Défense dans le monde - États-Unis : la réduction des forces américaines dans le monde - Belgique : plan de restructuration des forces armées - Finlande : le budget de défense 1974 - Norvège : le système de représentation de la troupe - Aperçu des opérations militaires au Proche-Orient
États-Unis : la réduction des forces américaines dans le monde
Au début du mois d’octobre 1973, le Congrès a dû se prononcer sur deux amendements en faveur d’une réduction substantielle des forces américaines stationnées outre-mer. Bien que les thèses les plus dures de l’opposition n’aient pas prévalu, les pressions sans cesse croissantes auxquelles les responsables américains de la Défense ont à faire face incitent à examiner successivement les arguments de l’opposition et ceux de l’Administration sur la question de la présence américaine outre-mer qui revêt pour les alliés des États-Unis, et en particulier les Européens, une importance toute particulière.
Renonçant à l’amendement du démocrate Humphrey qui demandait le retrait de 110 000 hommes stationnés à l’étranger, le Congrès a préféré porter son choix sur un projet plus modéré d’un autre sénateur de l’opposition, M. Jackson, qui prévoit d’adapter le niveau des forces américaines en Europe aux efforts que les partenaires atlantiques voudront bien consentir pour leur propre défense et à l’effet qui en résultera dans le rétablissement de la balance américaine des paiements.
Abandonnant pour un temps ses exigences en vue d’un désengagement plus général, l’opposition préfère, cette année, faire porter son offensive sur l’Europe.
Les motifs qui l’y poussent sont nombreux et relèvent autant de la politique que de l’économie.
Sur le plan politique, l’opposition à l’intérieur du Congrès, constatant que la détente Est-Ouest diminue le danger communiste et augmente la sécurité du monde libre, démontre que la situation internationale permet ce désengagement. Elle prend pour argument, par ailleurs, que les négociations Mutual and Balanced Force Reductions (MBFR), qui peuvent durer des années et servent de principale excuse à l’Administration pour ne pas opérer actuellement de réduction de forces, pourraient au contraire bénéficier de ce retrait, l’effort américain dans ce sens incitant les Soviétiques à des actions similaires. De plus, le Congrès [NDLR 2023 : à majorité démocrate] n’est pas fâché de gêner le Président [républicain] Nixon dans sa politique de détente avec l’Est, estimant que les concessions qu’il en retire de la part de l’URSS sont insuffisantes.
Sur le plan économique, les raisons qui justifient un retrait sont tout aussi importantes. Pour les Sénateurs de l’opposition il est choquant de voir les États-Unis participer pour une part trop grande, à leurs yeux, au budget de l’Alliance Atlantique et de constater le faible pourcentage du PNB européen consacré à la Défense. En second lieu, le stationnement des troupes américaines sur le seul théâtre européen est pour 1,5 milliard de dollars l’une des causes du déficit de la balance des paiements : le principal argument de l’opposition, quelque peu démagogique et qui, comme tel, trouve une résonance certaine dans le public, est que l’entretien des forces outre-mer coûte très cher au contribuable américain.
Face à cette argumentation, la position de l’Administration reste ferme et a été maintes fois confirmée par le président Nixon et le secrétaire à la Défense, M. Schlesinger (1). Tout en minimisant l’impact financier, certes fâcheux, de la présence des troupes américaines à l’étranger, c’est sur le plan politique que la Maison-Blanche préfère se placer pour plaider en faveur du maintien du contingent américain sur les théâtres extérieurs.
En effet, pour le Président américain, la sauvegarde des intérêts vitaux de son pays passe par le maintien de l’équilibre dans le monde. Or, cet équilibre exige actuellement la présence américaine outre-mer. Cette présence est nécessaire en Asie, où la situation n’est pas encore stabilisée et en Europe où, sans elle, la dissuasion deviendrait moins crédible et où serait très nettement abaissé le seuil du recours à l’arme nucléaire.
