l’Irlande, le Danemark et la Norvège ont, ce jour-là, donné une consécration diplomatique à la décision de leurs gouvernements et de leurs parlements (sous réserve d’une approbation populaire par voie de référendum dans le cas de la Norvège). L’Europe communautaire a pris de nouvelles dimensions économiques, politiques et psychologiques.
Les institutions européennes vont s’en trouver profondément modifiées, moins par le nombre des participants que par le climat nouveau qui va s’instaurer. Sans doute les nouveaux membres se sont-ils engagés à respecter tout ce qui a été bâti dans le cadre du Traité de Rome (1957), et à œuvrer pour la réalisation de ce qu’implique ce traité. Il n’en est pas moins vrai que les « Six » ont aujourd’hui comme partenaires des États qui, au lendemain de la signature du traité de Rome, se dressèrent contre eux, par une zone de libre-échange dont ils espéraient qu’elle serait une concurrente efficace du Marché commun – et des États qui, notamment la Grande-Bretagne, n’avaient jamais caché leur opposition aux modalités et plus encore aux finalités de l’Europe des « Six ».
Mais le changement ne se limite pas à ce qui va affecter les institutions européennes. Sans doute serait-il prématuré d’affirmer que, par le simple jeu de la vitesse acquise les « Dix » adopteront par exemple une attitude sinon commune, du moins concertée à l’ONU : ce qui n’a pas été réalisé entre les « Six » n’est pas impliqué par l’« élargissement », et cette détermination d’une attitude commune impliquerait un renforcement politique de la Communauté elle-même, lequel à son tour impliquerait la cristallisation d’un consensus dont, à divers indices, on peut penser qu’il ne s’inscrit pas dans les hypothèses les plus vraisemblables, du moins à court terme. Toutes les institutions internationales dont les États membres de la Communauté font partie vont devoir tenir compte du « poids » nouveau de la Communauté. Le système global des relations internationales va lui-même s’en trouver affecté.
La naissance de la nouvelle Communauté européenne
Au soir de la canonnade de Valmy (1792), Goethe, d’après son propre récit, se serait écrié : « En ce jour, en ce lieu, commence une nouvelle époque de l’histoire universelle ». En l’an 2000, si l’Europe « élargie » joue le rôle d’une grande puissance face à l’Union soviétique et aux États-Unis, les historiens auront peine à trouver un témoin de l’événement qui ait manifesté pareil don prophétique. À Bruxelles, au soir de la signature de l’accord conclu par les « Six » avec les quatre États qui souhaitaient se joindre à eux, nul n’a pensé, nul n’a dit : « En ce jour, en ce lieu, commence une époque nouvelle de l’histoire universelle – pas même une époque nouvelle de l’histoire de l’Europe ». Plus de vingt ans se sont écoulés depuis le début de l’entreprise à laquelle s’attache le nom de Robert Schuman, près de quinze ans depuis la signature du traité de Rome. La Communauté fonctionne, elle est devenue ce que les Anglais appellent un « going concern ». Conformément aux prévisions de Jean Monnet, les gouvernements de la Grande-Bretagne ont été convaincus non par des arguments, mais par des faits. La rhétorique de l’unification européenne les laissait indifférents, le taux de croissance des « Six » comparé à celui de leur propre économie les a finalement arrachés à leurs traditions. Selon le mot cruel mais juste de Dean Acheson [NDLR 2021 : en 1962, secrétaire d’État des États-Unis de 1949 à 1953], ils avaient perdu un empire (la France aussi, d’ailleurs), ils n’avaient pas choisi leur place dans le monde, et si la vieille et glorieuse Angleterre cherchait un rôle, elle était plus encore en quête d’un nouveau destin… Ils ont choisi l’Europe, M. Heath [NDLR 2021 : Premier ministre conservateur depuis juin 1970] avec résolution, les Travaillistes avec réserve ou plutôt résignation. Quant aux syndicats, ils demeurent le refuge de l’insularité et du conservatisme. C’est dans la classe dirigeante que s’affirme l’esprit européen ou cosmopolite.
