L’aventure Viet-Minh
En d’autres occasions le général Massu et le général Fonde nous ont dit, indépendamment l’un de l’autre, ce qu’a été, au cours de carrières militaires mouvementées et bien remplies, leur action au début de la guerre d’Indochine et les graves responsabilités confiées à l’un et à l’autre par leur chef, le général Leclerc. L’ouvrage qui vient de paraître sous leur double signature est d’un autre genre : ce n’est pas, cette fois-ci, un recueil de souvenirs d’hommes qui ont figuré, à un moment et dans un cadre donnés, parmi les acteurs de l’histoire de notre temps ; c’est un récit complet qu’ils nous proposent de la vie du peuple vietnamien depuis ses origines jusqu’à l’heure actuelle.
Les deux phases de la guerre d’Indochine, la française et l’américaine, s’y trouvent juxtaposées et confrontées de manière très intéressante, encadrées et éclairées par les siècles qui les précèdent et les années qui les suivent. La connaissance des hommes et le recours à des sources probablement plus riches que celles dont fait modestement état la liste des ouvrages consultés, donne une tonalité très vivante au récit. La place principale y est tenue, comme il se doit, par les différentes composantes géographiques, sociologiques et idéologiques de l’entité vietnamienne, sans négliger les motivations des autres partenaires, français, américains, chinois, soviétiques, cambodgiens, etc.
Mais les auteurs n’ont pas eu la prétention d’écrire un chapitre de l’histoire universelle : ils ont voulu, nous semble-t-il, appeler l’attention sur « l’aventure Vietminh », c’est-à-dire sur la part prise dans la vie de leur pays et du monde par un certain nombre d’individus formant le Tong Bo, bureau politique de leur parti. La thèse, qui sous-tend l’ouvrage tout entier, est que ces hommes ont refusé que le Vietnam accède à l’indépendance et à l’unité, en vue dès 1945, sans passer par la guerre et la révolution nécessaires au triomphe de leur idéologie. Cette conception politique aurait été inlassablement poursuivie par l’équipe dirigeante du Vietminh, du coup de force du 9 mars 1945 à la chute de Saïgon le 30 avril 1975 : « 30 années de ruines, de deuils et d’imposture, pour imposer une idéologie étrangère, un ordre moral et économique qui ignore les aspirations et les traditions du peuple vietnamien, pour une « libération » qui retire sa liberté à l’individu… non pour réaliser l’unité et reconquérir l’indépendance, l’une et l’autre recouvrées 30 années auparavant… c’est chèrement payé ». Tel est le thème profondément angoissant que propose à notre réflexion cette vision du drame indochinois. La qualité et l’originalité de leurs propos ont valu aux auteurs de recevoir un des prix décernés par l’Académie française. ♦