Sur ce dernier théâtre, le président Nixon estime particulièrement inopportun un retrait américain qui ne serait pas compensé par une mesure similaire de la part des Soviétiques au moment où son Administration s’engage précisément dans la voie des négociations pour une réduction équilibrée et mutuelle des forces étrangères stationnées sur le théâtre européen.
En définitive, malgré les progrès réalisés par la thèse de l’opposition qui trouve au fil des années une meilleure audience, il est logique de penser que l’Administration réussira pendant quelque temps encore à limiter les retraits outre-mer (2). Au besoin, le président Nixon pourrait mettre son veto à toute mesure allant à rencontre de sa politique. Mais sa marge de manœuvre reste faible. À la longue, les contraintes divergentes qui pèsent sur la détermination de la politique étrangère pourraient lui faire accepter des réductions plus significatives qui affecteraient en premier lieu le théâtre asiatique, sans nécessairement s’y limiter.
Une constatation s’impose cependant : s’il est disposé à apporter des aménagements au dispositif américain à l’extérieur, le président Nixon n’acceptera jamais que la sécurité de son pays puisse être menacée et il fera beaucoup pour rassurer les pays du monde libre sur l’intérêt que les États-Unis portent à la leur.
Belgique : plan de restructuration des forces armées
Le gouvernement belge a présenté le 10 septembre 1973 un plan de restructuration des forces armées réduisant à six mois la durée du service militaire et faisant appel au personnel sous contrat pour les forces de manœuvre.
En attendant d’être soumis au Parlement d’ici la fin de l’année, ce projet fait l’objet de consultations au sein de l’Alliance atlantique dans le cadre des procédures établies. Intitulé « plan VDB », du nom du ministre belge de la Défense nationale, M. Vanden Boeynants, ce plan de restructuration est le second du nom. Un premier plan VDB présenté fin 1972 prévoyait, entre autres mesures, une faible réduction du service militaire et la suppression des sursis. Il avait dû être retiré sous la pression de l’opinion publique et devant l’opposition socialiste. Cette fois-ci, des garanties ont été prises sous forme de multiples consultations dans les milieux intéressés : ayant reçu l’aval des trois grands partis de la majorité, il ne devrait plus être remis en question.
Partant du système actuel comprenant des forces de manœuvre (mises à la disposition de l’Otan en l’occurrence) et des forces de l’intérieur dans le cadre d’un service militaire de quinze mois, la nouvelle réforme trouverait sa pleine application en 1978. Elle aboutirait progressivement à un service de six mois avec maintien du sursis, assorti de quelques mesures particulières concernant les paracommandos, les EOR et les SOR.
Les appelés seraient affectés aux unités des forces de défense de l’intérieur pour lesquelles une formation dans le cadre d’un service de six mois est jugée suffisante. Un système de recrutement local tendrait à assurer une mobilisation plus rapide en même temps qu’une meilleure connaissance du pays.
Les forces de manœuvre requérant une qualification plus poussée, leurs personnels seraient principalement constitués de volontaires à carrière courte servant sous contrat de deux à onze ans (3). Le recours au volontariat exigerait la présence permanente d’environ 21 000 engagés volontaires selon le calendrier suivant : 6 000 engagés par an pour maintenir les effectifs pendant la période transitoire de 1974 à 1978 : 3 000 engagés par an en régime de croisière.
Sur le plan financier, cette mesure entraînerait une augmentation annuelle du budget de défense d’environ 2,5 % (soit 850 millions de francs belges) de 1974 à 1978 et de 200 M par la suite. Selon le porte-parole du gouvernement, ces dépenses seraient partiellement compensées par des économies de fonctionnement résultant du nouveau système et par un accroissement du PNB évalué à 7 milliards de francs belges qu’entraînerait le retour anticipé à la vie civile de 40 000 appelés.
Les forces armées comprendraient donc désormais trois volets d’importance inégale :
– Les forces d’intervention, formées uniquement d’unités d’active à base de professionnels. En temps de guerre leur complément serait constitué par les anciens engagés maintenus dans la réserve en fin de contrat.
