Outre-mer - La décolonisation de la Guinée-Bissau, objectif prioritaire de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) - L'Éthiopie et la rupture avec Israël
La décolonisation de la Guinée-Bissau, objectif prioritaire de l’Organisation de l’unité africaine (OUA)
La proclamation de l’indépendance de la Guinée-Bissau par le PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bisseau et des îles du Cap-Vert) a tenu une place importante dans l’actualité pendant le dernier trimestre 1973 et continue à jouer un rôle dans la conjoncture internationale née de la guerre israélo-arabe (guerre du Kippour). Les élections au Portugal, les relations interétatiques dans l’Ouest africain, l’Assemblée générale de l’ONU et la réunion des ministres de l’OUA en ont été influencées. Les pays africains espèrent que la solidarité africano-arabe, née du conflit, permettra d’accélérer la décolonisation du continent ; la vulnérabilité des colonies du Portugal en fait l’objectif le plus facile à atteindre ; or, une brèche serait ouverte dans le système défensif portugais, fondé uniquement sur le droit constitutionnel national, si Lisbonne était amené à reconnaître l’indépendance d’une partie de ses possessions africaines. C’est la raison pour laquelle l’OUA fait porter son effort principal sur la Guinée-Bissau, petit territoire enclavé dans la Guinée et le Sénégal, et ne présentant pas un intérêt économique majeur pour la métropole.
La rébellion, animée par le PAIGC, entretient toujours l’insécurité dans les deux tiers du pays mais ne contrôle effectivement qu’un étroit secteur situé à la frontière de la République de Guinée. L’armement dont elle dispose s’est perfectionné ; des fusées soviétiques ont permis d’abattre plusieurs avions portugais et de neutraliser pendant quelques semaines l’aviation d’appui, limitant d’autant les interventions des troupes terrestres ; toutefois, le mouvement de libération n’a pas pu profiter de cet avantage pour augmenter la superficie de ses « sanctuaires ». Les divergences intestines qui ont culminé au moment de l’assassinat d’Amilcar Cabral [NDLR 2023 : le fondateur du PAIGC a été tué le 20 janvier 1973] et n’ont pas cessé depuis, malgré l’élection de M. Aristides Pereira au poste de secrétaire général, sont en partie à l’origine de cette impuissance relative.
Deux tendances continuent à s’affronter : les modérés veulent créer une situation suffisamment grave pour inciter le Portugal à négocier mais accepteraient de demeurer, au moins temporairement, dans un cadre lusitanien : les extrémistes donnent la priorité à leurs options politiques et ne veulent pas d’une indépendance qui les priverait de leur victoire. Depuis 1972, ce conflit de tendances se cristallise autour du problème des îles du Cap Vert ; les premiers accepteraient que l’indépendance soit octroyée au seul territoire continental ; les seconds allèguent que la liberté de l’archipel ne peut se gagner que sur le continent et repoussent toute forme de compromis. En outre, se sentant solidaires des autres mouvements africains de libération, ils soulignent l’intérêt des îles pour les communications des autres territoires portugais et de l’Afrique australe vers le monde occidental dont ces pays sont tributaires.
Le différend est accentué par la rivalité des deux États qui entourent la Guinée-Bissau. Non seulement le Sénégal et la Guinée autorisent le transit par leurs territoires des aides extérieures qui alimentent la rébellion, mais chacun d’eux cherche à développer son influence sur le mouvement de libération afin d’y protéger les militants qui peuvent être, dans l’avenir, favorables à leurs options respectives. Le Sénégal, au Nord, recommande d’aboutir à une solution rapide qui ne pourrait être trouvée sans une négociation préalable avec Lisbonne : il craint qu’une situation anarchique ne se crée à sa frontière méridionale où les incursions des guérilleros provoquent les représailles de l’armée portugaise. Soucieux de syncrétisme, le Président Senghor estime que le PAIGC ne peut se couper totalement du Portugal sans risquer de tarir une des composantes vivifiantes de sa culture. Le Brésil, selon lui, pourrait être amené à proposer non sa médiation mais sa coopération dans le cadre d’une « communauté afro-lusitanienne », ce qui permettrait de soutenir les plus modérés des nationalistes. La Guinée, au Sud, n’est pas attirée par une solution de compromis. Le conflit, dans une certaine mesure, est loin de la desservir : sur le plan intérieur, il rend possible le maintien en état d’alerte permanente de sa population et justifie toutes les mesures autoritaires du régime : sur le plan africain, la République guinéenne, rendue particulièrement vulnérable par le fait qu’elle sert de base-arrière aux commandos nationalistes et qu’un bureau de décolonisation de l’OUA y est installé, se réserve ainsi la possibilité de recevoir l’aide militaire des autres pays africains en cas d’agression extérieure ; elle rompt par-là, de manière indirecte, la barrière de méfiance que les outrances de M. Sékou Touré lui ont valu sur la scène internationale. D’autre part, le président guinéen tient à ce que le gouvernement qui s’installera à Bissau et au Cap Vert ait adopté les mêmes options politiques que lui : comme il ne peut espérer atteindre ce résultat par une négociation avec le Portugal, il est partisan d’accentuer l’épreuve de force jusqu’à épuisement complet de la résistance portugaise.
