Afrique - Le Liberia s'africanise - En Algérie, les populations berbères s'insurgent contre l'arabo-islamisme officiel - L'Afrique à la poursuite de son émancipation économique
À l’époque coloniale, le Liberia était, avec l’Éthiopie, le seul pays d’Afrique considéré comme indépendant par la famille des Nations. Il fut, pour cette raison, membre de la SDN puis de l’ONU où il représenta seul, jusqu’à la fin des années 1950, la communauté noire d’Afrique. En réalité, c’était un pays doublement colonisé et de surcroît protégé indirectement par un État étranger, les États-Unis, qui garantissaient son indépendance et son intégralité territoriale. Jusqu’à l’occupation italienne, l’empire éthiopien s’employait à faire respecter sa liberté de décision en opposant subtilement les influences étrangères : il n’en allait pas de même au Liberia où les représentations diplomatiques se bornaient à la gestion des affaires consulaires : notre Consul-général à Monrovia, par exemple, avait en charge les ressortissants de la métropole et de ses colonies travaillant au Liberia ainsi que les Libanais et les Syriens très nombreux dans le pays.
La première colonisation fut celle des familles noires américaines, les freemen occupant les « comtés » riverains, sur les « natives » de l’hinterland. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ces derniers furent maintenus dans leurs milieux coutumiers sous l’autorité des chefs traditionnels contrôlés par des fonctionnaires du pouvoir central. Ils ne participaient ni à l’élection présidentielle ni à celle des deux chambres prévues par une constitution de type américain. Les ancêtres des freemen étaient des esclaves affranchis à la fin de la guerre de sécession ; ils avaient été pris en compte par une société philanthropique qui avait négocié, de 1820 à 1830, avec les chefs locaux la création de colonies de peuplement sur la côte du golfe de Guinée, entre les fleuves Mano et Cavally. Monrovia fut fondée en 1824 et prit le nom du président Monroe qui avait généreusement aidé à son établissement. Les nouveaux colons restèrent administrés par la Société durant une vingtaine d’années puis ils s’organisèrent, fondèrent une république en 1847 et assurèrent la sécurité de leurs implantations côtières en étendant progressivement leur emprise sur les tribus de l’intérieur. Bien que la Constitution eût instauré un régime pluripartiste, le True Whig Party (TWP), formé en 1860 et parvenu au pouvoir en 1869, ne l’a pas quitté depuis cette date. Le TWP s’est alors comporté non seulement en parti unique dans la vie nationale mais en instrument du pouvoir personnel de chaque président ; la durée des mandats présidentiels n’a pas cessé d’augmenter pour en arriver au chiffre record de 27 années remporté par le président Tubman (1944-1971). Jusqu’à la Première Guerre mondiale, le gouvernement libérien a vécu d’expédients : la vie économique consistait en un commerce de traite peu lucratif. Une des ressources additionnelles était la fourniture d’équipages pour les navires européens, pratique qui finit par se transformer en une exportation autoritaire de main-d’œuvre destinée aux plantations espagnoles du golfe de Guinée. En 1936, un bateau négrier fut arraisonné, plainte fut déposée à la SDN, ce qui entraîna la chute du président King. Auparavant, le Liberia s’était ouvert à la culture des hévéas qui fut sa principale production jusqu’au milieu de la seconde guerre mondiale, mais qui fut conçue de manière telle que la société d’exploitation devînt entièrement maîtresse des finances du pays.
En 1920, la Grande-Bretagne, avec la Malaisie et le centre de commercialisation de Singapour, détenait le quasi-monopole de la production mondiale d’étain et de caoutchouc naturel. Par les dispositions du Stevenson Act, elle se mettait en mesure de rembourser ses dettes de guerre en augmentant les prix de vente de ces produits sur le marché international. Les Américains décidèrent donc de rompre le monopole. La société Firestone d’Akron (Ohio) chercha d’abord à installer des plantations en Amérique du Sud et aux Philippines. Après plusieurs échecs, elle se rabattit sur le Liberia où elle obtint une concession de 40 000 hectares qui fut portée ensuite à 70 000 hectares, concession divisée en deux domaines, l’un situé aux environs du Cap des Palmes et le second non loin de Monrovia. La société accordait au Liberia un crédit de 5 millions de dollars à 7 % d’intérêts et s’engageait à lui verser 1 % de la valeur du latex exporté. Tel était le contrat initial. D’autres crédits, tout aussi difficiles à rembourser, furent accordés par les organismes financiers américains apparentés à la Firestone. La Banque de Monrovia, institut d’émission, était d’ailleurs une filiale de la First National City Bank of New York. Les deux plantations Firestone se présentaient comme des enclaves étrangères dans le territoire national ; elles disposaient du terrain d’aviation que la société avait construit, de ports particuliers et de leur propre approvisionnement. Elles ont employé jusqu’à 40 000 personnes d’une population qui ne dépassait pas alors 1 400 000 habitants. Assurant la quasi-totalité des ressources gouvernementales, étant le seul fournisseur d’emplois, la société dominait donc l’oligarchie qui détenait le pouvoir central et qui, elle-même, avait colonisé les autochtones. En comparant l’évolution sociale, le développement des infrastructures et de l’économie du Liberia avec ceux des colonies françaises ou anglaises voisines, on pouvait en conclure, à la veille de la seconde guerre mondiale, que la colonisation par un État étranger capable de limiter les appétits des intérêts privés était préférable à une indépendance, dotée de tous les attributs de la souveraineté politique mais assortie d’une domination économique.
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