Revue des revues
• La revue américaine Foreign Affairs, dans son numéro de printemps, comporte un article de Soljenitsyne intitulé « Misconceptions about Russia are a menace to America » (Les erreurs faites sur la Russie sont une menace pour l’Amérique). Cet article est une critique assez acerbe des études faites aux États-Unis sur le monde soviétique.
Pour Soljenitsyne, le communisme est une « maladie universelle », non un système inhérent au pays qui en a été la première victime, la Russie. Il commence en s’élevant vigoureusement contre l’usage, fréquent chez les Anglo-Saxons, des termes de « Russe » et de « Russie » au lieu de « Soviétique » et « d’Union soviétique ». Il s’en prend ensuite aux universitaires. Aux uns il reproche de se laisser influencer par l’histoire officielle soviétique. Aux autres il fait grief d’être les adeptes de théories, teintées de racisme, qui voient les origines du communisme dans une mentalité d’esclave propre au peuple russe, et montrent un parfait mépris pour 1 000 ans de christianisme orthodoxe. Le livre de Richard Pipes, Russia Under the Old Regime, lui paraît être le prototype d’une longue série de ce genre où l’on montre que le totalitarisme a eu pour initiateur Nicolas Ier, alors que Hobbes en est l’inventeur. Ivan le Terrible et Pierre le Grand apparaissent ainsi comme les précurseurs de Staline, alors que la Tcheka (police secrète) a été inventée par Lénine, Trotsky et Djerdjinski, et que la période stalinienne n’est jamais que le prolongement de l’époque de Lénine.
Soljenitsyne s’en prend ensuite aux hommes politiques, en particulier à Georges Kennan. Il leur reproche de voir dans le Politburo des tendances dites « modérées », de « droite » ou de « gauche », qui n’existent pas en fait. Ce genre d’illusions a amené Kissinger à une politique d’apaisement. Des émigrés récents ont renforcé ce courant, alors qu’ils ont été des communistes bon teint. Les journalistes américains qui ont été en Union soviétique se sont laissés chambrer par le KGB. Moscou, d’ailleurs, donne une idée très fausse de l’Union. Les Russes ne sont pas la nationalité « dominante », car les communistes n’en ont pas besoin. La RSFSR (République socialiste fédérative soviétique de Russie) est la république la plus opprimée, le patriotisme russe a été supprimé. Soljenitsyne relève également ce qu’il appelle l’erreur tragique de l’Ouest qui est de ne pas réaliser que les pays opprimés sont les alliés de l’Occident. Celui-ci n’est pas prêt à faire des sacrifices alors que le communisme ne peut être arrêté que par la force, de l’extérieur, ou par une désintégration intérieure.
• Dans le numéro d’été de la revue Commentaire, Alain Besançon, sous le titre : « Sur trois idées reçues en matière d’histoire russe et sur trois genres d’histoire », montre, comme Soljenitsyne, qu’un premier groupe d’auteurs se laisse influencer par l’histoire officielle soviétique : le peuple russe, conduit par le parti bolchevique, construit une société nouvelle, le « socialisme », et s’avance vers le « communisme » en ouvrant la marche au reste de l’humanité.
Alain Besançon analyse deux autres groupes. Le premier est dans la mouvance du trotskisme. La révolution prolétarienne a déraillé et le système actuel est encore loin du « socialisme » tel qu’il devrait être (ce serait la position actuelle d’Ellenstein). Le deuxième groupe englobe ceux qui considèrent que le pouvoir soviétique est un pouvoir étatique et national de type classique, l’idéologie n’étant qu’un déguisement ou une superfétation. Dans cette optique, la coupure révolutionnaire est minimisée, l’Union soviétique est l’héritière de l’Empire des Tsars.
Alain Besançon montre alors que Martin Malia, dans son livre Comprendre la révolution russe, volatilise les schémas, en montrant le cadre européen de cette révolution et les circonstances proprement russes qui l’ont amenée. Mais à l’histoire narrative a succédé l’histoire à système, moins souvent le marxisme d’ailleurs qu’un certain sociologisme, alors que ce sociologisme est inapplicable en Union soviétique où la révolution a détruit l’économie et la société. Malia pratique plutôt l’histoire philosophique.
• La revue américaine Armed Forces Journal, dans son numéro de juin 1980, après avoir donné les noms et qualités des 8 morts de Tabas (4 officiers et un caporal de l’US Air Force, 3 sous-officiers des Marines), publie deux articles sur cette malheureuse affaire.
Le premier est intitulé : « The Art of Helicopter Maintenance » [L’art de l’entretien des hélicoptères], par James Woolsey, ancien sous-secrétaire d’État à la Marine. Il dépasse le problème purement technique du mauvais fonctionnement des appareils pour rappeler que les militaires sont « nos fils ». Depuis le Vietnam, les États-Unis ont dit à leurs soldats : « Je vous dirai quand j’aurai besoin de vous. En attendant, taisez-vous ! ». Nous savons, dit en substance Woolsey, leur donner du bon matériel car il n’y a qu’à payer. Nous pourrions même commencer à payer décemment nos militaires, mais il faudrait surtout comprendre que les armées ne sont pas seulement des machines, que leur personnel mérite mieux qu’un simple salaire de la part de la société qu’ils défendent. « Qui était responsable de l’entretien des hélicoptères à bord du Nimitz ?… Finalement nous pensons à nos fils, et nous nous regardons dans la glace ».
