Défense en France - Un Livre blanc sur les expérimentations nucléaires françaises - Les travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire - Création d'une division des relations internationales au sein de l'état-major des armées - Aperçu du projet de budget militaire 1974
Un Livre blanc sur les expérimentations nucléaires françaises
Le Comité interministériel pour l’information (CII) vient d’éditer un Livre blanc sur les expérimentations nucléaires qui répond aux critiques formulées lors de la récente campagne de protestations menée tant en France qu’à l’étranger contre les essais nucléaires français.
La nécessité pour notre pays de posséder un armement nucléaire a déjà été exposée dans le premier tome du Livre blanc sur la Défense nationale. Aussi ce nouveau Livre blanc se contente-t-il d’exposer les arguments techniques et scientifiques d’une part, juridiques d’autre part, qui réfutent les propos des adversaires de notre politique d’expérimentation.
L’argumentation technique et scientifique peut se résumer ainsi :
– Nos essais nucléaires sont très modestes en nombre et en volume. Au 1er janvier 1972, ils représentaient 5 % de toutes les expérimentations effectuées (1) et 1,8 % de la puissance des tirs aériens étrangers (2).
– La technique de tir utilisée satisfait aux exigences de « propreté ». Les tirs sont en effet effectués sous ballon à une altitude suffisante pour éviter les interactions entre la boule de feu et la surface du sol ou de la mer. De ce fait, les particules radioactives sont réduites à des quantités infimes qui sont entraînées à des altitudes élevées où elles subissent à la fois la dilution par le vent dans les hautes couches de l’atmosphère et une décroissance de leur radioactivité.
– Le choix du site est très favorable du fait de son éloignement de régions à forte densité de population. On ne compte pratiquement pas d’habitants à 200 km à la ronde et à peine 4 200 dans un rayon de 1 000 km alors que dans ce même périmètre on en dénombrait 700 000 autour du site de Maralinga, utilisé par la Grande-Bretagne en Australie, 4 millions autour du site soviétique du Kazakhstan et 7 M autour du site de tir américain du Nevada. De plus la période météorologique favorable étant celle où les vents soufflent de l’Ouest vers l’Est, les tirs ont lieu à 6 000 km « au vent » des côtes d’Amérique du Sud.
– Les contrôles sont rigoureux. La surveillance de la radioactivité s’exerce au moyen d’un réseau de stations implanté près des sites de tir mais aussi en Guyane et à La Réunion, ainsi que dans différents pays avec lesquels nous travaillons en coopération. C’est le cas en particulier de la Bolivie, du Chili, de la Colombie, de l’Équateur et du Pérou. Ces contrôles portent non seulement sur l’atmosphère et l’eau de mer mais également sur l’alimentation (fruits, légumes, lait, viande, poissons). De plus, le résultat de nos mesures est confronté avec ceux obtenus par d’autres pays. On a pu constater qu’ils étaient concordants et qu’ils se situent tous en dessous de la limite maximale considérée comme tolérable par la commission internationale compétente. Enfin nos observations sont communiquées au Comité scientifique des Nations unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants. Ce comité a reconnu, dans ses rapports de 1969 et de 1972, que « les apports de contamination dus aux essais nucléaires atmosphériques actuels étaient faibles et ne modifiaient pas de façon significative la situation créée par les expérimentations antérieures ». Le fait que ce comité ait demandé à ne plus fournir de rapport annuel (le prochain sera déposé en 1974) montre assez qu’il ne nourrit aucune inquiétude sur le sujet.
– L’absence de risque est démontrée par les données scientifiques. Les retombées dues aux essais français se chiffrent à 0,2 millirem par an. Quand on sait que le corps humain reçoit en général 100 à 150 millirem par an du fait des rayons cosmiques (jusqu’à 2 500 dans certaines régions) et qu’une simple radioscopie en apporte de 40 à 1 000, l’argument du risque d’irradiation des populations par les retombées de nos tirs ne tient pas.
Plus subtile mais non moins convaincante se présente l’argumentation juridique.
Le Livre blanc observe tout d’abord qu’il n’existe aucune norme impérative qui interdise les expériences dans l’atmosphère. Si l’assemblée générale des Nations unies a voté des résolutions en recommandant l’arrêt, celles-ci sont dépourvues de force obligatoire pour l’ensemble des États-membres et ne constituent en rien des normes juridiques. De plus, le fait que certains États se soient librement engagés à s’interdire les essais atmosphériques en signant le traité de 1963, traité qu’ils ont d’ailleurs la possibilité de dénoncer, implique bien qu’il existait un droit auquel ils ont renoncé mais qui subsiste pour les États non-signataires comme la France.
