Cinéma - Souvenirs et science-fiction
Venant après Apocalypse Now et Voyage au bout de l’enfer, le film de Samuel Fuller The Great Red One (Au-delà de la gloire) ne pouvait évidemment ni surprendre, ni provoquer d’aussi importants mouvements d’opinion. Le cinéaste américain, qui s’est toujours distingué par l’originalité de ses conceptions humanistes et artistiques, a porté à l’écran le livre de souvenirs qu’il avait écrit sur ses pérégrinations de combattant pendant la Seconde Guerre mondiale. Tous les faits présentés dans le film sont donc rigoureusement authentiques et nous ne les mettrons pas en doute. Reste que la réalisation proprement dite de Samuel Fuller a déçu de nombreux spectateurs, habitués à un réalisme cinématographique plus rigoureux.
L’excellent Lee Marvin, qui se trouve ici à la tête des cinq soldats, héros collectifs de l’aventure, est remarquable de sobriété et de puissance concentrée : malheureusement il ne peut pas faire oublier les défauts de la mise en scène. Tout au long d’un périple semé d’embûches, et même dans la boue et sous les bombardements les plus intenses, les combattants sont rasés de frais comme s’ils avaient à leur disposition permanente leur rasoir électrique… Il s’agit là d’une invraisemblance qui n’échappe à aucun spectateur et l’on ne comprend pas que Samuel Fuller n’y ait pas pensé. Quoi qu’il en soit, Au-delà de la gloire doit se contenter de la mention « honorable ». Et c’est dommage.
Un autre film, français celui-là et qui nous touche donc de beaucoup plus près, est également inspiré par un souvenir personnel, et il suscite une certaine perplexité. Il s’agit de Charlie Bravo, œuvre de Claude Bernard-Aubert qui avait déjà abordé le délicat problème de la guerre d’Indochine voici une quinzaine d’années avec Patrouille de choc, qui avait reçu un accueil chaleureux en raison de son caractère à la fois véridique et pathétique. On peut se demander quel a été le cheminement de la pensée du cinéaste qui, de Patrouille de choc, film patriotique mettant en relief l’héroïsme des soldats français face à un ennemi perfide et sans scrupule, à Charlie Bravo, dont le propos est bien différent et où les mêmes soldats français sont accusés de crimes abominables. Notre perplexité est d’autant plus grande qu’elle est renforcée par une contradiction fondamentale dans la présentation du sujet. Dès les premières images du générique, Claude Bernard-Aubert place en exergue une déclaration qui est également reproduite dans les dossiers de presse. La voici : « Ce récit est véridique et exact en tous points. J’ai voulu en témoigner, car le sang sèche vite en entrant dans l’Histoire et, le jour du massacre du village de Quinh Quang, dans le nord du Vietnam, j’y étais, et ce jour-là j’ai eu vingt ans ».
« Véridique et exact en tous points », nous dit-on à la première image. À la dernière, on nous donne un démenti. En effet, les cinq survivants du commando sont tous massacrés. Il n’y a pas un seul rescapé. Si la vérité n’est ici pas respectée sur ce point capital, comment accorder crédit au reste ? Cela dit, on doit reconnaître que la réalisation de Claude Bernard-Aubert est remarquablement efficace, que le dialogue de Pascal Jardin sonne vrai et que l’interprétation, notamment de Bruno Pradal, est excellente. Tout cela fait que le film est dangereux et en tout cas inopportun de nos jours. Il est certain que, comme dans toute guerre, des abus ont été commis de part et d’autre et que, dans certains cas, la solution la plus cruelle devait être adoptée. Est-il utile, au moment où une partie de l’opinion publique a tendance à négliger les problèmes militaires et à afficher des sentiments antimilitaristes parfois puérils, d’évoquer une guerre déjà lointaine et de présenter des abus et des « bavures » d’exception comme s’il s’agissait de choses courantes ? Voir assassiner de sang-froid des prisonniers, voir brûler au napalm des femmes et des enfants n’est pas un spectacle réjouissant, même si cela fait partie des terribles nécessités de la lutte. Bref, le récit cinématographique de la mission Charlie Bravo, parachutée à vingt jours de marche de sa base pour délivrer une infirmière, suscite de sérieuses réserves quant au fond tout en provoquant une certaine admiration pour la maîtrise de son réalisateur.
Les sentiments que fait naître en nous le film américain de Don Taylor, Nimitz, retour vers l’enfer, sont d’une tout autre nature. C’est la première fois, à notre connaissance, que la science-fiction s’attaque à un thème strictement militaire. Le résultat est surprenant et mérite toute notre attention. Les spectateurs non avertis des choses de la marine de guerre sont fortement impressionnés par les manœuvres exécutées par l’équipage du gigantesque porte-avions Nimitz, orgueil de l’US Navy. L’admiration se change en stupéfaction lorsque débute la véritable histoire inventée par le scénariste David Ambrose. De quoi s’agit-il ? Le porte-avions Nimitz croise à environ 200 milles de Pearl Harbour et effectue une mission de routine. Mais brusquement, et contrairement aux prévisions de la météorologie, le ciel s’obscurcit en plein jour et le navire subit une étrange tempête qui affole les hommes. Lorsque le calme revient, la radio capte des messages surprenants : on annonce que pour la première fois les troupes allemandes se heurtent à une résistance acharnée devant Stalingrad, que le maréchal Rommel va sans doute s’emparer de Tobrouk… Les avions de reconnaissance du Nimnitz enregistrent en même temps des clichés bizarres : deux chasseurs japonais mitraillent un yacht de plaisance américain et Pearl Harbour a retrouvé l’aspect que la base avait avant l’attaque japonaise de 1941. On aperçoit, même, intacts, les navires torpillés. L’état-major du Nimitz ne sait pas quoi penser. Et les officiers supérieurs sont bien obligés de se rendre à l’évidence : le navire a remonté le temps. C’est le triomphe des théories d’Einstein !
On conçoit aisément qu’un pareil sujet donne souvent l’occasion de notations humoristiques, ce qui n’empêche pas les scènes dramatiques et un déploiement considérable de moyens matériels qui force l’admiration. Ce sujet assez délirant de science-fiction a permis à Don Taylor de faire preuve de ses capacités exceptionnelles, car le film est non seulement très bien dirigé, mais aussi remarquablement monté et interprété avec le plus grand naturel. Il ne s’agit pas d’un film enrichissant pour le cinéma d’inspiration militaire, mais à coup sûr d’un spectacle séduisant pour l’ensemble des spectateurs, quels qu’ils soient. ♦