– Les forces de défense de l’intérieur, pratiquement inexistantes en temps de paix, à l’exception de quelques noyaux actifs et d’unités de soutien ou de services. Ces noyaux actifs seraient presque entièrement composés d’appelés du contingent, dont 50 % de sursitaires effectuant un service réduit de six mois.
– La Gendarmerie qui demeure avec des effectifs jusqu’ici inchangés. À ses missions actuelles viendraient s’ajouter la protection des lignes de communication alliées et la garde des points sensibles jusqu’à ce que les unités mobilisées des FDI soient en mesure de prendre la relève.
La valeur opérationnelle des unités du corps de bataille ne semble pas devoir être altérée par la mise en œuvre du plan VDB puisqu’il reste entendu que le niveau des effectifs sera maintenu par des appelés aussi longtemps que durera la constitution du volume des engagés.
Finlande : le budget de défense 1974
Le projet de budget de la Finlande pour l’exercice 1974 a été déposé devant le Parlement le 7 septembre 1973. Son étude en commission se poursuit encore au moment où nous écrivons, mais il y a peu de chances que le budget de la Défense soit modifié de façon notable.
Avec un montant de 942 M de marks finlandais (1 MF = 1,35 FF) les crédits du ministère de la Défense connaissent une progression de l’ordre de 1 2 % par rapport à l’année précédente (843 M). Progressant légèrement moins vite que l’ensemble des dépenses publiques, leur part dans le budget général de l’État n’est plus que de 5,5 % contre 5,7 % en 1973. Par rapport au Produit national brut (PNB), l’effort de défense finlandais connaît ainsi une nouvelle baisse, puisqu’il risque de ne représenter que moins de 1 % de celui-ci en 1974 alors qu’il atteignait encore 1,1 % en 1973 et 1,38 % en 1971.
Étant donné la conjoncture inflationniste importante que connaît actuellement la Finlande (sans doute plus de 10 % de hausse en 1973), la progression du budget de la Défense d’une année sur l’autre peut paraître faible. Il faut cependant noter que l’expérience des années précédentes montre que la Finlande n’hésite pas à recourir à des collectifs budgétaires fréquents pour compenser la dépréciation de la monnaie. Ainsi en 1972, près de 58 M se sont ajoutés à la loi de finances initiale, et le ministre de la Défense a déjà évoqué une telle éventualité pour 1974.
En ce qui concerne la ventilation de ces sommes, on note qu’avec 670,5 M de marks, la part des crédits de fonctionnement reste très importante, puisqu’ils représentent près de 71,2 % du budget global. Sur le plan des personnels, les sommes allouées doivent permettre la réalisation progressive du futur « cadre de commandement » unifié, par la disparition des deux corps des officiers et des sous-officiers. Par ailleurs, les montants destinés à l’utilisation et l’entretien des matériels connaissent une importante progression (104,5 M contre 85 en 1973). Le commandement finlandais espère ainsi pouvoir rattraper le retard accumulé au cours des années précédentes qui dans certains domaines, et en particulier dans l’armée de l’air, avait fortement compromis l’efficacité des Forces armées.
Les crédits d’investissements (271,5 M de marks, soit 28,8 % du budget) se répartissent en 45 M pour la construction de casernements et 226,5 M pour l’achat d’équipements nouveaux. Les programmes déjà entrepris ou autorisés seront poursuivis : l’achat de l’avion de combat suédois SAAB 35 Draken, de dragueurs de mines a impulsion, de radars basse altitude, etc. D’autres seront engagés, comme la modernisation de la surveillance maritime et côtière. On remarque notamment les crédits destinés au projet d’avion-école de conception finlandaise appelé à remplacer le SAAB Safir.
Le budget du ministère de la Défense ne représente cependant pas la totalité des crédits à caractère de défense : il convient en effet d’y ajouter des sommes souvent importantes inscrites notamment dans les comptes du ministère de l’Intérieur. Ainsi celui-ci prévoit 98 M de marks destinés au corps des gardes-frontières qui, par ses structures, ses matériels, son encadrement (4) et son entraînement ne peut en aucune manière être considéré comme une simple force de police. Sept millions sont en outre prévus dans le cadre de la défense civile.
