Institutions internationales - Le choix « national » du président de la Commission des communautés européennes - Nouvel accord des « Six » sur l'agriculture - La Chine et l'Europe - Communauté européenne et COMECON (Conseil d'assistance économique mutuelle)
Bien qu’étant strictement national, le référendum sur l’Europe (23 avril 1972) décidé par le Président Pompidou a, par sa signification et ses résonances, largement débordé du cadre français. Il a donné une ampleur psychologique et politique nouvelle à l’« élargissement » de la Communauté européenne, et il a voulu mettre en lumière un consensus profondément démocratique. Les Français n’ont certes pas été appelés à élire des membres d’un vrai Parlement européen, mais en se prononçant pour ce qui a été réalisé, ils ont permis l’ouverture de nouvelles perspectives. En ce sens, ce référendum a été un événement européen. Et c’est bien ainsi qu’il a été considéré dans toutes les capitales, celles des pays membres de la Communauté, mais aussi celles des autres États.
Après l’échec, en 1954, du projet de Communauté européenne de Défense (CED), qui, à l’image de la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA), se voulait une communauté fonctionnelle à finalité politique, dans une perspective fédérale, l’Europe était au creux de la vague. La conférence de Messine aboutit au traité de Rome de 1957, qui créa le Marché commun. Puis les difficultés nées, notamment, de la candidature britannique donnèrent à certains l’impression que l’élan était brisé. C’est alors que la conférence de La Haye les 1er et 2 décembre 1969, puis le 22 janvier 1972 la signature du traité d’adhésion des quatre pays candidats « relancèrent » le mouvement. Il convenait que cette nouvelle étape fût approuvée, en elle-même et dans les perspectives qu’elle ouvre.
Aussi bien est-ce, encore ce mois-ci, sur les problèmes européens que se concentre l’attention. Seules les Communautés européennes ont en effet témoigné de quelque activité, cependant que les grands drames de notre temps, le Vietnam, le Moyen-Orient, et maintenant l’Irlande, se poursuivent sans qu’aucune organisation internationale veuille ou puisse intervenir efficacement.
Le choix « national » du président de la Commission des Communautés européennes
M. Sicco Mansholt, vice-président de la Commission des Communautés européennes, et auteur du plan de rénovation des structures agraires qui porte son nom, assurera jusqu’à la fin de l’année la présidence de la Commission, en remplacement de M. Franco-Maria Malfati, qui a démissionné de ses fonctions pour rentrer dans la vie politique italienne (il avait assumé des responsabilités ministérielles) à l’occasion des prochaines élections législatives.
C’est une solution d’attente, et le problème déborde du cadre de la personnalité des deux hommes. Le choix d’un nouveau Président ne sera pas aisé, et, selon certaines informations, ce serait un Français qui succéderait à M. Malfati. En fait, le véritable problème concerne la signification qui est accordée aux fonctions « européennes » et, par-delà celles-ci, au fonctionnariat international. L’expression est quelque peu équivoque. En effet, un fonctionnaire est par définition un serviteur de l’État. Comme il n’existe pas d’État supranational, il ne peut pas y avoir, stricto sensu, de « fonctionnaires internationaux ». Certaines organisations internationales, l’ONU, l’Otan, les Communautés européennes notamment, ont un personnel composé d’agents dépendant exclusivement d’elles-mêmes et prenant l’engagement de ne recevoir de directives que d’elles-mêmes (1). C’est une question d’efficacité et de loyauté. Cet engagement exclut toute intervention d’un État-membre par le truchement de ses ressortissants. Mais deux tentations peuvent alors apparaître. Celle des institutions, qui peuvent, par l’intermédiaire de leurs agents, aller au-delà de leur caractère intergouvernemental et s’attribuer une autorité supranationale que leur statut juridique ne leur confère pas. Celle des gouvernements qui, en intervenant auprès de leurs ressortissants, peuvent limiter ou infléchir, sinon en droit du moins en fait, les prérogatives des institutions. Ceux qui souhaitent des autorités supranationales ne peuvent que réclamer un véritable statut de fonctionnaires pour les agents de certaines institutions internationales, afin de les dégager des pressions nationales. Ceux qui, au contraire, rejettent la supranationalité ne peuvent que prôner un simple « détachement » de fonctionnaires nationaux. Au-delà du statut de leur personnel apparaît le problème de la nature même des institutions internationales, et il est évident que ce statut varie avec le degré de « dénationalisation » des institutions. Mais un problème humain apparaît également, celui de l’aptitude d’un homme à « dénationaliser » son travail dans un domaine qui touche à la politique. On a vu un des principaux responsables des Communautés européennes renoncer à ses fonctions parce qu’il n’acceptait pas de recevoir des directives de son gouvernement pour un problème qui pouvait être résolu par une aliénation de la souveraineté nationale. Son successeur se comporta moins en « européen » qu’en agent de son gouvernement, et la solution impliquant l’aliénation de la souveraineté fut mise aux oubliettes. On a vu le secrétaire général d’une grande organisation internationale renoncer à ses fonctions pour reprendre un rôle actif dans la politique intérieure de son pays. Aujourd’hui, on voit le président de la Commission des Communautés européennes, l’un des deux piliers (l’autre étant le Conseil des ministres) de la Communauté européenne, renoncer à ses fonctions pour revenir dans le jeu politique interne de son pays. La décision de M. Malfati n’est ainsi pas une nouveauté en soi, mais elle n’en illustre pas moins l’un des aspects humains essentiels des institutions internationales.
