Cinéma - Des guerres et des uniformes
Les guerres sont de nouveau à la mode et, par voie de conséquence, les uniformes aussi. Les deux films qui se sont partagé la palme d’or du festival de Cannes, l’un sur la Seconde Guerre mondiale (Le Tambour de Volker Schlöndorff), l’autre sur celle du Vietnam (Apocalypse Now de Francis Ford Coppola), vont être soumis au jugement du public qui ratifiera ou non le verdict du jury de la Croisette.
En attendant leur « sortie », les spectateurs français ont pu voir, au cours de ces dernières semaines, plusieurs œuvres qui, de près ou de loin, illustraient des exploits militaires. Leur valeur comme leur propos sont inégaux. Dans le fameux Hair qui fit scandale au théâtre il y a une dizaine d’années et qui, dans l’adaptation cinématographique de Milos Forman, ne choque personne, une aventure militaire tient une place non négligeable. Après nous avoir montré la vie des hippies new-yorkais, l’action nous transporte dans le Nevada, dans un camp d’entraînement de paras. L’anecdote est au début plaisante : un jeune garçon se déguise en caporal pour que son camarade mobilisé puisse sortir du camp pour une heure afin de retrouver sa bien-aimée. Les choses se gâtent lorsque, dans l’heure, les soldats sont embarqués à bord de forteresses volantes qui les emmènent directement au Vietnam. Et le dénouement est tragique puisque le faux « para » est tué au combat. L’histoire fictive, corsée par la tonitruante incursion d’un discours pacifiste lancé à travers de puissants haut-parleurs, si elle prête à rire, n’empêche pourtant pas d’admirer la discipline de fer et les manœuvres réelles de cette parcelle de l’armée des États-Unis. Les cinéphiles avertis ont la surprise de voir le cinéaste Nicholas Ray incarner ici un général de grande allure.
On pouvait évidemment craindre le pire avec Le Coup de Sirocco d’Alexandre Arcady, qui retrace l’exode des Pieds-Noirs et leur arrivée (difficile) en France. Le réalisateur n’a pas échappé à un certain cliché cinématographique qui veut que les officiers supérieurs en retraite fassent plutôt figure de caricature. Celle du général est ici nettement exagérée. Pour le reste, nous apercevons à peine quelques patrouilles dans les rues d’une petite ville algérienne et un petit nombre d’officiers se livrant à une occupation bien pacifique : ils assistent à un match de football. Il est vrai que l’essentiel du sujet se passe après le départ des Français d’Algérie. Et c’est dans une caricature délibérée et sans mesure que nous tombons avec le film suédois curieusement (et abusivement) intitulé Les folles aventures de Picasso. Prenant pour prétexte la vie du peintre, le cinéaste Tage Danielsson a fignolé un film prétentieusement humoristique dans lequel les effets comiques sont tellement gros que personne – heureusement – ne pourrait leur accorder la moindre crédibilité historique. Et c’est précisément dans cette veine burlesque que nous sont présentés les défilés successifs des troupes françaises, allemandes et américaines, parodiques à l’extrême.
Nous sommes loin de tout humour et de toute velléité de parodie avec Le Jeu de la puissance, réalisé par Martyn Burke d’après le roman d’Edward N. Luttwak Coup d’État. L’action imaginaire – qui ressemble fort à certaines réalités – nous est contée sous forme de récit « inversé ». À New York, devant les caméras de la télévision, le colonel Kasai, survivant d’un sanglant coup d’État qui s’est déroulé dans un pays d’Europe centrale, raconte le déroulement des événements. Tout est parti d’un putsch fomenté par quelques officiers supérieurs désireux de renverser le régime dictatorial pour assurer à leur patrie un avenir démocratique. Minutieusement préparé et mis en place avec la complicité parfois involontaire des troupes commandées par les officiers dissidents, le coup d’État réussit pleinement et sans trop d’effusion de sang. Malheureusement, l’affaire, préparée dans une intention humanitaire et libérale, sera virtuellement détournée au profil d’un officier ambitieux et avide de pouvoir. Les principaux artisans de la victoire seront fusillés, et le colonel Zeller, commandant les blindés, s’installera au palais présidentiel pour faire régner sur le pays asservi terreur et répression… Sans doute pour éviter toute « ressemblance avec des faits réels », les auteurs du Jeu de la puissance ont donné à leurs personnages des noms hétéroclites et multinationaux : Zeller, Kasai, Narriman, Rousseau, Barrientos, Hullsman, Blair, Minh, Aramco. Les scènes strictement militaires ont été exécutées avec brio par les troupes canadiennes des bases de Gagetown (Nouveau-Brunswick) et Camp Borden (Ontario) qui « jouent » les soldats du pays imaginé par les auteurs. Il faut reconnaître que le film est très spectaculaire.