Par ailleurs, le ministère du Commerce et de l’Industrie reçoit 71 M au titre de la défense économique et des sommes difficiles à évaluer, quoique souvent importantes, s’ajoutent encore à la contribution des budgets de ministères divers à l’exécution de tâches proprement militaires : le ministère des Transports pour les télécommunications ou la direction de l’aéronautique…, l’Éducation pour la recherche scientifique et technique, etc.
En conclusion, les chiffres absolus apparaissent, notamment en termes de part du PNB, comme assez faibles même si l’on tient compte de sommes réparties dans les budgets des autres ministères. Il ne faut pas cependant perdre de vue que le traité de Paris de 1947 limite assez considérablement les possibilités des armées finlandaises, notamment dans les domaines des effectifs et des matériels. Les forces de ce petit pays semblent malgré tout capables, du fait de leur adaptation à un terrain difficile et de leur détermination très réelle, sinon de s’opposer victorieusement, du moins de causer de graves difficultés à un agresseur éventuel.
Norvège : le système de représentation de la troupe
Les procédures de représentation de la troupe dans divers pays ont provoqué de nombreux débats et de violentes polémiques l’été dernier en Norvège. Il peut être intéressant de ce fait de donner quelques précisions sur le système qui fonctionne depuis de nombreuses années dans ce pays.
L’idée de la représentation des militaires par élection de délégués est une tradition très ancienne des forces norvégiennes puisqu’elle remonte aux règlements de défense de 1912. C’est en 1952 cependant que le système se précisa et que le Parlement lui donna une forme permanente. Très schématiquement, il se présente ainsi : chaque section élit un représentant qui siège au sein d’un comité de compagnie avec le commandant de celle-ci. Des comités similaires existent à l’échelon du bataillon (comité central) ; enfin des réunions semestrielles ou annuelles (congrès) se tiennent au niveau des districts (brigades) et sur le plan national. Jusqu’en 1972, les comités de représentation étaient purement consultatifs ; depuis lors, ils ont acquis des pouvoirs de décision dans certains domaines comme le bien-être et le sport, les activités d’enseignement et les loisirs. Les comités traitent des questions générales sans considérer les griefs individuels, mais un soldat peut demander à son représentant de section de traiter pour lui un tel problème avec la hiérarchie.
Pour chapeauter et garantir cet ensemble de comités, a été créé un poste d’« Ombudsman » militaire, assisté par un conseil de six membres, tous nommés par le Parlement pour une durée de quatre ans. L’Ombudsman examine les plaintes qui lui sont adressées individuellement par les militaires (5). Il visite périodiquement les unités pour vérifier le fonctionnement du système de représentation. Au cas où un problème quelconque ne pourrait être résolu par arrangement direct avec la hiérarchie, l’Ombudsman peut, en dernier recours, rapporter le fait devant le Storting (Parlement). Enfin, il adresse à celui-ci un rapport annuel sur son activité.
Les appréciations sur le fonctionnement de ce système sont, bien entendu, très divergentes. Le rapport officiel qui aboutit à la mise en place définitive de cette organisation concluait à la constitution d’un « pas démocratique définitif qui servirait à créer la confiance, la coopération et la solidarité parmi toutes les catégories de personnel des forces armées ». Mais nombre d’officiers ne semblent pas de cet avis et ne manquent pas de critiquer des dispositions qui, selon eux, détruisent les fondements même de la défense : la discipline et le pouvoir hiérarchique. Certains y voient même une base d’action politique subversive et ils citent des incidents divers comme le vote d’une motion contre les bombardements américains au Vietnam ou le refus d’exécuter des tirs d’entraînement sur un terrain revendiqué par la population locale.