C’est donc M. Sicco Mansholt qui va assumer la présidence de la Commission jusqu’à la fin de l’année – et, coïncidence, c’est un autre Néerlandais, M. Joseph Luns, qui est secrétaire général de l’Otan, depuis le départ de l’Italien Manlio Brosio. Il se définit lui-même « un socialiste libéral ». C’est un grand spécialiste des problèmes agricoles. Les efforts qu’il a déployés en faveur d’une réforme des structures agraires lui ont valu le surnom de « père de l’Europe verte ». Nul ne sait ce qu’il adviendra de son plan de réforme lorsque, le 1er janvier 1973, il abandonnera toute fonction dans la Commission. Mais c’est lui qui a fait comprendre aux paysans de l’Europe occidentale la nécessité de s’intégrer dans l’économie de 1980, intégration qui postule un changement radical dans les structures de production et de commercialisation, mais aussi dans les mentalités. Si certaines de ses propositions ont suscité des critiques, c’est sans doute en raison de leurs conséquences sociales. Il ne les méconnaissait pas, il pense que c’est au prix de profondes réformes, dans quelques années, que le monde paysan pourra ne plus avoir le sentiment qu’il ne participe pas pleinement aux fruits du développement général. La solution ne dépend pas seulement des responsables de la politique agricole de la Communauté. Elle dépend aussi, et surtout, des paysans eux-mêmes.
Nouvel accord des « Six » sur l’agriculture
Une nouvelle fois, fin mars, les discussions sur les prix agricoles ont été âpres, et l’on a parlé de « marathon ». C’est qu’en effet cette question des prix agricoles reste hypothéquée par certaines séquelles de la crise monétaire, notamment ces « montants compensatoires » destinés à compenser les différences de parité des monnaies européennes par rapport au dollar. Sans doute les membres de la CEE avaient-ils, quelques jours auparavant, décidé de réduire la marge de fluctuation de leurs monnaies, ce qui était, dans le sens des propositions françaises, un pas très important sur la route qui doit conduire à la construction d’une monnaie européenne. Mais s’il est relativement facile d’arriver à un accord lorsque les chiffres n’ont pas, immédiatement, un impact sur la réalité, il l’est beaucoup moins lorsque ces chiffres représentent quelque chose de concret pour des millions de citoyens. Et ces « montants compensatoires » se dressaient devant la fixation des prix agricoles. On a évoqué – une nouvelle fois ! – les risques d’une « rupture », d’un « éclatement » du marché commun agricole. Le président Pompidou déclarait qu’il ne fallait pas « dramatiser » la situation. De fait, le calme est très rapidement revenu, et les « Six » sont parvenus à un accord. Le Gouvernement Brandt était dans une situation difficile. La « flottaison » du deutsche mark a rendu nécessaire l’application des « montants compensatoires », et la disparition de ceux-ci provoquerait une baisse du revenu des agriculteurs, et par conséquent une difficulté politique s’ajoutant à celle que crée déjà la ratification des traités avec les pays de l’Est. C’est toute l’explication de la position allemande sur les hausses de prix, ainsi que sur le maintien des mesures d’aide et de subventions en vigueur outre-Rhin. Le refus d’annoncer publiquement la date de disparition des « montants compensatoires » procède de la même analyse politique. La dégressivité sera de 0,9 % par an. Comme les « montants compensatoires » seront ramenés des 4,61 % actuels aux 2,76 % en vigueur dans le Benelux (Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), la différence étant couverte par des mesures fiscales, la disparition des « montants compensatoires » interviendra dans trois ans : tel sera le délai qu’il aura fallu au Marché commun agricole pour retrouver la logique interne de ses prix après la crise monétaire de 1971.
