Cinéma - Les nouveautés du Fort d'Ivry
Même si le grand public n’en a pas des échos constants, il est utile de rappeler que l’Établissement cinématographique et photographique des armées (ECPA), installé depuis de nombreuses années au Fort d’Ivry, reste le plus important producteur de films de court-métrage en France. Peu parmi ces films sont « commercialisés », le gros de la production étant réservé – et c’est normal – à une large diffusion dans les différentes unités de l’Armée et de la Marine. Car, bien entendu, cette production reflète toutes les activités dans toutes les branches des trois armées. Et, comme toujours, de nombreux films sont destinés à l’instruction et à l’enseignement.
L’actuel directeur de l’ECPA, le colonel Canniccioni, nous a convié à une projection des derniers nés de l’exercice 1977-1978 et il nous a été ainsi donné d’en constater la qualité permanente. Le rôle du critique étant de… critiquer, nous nous permettrons quelques remarques restrictives qui ne concernent d’ailleurs que des détails, l’ensemble de chaque film lie méritant que des éloges. André Cortinès-Clavero est un des réalisateurs les plus actifs du Fort d’Ivry. Il vient de nous offrir un film intitulé À bord… qui présente la vie sur le Duquesne pendant sa traversée de Brest à Lisbonne. Sans pédanterie, le reportage nous fait pénétrer dans tous les recoins du navire pour nous révéler les gestes quotidiens des membres de l’équipage. L’auteur a soigneusement évité le poncif qui consiste en pareil cas à nous montrer en long et en large les gaietés de l’escale. Les moments de détente à Lisbonne sont à peine esquissés et ne nuisent nullement à l’essentiel : l’accomplissement des tâches individuelles et collectives. La caméra portative se déplace aisément, mais l’abus de l’alternance de plans en mouvement et de plans fixes qui coupent le rythme risque de fatiguer légèrement le spectateur moyen.
Un peu plus ancien, le film d’Yves Ciampi La Durance n’est pas diffusé, nous apprend-on, dans les centres distributeurs militaires, et on doit en demander le prêt à l’ECPA. Sans doute est-il considéré comme trop « civil » : il a d’ailleurs obtenu un premier prix au Festival du film d’entreprise et du film industriel de Biarritz en 1977. Durant la projection de ce film tourné à bord d’un pétrolier-ravitailleur, nous assistons au déroulement des différentes opérations de ravitaillement dans des conditions techniques extrêmement modernes. Le pétrolier-ravitailleur peut ravitailler les bâtiments les plus variés de la flotte (frégates, corvettes et porte-avions) en vivres, combustible et munitions. On regrette un peu que les dialogues soient récités et non parlés normalement. Pour le reste, le document est intéressant et de très bonne qualité.
Le film d’Alain Masseron, qui porte un titre très long : Hélitreuillage et transferts de charges suspendues à bord des bâtiments, est aussi d’une longueur supérieure à celle des autres courts-métrages. Bien que très technique, il se laisse voir avec un vif plaisir. Les opérations infiniment compliquées auxquelles on nous fait assister sont exposées de la façon la plus claire et la plus simple, avec un commentaire limpide et dit d’un ton juste par Jean-Claude Bourret. On nous apprend ainsi que tous les hélicoptères sont équipés de treuils pour effectuer des transferts de personne ou de matériel en pleine mer. Ces opérations nécessitent des installations spécifiques (aires d’emport et de dépose) et doivent se faire dans des conditions particulières quant à la vitesse des bâtiments et à leur position par rapport au vent. Par ailleurs, l’équipe chargée du transfert doit obéir à des consignes très strictes. Cette présentation scientifique est tempérée par l’utilisation judicieuse de l’accéléré et spirituelle de plans du style des bandes dessinées. La musique, agréable d’un bout à l’autre et qui est l’œuvre du regretté François de Roubaix, enlève au film ce qu’il aurait pu avoir de trop austère. Ne craignons pas de dire qu’il s’agit d’une grande réussite.
On sera moins enthousiaste pour Ciel de France qui est signé par François Reichenbach. Il s’agit en réalité d’une sorte de jonglerie, de feu d’artifice, de plans d’une réelle beauté plastique mais qui semblent totalement indépendants les uns des autres. Le titre n’est nullement justifié et le réalisateur ne nous a pas fait l’hommage d’une quelconque explication. Nous devons nous contenter de deux phrases récitées par un speaker endormi. Ciel de France est sans doute le film le plus décevant de la récente production de l’ECPA.
Diffusé dans tous les centres des régions militaires, le reportage de Marc Rament Ne m’appelle plus Tarzan ! présente, sous ce titre ironique, l’entraînement physique intense auquel sont soumis les futurs membres des commandos. Sans complaisance, le réalisateur nous a fait « toucher du doigt » les difficultés et aussi la peur éprouvées par les jeunes.
Dans des conditions souvent pénibles, les recrues des commandos font un dur apprentissage de leur métier qui exige qu’ils soient « aptes à mener le combat en toutes circonstances avec la volonté de vaincre ».
C’est à une répétition générale d’un autre genre et plus souriante que nous fait assister Le Défilé du 14 juillet de Raoul Coutard. Le défilé lui-même n’occupe qu’une très faible partie du film, l’essentiel étant consacré à la préparation minutieuse et consciencieuse de la manifestation. Nous y voyons tous les préparatifs du 2e Régiment d’infanterie de Marine stationné au Mans et qui, à l’occasion du 14 juillet, va défiler sur les Champs-Élysées. Ce reportage, légèrement romancé par le dialogue et le commentaire, a fait l’objet, paraît-il, de larges discussions au sein du Sirpa (Service d’informations et de relations publiques des armées). C’est que le texte est parfois assez irrévérencieux, sans doute pour « faire plus vrai ». Par ailleurs, les allusions à Abel Gance, René Clair, François Reichenbach et Jacques Rivette risquent de passer par-dessus la tête de la grande majorité des spectateurs militaires.
André Cortinès-Clavero, que nous avons déjà eu l’occasion de citer à maintes reprises, est l’auteur d’un grand film intitulé Ce monde est dangereux, dont une version spéciale a été présentée à la télévision, sorte de montage international soutenu par des propos recueillis de la bouche de Raymond Aron. Malgré une conclusion relativement optimiste du célèbre professeur, cette mosaïque en mouvement de forces militaires réparties un peu partout dans le monde entier suscite surtout de l’inquiétude, tellement la disproportion est grande entre la puissance offensive du monde communiste et celle du monde libéral. Chaque image, chaque phrase du film souligne la supériorité soviétique sur la force militaire américaine.
Après avoir aligné des chiffres éloquents concernant le nombre de milliards consacrés par les deux pays à leurs budgets militaires, après avoir comparé les nombres de chars de combat et d’avions qui montrent à l’évidence que l’URSS est aujourd’hui la plus grande puissance militaire du monde, le reportage de Cortinès-Clavero, constitué de documents inédits et parfois très rares, passe en revue l’image de marque militaire des pays les plus divers : Grande-Bretagne, Pays-Bas, Italie, RFA (République fédérale d’Allemagne), Turquie, Égypte, Syrie, Israël, Iran, Chine, Inde, les deux Corées, Vietnam, Japon, sans oublier les deux nations traditionnellement neutres mais non démunies de forces défensives, la Suède et la Suisse. En définitive, ce film extrêmement riche et spectaculaire nous rappelle qu’un effort militaire sans précédent a été accompli au cours de ces dernières années dans le monde et que pratiquement tous les pays consacrent une partie considérable de leur budget à entretenir, développer et perfectionner un important potentiel militaire. Oui, ce monde est dangereux… ♦