L’Ombudsman, quant à lui, paraît être très satisfait du fonctionnement de cet organisme. Il reçoit chaque année entre 300 et 350 plaintes qui couvrent tous les domaines depuis les questions de nourriture et d’hébergement jusqu’aux sursis. Quelques réclamations concernent les questions disciplinaires, beaucoup d’entre elles ont un caractère économique ou médical. La plupart des cas se résolvent assez facilement par contact direct avec les commandants d’unités, et l’Ombudsman veut voir un succès du système dans le fait que depuis sa création, jamais l’arme suprême du recours au Parlement n’a dû être utilisée.
En définitive ce système fonctionne depuis assez longtemps sans que des difficultés majeures se soient posées. D’autres pays, comme la Suède ou la République fédérale d’Allemagne (RFA), connaissent des procédures qui, sans toujours aller aussi loin qu’en Norvège, s’en approchent par bien des aspects. Une telle expérience ne va cependant pas sans frictions, et les réticences de nombreux officiers s’expliquent aisément. Il semble par là intéressant d’observer, dans les prochaines années, l’évolution de cette organisation et les répercussions qu’elle pourrait avoir sur la cohésion des forces armées.
Aperçu des opérations militaires au Proche-Orient
La nouvelle guerre du Proche-Orient a pour le moins surpris la plupart sinon la totalité des chancelleries du monde occidental. Il est certain par contre que les Soviétiques avaient été avertis de l’imminence de la reprise d’opérations actives puisqu’ils avaient, quelques jours auparavant, procédé à l’évacuation de leurs derniers ressortissants. À en juger par la hâte de cette évacuation, le préavis dut cependant être court.
Mais pourquoi ce nouvel épisode d’un antagonisme millénaire qui, depuis la création de l’État d’Israël en 1948, s’est déjà manifesté par trois guerres aussi brèves que violentes ?
À l’heure où ces lignes sont écrites, il est encore trop tôt pour en démêler les origines exactes. Il est probable néanmoins que l’intervention de l’Égypte, suivie par la Syrie, s’explique autant pour des raisons de politique intérieure qu’extérieure.
En effet, ayant réussi à différer l’union réclamée par le colonel Kadhafi (Libye), mais en revanche s’étant rapproché des États arabes modérés – Arabie séoudite et Jordanie – le président Anouar El Sadate avait cependant à faire face à une situation intérieure délicate : la mobilisation permanente de l’Égypte depuis la guerre des Six Jours (5-10 juin 1967) devenait une charge insupportable pour l’économie du pays et créait un état de tension qui devait tôt ou tard trouver son épilogue.
Disposant d’une armée entièrement rééquipée par l’Union soviétique et bien entraînée, le président Sadate, homme pourtant modéré, s’est estimé en mesure, cette fois-ci, de prendre les devants.
Il paraît exclu qu’il ait nourri l’illusion d’une victoire totale sur Israël. Il est plus logique de penser qu’il espérait récupérer une partie des territoires occupés et détruire le mythe de l’invincibilité de l’armée juive par la réussite d’opérations certes limitées mais très brutales. Une victoire remportée dans de telles conditions lui aurait permis de s’asseoir en position de force à la table des négociations. En outre, le Président répondait ainsi au désir de réhabilitation si ardemment ressenti par les masses arabes depuis les terribles défaites subies lors de la guerre des Six Jours. Cette deuxième hypothèse apparaît la plus vraisemblable car il est incontestable que, malgré les aléas récents des différents projets de fusion entre plusieurs États arabes du Proche-Orient, la prise de conscience d’une certaine unité du monde arabe commence à pénétrer les peuples de cette région. Quoi qu’il en soit de ces hypothèses quant aux intentions des protagonistes, nous voudrions essayer de dégager ici les traits essentiels des opérations de cette nouvelle phase de la guerre et en tirer les premiers enseignements au plan militaire et stratégique.
À la veille du déclenchement des hostilités, quel était le rapport des forces en présence ?