Le 24 mars, les ministres de l’Agriculture des « Six » sont parvenus à fixer les prix applicables au cours de la prochaine campagne, et à arrêter les conditions d’entrée en vigueur du programme de modernisation de l’agriculture, l’accord ne devant toutefois être définitif qu’après consultation des quatre nouveaux membres. Il n’entre pas dans le cadre de cette chronique d’analyser les fluctuations des prix eux-mêmes. Plus important, pour notre propos, est que le Conseil des ministres ait adopté trois directives pour permettre la mise en œuvre du programme de réforme de l’agriculture.
– La première traite de l’aide à la modernisation des exploitations. Selon M. Mansholt, environ 500 000 agriculteurs devraient être en mesure de présenter un « plan de développement » conforme aux normes fixées par ce texte, et de bénéficier ainsi, sous forme de bonifications d’intérêts, de l’aide du Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (le FEOGA).
– La seconde directive concerne « l’encouragement à la cessation de l’activité agricole et à l’affectation de la superficie agricole utilisée à des fins d’amélioration des structures agricoles ». Il s’agit, en d’autres termes, de l’« indemnité viagère de départ », dont les modalités d’attribution ont soulevé bien des difficultés, tenant à la situation particulière de chaque pays. C’est ainsi qu’elle sera versée aux agriculteurs de 55 ans en Italie, de 60 en France.
– La troisième directive a trait à l’information socio-économique et à la qualification professionnelle des agriculteurs.
Comme on pouvait s’y attendre, les augmentations de prix décidées à Bruxelles n’ont pas satisfait les agriculteurs, mais un des aspects majeurs du problème a été passé sous silence dans les critiques : à partir du moment où il y a marché commun agricole, les prix communs doivent tenir compte des intérêts d’agricultures différentes, et le ministre français, M. Cointat, s’il a lutté en faveur de ses compatriotes, ne pouvait ignorer les exigences communautaires. L’idée de communauté repose sur la notion d’équilibre.
La Chine et l’Europe
Mais l’Europe communautaire n’intéresse pas seulement les États qui en sont membres. Elle devient un sujet d’attention de plus en plus intense pour tous les autres pays, et ce n’est pas sans une certaine surprise que l’on enregistre les réactions favorables de la Chine populaire.
Avant même d’être admise aux Nations unies, la Chine populaire avait établi des relations diplomatiques avec plusieurs pays européens. Ceci ne devait évidemment pas aller sans une intensification des échanges et, aujourd’hui, la Chine considère d’un œil favorable la Communauté européenne en tant que telle. Pendant longtemps elle l’a ignorée, et s’il arrivait à ses dirigeants d’y faire allusion, c’était pour la condamner, comme une entreprise « capitaliste », à ce titre ennemie. Il n’en est plus ainsi. La Chine, qui rejette l’influence américaine et soviétique, voit dans la Communauté une rivale à la fois de Washington et de Moscou, un obstacle devant la poussée de « l’impérialisme ». Selon Mao Tsé-toung, si les pays du Tiers-Monde peuvent constituer un foyer permanent de « contestation » antiaméricaine, les pays « capitalistes » soumis aux pressions des États-Unis et de l’Union soviétique, veulent accroître leur autonomie de décision. Ils sont ainsi amenés à se regrouper, voire à constituer une unité politique distincte. Les arguments chinois en faveur de la coopération européenne sont très différents de ceux des Européens eux-mêmes, encore que parmi ces derniers il y en ait qui voient dans cette coopération un moyen de dégager l’Europe occidentale de l’influence des États-Unis.