La Communauté, à laquelle se joignent les pays naguère tournés vers le « grand large », a laissé derrière elle temps héroïques et vastes espérances ; elle n’a pas échappé au destin des entreprises humaines : la dégradation de la mystique en politique ou l’enlisement de la volonté d’action dans la routine bureaucratique. Les barrières entre les « Six » ont été abaissées, elles ne seront pas relevées. Les marchandises circulent librement, les hommes pourraient user de la liberté de circulation qui leur est reconnue. Mais chaque pays gère ses affaires, même économiques, à sa manière. Entité commerciale, le Marché commun n’est pas devenu unité économique, encore moins États-Unis d’Europe.
En 1950, l’unification des « Six » servait de cadre à la réconciliation franco-allemande, de barrage au soviétisme. Les États-Unis tenaient l’Europe unie sur les fonts baptismaux. Aujourd’hui, le président Nixon et ses conseillers regardent avec inquiétude cette Europe à dix qui, sur le plan des échanges commerciaux, constitue effectivement un super-grand. Les Soviétiques, de leur côté, manifestent toujours la même hostilité : se préoccupant de la démocratie pour les autres, ils reprochent à M. Heath d’agir contre les sentiments du peuple anglais. Par un curieux retournement, l’Europe est attaquée à l’Est et soupçonnée à l’Ouest. L’Europe se fait-elle donc « européenne » comme le souhaitait le général de Gaulle ? (mais non de l’Atlantique à l’Oural). La Grande-Bretagne a rompu ses « relations spéciales » avec l’Amérique de Nixon. Entraînée par l’ardeur des convertis, va-t-elle apporter à l’Europe des « eurocrates » un supplément d’âme ? Ranimer la foi, usée au long d’interminables négociations ? Il y a vingt ans, les Européens rêvaient trop, peut-être ne rêvent-ils plus assez aujourd’hui. C’est une curieuse fonction qui est ainsi attribuée aux Britanniques, mais le rêve nécessaire répond au réalisme le plus évident : l’Europe ne peut résister aux États-Unis dans les négociations commerciales si elle accepte définitivement la dépendance politico-militaire. Au reste, l’Europe « élargie », en assumant son propre destin, accomplirait le grand dessein de tous les présidents américains depuis 1945 – et l’on ne peut supposer que Nixon puisse rompre avec la voie tracée par Truman, Eisenhower, Kennedy et Johnson.
Dans son « Message sur l’État de l’Union », le président Nixon n’a laissé subsister aucune illusion : l’époque du plan Marshall est définitivement révolue, et l’Amérique n’a plus l’intention de faire le moindre cadeau à personne. Peu importe, dans le cadre de cette chronique, le bien-fondé des arguments avancés par Richard Nixon pour expliquer sa volonté d’obtenir un nouveau système monétaire et un nouveau système de commerce international favorables aux États-Unis. C’est parce que l’Europe s’est « élargie » que l’Amérique s’inquiète, et c’est pour se prémunir contre tous les aléas d’un affrontement économique qu’il appartient à cette même Europe de s’unir en s’« élargissant ». Il ne suffit pas de se réjouir à la lecture des chiffres qui mesurent l’accroissement sensible de la puissance européenne du fait de l’adhésion de la Grande-Bretagne, de l’Irlande, du Danemark et de la Norvège. On peut se féliciter d’apprendre que la Communauté va dorénavant compter 260 millions d’Européens, c’est-à-dire plus que les États-Unis et plus que l’Union soviétique pris séparément. On se réjouit aussi à la pensée que les « Dix », en termes de Produit national brut (PNB), dépasseront très largement l’Union soviétique, et que leur contribution au commerce mondial sera d’un tiers des échanges alors que la part américaine ne dépasse guère 14 %. On pourrait allonger la liste des rubriques où apparaît avec une clarté aveuglante l’immense portée de l’adhésion britannique, qu’il s’agisse de production industrielle, d’énergie ou de savoir-faire technologique. Mais les chiffres les plus prometteurs n’ont pas de sens si la puissance ainsi mesurée reste une puissance virtuelle parce que dispersée. Les