Afrique - Afrique des hautes terres : essais de normalisation des relations entre les États - La nouvelle politique africaine des États-Unis
Dans ce qu’on peut appeler l’Afrique des Hautes Terres, région du continent qui borde l’océan Indien, l’Éthiopie a toujours tenu une place à part. On l’a décrite à tort comme une île chrétienne résistant aux assauts d’une mer musulmane. En réalité, au cours des siècles, elle s’est présentée comme une oligarchie dotée d’une culture particulière, s’efforçant de survivre en assimilant progressivement les peuples qui lui étaient associés sur son bastion de refuge ; cette ethnie privilégiée cherchait également à étendre son influence vers la mer auprès de populations qui, en raison de leur situation, pouvaient lui résister en lui opposant des influences venues de l’extérieur du continent. La progression de l’Islam dans les pays entourant les montagnes éthiopiennes a donc été favorisée en partie par la volonté qui animait ces peuples de résister à l’ordre éthiopien, fondé sur la toute-puissance de la féodalité amharique (2) et du clergé copte. Quant au bastion proprement dit, souvent affaibli par des luttes fratricides, il a toujours retrouvé son unité de pensée pour résister aux influences culturelles étrangères. Au cours de son histoire, il s’est frotté à tous les mondes sans jamais se laisser comprendre, même par ses voisins les plus proches, et sans jamais se livrer totalement aux doctrines qui lui venaient d’ailleurs. Il en est ainsi aujourd’hui avec le marxisme et les Soviétiques. Certes, une organisation marxiste, adaptée au mode de vie éthiopien, remplace peu à peu la féodalité dont l’autorité ne pouvait plus s’imposer, mais le fait qu’elle s’« amharise » la rend peu perméable à une pénétration étrangère plus poussée. Les éléments les plus résistants sont parfois ceux-là même qui cherchent à utiliser à leur profit la force d’expansion des idées nouvelles. Le secret devient de règle, et l’on ne sait plus très bien comment s’articule le pouvoir et qui en détient les rênes.
Les États voisins ne s’y trompent pas. Ils ont conscience que, quelle que soit l’idéologie qui l’anime, l’Éthiopie ne cherchera à exercer son influence que dans une seule direction, l’Est, et avec un seul but, protéger et si possible agrandir sa fenêtre sur le large. Ils se sentent, suivant les cas, ou menacés ou rassurés. Parmi ces derniers, le Kenya, qui s’inquiète davantage des prétentions pan-somaliennes que d’éventuels prolongements de la révolution éthiopienne, a renouvelé depuis longtemps l’accord de défense qu’il avait signé avec le régime précédent. En revanche, le Soudan s’est longtemps montré moins enclin à faire confiance aux nouveaux dirigeants d’Addis-Abeba. Khartoum, qui avait su se débarrasser de l’emprise soviétique, pouvait craindre qu’une propagande insidieuse ne ranimât les ambitions d’un parti communiste décapité et désorganisé. Le gouvernement soudanais, en aidant les deux mouvements érythréens de libération et les rebelles du Tigré [NDLR : le Tigré est l’une des 9 régions de l’Éthiopie, située au nord du pays, frontalière à l’Érythrée et au Soudan], n’agissait pas par sympathie idéologique puisque ces mouvements appartenaient à des tendances différentes, mais pour affaiblir l’autorité d’Addis-Abeba et prévenir ainsi la tentation, que pourraient éprouver l’Éthiopie et l’URSS, de porter leur révolution vers celui des pays voisins où elle aurait le plus de chance de se développer à nouveau.
Le rapprochement entre les deux pays s’est fait en plusieurs étapes. Fin janvier 1980, une délégation ministérielle d’Éthiopie assista au congrès annuel de l’Union socialiste soudanaise ; en mars 1980, le général Khalil, ministre de la Défense soudanaise, fit une visite officielle à Addis-Abeba et signa un communiqué aux termes duquel chaque gouvernement s’engageait à « respecter scrupuleusement l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’unité nationale » de l’autre. On restait malgré tout dans l’ambiguïté, puisqu’il n’était dit nulle part que le Soudan reconnaissait l’appartenance de l’Érythrée au territoire éthiopien. En mai, le président Mengistu se rendit à Khartoum, et en novembre de la même année, le maréchal Nemeiry vint à Addis-Abeba. Au cours de ces deux visites, l’isolement de la Somalie fut consommé, son action en Ogaden (3) condamnée, mais le Soudanais ne s’engagea pas à cesser tout soutien aux mouvements érythréens. Toutefois, il offrit sa médiation pour obtenir la reconnaissance par l’Éthiopie d’une certaine autonomie de l’Érythrée, solution que les Éthiopiens ne sont pas prêts à accepter mais à laquelle les mouvements nationalistes, éprouvés par leurs luttes mutuelles et la pression des forces adverses, pourraient se rallier, du moins provisoirement, pour peu que les autorités soudanaises mesurent ou suppriment leur aide.
Il reste 83 % de l'article à lire
Plan de l'article