Défense en France - Le statut de la fonction militaire - L'interdiction des armes biologiques - À propos du service militaire
Le statut de la fonction militaire
Au cours de ses quatre séances du mardi 2 et mercredi 3 mai 1972, l’Assemblée nationale a discuté et adopté par 378 voix contre 94 le projet de loi portant statut général des militaires.
Comme l’a indiqué le rapporteur, Monsieur Joël Le Theule : « un débat portant statut général des militaires est sans précédent dans notre histoire parlementaire ». Le projet est ambitieux, puisqu’il s’agit de remettre en ordre et d’adapter au monde d’aujourd’hui un ensemble de textes dont l’article 110, portant abrogation, permet de mesurer le nombre, l’ancienneté et la diversité.
Dans l’élaboration de ce texte, le gouvernement a été guidé par un double souci : fixer par une loi, comme le prévoit la Constitution, les servitudes qu’impose la condition militaire à tous ceux qui y sont soumis ; mais, en même temps, en regard de ces servitudes et pour leur faire contrepoids, aménager la condition militaire, dans toute la mesure compatible avec cet état et en fonction de l’évolution des mœurs.
Cette mise à jour a été faite après consultation des personnels intéressés. En effet, comme l’a rappelé le ministre d’État chargé de la Défense nationale : « Le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) devait faire l’objet d’un chapitre de cette loi. Le gouvernement l’a fait instituer par une loi séparée précisément pour qu’il puisse examiner l’ensemble du statut ».
Ce projet de loi se présente comme une construction juridique cohérente répondant à une finalité politique déterminée.
Sur le plan juridique, la remise en ordre des textes était une nécessité profondément ressentie par les intéressés et par les organismes de gestion des personnels. Mais plus encore, le texte permet de clarifier et de classer les dispositions qui relèvent du domaine de la loi ou du domaine du décret. Allant d’ailleurs plus loin que le statut général de la fonction publique, le projet donne à la notion de garanties fondamentales un contenu extensif : recrutement, avancement, limites d’âge. Ce choix se justifie par le fait que les militaires ne possèdent ni le droit syndical ni le droit de grève.
Cette restriction apportée aux droits et libertés publiques des militaires procède d’une finalité politique qui peut se traduire par : la neutralité politique, l’interdiction des groupements professionnels, la disponibilité et la discipline. Servitude et grandeur, la grande tradition de l’armée française est conservée, même si grandeur se traduit aujourd’hui : garanties et compensations.
Ces deux termes ne doivent pas être confondus. Les garanties, comme les sujétions, sont du domaine de la loi. Les compensations qui, il faut bien le reconnaître, sont essentiellement pécuniaires, relèvent, pour la plupart, du domaine réglementaire, c’est-à-dire qu’elles seront prises par décret.
Ce point, qui pourrait susciter quelques inquiétudes de la part des intéressés, a été très franchement abordé par le ministre d’État, Michel Debré : « sans doute, le statut général n’exprime-t-il pas à lui seul toute la politique à suivre à l’égard du personnel militaire. D’une part, il appelle un grand nombre de textes d’application, d’autre part, bien des mesures peuvent être prises et le sont d’ores et déjà – en matière de recyclage et de formation par exemple – par des mesures d’ordre pratique, en dehors de toute disposition statutaire et même de tout texte législatif ou réglementaire ».
Tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, et sous réserve des modifications qu’il pourrait subir lors de sa discussion devant le Sénat (dont il sera rendu compte à son heure), le statut général de la fonction militaire est une œuvre de codification, mais aussi de novation qui, selon les termes du ministre d’État, « constituera aux yeux des intéressés une marque de l’intérêt tout particulier que leur portent les pouvoirs publics ».
L’interdiction des armes biologiques
Le 10 avril 1972 un certain nombre de pays ont simultanément signé à Moscou, Washington et Londres une convention sur l’interdiction de la fabrication des armes biologiques. Le gouvernement français n’a pas signé cette convention et cependant il a adopté le 28 octobre 1971 un projet de loi, actuellement soumis au Parlement, « interdisant la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, l’acquisition et la cession d’armes biologiques ou à base de toxines ». Il y a là une apparente contradiction qui mérite explication.
La convention que la France n’a pas voulu signer, car elle la trouve insuffisante, constitue l’aboutissement d’un long processus international sur le chemin de l’interdiction des armes biologiques. Le rappel historique de cette évolution permet de mieux comprendre la position française.