signatures des nouveaux membres ne seraient que des formalités si la nouvelle Europe ne comprenait pas que la première tâche qui s’impose à elle, c’est précisément la mise en commun de ses ressources et de ses techniques. Qui dit mise en commun dit en effet mise en valeur. La leçon que l’Europe a su tirer de ses faiblesses dès 1950 comporte, en 1972 encore, d’autres exigences, au premier rang desquelles il faut placer une conscience meilleure des objectifs communs et surtout la volonté de donner à la Communauté les véritables dimensions qui s’imposent dans un univers qui, selon le mot d’Eisenhower, est celui des « grands ensembles ». L’attention des gouvernements va maintenant se concentrer sur la préparation de la conférence au sommet qui se tiendra entre les « Dix » à la fin de cette année ou peut-être même dès l’été. C’est seulement à l’occasion de cette rencontre qu’on pourra savoir si les pays européens sont capables de donner un contenu à leur Communauté. Les traités de Rome et de Paris ont d’abord des objectifs économiques, et les débuts de la coopération politique à « Six » inaugurée en novembre 1970 par des réunions trimestrielles à l’échelon ministériel montrent les limites de l’entreprise, même s’il est probable que Londres cherchera à prendre des initiatives dans ce domaine. Ceux qui parlent déjà de l’Europe comme du « troisième Grand » ne tiennent pas compte du fait que rien n’indique que les « Dix » puissent dans un avenir prévisible former ne fût-ce qu’un embryon de communauté militaire. C’est là un point qui est décisif dans le monde d’aujourd’hui comme il l’était dans celui d’hier. Les statistiques économiques ne suffisent pas à bâtir une Communauté.
L’« Élargissement » de la Communauté et le Droit
Dans les communautés européennes, l’intégration juridique a été considérée comme un instrument indispensable de la perméabilité des frontières, de la libre circulation des personnes, des biens et des activités et de l’égalité dans la concurrence sans lesquelles on ne pourrait réaliser ni marché unique, ni union économique, ni politiques communes. Aussi bien les traités de Paris (1951) et de Rome ont-ils conféré aux organes communautaires le pouvoir de prescrire l’harmonisation des lois nationales ou d’élaborer directement une législation communautaire. De très nombreux textes ont été adoptés, d’autres sont sur le métier. Ainsi, c’est dans une Communauté en pleine fermentation législative qu’entrent quatre nouveaux États, qui vont devoir assimiler la législation communautaire déjà en vigueur, et s’intégrer sans à-coup dans l’élaboration de la législation future.
Par le traité d’adhésion, ces quatre États se sont engagés à assumer l’acquis. Ils feront face à cette obligation, mais au prix de nombreuses difficultés. Il ne s’agit pas ici des obstacles politiques auxquels le gouvernement britannique, pour ne citer que lui, peut encore se heurter. Il s’agit d’obstacles constitutionnels, car en principe les traités, et à plus forte raison le droit communautaire dérivé, ne peuvent acquérir force de loi en Angleterre s’ils n’y sont introduits par un Acte du Parlement, alors que les règlements de Bruxelles sont et doivent être immédiatement et directement obligatoires sur les territoires des États-membres. Il faut aussi envisager les difficultés au prix desquelles sera réalisée l’assimilation intellectuelle des textes communautaires outre-Manche. La technique législative y est différente de celle de l’Europe continentale : le statute anglais, qui est toujours considéré comme dérogeant, dans les limites de son objet, au Common Law, est généralement plus concret et plus détaillé que nos lois. Ses rédacteurs ne se fient pas aux principes, ni à l’interprétation analogique, sans lesquels bien des textes communautaires ne pourraient pas être correctement appliqués. Il faut s’attendre à ce que leur application par le juge anglais impose à celui-ci un gros effort d’adaptation de ses méthodes de pensée à des règles dont la structure ne lui sera pas familière.