La crise monétaire a été suivie attentivement à Pékin. Dès le 15 août 1971, l’agence Chine nouvelle déclarait par exemple : « Les pays d’Europe occidentale intensifient leur combat dans l’unité contre le contrôle et l’hégémonie des États-Unis ». Selon cette agence, cette crise monétaire résultait « du déclin vertigineux de la force américaine et de l’accroissement relatif de la puissance des pays européens au cours des vingt dernières années, et notamment dans la dernière période ». Au surplus, toujours selon Chine nouvelle, les États-Unis voulaient s’entendre avec l’Union soviétique sans consulter leurs alliés occidentaux. Plus les Européens s’efforçaient de se présenter groupés face à cette crise monétaire, plus la Chine les en félicitait, et s’en félicitait, et elle se plaisait à évoquer des « guerres » précédentes, celle de l’acier, celle du pétrole, celle du blé, celle des poulets, etc. insistant ainsi sur les antagonismes inséparables, à ses yeux, du système capitaliste lui-même. Évoquant les efforts en direction d’une Europe politique, Chine nouvelle écrivait : « L’évolution des événements montre que les six pays du Marché commun ont non seulement lancé un défi à l’hégémonie américaine dans le domaine économique, mais aussi qu’ils se préparent à l’affronter politiquement. »
Mais il y a des nuances selon les pays. La Chine a particulièrement approuvé la diplomatie gaulliste, tant à propos des relations franco-chinoises elles-mêmes qu’à propos de Formose [Taïwan], de l’ONU ou de l’Otan. C’est sans doute ce qui explique que c’est la France qui fut choisie pour le premier séjour en Europe depuis 1945 d’un ministre chinois, M. Bai Xiungguo, ministre du Commerce extérieur, en octobre 1971. Les relations avec la Grande-Bretagne ne vont pas, elles, sans difficultés, bien que Londres ait été l’une des premières capitales occidentales à reconnaître la révolution chinoise (sans toutefois rompre avec Formose). Mais il y avait le problème des étroites relations entre Londres et Washington, et il y a aujourd’hui celui de Hong Kong… Toutefois, Pékin salua l’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun comme « un nouveau développement de la tendance à l’unité des pays d’Europe occidentale, face au contrôle et à l’interférence des superpuissances », et y vit une preuve de la distension des liens entre Londres et Washington. C’est avec la République fédérale d’Allemagne (RFA) que les relations restent tendues. Il n’y a pas de liens diplomatiques entre les deux pays, et Pékin ne connaît officiellement qu’une Allemagne, celle de l’Est. « Monopoles », « militarisme », « politique revancharde d’expansion et d’agression », etc., à quelques nuances près, la presse chinoise juge la RFA comme elle juge le Japon, et M. Willy Brandt est accusé d’être au service de « la stratégie globale contre-révolutionnaire de l’impérialisme américain ». Aucun accord ne paraît être en vue entre Pékin et Bonn. Or ceci déborde du cadre des relations entre les deux États eux-mêmes. En effet, on ne voit guère comment, dans de telles conditions, des relations pourraient s’établir entre la Chine et la Communauté européenne (éventualité qui a été envisagée) puisque leur établissement supposerait une définition de celles avec les représentants de la RFA dans les instances de la communauté. Dans l’avenir immédiat, le problème des rapports Pékin-Bonn domine celui des rapports Pékin-CEE.
La Chine s’intéresse à la Communauté européenne d’une autre manière. Le 5 mars, par la voix de son ministre du Commerce extérieur, la Roumanie a demandé officiellement à la CEE de bénéficier des « préférences douanières généralisées » du Marché commun. Le traité de Rome permet cette démarche, au surplus justifiée par le fait qu’en raison de la faiblesse générale de son économie et de la part (50 %) qu’y tient l’agriculture, la Roumanie est un des 91 pays en voie de développement reconnus comme tels par l’ONU. La démarche n’en a pas moins provoqué une vive irritation à Moscou. C’est en effet la première fois qu’un pays du bloc socialiste s’adresse ainsi à la CEE – et c’est un pays qui ne cache pas son accord avec Pékin. Sans doute serait-il abusif de prétendre que M. Nicolas Ceaucescu a agi sur une directive de Pékin, mais on peut raisonnablement supposer qu’il avait l’approbation des dirigeants chinois. Et l’Union soviétique a été d’autant plus irritée que, « rebelle » au sein du COMECON, la Roumanie l’est aussi au sein du Pacte de Varsovie.