En incluant l’importante participation irakienne – initialement plus d’une division blindée –, on peut estimer que les effectifs des forces arabes disponibles représentaient sensiblement le double de ceux des forces israéliennes, soit environ 500 000 hommes d’active face à un peu plus de 250 000 h en Israël, compte tenu des réservistes immédiatement disponibles dans ce dernier pays. L’Égypte, à elle seule, alignait plus de 10 divisions dont au moins 2 divisions blindées sans oublier un certain nombre de brigades de réserve générale. Il semble que la Syrie disposait, elle aussi, de plusieurs grandes unités blindées de la valeur de la brigade. Quant aux contingents des « pays frères », l’Irak mise à part, ils étaient essentiellement constitués par de petites unités de l’importance du régiment, quelquefois renforcé.
Ce déséquilibre des effectifs au détriment d’Israël se retrouvait également dans le nombre des chars et des avions qu’alignaient les deux camps. Les observateurs les plus sérieux attribuaient à l’ensemble formé par l’Égypte, la Syrie et l’Irak environ 800 avions et 3 000 chars modernes face à un peu moins de 400 avions et de 1 500 chars chez leur adversaire. Quant à la valeur des matériels, elle était sensiblement la même des deux côtés : certes, les Israéliens disposaient de McDonnell Douglas F-4 Phantom II mais les armées de l’air égyptienne, syrienne et irakienne pouvaient leur opposer de nombreux MiG-21, peut-être moins efficaces que les chasseurs américains pour l’intervention au sol, mais dont les possibilités d’interception en font un adversaire redoutable. Et surtout, les armées arabes étaient en mesure d’assurer une couverture efficace de leurs unités par une défense antiaérienne qui, dès les premières heures de la bataille, devait infliger de très lourdes pertes aux chasseurs israéliens. Il faut se souvenir qu’au cours de la guerre des Six Jours, la liberté de manœuvre de l’aviation israélienne avait été d’emblée totale. On peut dire qu’au cours de ce nouvel affrontement, les rampes de SAM-2 et SAM-3, les affûts quadruples de 23 mm et les bitubes de 57 mm ont été pour Israël un souci de tous les instants : ainsi, l’un des objectifs de la percée au-delà du canal sera-t-il la destruction ou au moins la neutralisation du réseau particulièrement dense des rampes qui se trouvaient sur la rive occidentale de la voie d’eau.
Syriens et Égyptiens pouvaient donc considérer à juste titre qu’ils disposaient, avant l’ouverture des hostilités, d’un corps de bataille particulièrement valable.
Effectivement les progrès accomplis depuis 1967 par les armées syriennes et surtout égyptiennes ont été patents dès les premiers jours du conflit.
Franchissant de vive force le canal le 6 octobre vers midi, jour de la fête juive de Grand Pardon (Yom Kippour), les Égyptiens s’installaient solidement sur la rive orientale de la coupure qu’ils contrôlaient en totalité dès le troisième jour des opérations.
Simultanément plusieurs brigades blindées syriennes appuyées par une puissante artillerie progressaient, plus lentement il est vrai, sur les hauteurs du Golan. Ayant à faire face à deux adversaires attaquant sur deux fronts diamétralement opposés. Israël fit d’abord porter son effort sur le Golan dont la possession est considérée comme vitale par Israël pour la sécurité de son territoire national puisque ce plateau à son extrémité sud-ouest domine la vallée du Jourdain. Dès le 9 octobre, le front semblait s’y stabiliser.
Par contre, dans le Sud, si l’avance des Égyptiens était très modérée – de 8 à 15 km mais tout au long du canal – le renforcement des éléments qui avaient franchi la coupure était activement poursuivi.
Le 10 octobre, ayant bloqué l’adversaire du Nord, les Israéliens étaient en mesure de faire face à celui du Sud.
Mais cet endiguement de la poussée irako-syrienne et les combats dans la péninsule du Sinaï s’étaient déjà soldés pour Tel-Aviv par de très lourdes pertes. On estime en effet que, trois jours après le déclenchement des hostilités, donc avant la phase des contre-attaques de l’armée israélienne, les pertes de l’État juif étaient déjà supérieures à celles éprouvées pendant la guerre des Six Jours.