À ces différences de méthode s’ajouteront, lorsqu’il faudra créer du droit communautaire nouveau, des différences de fond, auxquelles on a pensé, et des difficultés linguistiques, qui ont été insuffisamment pressenties. Encore oublie-t-on souvent que les matières essentiellement économiques du droit communautaire relèvent largement, en Angleterre aussi (et chez les autres nouveaux membres) de la loi écrite. Celle-ci, souvent assez récente, est loin de s’opposer trait par trait aux lois en vigueur sur le continent, mais il est également vrai qu’elle baigne dans l’ambiance et les concepts du Common Law. Au reste, le nationalisme juridique des experts est plus vif qu’on ne l’imagine. Alors même que les divergences n’étaient que techniques, il s’est constamment manifesté dans l’élaboration du droit communautaire des « Six », et il porte dans une certaine mesure la responsabilité de sa relative lenteur. La Communauté à six utilisait quatre langues, non seulement officielles, mais de travail ; celle à dix en utilisera neuf, car le gaélique ne sera que langue officielle, non de travail. Jusqu’ici, la traduction officielle en quatre versions d’un discours demandait parfois un délai assez long. Celui-ci s’allongera. Mais ceci pose aussi un problème quotidien d’explication et de rapprochement des notions et des formes de pensée : à s’efforcer d’en approcher la solution, les juristes qui prépareront dans des conditions désormais plus difficiles la création continue du droit des communautés contribueront à l’éclosion de l’esprit communautaire : une nouvelle fois dans l’histoire, le Droit sera un élément essentiel de la politique.
Les « Dix » et la reconstruction monétaire
Dans l’immédiat, indépendamment des négociations commerciales avec les États-Unis, c’est aux problèmes monétaires que les « Dix » doivent réserver l’essentiel de leurs préoccupations. C’est qu’en effet, les États-Unis sont désormais plus préoccupés par la mise en place d’un nouveau système commercial international que par la reconstruction du système monétaire. Cette idée, qui est apparue dans le « Message sur l’état de l’Union » du président Nixon, a été confirmée par M. Éberlé, représentant spécial des États-Unis au sein du groupe à haut niveau de l’OCDE sur les problèmes commerciaux et problèmes connexes. Le Président a compris combien l’opinion américaine était sensible à la concurrence japonaise et européenne, et pour ne pas s’entendre reprocher la dévaluation du dollar, il a estimé devoir annoncer une politique de lutte contre cette concurrence. Les relations entre les États-Unis et leurs alliés développés se poseront dorénavant en termes de lutte commerciale. Il n’est pas question que Washington demande la suppression des systèmes tarifaires actuels, notamment celui de la Communauté européenne en matière agricole, mais les Américains souhaitent leur « aménagement » dans un sens qui leur soit favorable. Par ailleurs, le Président Nixon ne cache pas combien il est défavorable à la perspective d’une contraction des marges de fluctuation des monnaies européennes, cette décision pouvant préparer un renforcement de la cohésion monétaire européenne, donc celui de la Communauté européenne elle-même. Dans le même temps, il semble que l’on souhaite à Washington la préparation d’une grande confrontation, plus importante encore que le « Kennedy Round » d’il y a quelques années. Cette grande confrontation pourrait s’engager au début de 1973. Les questions pour lesquelles les Américains demandent un règlement rapide (régime des exportations vers l’Europe des agrumes et du tabac américains, limitation des ventes européennes de céréales sur le marché mondial) auront alors reçu une solution. Mais le véritable problème se pose dans une perspective beaucoup plus large. On ne peut envisager une monnaie européenne sans, en préalable, la contraction maximale des marges de fluctuation actuelles. Les États-Unis souhaitent un semi-abandon du principe des parités fixes, ainsi qu’en témoignent tous leurs projets de réforme du système de Bretton-Woods (1944). La position américaine repose sur trois idées majeures :
On a oublié que le système monétaire a été construit, comme le précisait l’article I de l’accord de Bretton-Woods, pour faciliter le commerce entre Nations. Or, par suite de la rigidité, voire de l’inflexibilité croissante du système monétaire, les conditions des échanges se sont trouvées peu à peu faussées par de multiples tarifs, préférences et autres distorsions qui se sont multipliés, faute de changements à temps des parités. C’est donc un retournement des conceptions qui s’impose.