Communauté européenne et COMECON
Une nouvelle fois, M. Brejnev a donné le pas au pragmatisme sur l’idéologie. Alors qu’en janvier, les dirigeants soviétiques avaient vivement critiqué le traité d’« élargissement » de la Communauté européenne, le 19 mars 1972, il a reconnu la « réalité » de la CEE – et, ce qui est intéressant à noter, dans des termes à peu près semblables à ceux utilisés par M. Khrouchtchev en 1962. À l’égard de la Communauté, les dirigeants soviétiques ont toujours alterné les témoignages d’hostilité et les preuves de compréhension : l’idéologie les contraint à la condamnation, le pragmatisme les oblige à l’acceptation du fait accompli.
Par ailleurs, M. Brejnev a suggéré l’établissement de relations entre la CEE et le COMECON. Il a évoqué l’intérêt avec lequel l’Union soviétique suit la situation réelle en Europe occidentale, l’existence d’un « groupement capitaliste » tel que le Marché commun, mais, a-t-il ajouté, « nos rapports avec ce groupement dépendront de son aptitude à reconnaître de son côté les réalités de la partie socialiste de l’Europe, notamment les intérêts des pays adhérents au Conseil d’entraide économique, le COMECON ». Jusqu’ici – du moins jusqu’à la démarche roumaine évoquée plus haut –, les pays communistes ont feint d’ignorer le Marché commun, officiellement du moins. Ils le considèrent comme une annexe économique de l’Otan, une institution agressive du « néo-capitalisme ». Ils refusent donc de négocier avec Bruxelles les questions qui concernent les pays membres, alors que le traité de Rome confie à la Communauté la charge des conventions commerciales. Ils continuent, quand l’occasion s’en présente, à tenir les concessions que se font entre eux les membres du Marché commun pour des accords douaniers de pays à pays, relevant de la clause de la nation la plus favorisée. Il en résulte une certaine anarchie et des surenchères dans les rapports avec les pays de l’Est, et aussi l’impossibilité d’une politique cohérente pour favoriser les échanges. La reconnaissance officielle de la Communauté par les pays communistes aurait d’incontestables avantages, mais il semble que les inconvénients l’emporteraient. Dans le numéro de mars de la Revue de Défense Nationale, M. Deniau, membre de la Commission des Communautés, a, dans son article sur « L’avenir de la Communauté élargie », évoqué ce problème en des termes qui méritent d’être repris dans cette chronique : « Si… ils (les Russes) étaient amenés à reconnaître la Communauté, ils voudraient peut-être que ce soit par une sorte d’accord avec le COMECON dont ils contrôlent tous les mécanismes, ceci notamment en vue d’empêcher les contacts directs entre la Communauté et chacun des pays de l’Est. Le plus grand danger serait d’accepter de payer, pour une telle reconnaissance, un prix qui serait la perte de sa propre liberté de mouvement et de progrès. »
Au surplus, le COMECON ne parvient pas à surmonter ses difficultés. Depuis longtemps, on parle de la convertibilité du rouble, par exemple. Elle a été décidée, en principe du moins. Mais elle obligerait les autorités soviétiques à engager leurs réserves de change. Au surplus, la planification socialiste limite la portée de la convertibilité, les entreprises ne pouvant pas disposer librement de leurs devises. Il n’en demeure pas moins que l’Union soviétique paraît en attendre beaucoup. Selon le taux de la parité qui sera choisi, elle pourra ou non se procurer à bon marché les marchandises que produisent les satellites. C’est donc la nature même des relations politiques entre l’Union soviétique et les démocraties populaires qui se trouverait mise en question.
Dans l’immédiat, rien ne paraît devoir modifier les rapports entre la Communauté européenne et le COMECON. Sans doute la déclaration de M. Brejnev s’inscrit-elle dans l’effort que mène l’Union soviétique pour obtenir la réunion de cette « conférence européenne sur la sécurité » qu’elle réclame depuis février 1954. Mais elle laisse dans l’ombre une question essentielle, à savoir les relations entre un marché commun dont la finalité est d’essence libérale, et un organisme qui n’est pas un marché commun, et dont la finalité n’est pas libérale. Au-delà des aspects techniques du problème de ces relations CEE-COMECON apparaissent leurs aspects politiques, infiniment plus importants. ♦
(1) Dans chaque institution internationale on trouve, à côté du « noyau » international, des délégations nationales, composées, elles, de fonctionnaires nommés à cet effet par leur ministère des Affaires étrangères.