L’intransigeance des extrémistes, soutenue par la Guinée, paraît prévaloir jusqu’en septembre 1973 : mais, le 24 de ce mois, la proclamation de l’indépendance par le PAIGC est faite en des termes mesurés qui laissent la porte ouverte à une négociation avec le Portugal sans provoquer les irrédentistes. Le communiqué, en effet, ne précise pas le sort réservé à l’archipel du Cap Vert. Lisbonne peut en conclure que le maintien de son autorité sur ces îles, où les rebelles n’ont jamais pu prendre pied, n’est pas contesté ; de leur côté, les extrémistes, qui se recrutent surtout parmi les Cap-Verdiens, peuvent considérer que l’indépendance totale des possessions portugaises en Afrique de l’Ouest reste l’objectif final du PAIGC.
Il est difficile d’analyser les raisons qui ont conduit à ce compromis favorisant en apparence les modérés. Les guérilleros ont sans doute pris conscience qu’une négociation avec le Portugal était une étape nécessaire et n’ont pas voulu la compromettre à l’avance. L’OUA, pour sa part, qui traite le problème à l’échelle du continent et veut ouvrir une brèche dans le système juridique de Lisbonne, a probablement fait pression sur le Président Sékou Touré pour que celui-ci modère la position des extrémistes. Quoi qu’il en soit, un « Conseil d’État » de 15 membres présidé par M. Luis Cabral a été institué. Émanation du parti, il est l’instance suprême du nouvel « État » dont, à la fois, il définit la politique et constitue le pouvoir législatif. Un Conseil des commissaires d’État de 8 membres, dirigé par M. Francisco Mendes, représente l’exécutif. Une assemblée nationale populaire, présidée par M. Vieira, élit les membres du Conseil d’État. M. Aristides Pereira conservant le poste de secrétaire général du parti, les 4 membres du secrétariat permanent du PAIGC occupent donc les fonctions les plus importantes du nouvel « État ».
Depuis lors, avec l’aide des pays africains, notamment du Sénégal, M. Luis Cabral s’efforce de faire admettre, sur la scène internationale, le pouvoir qu’il représente. Devenue 42e membre de l’OUA, la République de Guinée-Bissau est reconnue par 63 Nations, les pays africains, les pays socialistes d’Europe, la Chine, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, l’Indonésie et quelques pays latino-américains. En revanche, les États occidentaux considèrent que les nouvelles instances ne sont pas représentatives d’une population encore dépendante de l’autorité portugaise. Par crainte d’un veto et aussi pour éviter de placer Lisbonne dans une impasse diplomatique, les pays africains n’ont pas présenté à l’ONU la candidature de leur partenaire. Ils ont pensé agir plus adroitement en entamant peu à peu les positions portugaises afin d’inciter M. Marcelo Caetano, Président du Conseil des ministres du Portugal, à la négociation. C’est ainsi qu’en novembre, à l’Assemblée générale, ils proposent une résolution condamnant l’agression portugaise contre la « République de Guinée-Bissau ». Ce texte est adopté par 93 voix : Brésil, Grèce, Afrique du Sud, Espagne, Royaume-Uni et États-Unis sont les seuls à avoir volé contre ; les autres pays occidentaux, les Scandinaves et la moitié des Sud-Américains se sont abstenus. Le 27 novembre, la « République de Guinée-Bissau », par 71 voix, est admise comme membre de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur proposition africaine : États-Unis, Espagne, Brésil, Chili votent contre : les autres pays occidentaux s’abstiennent ou sont absents. M. Luis Cabral n’entend pas se borner à exercer une pression diplomatique : il désire intensifier parallèlement les opérations militaires. Son voyage à Moscou, du 19 au 24 novembre 1972, n’avait d’autre but que de relancer le soutien soviétique.
