Défense dans le monde - République sud-africain : le danger de l'African National Congress (ANC)
Au début du mois de juin 1980, un attentat spectaculaire était perpétré en République sud-africaine (RSA). Différente des attaques de postes de police menées jusque-là, cette action visait les installations du vaste complexe « Sasol » destiné à la fabrication de carburant à partir de charbon. L’importance de l’objectif (arme de l’avenir du pays pour son indépendance en approvisionnements énergétiques), autant que la technique employée (pose de charges explosives après une action en souplesse de commando), nous amèneront à analyser l’attitude actuelle de l’African National Congress qui revendique la responsabilité de cette opération. Si ce mouvement ne constitue vraisemblablement pas la force d’opposition la plus significative au régime de l’apartheid, il en représente la fraction la plus orientée vers la lutte armée.
Parallèlement aux manifestations des mouvements dits « de la conscience noire » prônant l’action non violente allant cependant jusqu’à la grève et certaines manifestations de rue, les coups de main de l’ANC semblent un complément nécessaire pour mener à bien la déstabilisation du régime espérée par ses détracteurs.
Après avoir rappelé l’historique de l’ANC nous examinerons sa doctrine et son organisation politique pour tenter d’évaluer ensuite la menace réelle que représente sa composante armée.
Créée en 1912 mais ne prenant son nom actuel qu’en 1925, l’ANC a été fondée par des juristes, des enseignants et des membres du clergé, soucieux d’unir les forces susceptibles de s’opposer à l’exclusive du pouvoir blanc. S’inspirant initialement de l’enseignement chrétien et des théories de Ghandi, ce mouvement tente en 1930 un début de résistance ouverte en recourant à la grève puis se radicalise plus nettement en 1948, lors de l’arrivée du Parti National au pouvoir. La rigueur des lois raciales alors promulguées provoque un rapprochement entre noirs, métis et indiens en 1952. Une campagne de désobéissance à ces lois entraîne une répression (8 000 arrestations) qui décuple le nombre des partisans de l’ANC. En 1958, un clivage apparaît entre les partisans du président du mouvement, Albert Luthuli, inquiet des conséquences que peut avoir l’action violente, et le groupe de Robert Sobukwe qui décide de fonder le Panafrican Azania Congress (PAC). En 1960, la répression qui suit les manifestations de Sharpeville contre la « Pass Law » – concernant un « sauf-conduit » destiné à limiter la circulation des non-blancs – provoque l’interdiction des deux mouvements qui passent alors à la clandestinité.
L’ANC, aujourd’hui, abandonne les thèses non violentes pour atteindre ses fins par le terrorisme, le désordre civil et les grèves. Son but est la disparition du pouvoir blanc en provoquant la déstabilisation de ce régime et en obtenant rengagement des jeunes noirs. Le parti communiste semble avoir une influence croissante en son sein : des recrues, choisies pour recevoir une formation politique, sont ainsi envoyées en RDA (République démocratique allemande) et en URSS. Le président actuel de l’ANC, M. Oliver Tambo (qui a succédé en 1964 à Nelson Mandela actuellement emprisonné) est installé à Dar-Es-Salam (Tanzanie). Son rôle paraît plus politique qu’opérationnel. Il s’attache surtout à obtenir la coexistence de tendances antagonistes (prosoviétique et modérée) dans le mouvement. Les ressources de l’ANC proviennent principalement de la Libye, et dans une moindre mesure d’autres pays dont la Norvège et la Suède.
Des camps d’entraînement de l’ANC sont implantés en Angola, en Zambie, en Tanzanie, au Mozambique et probablement en Libye et à Madagascar. Des jeunes gens, recrutés après les émeutes de Soweto (1976), sont entraînés à la guérilla et s’infiltrent par petits groupes vers la RSA à partir du Botswana et du Swaziland. Le nombre des recrues formées dans les camps ne semble pas dépasser le millier d’hommes. Les actions entreprises, qui se limitaient initialement à des poses de bombes dans des gares et des immeubles, paraissent actuellement mieux combinées mais aussi plus meurtrières. Elles sont dirigées contre des lieux publics, des postes de la police noire, des agents de l’administration et de la justice. Des dépôts d’armes sont découverts notamment dans le nord du Natal. En 1979 et 1980 les postes de police noire des townships (bidonvilles) sont plus particulièrement visés.
Les dirigeants de l’ANC sont conscients de leur force mais aussi des limites de leur action. Compte tenu du terrain et des types d’habitat, une guerre du « bush » (savane sud-africaine), analogue à celles menées en Rhodésie ou en Namibie, semble vouée à l’échec. Face à une police nombreuse et bien entraînée, les actions de force risquent d’avoir peu de portée. C’est par conséquent dans les agglomérations noires qu’il faut porter des coups décisifs pour discréditer le pouvoir blanc tout en évitant de s’aliéner la sympathie de populations redoutant les représailles. Outre ces actions en milieu noir, des coups portés aux points sensibles, notamment économiques, peuvent être d’une efficacité redoutable. Le gouvernement sud-africain et les forces de l’ordre ne sont certes pas inconscients face à cette menace de subversion mais ils ont vraisemblablement sous-estimé la possibilité de l’efficacité de certaines de ces manifestations. La confiance en leur force n’est sûrement pas étrangère à cette altitude. Le succès du coup de main de Sasol montre peut-être une certaine insuffisance dans les dispositifs de surveillance, il prouve aussi une grande maîtrise de la part des guérilleros.
Si la menace la plus aiguë pour le régime de Pretoria reste encore l’action politique et populaire, plus particulièrement les manifestations de rue mobilisant les effectifs et discréditant les forces de police, ainsi que les grèves qui peuvent paralyser l’économie du pays, les opérations de l’ANC dans l’alternative de violence et de non-violence peuvent néanmoins présenter, dès à présent, un vif attrait pour la jeune génération noire, déçue par l’absence de réformes réelles, ceci au moment où les métis eux-mêmes semblent résolument entrer dans la voie de l’opposition au pouvoir. ♦