Pourtant la contre-attaque israélienne n’allait pas tarder à se déclencher. Comme le premier acte de cette bataille, le second acte allait se jouer en deux temps, c’est-à-dire une action initiale sur les hauteurs du Golan suivie d’une action dans le Sinaï.
Le 11 octobre, les forces du général Dayan, repoussant lentement les blindés syriens et irakiens, progressaient en direction de Damas mais se heurtaient à la résistance d’un adversaire qui, s’appuyant sur des organisations du terrain, se battait avec acharnement tout en disposant encore à proximité de Damas d’une réserve blindée importante. De fait, le 14 octobre, l’avance israélienne gênée par plusieurs contre-attaques, semblait se stabiliser à une trentaine de kilomètres de la capitale syrienne.
C’est alors qu’Israël pouvait tenter de réduire la tête de pont égyptienne en deçà du canal. Cependant ce même 14 octobre, les Égyptiens se lançaient en direction des cols de Mitla, Giddi et Gifgafa par où passent les trois grandes pénétrantes du Sinaï en direction de l’Est.
Le 16 octobre, on apprenait qu’Israël avait réussi à glisser en direction du lac Amer et du déversoir à sa pointe nord-ouest des forces entre les colonnes égyptiennes en progression vers l’Est et à jeter sur la rive occidentale du canal dans la région d’Ismailia un fort détachement appuyé par des chars amphibies récupérés sur l’adversaire. Très vite, les Israéliens alimentaient et développaient leur tête de pont qui atteignait le 20 octobre une profondeur d’une vingtaine de kilomètres.
Le général Elazar semblait poursuivre un double but : d’une part, isoler les forces de la 3e Armée égyptienne sur la rive Est du canal et paralyser le reliquat du corps de bataille égyptien qui n’avait pas encore franchi la coupure, d’autre part neutraliser une partie des batteries de fusées SAM en ménageant à son aviation un couloir de pénétration débouchant à l’ouest du canal.
Le cessez-le-feu du 22 octobre, qui aurait dû limiter cette nouvelle initiative d’Israël, ne devint effectif que le 24 octobre.
Ce dernier épisode de l’affrontement israélo-arabe semble se terminer ; quels premiers enseignements peut-on en tirer, même si la date récente de la fin des combats est là pour inciter les observateurs à beaucoup de circonspection ?
Il faut d’abord noter la très grande prudence de certains pays arabes.
Ainsi la combativité du colonel Kadhafi, à coup sûr très déçu par la remise à plus tard de son projet de fusion avec l’Égypte, ne s’est pas manifestée par une participation aux opérations. S’adressant aux journalistes le 22 au matin, le bouillant colonel, après des reproches adressés à l’URSS et à la France quant au choix des armes livrées ou aux conditions mises à leur emploi, déclarait que, mal engagée, « cette guerre n’était pas la sienne ». Plus difficile était la position du roi Hussein : « payant son tribut à la cause sacrée » des Arabes, le souverain jordanien envoyait un contingent se battre aux côtés des Syriens tout en maintenant le gros de ses forces en alerte face à Israël. De leur côté, l’Arabie saoudite, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et le Soudan envoyaient des contingents plus ou moins importants mais dont la valeur n’a guère dépassé le volume de la brigade. Il est à noter d’ailleurs que certains de ces contingents n’étaient pas encore arrivés à destination le 22 octobre.
Il n’en reste pas moins vrai que les mesures de mobilisation plus ou moins effectives prises par les pays arabes entraînaient à terme un déséquilibre des effectifs qui aurait pu être dramatique pour Israël et qu’en conséquence l’État juif était condamné à une guerre courte.