De son côté, le Portugal adopte une attitude curieusement passive. À l’arrivée au pouvoir de M. Caetano, les milieux libéraux pensaient que le nouveau Premier ministre chercherait à démêler l’écheveau juridique qui bloquait l’évolution de l’outre-mer. En réalité, rien n’a changé. Du reste, le gouvernement est poussé à croire que l’opinion approuve sa politique coloniale : le 28 octobre 1973, des élections générales en métropole connaissaient une participation plus importante que la précédente, malgré un appel à l’abstention d’une opposition qui avait placé le scrutin sous le signe de la décolonisation. Conforté par ce résultat, le régime paraît retarder l’application des mesures prises par le général de Spinola, gouverneur militaire, en Guinée-Bissau pour africaniser progressivement la fonction publique. La mise en place de ces cadres aurait pourtant donné au Portugal un avantage sur le PAIGC ; certains ont vu, d’ailleurs, dans la proclamation précipitée de l’indépendance, la preuve que le mouvement de libération craignait l’installation à Bissau d’un gouvernement dont l’existence aurait certainement renforcé la position diplomatique du Portugal. L’immobilisme de Lisbonne peut s’expliquer par la peur qu’une évolution trop marquée de la Guinée-Bissau n’encourage les rébellions d’Angola et du Mozambique, et même n’incite les populations blanches de ces territoires à se séparer de la métropole à l’exemple de la Rhodésie.
Depuis la guerre israélo-arabe d’octobre 1973, où la solidarité arabo-africaine a pris corps, la position internationale du Portugal a paru se détériorer. Pourtant, les sanctions décidées à son encontre par les pays arabes producteurs de pétrole ne peuvent guère l’affecter, les pertes éventuellement subies devant être compensées par les compagnies américaines qui achètent et raffinent le brut de l’Angola. En revanche, Lisbonne peut craindre la défection de certains alliés, le Brésil par exemple, dont l’appui lui est indispensable, le durcissement de pays africains modérés qui, comme le Sénégal, avaient l’espoir de susciter une solution négociée et qui, devant l’intransigeance portugaise, s’en tiendront à l’attitude prescrite par la solidarité africaine, enfin, un effort accentué de la rébellion que laisse présager la réunion, fin décembre 1973 à Conakry, du Comité de défense de l’OUA.
Ces perspectives peu encourageantes s’ajoutent aux problèmes économiques que connaît le Portugal : l’effort de guerre, depuis une dizaine d’années, absorbe presque la moitié du budget national et immobilise de nombreux travailleurs : le développement rapide des territoires d’outre-mer, rendu nécessaire par la situation politique, se fait aux dépens de celui de la métropole. Les pays africains sont conscients des faiblesses de la position portugaise. En faisant porter leur effort principal sur la Guinée-Bissau, ils espèrent contraindre Lisbonne à composer. Les plus modérés d’entre eux pourraient se contenter de l’amorce d’une évolution vers l’autonomie qui leur permettrait de justifier, aux yeux des autres États et de leur opinion, l’efficacité du dialogue. S’ils ne réussissent pas, ils craignent d’être entraînés eux-mêmes dans un tourbillon incontrôlable qui pourrait finalement remettre en cause les fondements sur lesquels reposent leurs relations avec l’Occident.
L’Éthiopie et la rupture avec Israël
L’Éthiopie a toujours cherché à faire coïncider ses frontières nationales avec les limites des zones d’influence des grandes puissances mondiales en Afrique et au Proche-Orient. Lorsque ses voisins musulmans étaient dominés par les Britanniques, elle recherchait l’amitié de la France ; après la guerre, pour limiter l’emprise de son libérateur anglais, elle fit appel à l’URSS ; puis, quand l’Égypte, le Soudan, la Somalie devinrent plus dépendants des Soviétiques, elle se plaça sous la protection des États-Unis. L’Éthiopie est consciente de participer davantage à l’équilibre du Proche-Orient qu’à celui du continent africain : c’est surtout pour augmenter son prestige auprès des pays arabes qu’elle cherche à jouer un rôle important en Afrique, espérant par-là mieux défendre les particularismes culturel et religieux de ses dirigeants contre la pression musulmane.