Un argument de la campagne d’hostilité contestait la licéité de la constitution d’une zone dangereuse dans les eaux internationales autour du site de tir. Or, le droit international de la mer n’a nullement été modifié dans ce domaine depuis les expériences anglaises et américaines, à l’occasion desquelles l’Australie et la Nouvelle-Zélande n’ont jamais critiqué la création de zones dangereuses. Bien plus, l’Australie a elle-même créé en 1952, pour permettre les essais nucléaires britanniques, une zone de ce genre baptisée non pas « dangereuse » mais bel et bien « interdite ».
Un autre argument invoqué par l’Australie et la Nouvelle-Zélande repose sur la théorie dite des avantages compensatoires, c’est-à-dire d’une indemnisation des risques encourus. Outre que cette théorie est inconnue du droit international positif, on peut remarquer qu’elle n’a pas été invoquée à rencontre des expériences des autres pays par ces deux gouvernements qui, au contraire, en 1954, ont soutenu la thèse selon laquelle, dès lors que les précautions pour limiter les risques ont été prises et que les dommages subis ont été indemnisés, les États-Unis pouvaient poursuivre leurs expériences. Le droit positif comporte en effet l’obligation d’indemniser des dommages constatés. Or l’Australie et la Nouvelle-Zélande ne justifient d’aucun dommage imputable aux essais français et ne font état dans leur enquête à la cour internationale de justice que de menace, d’inquiétude, d’anxiété, d’appréhensions des populations, tous phénomènes dans l’apparition et le développement desquels les auteurs des campagnes de protestation portent une très large part de responsabilité.
S’agissant de la compétence de la Cour internationale de Justice (CIJ), que la France a récusée, le Livre blanc fait observer que cette compétence ne repose que sur l’acceptation des États de se soumettre à cette juridiction. Or, en 1966, la France a explicitement exclu de son acceptation de la juridiction internationale « les différends concernant des activités se rapportant à la défense nationale ». D’ailleurs l’affaire qui est soumise à la Cour n’est pas fondamentalement un différend d’ordre juridique mais un problème purement politique et militaire.
Cet aspect politique ressort particulièrement à la lecture d’une des nombreuses annexes, scientifiques et juridiques, du Livre blanc. On peut apprendre, en effet, qu’à plusieurs reprises le ministre australien des Approvisionnements, au vu des rapports établis par des organismes spécialisés de son pays, a déclaré que les retombées radioactives dues aux essais nucléaires français « ne présentaient aucun danger significatif pour la santé de la population australienne ». De même, on ne peut manquer d’être surpris de découvrir qu’en juillet 1972, le Premier ministre de Nouvelle-Zélande Jack Marshall déclarait que ces retombées françaises « sont nettement inférieures à celles résultant des expérimentations antérieures, américaines, soviétiques et ne comportent pas de risque pour la santé ».
Aussi le Livre blanc s’interroge-t-il : « À l’origine de certaines campagnes, n’y aurait-il pas le désir de gêner notre politique de défense et de contrarier notre volonté d’indépendance ? » Ainsi, après l’interdiction des essais atmosphériques prononcée par les superpuissances nucléaires grâce au traité de 1963, on verrait maintenant « s’esquisser une tentative d’interdiction des essais souterrains ; alors que les puissances intéressées ont déjà largement profité de ce mode d’expérimentation » (3).
Les travaux du Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM)
Entre ses deux sessions annuelles prévues par son règlement intérieur, le CSFM ne reste pas inactif. Il a d’abord été procédé le 26 février 1973 au tirage au sort en vue du renouvellement de la moitié des membres du conseil dont le mandat arrivait à expiration le 1er avril 1973. La désignation nominative de ces membres ainsi que la nouvelle composition du conseil ont fait l’objet d’un arrêté du 27 mars 1973.
De son côté la commission « sous-officiers » a poursuivi ses travaux, qui ont comporté l’audition de 1 100 sous-officiers et officiers mariniers, et a pu remettre son rapport au ministre le 15 mars 1973. Ce texte qui évoque successivement les problèmes du recrutement, de la durée et du rythme des carrières et des indemnités et avantages en nature, est actuellement à l’étude dans les divers états-majors.
