Défense en France - Bon à la réduction du service militaire !
Dans sa conférence de presse du 26 juin, M. Valéry Giscard d’Estaing a rejeté sans ambages toute idée de réduction du service militaire : dans les conditions d’insécurité du monde actuel, une telle mesure serait perçue comme un signe d’abandon et de démission de la part de notre pays. La chose est donc jugée, et l’on ne peut que se féliciter de la fermeté avec laquelle le Président de la République a tranché. Il n’est peut-être pas inutile cependant de revenir sur le sujet afin de faire apercevoir à ceux qui ne seraient pas convaincus par ce jugement quelles seraient les conséquences de formules de service militaire « à deux vitesses » récemment avancées par certains cercles politiques.
Si l’on en croit un sondage réalisé par L’Express et publié dans son numéro du 6 juin, les jeunes gens en âge de faire leur service, s’ils étaient devant le choix entre un service obligatoire de quatre mois et un service volontaire de 18 mois assorti d’avantages financiers, opteraient à raison de 36 % pour la première formule et 42 % pour la seconde, tandis que 22 % restent actuellement sans opinion. Mais lorsqu’il cherche à préciser le niveau des avantages financiers capable d’inciter les jeunes gens au volontariat de 18 mois, le sondeur de L’Express obtient, en proposant 3 000 F par mois (entretien, logement et nourriture compris) 17 % de « oui, certainement » et 17 % de « oui, peut-être », tandis que 10 % répondent « probablement non », 51 % « certainement non » et 5 % ne donnent pas de réponse. Pour obtenir des adhésions plus nombreuses, 26 % de « oui, certainement » et 14 % de « oui, peut-être », l’enquêteur doit proposer en outre une prime de 30 000 F au début ou à la fin du service ; encore y a-t-il dans ce cas 48 % de réponses « certainement non ». Il nous semble donc peu probable, dans ces conditions, que l’on obtienne plus de 30 % de volontaires pour les 18 mois.
Tenons-nous en à la formule la moins coûteuse et admettons qu’elle nous donne ces 30 %. Quelles en seraient les conséquences quant au niveau des effectifs, à leur coût et quant aux structures de nos forces ?
Chaque année, une fois les besoins de la coopération et de l’assistance technique pourvue, 265 000 jeunes gens effectuent leur service militaire et 20 000 s’engagent pour 18 mois et plus, 30 % de ce total nous donnerait 85 000 engagés, le reste, soit 200 000, feraient 4 mois. Nous aurions donc en permanence sous les drapeaux :
– 200 000 x 4 ÷ 12 = 66 666 appelés
– 85 000 x 18 ÷ 12 = 127 500 engagés
C’est-à-dire une armée de 193 500 hommes du rang et petits gradés au lieu des 285 000 actuels, soit 91 500 hommes de moins.
Un calcul rapide montre que nous payerions au moins aussi cher cette armée réduite. Le coût d’un appelé est en effet aujourd’hui d’environ 18 000 F par an.
Dans l’hypothèse retenue, 66 666 appelés nous reviendraient donc à 1 200 MF par an et 127 500 engagés à 4 600 MF environ par an, soit au total 5 800 MF. Or, actuellement, le coût de l’ensemble des hommes du rang appelés et engagés est d’environ 5 370 MF. Nous payerions donc 500 MF de plus une armée diminuée de 90 000 hommes.
Mais c’est surtout sur le plan de la structure des forces que ce système serait proprement désastreux. Sur quelles forces pratiquer en effet les coupes sombres ? Pas sur l’Armée de l’air (40 000 appelés) à qui les inventeurs de cette formule préconisent d’attribuer 100 Mirage 4000 et qui est déjà à la limite des possibilités quant au rapport nombre d’avions/nombre d’hommes ; pas sur la Marine (18 000 appelés) dont on voudrait augmenter le nombre des SNLE (sous-marin nucléaire lanceur d’engin) ; pas sur la Gendarmerie (5 000 appelés) qu’il faudrait au contraire renforcer, tout le monde le reconnaît. Sur l’Armée de terre ? Il n’y a en effet pas d’alternative : mais il faut être conscient qu’il en résulterait pour nos forces terrestres un véritable éclatement. Réduire nos forces terrestres de 90 000 hommes alors qu’elles en comptent actuellement 220 000 (155 000 appelés et 65 000 d’active), cela entraîne inexorablement la disparition d’au moins 6 divisions sur les 15 que nous avons. Je dis : au moins ; car ce n’est pas avec les 66 000 appelés présents pendant 4 mois, puis remplacés par 66 000 autres, que l’on formerait des divisions ; tout au plus aurait-on des unités d’instruction s’emplissant et se vidant tous les 4 mois. Ce serait également l’abandon du système de mobilisation des divisions de réserve par dérivation des unités d’active.
Sans doute dira-t-on que j’ai pris une hypothèse défavorable et que bien des engagements ne se limiteraient pas à 18 mois. Je crains pour ma part que dans cette « armée-croupion » les perspectives de carrière soient très limitées et que les volontaires pour faire un service de dix-huit mois ou plus soient les éléments les moins pourvus de titres et de qualifications, et qu’il n’en résulte un sérieux appauvrissement des armées en cadres de réserves et en spécialistes. Si, en effet, les jeunes gens d’aujourd’hui étaient tellement séduits par la formule, on aurait dès maintenant – où nous ne sommes pas loin de dépenser 3 000 F par mois pour un engagé, tous frais compris – beaucoup plus que 20 000 engagés par an.
Il faut se rendre à l’évidence : toute formule faisant intervenir une option de service militaire de 4 mois serait catastrophique pour notre Armée de terre. ♦