L’histoire nous montre que l’emploi du poison, s’il a de tout temps suscité la crainte et l’horreur, a également toujours été l’objet de réprobation. Déjà le droit romain établissait que la guerre se fait avec des armes et non du poison. Mais cette belle affirmation n’a jamais entravé les progrès de la guerre chimique ou bactériologique. Le curare des Indiens de l’Amérique du Sud ou les serpents venimeux qu’Hannibal fit projeter sur les vaisseaux d’Eumène roi de Pergame ne constituent que des armes tactiques. Une tentative d’emploi stratégique de l’arme biologique apparaît avec l’utilisation de cadavres soit pour empoisonner les puits de l’adversaire, soit pour détruire la population d’une cité assiégée, comme ce fut le cas des Tartares, en 1346, qui projetèrent par-dessus les murs de la ville fortifiée de Caffa en Crimée les corps de ceux des leurs morts de la peste bubonique.
Encore n’étaient-ce là que des armes empiriques. Le danger de tels agents de destruction ne pouvait que croître avec les progrès de la chimie au XIXe siècle et surtout ceux de la médecine depuis 1880. L’identification de nombreuses maladies et l’isolement des germes qui en sont la cause, la culture de ces germes nécessitée par l’immunologie faisaient naître une terrible tentation d’utilisation à des fins belliqueuses. Tentation d’autant plus grande que la fabrication de telles armes bactériologiques ne demande pas de moyens industriels ou financiers très importants et que leur emploi assure une discrétion absolue à l’utilisateur et entraîne des résultats d’ampleur considérable. En effet, en plus de leurs effets sanitaires, psychologiques et économiques, les armes biologiques modernes concevables sont susceptibles de provoquer des altérations incontrôlables dans l’écologie du monde.
C’est en présence de cette menace contre la terre entière, et non seulement contre les belligérants, que plusieurs tentatives de concertation internationale ont eu lieu. L’emploi des poisons et des gaz asphyxiants ou délétères a été condamné par la déclaration de Bruxelles de 1874 et les conférences de La Haye de 1889 et de 1907. On sait que ces condamnations n’empêchèrent pas, pendant la Première Guerre mondiale, l’emploi des gaz dont on estime qu’ils firent plus de 100 000 morts. Il ne s’agissait là que de condamnation de la guerre chimique.
C’est dans le protocole de Genève du 17 juin 1925 que l’on voit apparaître, bien timidement il est vrai, l’interdiction de la guerre bactériologique, mais il n’y est nullement question de la fabrication des armes biologiques en temps de paix. Au demeurant ce texte est loin d’avoir fait l’unanimité puisque certains pays, dont les États-Unis, ne l’ont pas ratifié et d’autres, dont l’URSS ne l’ont signé qu’en l’assortissant de clauses restrictives.
Les Nations unies se devaient de reprendre à leur compte ces efforts en vue d’accords internationaux. L’Assemblée générale du 5 décembre 1966 invita les États membres à adhérer au protocole de Genève. Entre 1969 et 1971 plusieurs projets de convention furent déposés à l’ONU et fort discutés. Mais c’est finalement une convention élaborée par le Comité de désarmement de Genève que l’Assemblée générale de l’ONU recommanda le 16 décembre 1971, à tous ses membres d’adopter.
C’est cette convention, signée par un grand nombre d’États le 10 avril 1972, que la France a refusé de ratifier. Pourquoi ? Parce qu’elle n’est pas conforme aux principes généraux auxquels s’attache la France en matière de désarmement.
Malgré une allusion à un contrôle international strict et efficace, le texte de la convention ne précise aucune mesure concrète pour parvenir à cet objectif et se contente de la bonne foi des États signataires. S’agissant de la fabrication d’armes biologiques, qui peut s’effectuer de façon très discrète et sous couvert d’activités de recherche, la bonne foi affirmée par ratification ne suffit pas ; il faut aussi l’acceptation d’un contrôle international.
La France aurait souhaité que la question des armes chimiques soit non pas effleurée par le texte de la Convention mais explicitement liée à celle des armes biologiques. Celles-ci doivent également faire l’objet d’un contrôle, plus facilement concevable d’ailleurs puisque la préparation d’armes chimiques suppose une activité industrielle considérable et difficile à dissimuler.
La convention prévoit bien la possibilité de déposer une plainte auprès du Conseil de Sécurité pour violation des obligations signées ; mais on sait la faible capacité d’action du Conseil, susceptible d’être bloqué par le veto de l’un des cinq membres permanents.
Enfin, l’adoption d’une convention de désarmement non assortie de contrôle international apparaît comme un précédent regrettable susceptible de s’étendre à d’autres aspects d’un désarmement véritable. Qu’il porte sur les armes nucléaires, chimiques ou classiques, le désarmement ne pourra réellement s’opérer que dans la mesure où on aura admis au préalable la nécessité d’une garantie essentielle par le moyen d’un contrôle international.