Le deuxième article, sous le pseudonyme d’Alexandre Scott, cherche à tirer les enseignements du raid iranien sur la politique américaine. Le blâme semble actuellement tomber sur le système militaire tout entier. L’on voit le Washington Post et le New York Times poser des questions sur la compétence des forces armées américaines et sur la qualité des conseils fournis au Président par les militaires.
Le premier problème paraît être que l’on a payé le prix de risques inévitables encourus délibérément pour recueillir des bénéfices exceptionnels. L’erreur a été de ne pas prévoir ce que l’on ferait en cas d’échec, alors qu’on avait une chance sur trois de réussir. Les opérations spéciales se justifient quand on a des chances d’obtenir d’excellents résultats, alors que les autres solutions sont encore plus coûteuses ou encore plus aléatoires, mais elles obligent à sortir des sentiers battus. L’entraînement, dans ce domaine, ne peut tout donner, et les États-Unis manquent de personnel expérimenté. Il ne suffit pas non plus d’avoir des matériels qui, le plus souvent, ont été prévus pour un autre usage. De plus, depuis 20 ans, les armées américaines ont vécu dans un climat coût-efficacité marginal. Elles ont oublié l’emploi du marteau-pilon pour casser des noix, ce qui veut dire qu’il faut utiliser les grands moyens aux bas niveaux du conflit. L’article met également en cause l’organisation du commandement : « Le système national de sécurité américain est devenu un vaste comité qui ne peut accepter une action militaire que quand elle est menée suivant des régies qui en menacent le succès ».
Alexandre Scott est cependant sévère pour le Pentagone qu’il accuse d’avoir été emporté par l’élan donné pour préparer le raid, mais les conseillers civils auraient dû s’en méfier. Finalement, le seul coupable est le Président qui n’a rien prévu en cas d’échec.
• C’est finalement le commandement qui est en cause dans un article de la Military Review américaine, dans son numéro d’avril 1980. Cet article, intitulé : « Raids and National Command: Mutually Exclusive », a été très probablement écrit avant le raid de Tabas, mais paraît extrêmement actuel. C’est une étude sur l’organisation des opérations spéciales définies comme étant de très courte durée, de faible envergure et comportant une pénétration rapide en territoire ennemi suivie d’un repli au moins aussi rapide. Les deux exemples les plus récents (avant Tabas) sont le raid effectué en 1970 sur la prison de Son Tay, au Nord-Vietnam, pour libérer des prisonniers américains, et celui qui a été exécuté au Cambodge pour libérer les marins du cargo Mayagez en 1975. L’article fait une description sommaire des deux raids qui ont été des échecs, le premier parce que les prisonniers américains n’étaient plus là, le deuxième parce qu’un élément ayant attaqué inutilement l’île de Koh Tang, il en est résulté des pertes assez lourdes. L’auteur de l’article, le lieutenant-colonel de réserve Peter A. Kelly, pense que la raison principale de ces échecs est une défaillance du système de renseignements. Cette réponse lui paraît cependant simpliste, et elle masque les problèmes de commandement.
Encore faut-il que les renseignements que l’on possède soient correctement exploités. Dans le cas de Son Tay, on savait que les prisonniers avaient été déplacés, mais le chef de l’expédition a lui-même avoué avoir minimisé la valeur de ce renseignement pour effectuer quand même le raid. Pour le Mayagez, le climat politique l’a emporté, l’affaire se passant 15 jours après l’évacuation de Saigon.
Le colonel Kelly attache une très grande importance à la manière dont l’affaire est menée. Il lui semble que la qualité des moyens de transmissions offrent des tentations considérables aux échelons centraux, Président et états-majors, qui croient pouvoir diriger l’action à distance jusque dans ses détails tactiques. Certes, il est toujours possible que de telles opérations tournent à l’incident international majeur, le Président doit être pleinement informé et doit pouvoir prendre les décisions politiques fondamentales, mais il ne doit pas conduire l’action elle-même.
Le problème n’est pas nouveau, mais il s’est considérablement aggravé. Les « crisis managers » et les « décideurs » de Washington ont à évaluer l’impact politique des actions qu’on leur propose. Quand le mode d’action a été choisi, la responsabilité complète de la conduite du raid doit être laissée à un commandement sur place. C’est le défaut majeur de la bureaucratie militaire moderne de créer d’énormes états-majors qui rendent floues les responsabilités du commandement et ne peuvent monter rapidement les plans d’action qui sont nécessaires pour le pouvoir politique. ♦