Plus riche en enseignements a été l’attitude des États-Unis et de l’URSS qui s’étaient engagés l’un et l’autre dans une politique de rapprochement : les négociations sur la limitation des armements stratégiques et les préliminaires à des accords d’ordre économique, voire financier, avec toutes les conséquences que de tels accords peuvent entraîner en sont l’exemple le plus frappant. Mais il s’agissait également pour ces deux très grandes puissances de ne pas décourager les espoirs que les deux adversaires avaient mis en eux. En conséquence, Soviétiques et Américains développèrent par air et par mer un soutien logistique étoffé. Ainsi on estime que le pont aérien soviétique a atteint au plus fort de la crise une capacité de l’ordre de 800 tonnes par jour (des Antonov An-22 à capacité unitaire de 80 t, ont été observés en Syrie).
Le soutien des deux adversaires par l’envoi de quantités importantes d’armes a donc marqué les limites de l’intervention des États-Unis et de l’URSS. Et la mise en alerte le 25 octobre des forces américaines ne paraît être qu’une péripétie dans ce jeu de poker où les deux joueurs entendaient limiter les enchères.
Du reste, lorsque Moscou et Washington jugèrent qu’il était temps de mettre fin aux combats, on vit M. Kossyguine, président du Conseil des ministres d’URSS, s’envoler pour Le Caire et dès son retour dans la capitale soviétique, y retrouver M. Kissinger, secrétaire d’État des États-Unis dépêché par le président Nixon. Le résultat en était le 22 la motion de l’ONU votée à l’unanimité moins une voix, celle de la Chine…
Il est donc clair qu’il s’agissait avant tout pour les deux très grandes puissances de ne pas compromettre le rapprochement amorcé.
À noter également le fait que la plupart des États africains ont pris leur distance vis-à-vis de Tel-Aviv, parfois au tout dernier moment de la guerre, comme la Tanzanie, l’Éthiopie, le Nigeria et tout récemment le Liberia qui ont rompu leurs relations avec Israël alors que le sort des armes était déjà joué.
Certes, l’État d’Israël a remporté une nouvelle victoire sur le terrain. Il a réussi à faire face sur deux fronts et à battre ses adversaires en les refoulant en partie au-delà de la ligne du cessez-le-feu imposé en 1967. Cette brillante performance est tout à l’honneur de ses armes. Mais cette guerre lui a coûté très cher : des centaines de chars, environ le tiers de son potentiel aérien ont été détruits. Donc cette armée dont le prestige sort encore grandi de l’épreuve, devra rapidement recompléter de façon massive ses dotations.
Face à l’État hébreu se trouvent des pays en partie occupés, dont l’infrastructure économique – surtout en Syrie – a beaucoup souffert. Et ces pays doivent refaire une armée dont le coût sera également très onéreux, même en admettant que le roi (saoudien) Fayçal avance ou donne les devises nécessaires.
Cependant les Arabes ont réussi à prouver qu’ils n’étaient pas un piètre adversaire pour Israël… Les sacrifices consentis par les forces du général Dayan peuvent en témoigner. Il n’y a aucun doute que cette réhabilitation du monde arabe à ses propres yeux, est un résultat que l’Occident aurait tort de sous-estimer. ♦
(1) Encore que le Secrétaire à la Défense n’ait pas caché dans sa déclaration du 25 octobre que l’attitude de l’Allemagne lors de la guerre israélo-arabe pourrait conduire les États-Unis à réviser leur position quant au maintien des troupes américaines en Allemagne.
(2) Le Pentagone afin de permettre à l’Administration de négocier en meilleure posture avec l’opposition, a stoppé le rapatriement prévu d’unités aériennes stationnées en Thaïlande.
(3) Les promoteurs du projet repoussent l’appellation d’armée de métier en arguant du fait qu’il s’agit seulement de donner un caractère professionnel plus marqué à la composante manœuvre des forces dont les unités sont pour la plupart stationnées en RFA.
(4) Les cadres des gardes-frontières proviennent des mêmes écoles que ceux de l’armée proprement dite.
(5) Dans certaines conditions plus restrictives (épuisement des recours normaux par la voie hiérarchique), l’Ombudsman peut également examiner les doléances exprimées par des officiers.