Addis Abeba, allié des États-Unis, méfiant à l’égard du monde arabe, était donc tout naturellement porté à nouer des relations étroites avec Israël. De son côté, Tel-Aviv, intéressé par la situation géographique de la côte éthiopienne, avait peut-être l’arrière-pensée d’utiliser ce rivage pour assurer la protection de sa navigation dans le Bab-el-Mandeb. De plus, la présence du siège de l’OUA dans la capitale éthiopienne devait donner à ses diplomates une large ouverture sur l’ensemble du continent. Le rapprochement des deux pays fut accentué par les troubles survenus en Érythrée depuis 1967.
L’Érythrée s’étend sur mille kilomètres le long de la mer Rouge, entre le Soudan et le Territoire français des Afars et des Issas (TFAI) ; elle compte 3 millions d’habitants pour une superficie de 126 000 km2. Sa population est composée de tribus venues d’Arabie, du Soudan et des hauts plateaux éthiopiens, n’ayant en commun que la langue, le tigrigna, de même origine que l’amharique, langue officielle de l’Éthiopie. Rassemblées d’abord en un sultanat autonome, rattachées ensuite à l’empire ottoman puis à l’Égypte, ces tribus reçurent pendant cinquante ans l’empreinte de l’Italie. Islamisées pour les deux tiers, italianisées plus profondément que l’Éthiopie, elles ont conscience de former une nation relativement homogène. En 1947, l’Italie ayant dû renoncer à l’ensemble de ses possessions africaines, l’Érythrée fut placée sous administration militaire britannique. Après de longues négociations entre l’URSS, la Chine, les États-Unis et la Grande-Bretagne, l’assemblée générale de l’ONU décida, le 2 décembre 1950, que ce territoire constituerait « une entité autonome fédérée à l’Éthiopie sous l’autorité de la couronne éthiopienne ».
L’ONU tenait ainsi compte des revendications d’Addis Abeba fondées sur des « raisons ethniques, historiques et économiques », et sur son « besoin légitime d’avoir accès à la mer ». L’Érythrée se dota d’un gouvernement et d’un Parlement ; le tigrigna et l’arabe devinrent ses langues officielles ; pendant deux ans, les institutions fonctionnèrent sous le contrôle de l’ONU. Après ratification de l’acte fédéral par l’Empereur Haïlé Sélassié Ier et par l’assemblée législative érythréenne, les Nations unies se retirèrent et l’armée impériale fit son entrée. De 1952 à 1962, la pression des autorités éthiopiennes en faveur de la fusion ne cessa de s’accroître et, le 14 novembre 1962, elle fut déterminante : les 42 députés présents au parlement d’Asmara votèrent une motion recommandant l’union de l’Érythrée avec l’Éthiopie. Les pays arabes, estimant qu’il s’agissait d’une annexion pure et simple d’un pays musulman par un gouvernement chrétien, promirent leur soutien aux Érythréens qui s’y opposeraient. Ceux-ci étaient déjà rassemblés dans le Front de libération de l’Érythrée (FLE) ; ce mouvement décida de déclencher la lutte armée contre le pouvoir central et, les effets de la subversion s’étant fait rapidement sentir sur l’ensemble du territoire, l’armée éthiopienne dut adapter ses moyens et ses méthodes à l’action antiguérilla. Pour ce faire, l’assistance technique israélienne fut d’autant plus spontanée que Tel-Aviv souhaitait le maintien de l’autorité de l’Empereur sur les ports de la côte érythréenne et que les protecteurs du FLE comptaient parmi ses adversaires les plus résolus. Malgré cette aide, la rébellion, bien implantée dans la population, poursuit encore ses activités qui, sans être déterminantes, affaiblissent un État déjà peu fortuné.