Par ailleurs, une décision du 25 mai 1973 a constitué une commission de 12 membres, qui se sont réunis les 14 et 26 mai de la même année pour effectuer l’étude préalable des textes d’application du statut général des militaires présentés au conseil lors de sa septième session. Cette 7e session, qui s’est tenue à Paris les 27 et 28 juin 1973 était la première présidée par le ministre des Armées M. Robert Galley. Dans son allocution d’ouverture, le ministre a souligné la grande importance qu’il attache au conseil et affirmé sa volonté d’en faire, par « une coopération encore plus complète », « le véritable moyen d’expression de la collectivité militaire ». Le conseil a pris ensuite connaissance du rapport de la commission portant sur trois projets de décrets d’application du statut général des militaires. Celui relatif aux positions statutaires des militaires de carrière n’a donné lieu à aucune remarque. Dans le projet de statut particulier du corps militaire de Contrôle, la commission a souhaité une meilleure définition du Contrôle général des armées (CGA) et de sa mission de garant des intérêts de l’État et des personnes. Sur le troisième texte qui lui était soumis, la commission a émis des propositions visant à améliorer l’indépendance des conseils d’enquête et les garanties du militaire qui y est déféré, propositions que le ministre a acceptées.
En matière de logement, il a été décidé de créer un groupe de travail chargé de suivre l’évolution de la politique du logement dans les armées et de poursuivre les études en cours sur le régime des prêts à la construction.
Le conseil a reçu communication des mesures catégorielles prévues pour 1974 : poursuite de la revalorisation de l’indemnité pour charges militaires, majoration de l’indemnité pour service à la mer, création de 321 emplois pour le personnel féminin, amélioration du régime d’habillement des militaires de la gendarmerie.
Répondant ensuite à diverses questions, le ministre a notamment précisé que le projet de statut particulier des médecins militaires serait révisé dans le sens d’une uniformisation atténuée pour être soumis au gouvernement avant la fin de l’année. Après avoir réaffirmé sa volonté de conserver à l’armée la place qui lui revient dans la nation et rappelé les dispositions prises pour répondre aux détracteurs et, le cas échéant, contrebattre les menées subversives, il a demandé aux militaires de participer à cette action en s’employant, aussi bien dans l’exercice de leurs fonctions qu’à l’occasion de conversations privées, à redresser les idées erronées tandis que les états-majors doivent valoriser l’action éducative et la formation professionnelle et rechercher les missions complémentaires d’intérêt public susceptibles d’être confiées aux armées.
Lors de sa prochaine session, prévue pour fin 1973 ou début 1974, le conseil aura à connaître des projets de textes relatifs aux statuts particuliers des corps des officiers de l’Armée de terre, de la Marine et de l’Armée de l’air, ainsi que des diverses propositions formulées par les états-majors à la suite des conclusions du rapport de la commission « sous-officiers ».
Création d’une division des relations internationales au sein de l’État-major des armées (EMA)
La vocation du Chef d’état-major des armées (Céma) à l’emploi des forces et son caractère d’autorité militaire interarmées ont conduit à lui confier « la responsabilité de la coopération militaire outre-mer et la tutelle des missions militaires à l’étranger » aux termes du décret de décembre 1971 fixant ses attributions. Or, jusqu’à ces derniers mois, le Céma ne disposait, pour faire face aux obligations découlant de cette responsabilité, que d’un Bureau des relations internationales (BRI) au personnel assez réduit et aux compétences limitées (la liaison avec les attachés militaires étrangers à Paris, par exemple, assumée par la division renseignement, lui échappait).
Le Livre blanc sur la Défense (Tome II - p. 8) laissait entendre qu’une réorganisation et une extension de cet organisme interviendraient prochainement. La création, au 1er juillet 1973, d’une division des relations internationales, regroupant l’ancien BRI et la section liaison-protocole de la division renseignement de l’EMA, répond à cet objet.
La division des relations internationales devient ainsi, au sein de l’EMA, l’organisme de coordination des affaires militaires de caractère international. Son activité s’ordonne, dans le cadre de la politique de défense de la France, autour de deux objectifs : la coopération avec les autres nations d’une part, l’assistance militaire technique d’autre part.
Elle exerce en outre une fonction d’accueil et de liaison avec les militaires étrangers en France.
En liaison avec les divisions intéressées de l’ElA, la division des relations internationales :
– prépare la participation de l’EMA aux réunions internationales ;
– établit les directives destinées aux missions militaires françaises à l’étranger ou auprès des organismes interalliées ;
– traite de l’assistance militaire technique.
Elle assure normalement, en la matière, les relations avec les services du ministère des Affaires étrangères.
La division s’articule en quatre sections avec les attributions suivantes :
1re section : Relations internationales de défense militaire
Aspects militaires des engagements politiques de défense – Conventions et accords techniques de sécurité – Réunions internationales d’état-major, visites, survols, escales militaires – Terrorisme international – Statut des personnes et des forces hors du territoire national.
2e et 3e sections : Coopération militaire
Coopération et assistance militaire technique – Stagiaires militaires étrangers dans les forces armées françaises et dans les établissements relevant du ministère des Armées.
4e section : Liaison avec les militaires étrangers en France
Accueil et liaison – Attachés militaires étrangers accrédités en France – Voyages officiels de personnalités militaires et de détachements étrangers en France et dans les départements et territoires d’outre-mer – Protocole et chancellerie.