Les travaux du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) et du Fonds monétaire international ne doivent plus être séparés, et le « comité à haut niveau » de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pourrait établir la coordination, sans qu’il soit pour autant institutionnalisé comme l’est le « groupe des Dix » au FMI. Il s’agirait ainsi de lier organiquement les problèmes commerciaux et les problèmes monétaires.
Les États-Unis souhaitent le démantèlement de toutes les barrières tarifaires et la suppression progressive de tous les autres obstacles aux échanges commerciaux. Mais, tenant compte des raisons profondes du déséquilibre de leur balance des paiements, ils ne soufraient pas une liberté qui serait celle du plus fort, alors qu’ils ne sont pas les plus compétitifs dans tous les domaines de production. Sans doute traumatisé par l’expérience récente de la conquête en quelques mois de 80 % du marché américain de l’argenterie par les fabricants japonais, M. Éberlé souhaiterait l’adoption d’un plan qui empêcherait tout pays d’accroître « brusquement » de plus de 1 % sa part d’un marché industriel. En outre, il voudrait suggérer à l’OCDE le droit pour chaque pays d’invoquer à son bénéfice cinq clauses de sauvegarde afin de protéger cinq secteurs particulièrement sensibles. Le choix de ces secteurs varierait d’État à État (ce qui créerait des cloisonnements aussi complexes que ceux qui existent actuellement). Enfin, les États-Unis envisagent de proposer l’adoption par tous les États d’un « code de bonne conduite » pour éviter qu’ils offrent, compétitivement, des incitations exagérées à l’installation de nouvelles entreprises qui, grâce à des avantages abusifs, pourraient perturber les marchés. Selon eux, il y aurait progrès même si le « code » n’était que partiellement respecté.
La question est aujourd’hui de savoir quelle formulation officielle le Gouvernement américain donnera à ces trois idées. Pour l’heure, l’essentiel réside dans l’antinomie totale des vues entre les Américains, qui condamnent toute contraction des marges de fluctuation des monnaies européennes, et ceux des Européens (notamment le ministre français des Finances, Valéry Giscard d’Estaing), qui réclament cette contraction pour avancer sur la voie d’une monnaie européenne.
La Commission européenne a, à la mi-janvier, transmis au Conseil des ministres des « Six » une « communication » dans laquelle se trouvent reprises, en tenant compte de la situation créée par l’accord de Washington du 18 décembre 1971, certaines des propositions contenues dans le programme d’union économique et monétaire. La Commission recommande en particulier que les États-membres de la Communauté resserrent les marges de fluctuation entre leurs monnaies respectives. L’élargissement des marges, tel qu’il a été décidé à Washington, risque en effet de remettre en question non seulement la politique agricole commune, mais l’union douanière elle-même. Ce point de vue a été adopté également par le « Comité d’action pour les États-Unis d’Europe » que préside M. Jean Monnet. Le professeur Robert Triffin s’en est ainsi expliqué : « La Communauté se doit à elle-même et au monde de définir de toute urgence une organisation monétaire européenne capable de présenter son existence même et d’aider à la reconstruction d’un système monétaire mondial dont la négociation risque de s’étendre sur de longs mois, voire des années ». M. Triffin ajoute : « Le premier pas concret à prendre devrait consister dans la définition d’une marge maxima – celle antérieure au 18 décembre par exemple – pour les fluctuations permises entre les monnaies de la Communauté. Le second serait de les rétrécir graduellement, aussi rapidement que possible, jusqu’à l’élimination totale qui devra précéder le parachèvement de l’union monétaire proclamée comme objectif final par la conférence au sommet de La Haye » (1969).
Que la Commission, qui symbolise l’autorité communautaire, le ministre français des Finances, et l’un des membres les plus représentatifs du « Comité Monnet » soient d’accord sur un point aussi essentiel est un témoignage de la volonté avec laquelle, au-delà des positions de principe sur les vertus respectives de la confédération ou de la fédération, l’effort « européen » prend un nouveau départ, au lendemain de l’« élargissement » de la Communauté. ♦