Une autre menace pèse sur le territoire éthiopien depuis la réunification de la Somalia italienne et du Somaliland anglais, amorcée sous l’égide de l’administration militaire britannique à la fin de la dernière guerre, et parachevée lors de l’indépendance des deux pays, en 1960. Le pouvoir somali, installé à Mogadiscio, désirant rassembler autour de lui les fractions dispersées de son ethnie, revendique la possession de l’Ogaden, province éthiopienne, ainsi d’ailleurs que celle du TFAI et d’une partie du Kenya. De 1964 à 1969, les incidents de frontière sont constants ; ils deviennent plus rares avec l’accession au pouvoir du général Syad Barre en Somalie. Pourtant, Addis Abeba demeure vigilant et craint que le renforcement de l’armée somalienne, entrepris depuis 1967 par l’URSS, n’ait d’autre but que de préparer la conquête d’une province où l’autorité impériale n’est pas assurée. Les revendications de Mogadiscio ne sont pas ouvertement soutenues par les États arabes, notamment ceux qui appartiennent à l’OUA, mais leurs gouvernements n’en exercent pas moins une pression sur l’Empereur, en lui faisant comprendre que leur attitude future dépendra de sa solidarité à l’égard de la cause arabe : selon eux, le principe de l’intangibilité des frontières s’applique aussi bien aux relations arabo-israéliennes qu’au contentieux somalo-éthiopien.
Depuis 1969, l’Éthiopie est donc partagée entre le désir de conserver des relations étroites avec Israël et le besoin de se concilier les pays arabes. L’Empereur se rapproche du Président Nemeiry du Soudan, s’entremet pour mettre fin à la rébellion des provinces méridionales de ce pays et obtient, en retour, que Khartoum cesse d’apporter son aide au FLE : il s’associe aux demandes des pays africains réclamant l’évacuation des territoires occupés par Israël ; il rend plus discrète la présence des conseillers israéliens. Pourtant, il ne rompt pas avec Tel-Aviv qui continue à bénéficier de l’attachement profond de la population chrétienne, du clergé copte et d’une partie de l’armée. En 1973, la simultanéité des incidents qui, à l’OUA, l’opposent au représentant du colonel Kadhafi et à celui de la Somalie, l’action déployée par l’Algérie et l’Égypte pour en diminuer la portée, la lente dégradation des positions d’Israël en Afrique noire, donnent à réfléchir au gouvernement éthiopien : Addis Abeba pourrait éventuellement trouver, parmi les pays arabes, des alliés plus utiles que Tel-Aviv pour porter remède à ses difficultés intérieures. Craignant une opposition de la classe dirigeante, l’Empereur hésite toutefois à rompre spectaculairement avec Israël, mais il profite de l’occasion offerte par la guerre d’octobre pour le faire en même temps que la plupart des pays africains. Il prend même l’initiative d’une démarche à Rome pour débattre avec le Saint-Siège du statut de Jérusalem.
Ainsi, l’Éthiopie se trouve engagée sur une voie nouvelle. Forte de l’appui de l’OUA qui lui garantit ses frontières et qui condamne toute immixtion d’un tiers dans la politique intérieure des États, il lui faut s’employer maintenant à désarmer, avec l’aide de pays arabes, l’animosité des gouvernements qui appuient, ouvertement ou non, le FLE et les revendications somaliennes. Le plus marquant d’entre ceux-ci reste le Sud-Yémen à qui il ne déplairait pas de voir s’installer en Érythrée un régime musulman progressiste. L’Empereur paraît assuré du soutien du Soudan, de l’Égypte, de l’Arabie saoudite, voire de l’Algérie ; le gouvernement du Nord-Yémen, proche du roi Fayçal, a reconnu, fin décembre, la légitimité de l’autorité éthiopienne sur l’Érythrée. Par ailleurs, tout en demeurant lié aux États-Unis, l’Empereur cherche à relancer sa coopération avec l’URSS et l’Europe dont l’appui lui serait utile si la tension avec la Somalie, pays associé à la Communauté économique européenne, entrait dans une phase aiguë.
Le jeu diplomatique ainsi mené est délicat mais il est à la mesure du souverain éthiopien dont le prestige international ne paraît être entamé ni par l’âge ni par les difficultés que traverse son pays. Il n’est pas sans risque sur le plan intérieur. ♦