Aéronautique - À propos du choix du chasseur tactique des années 1990
À la fin de la prochaine décennie, plusieurs pays européens seront appelés à remplacer leurs avions tactiques actuels par des matériels nouveaux, notamment la Grande-Bretagne, la République fédérale d’Allemagne (RFA) et la France. Ces 3 pays disposent de l’essentiel des capacités de production de l’industrie aéronautique européenne et il semble pour le moins souhaitable qu’un chasseur tactique commun puisse répondre aux exigences des États intéressés, sur le plan militaire comme sur le plan économique.
La presse spécialisée a mentionné à plusieurs reprises la volonté qui semble animer les gouvernements des 3 partenaires potentiels pour aboutir à un projet commun, sans omettre cependant de souligner les obstacles non négligeables qu’il leur faudra surmonter.
Préserver la créativité de l’industrie aéronautique européenne
Dans la situation économique difficile que connaît actuellement le monde occidental, le souci d’assurer la défense au moindre coût conduit naturellement les responsables à maintenir les matériels en service aussi longtemps que leur état technique le permet. Cette politique très compréhensible engendre des décalages sur le plan calendaire quant à l’urgence du développement de matériels nouveaux. L’harmonisation de l’expression des besoins n’est donc pas acquise a priori et un effort de conciliation doit être consenti par chacun des partenaires potentiels.
Le maintien des matériels en service aussi longtemps que possible semble en effet éminemment souhaitable sur le plan économique, la part des coûts liés au développement et à l’industrialisation des matériels nouveaux pesant de plus en plus lourd dans le total des investissements à réaliser. Les différentes armées, et pas seulement les armées de l’air, sont ainsi appelées à prolonger des matériels qu’elles auraient souhaité voir remplacer plus rapidement. La prolongation de la vie des matériels entraîne cependant en général un accroissement des coûts de fonctionnement – la maintenance devenant plus exigeante avec le temps – et surtout une perte d’efficacité sur le plan opérationnel que les rénovations de système d’arme ne peuvent compenser qu’en partie seulement. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine du combat aérien. Récemment encore, au-dessus du Liban, la preuve a été faite que la supériorité aérienne demeurait acquise aux matériels les plus modernes, les F-15 israéliens ayant surclassé les Mig-21 syriens sans coup férir.
Le renouvellement des matériels aériens apparaît donc comme une nécessité opérationnelle à laquelle il est dangereux de se soustraire trop longtemps, et un compromis entre impératifs économiques et impératifs militaires doit être trouvé par les responsables de chaque gouvernement. Le compromis est difficile à définir pour un État ; il l’est encore davantage quand une production en coopération est envisagée.
Cette dernière apparaît cependant seule susceptible d’offrir un marché sûr et suffisamment vaste pour que les coûts unitaires demeurent dans des limites encore acceptables pour des puissances moyennes. L’importance de ce facteur croît avec la sophistication des matériels et il risque de devenir déterminant pour la sauvegarde de l’industrie européenne des avions de combat. L’effet de série, en rentabilisant les investissements, permet à l’industrie américaine de demeurer très compétitive (plus de 5 000 F-4 Phantom ont été construits ; les séries de F-16 et F-18 dépasseront très probablement les 1 000 exemplaires pour les commandes initiales. Le Tornado, avion de grande série européen, est commandé à 800 exemplaires environ). Si les puissances européennes désirent préserver leur indépendance de production et éviter que ne se renouvelle de façon systématique à leur détriment le processus du « marché du siècle » remporté par le F-16, elles devront coopérer pour rester compétitives sur les plans économiques mais aussi technologique.
Complexité d’un choix commun
Il semble bien établi que la raison économique devrait imposer un choix commun pour l’avion de combat tactique des années 1990. Pourtant, ce choix est complexe car, sous couvert d’impératifs opérationnels, le débat économique risque de se développer encore.
Les exigences opérationnelles de la Grande-Bretagne, de la RFA et de la France ne sont pas identiques. Les matériels à remplacer n’ont en effet pas les mêmes missions dans chaque pays et sont très différents dans leur conception : avion à décollage vertical Harrier, capable d’opérer à partir de sites dispersés, au plus près de la zone des combats terrestres ; Jaguar, avion d’appui tactique léger aux faibles possibilités en altitude ; Phantom, avion lourd, polyvalent. Les conceptions d’emploi diffèrent également : quelle sera la menace ? Pourra-t-on opérer à partir des grandes bases actuelles ? Quelle évolution se dessine sur le théâtre européen ? Toutes ces questions méritent des études particulières et il serait prétentieux d’apporter ici des éléments d’appréciation, d’autant que les analyses n’attachent pas la même importance à chaque facteur selon qu’elles sont faites par les Allemands, en première ligne, les Français qui disposent d’un certain recul et les Britanniques dont la vocation aéromaritime est évidente.
Or, c’est des choix opérationnels que dépendent les caractéristiques générales de l’avion futur. Tout le monde s’accorde pour désirer un avion très maniable, disposant d’une poussée importante, capable d’opérer sur des portions de pistes, avec une aptitude tout temps. Le stade des généralités dépassé, les difficultés surgissent. L’avion doit-il être bimoteur ou monomoteur ? Dans le premier cas, il semble hors de question de lui donner l’aptitude au décollage vertical.
La formule retenue doit-elle répondre aux exigences du supersonique élevé, pénalisantes dans les autres domaines de vol ou bien se contentera-t-on des performances obtenues grâce à une forte poussée ? Par ailleurs, n’y a-t-il pas antinomie entre décollage vertical et haut supersonique ? Qu’appelle-t-on portion de piste ? 200 mètres, 500 mètres ? L’avion doit-il être biplace pour accroître ses aptitudes face à une défense de plus en plus sévère ? L’avion à décollage vertical, très séduisant dans son principe, ne reste-t-il pas tributaire comme les autres avions d’une logistique pesante imposant un environnement tel que la dispersion espérée se révèle en fait beaucoup plus difficile à atteindre dans la pratique qu’en théorie ?
De l’analyse opérationnelle effectuée découleront des choix techniques. Il ne fait pas de doute qu’une formule d’avion à décollage vertical avantagerait l’industrie britannique qui dispose seule d’une expérience importante en la matière. Quelles compensations seraient accordées aux autres partenaires ? L’aspect économique, pour ne pas parler des problèmes liés aux exportations éventuelles, retrouve ici sa prépondérance.
Conclusion
Le chasseur tactique des années 1990 répond à des besoins militaires et industriels dans au moins 3 des grands pays européens : il pourrait donc être l’occasion d’un resserrement des liens qui unissent déjà si fortement ces derniers et apparaître comme l’aboutissement d’une coopération amorcée de longue date. Il ne faut cependant pas sous-estimer les difficultés qui ont conduit par le passé chaque pays à défendre d’abord ses propres intérêts, que ce soit sur le plan opérationnel ou sur le plan économique. Si une solution commune semble au premier abord la solution raisonnable, elle ne sera acquise qu’aux prix de concessions mutuelles importantes. Or, il faut une dizaine d’années pour concevoir et mettre en service un avion nouveau ; c’est donc dans un avenir proche que les décisions devront être arrêtées. Souhaitons qu’elles puissent aboutir à une solution commune, affirmant par-là la personnalité de l’Europe dans le domaine aéronautique face à une industrie américaine très puissante qui ne reconnaît de partenaires valables que dans la mesure où ils sont compétitifs. ♦