Le chef de la nouvelle division des relations internationales est le contre-amiral Jean Sabbagh ; sous-marinier, il a servi notamment à l’État-major particulier du général de Gaulle et commandé l’École navale et l’École des élèves officiers de Marine de 1967 à 1969. Le sous-chef de la division est le colonel Jean Roux, des troupes de marine, assisté du colonel de Sesmaisons, de l’Arme blindée cavalerie (ABC), pour l’accueil et la liaison avec les militaires étrangers.
Aperçu du projet de budget militaire 1974
Le budget militaire voté pour 1973 était en progression de 11,8 % par rapport au budget réel 1972. Mais on sait que par suite de l’abaissement de certains taux de la TVA au 1er janvier 1973, le montant des crédits militaires a été réduit par rapport au budget voté. De ce fait la progression de 1972 à 1973 n’aura en réalité été que de 10,9 %.
Le projet de budget des Armées pour 1974 accuse une progression de l’ordre de 10,5 à 10,7 % par rapport au budget 1973 volé et de 11,4 à 11,6 % par rapport au budget 1973 rectifié. Cette augmentation sera donc plus forte que celle de l’année précédente mais reste cependant inférieure à la croissance du budget général de l’État qui se situera aux environs de 12,2 % selon le taux de croissance de la production intérieure brute. Ainsi, mais sans qu’il soit possible de le déterminer avec précision puisque le Produit national brut (PNB) n’est pas encore connu, le rapport du budget militaire au PNB serait inférieur à 3 %, soit en diminution par rapport aux années précédentes.
La progression du volume des crédits de paiement est consacrée d’une part à un réajustement limité des dépenses d’équipements (titre V) destinées à la réalisation du 3e plan militaire, d’autre part au financement des mesures catégorielles du titre III visant à la revalorisation de la condition des militaires.
Ces mesures catégorielles sont assez importantes cette année. Elles comprennent en particulier :
– une nouvelle tranche de relèvement de l’indemnité pour charges militaires dont on prévoit l’indexation à partir de 1975 ;
– l’octroi d’une prime de technicité à certains sous-officiers ;
– l’accélération de l’échelonnement du versement des primes d’attachement pour les sous-officiers rengagés ;
– une augmentation du nombre d’officiers mariniers et de sous-officiers de l’Armée de l’air pouvant accéder à l’échelle de solde n° 4 ;
– l’augmentation de la majoration de solde pour service à la mer ;
– l’aménagement de diverses indemnités au profit des militaires de la Gendarmerie.
L’ensemble de ces mesures ainsi que celles prises en vue de l’amélioration des conditions d’exécution du Service militaire conduit évidemment à un accroissement du titre III par rapport au titre V. Mais la notion d’équilibre entre les crédits de paiement des deux titres, qui passait pour une norme au moment du lancement des premiers plans militaires d’équipement, notamment avec l’accession à l’armement nucléaire, a tendance à s’estomper. Obtenu à partir de 1965, cet équilibre n’a pas été poursuivi au-delà de 1969. L’examen de budgets militaires étrangers fait apparaître que de nombreux pays n’attachent pas d’importance à cette notion. En fait, pour 1974, le pourcentage entre les deux titres se situe au niveau de ce qu’il était en 1971 et 1972.
Sur le plan des effectifs, comme l’avait annoncé le ministre des Armées le 13 mai 1973 à Lille au Congrès annuel des officiers de réserve, le projet de budget consacre l’arrêt de la politique de déflation mais ne comporte pas de création d’emplois à l’exception de 2 200 postes de gendarmes, dont 1 000 gendarmes auxiliaires, destinés à permettre à cette arme de faire face à l’accroissement continu de ses tâches civiles.
La répartition des crédits entre les différentes sections fait d’ailleurs apparaître, par rapport à la croissance générale du budget, une progression plus forte pour la Gendarmerie, normale pour les Armées de terre et de l’air et quelque peu inférieure pour la part de la Marine.
En plus de sa présentation classique par sections et chapitres, le projet de budget des Armées fait l’objet d’une présentation sous forme de budget de programmes qui revêt cette année un aspect officiel contrairement au caractère documentaire au titre duquel cette présentation a été effectuée à l’occasion des projets de budget 1972-1973. ♦
(1) 13 tirs souterrains sur un total de 477 et 30 tirs aériens sur 392.
(2) Moins de 10 mégatonnes contre plus de 500.
(3) On peut se procurer le Livre blanc sur les expériences nucléaires en s’adressant au Service d’information et de relations publiques des armées (Sirpa) – 231, boulevard Saint-Germain 75997 PARIS ARMÉES.