Telles sont en bref les raisons pour lesquelles la France n’a pas cru devoir signer la convention dont le texte reste nettement en retrait du protocole, pourtant élémentaire, de Genève de 1925. Par contre, soucieux de contribuer pour sa part à la résolution du problème posé par la guerre bactériologique, le gouvernement français a tenu à instituer pour son propre usage une loi d’interdiction des armes biologiques qui donnera lieu à une réglementation dont il pourra assurer le contrôle.
Le projet de loi détermine le domaine des interdictions, les conditions de contrôle et les sanctions qu’encourent les contrevenants.
Les interdictions s’appliquent à certaines activités d’une part, à certains produits d’autre part. Les activités interdites recouvrent la mise au point, la fabrication, la détention, le stockage, l’acquisition et la cession de produits biologiques dans la mesure où elles ne sont destinées ni à des fins prophylactiques ou de protection, ni à d’autres fins pacifiques. Il apparaît donc que les opérations visées par l’interdiction sont celles qui interviennent après la phase « mise au point », c’est-à-dire au moment où l’activité pathogène apparaît. De ce fait les dispositions du projet de loi ne sauraient en aucune façon restreindre le champ de la recherche menée à des fins pacifiques. Elles ne sauraient non plus limiter en ce domaine une coopération internationale dont la poursuite et le développement restent hautement souhaitables dans un but humanitaire. Tombent également sous le coup de la loi l’incitation ou l’aide à se livrer aux activités interdites apportées de quelque manière que ce soit à toute personne, organisation ou État. Les substances visées par l’interdiction font l’objet d’une définition précise. Ce sont les agents microbiologiques, c’est-à-dire microbes, bactéries, bacilles, algues, champignons, levures, etc. ou biologiques, ainsi que les toxines qui sont les poisons soit sécrétés par des microbes, soit élaborés par des animaux ou des plantes.
Le contrôle sera assuré par des officiers de police judiciaire et des fonctionnaires spécialement habilités qui auront accès à tout moment dans les établissements concernés par la loi pour y faire les constatations qu’ils jugeront nécessaires.
Les sanctions prévues comportent amende, prison, confiscation en vue de la destruction des produits interdits, fermeture temporaire ou définitive de l’établissement, saisie des équipements, interdiction d’exercice de profession pendant cinq ans.
En s’imposant lui-même une réglementation plus sévère que le protocole de Genève, qui se limitait à une simple interdiction d’emploi, le gouvernement français entend affirmer de la façon la plus solennelle le point de vue de la France en matière de guerre biologique et donner ainsi un exemple particulier de désarmement unilatéral.
À propos du service militaire
L’amélioration des conditions d’exécution du service militaire est un souci permanent de l’Armée de terre. Ceci ne signifie pas que la Marine et l’Armée de l’air s’en désintéressent, mais pour ces deux armées le problème est moins aigu du fait que l’une et l’autre recrutent une proportion de spécialistes nettement plus forte que l’Armée de terre en raison du matériel hautement technique qu’elles ont à servir. L’Armée de terre, pour sa part, est composée pour les deux tiers d’appelés dont la qualification professionnelle, quelle qu’elle soit, est rarement en rapport avec la formation nécessaire au combattant. La réduction du service à un an imposait de plus de réviser en profondeur la conception de l’instruction de façon à ne pas diminuer la valeur opérationnelle des unités. C’est dans cette optique générale que le ministre a chargé une Commission, présidée par le général de division Crémière, d’étudier les conditions d’exécution du service militaire. Après avoir analysé les aspirations et possibilités de la jeunesse et les problèmes qui se posent aux corps de troupe, cette commission a déposé son rapport. C’est au vu des conclusions de cette étude que le général d’armée de Boissieu, Chef d’état-major de l’Armée de terre (Cémat) vient de donner ses directives pour la conception de l’instruction.
L’idée générale est de parvenir à une diminution des contraintes pour permettre le plein-emploi des hommes, du temps et des moyens actuels, en attendant que les possibilités financières permettent d’améliorer progressivement ces derniers.
Affirmant la prééminence du rôle du chef de corps, le Cémat pose comme première condition l’unicité de l’autorité chargée de préciser les directives d’exécution et d’en contrôler l’application. On ne peut concevoir en effet qu’une unité puisse recevoir, sur le même sujet, des directives non coordonnées parce qu’émanant de divers échelons parfois inégalement informés sur les incidences que ces directives partielles peuvent entraîner sur le programme global d’activité de l’unité. Désormais les chefs de corps recevront leurs instructions d’une autorité unique qui est l’échelon hiérarchique immédiatement supérieur. Il doit être le garant de l’exécution intégrale et sans heurts des programmes d’un échelon donné. À cet effet, il doit se tenir en permanence informé des possibilités, donc des moyens, mais aussi des sujétions des unités.