Le romancier Frederick Nolan, auteur du récit The Algonquin Project, dont est tiré le film de John Hough La Cible étoilée, ne manque pas d’imagination, et l’originalité de son œuvre est indéniable. D’entrée de jeu, les responsables du film nous expliquent leur point de vue : « Le 9 décembre 1945, le général George S. Patton, stationné en Allemagne, était victime d’un accident de la circulation. Les circonstances de ce drame étrange, qui coûta la vie à une des figures légendaires de l’armée américaine, ne furent jamais élucidées ». À partir de là, on pouvait tout imaginer. La thèse présentée avec brio par les auteurs consiste à affirmer que le général Patton a été bel et bien assassiné par un commando nazi. Une mise en scène brillante, des dialogues incisifs, quelques épisodes à sensation, une excellente interprétation (George Kennedy dans le rôle de Patton, John Cassavetes, Max von Sydow, Patrick McGoohan) font de La Cible étoilée un spectacle cinématographique extrêmement attrayant… à condition de ne pas prendre le propos trop au sérieux.
Chargé de lauriers mérités (Oscars), décernés par l’Académie des Arts et des Sciences Cinématographiques de Hollywood, le Voyage au bout de l’Enfer de Michael Cimino est une des œuvres les plus remarquables, les plus dures et aussi les plus lucides réalisées à ce jour par les cinéastes américains sur le thème de la guerre du Vietnam. Contrairement à certains de ses confrères, qui se sont révélés des contestataires à retardement, Michael Cimino ne dénigre pas ses compatriotes, tout en demeurant d’un réalisme parfois à la limite du supportable. Son film n’est pas sans défauts, il souffre notamment de nombreuses longueurs et de quelques scènes superflues ; dans l’ensemble pourtant, il force l’admiration grâce à sa maîtrise et à la sincérité de son exposé. Nous sommes en 1968. Cinq jeunes Américains d’origine ukrainienne, qui viennent d’assister au mariage folklorique de l’un d’eux, se retrouvent sans transition plongés dans l’enfer vietnamien. Aucun d’eux n’a la moindre velléité de révolte, bien que leur sort soit tragique puisqu’ils sont tombés entre les mains d’ennemis particulièrement féroces et sadiques. La fresque brossée par Michael Cimino n’est pas faite que d’héroïsme, il y a aussi les faiblesses, le désespoir, la tragédie et l’abnégation. Tous les sentiments humains se regroupent au sein d’une évocation passionnée et bariolée d’une guerre sans merci. Même dans les moments les plus poignants de l’histoire qu’il nous conte avec talent, Michael Cimino ne perd jamais une certaine noblesse. La distribution des rôles est parfaite et Robert De Niro trouve là son meilleur personnage. Pour information, précisons que les puristes reprochent aux indigènes utilisés comme figurants de ne pas parler un idiome rigoureusement authentique. Votre serviteur avoue son incompétence totale en la matière. Il reste que Voyage au bout de l’Enfer, malgré ses imperfections, est une œuvre digne du plus grand intérêt, tant par son esprit que par ses qualités techniques.
En attendant la sortie générale des deux lauréats de Cannes, on pourra voir De l’Enfer à la Victoire, film de coproduction tripartite (France-Italie-Espagne) que l’on a cherché à camoufler en production américaine en lui donnant le titre From Hell to Victory et en changeant le nom du réalisateur Umberto Lenzi devenu Hank Milestone ! Sur un scénario assez mélodramatique non dénué de certaines outrances, le cinéaste a greffé des scènes de bataille de la dernière guerre qui ne manquent pas d’allure. La réalisation comporte sans doute quelques erreurs qui seront facilement décelées par les spécialistes, toutefois le spectateur moyen trouvera suggestive et impressionnante l’évocation de la retraite de Dunkerque. Dans la longue lignée des films reconstituant des épisodes de la seconde guerre mondiale. De l’Enfer à la Victoire occupe une place honorable. ♦