Parallèlement il importe que les échelons supérieurs s’efforcent de créer, au bénéfice des subordonnés, les meilleures conditions de travail possibles. Ceci suppose de leur part de veiller à la coordination de leurs actions et interventions de façon à éviter à l’unité destinataire, outre la multiplication de directives ou d’activités, les pertes de temps occasionnées par des démarches administratives dont le bien-fondé n’est pas toujours établi, des préavis insuffisants générateurs de contretemps et de bouleversement des programmes. Il s’agit là d’un effort de mesure, de prévision et de coordination indispensable pour améliorer les conditions de travail et la sérénité de vie des corps de troupe.
Un troisième moyen d’améliorer à la fois les conditions d’exécution du service aussi bien que la valeur opérationnelle des unités consiste à rechercher simultanément la stabilité des individus et la régularité des activités dans le temps. Les jeunes sont sensibles à la notion d’équipe et de responsabilité collective. Par ailleurs les engins et les techniques de combat modernes exigent des équipages qui ne soient pas trop fréquemment renouvelés.
Pour améliorer cette stabilité du personnel, il a été décidé que désormais les jeunes gens effectueraient la totalité de leur service au sein de la même unité élémentaire, demeurant ainsi sous les ordres des mêmes cadres. Pour faciliter l’application de cette disposition, une expérience va être conduite dans plusieurs corps de troupe qui vise à procéder aux incorporations tous les quatre mois au lieu des deux mois qui sont la règle actuelle.
D’autre part, pour atténuer les inconvénients du rythme actuel de l’instruction qui évolue de la surcharge intense de la période de formation de base aux à-coups de la période de spécialisation et d’entretien, le Chef d’état-major de l’Armée de terre a prescrit que l’ensemble des programmes d’instruction feraient l’objet d’une répartition, aussi régulière que possible, sur toute la durée du service militaire. La progressivité permettra d’étaler dans le temps les aspects positifs et concrets de la formation.
Une autre consigne est donnée qui rejoint la précédente dans la recherche d’un meilleur équilibre des activités : l’élimination des temps morts. Ceci implique un effort dans deux directions : prévision et organisation des activités quotidiennes ou hebdomadaires, formation du maximum de personnel possible à des fonctions de responsabilité, soit comme gradés ou sous-officiers chargés d’exercer leur autorité à des postes d’encadrement soit comme moniteurs des diverses activités susceptibles de s’exercer au sein d’une unité (formation technique, entraînement physique et sportif, promotion sociale, loisirs).
Enfin, partant en guerre contre le culte du champion et du record, le Cémat rappelle quelle doit être la finalité de l’entraînement physique militaire. Il ne faut pas confondre l’entraînement sportif visant la recherche d’une « collection de trophées de compétition » qui ne saurait constituer une fin en soi et l’entraînement physique militaire. Ce dernier a pour but la préparation aux efforts physiques et aux efforts en vue du combat. Il doit donc dépasser le stade individuel et prendre la forme de discipline de masse. Dans ce but, l’entraînement physique des cadres et de la troupe s’exercera désormais en commun et de façon régulière, l’entraînement au « combat-commando » représentant à la fois un cadre et un objectif à cet effort physique et moral collectif.
L’ensemble de ces directives ne vise pas à introduire une révolution dans l’instruction mais à y introduire une stricte logique découlant de l’analyse de situation conforme aux techniques d’« organisation et méthodes ». L’enchaînement et la complémentarité des efforts demandés à chacun doit permettre en effet une amélioration importante de la situation présente. Au niveau des états-majors une meilleure prévision et répartition des tâches des unités permet à ces dernières une planification plus rationnelle et rigoureuse donc un fonctionnement plus régulier. Il en résulte un bénéfice non seulement pour les membres de l’unité mais aussi pour les États-Majors eux-mêmes trop souvent sollicités, en l’état actuel des choses, pour arbitrer les imprévus.
Il s’agit en définitive de réagir contre certaines habitudes, certaines routines, certaines contraintes admises, de façon à libérer, à tous les échelons, les facultés d’imagination et d’initiative des exécutants. L’objectif final étant clair : créer une ambiance favorable à l’intérieur de laquelle chaque responsable pourra, en toute connaissance de cause, organiser et planifier le meilleur emploi du temps et des moyens au bénéfice à la fois des individus et des unités. ♦