Marine - Exercices en Atlantique
Un observateur attentif aurait pu constater que, durant la totalité du mois de mars [NDLR : 1981], les ports de Brest et de Toulon étaient quasiment vides d’unités… ; s’il avait posé des questions, ce même visiteur aurait pu apprendre que certaines des unités absentes ne seraient pas de retour avant le 21 mai 1981, soit une absence de trois mois. Il ne s’agissait pourtant que de routine, une routine un peu avancée, certes, mais de routine de temps de paix cependant…
Il est vrai que la finalité de l’activité à la mer de bâtiments de la Marine nationale laisse parfois insatisfait un observateur non averti… Que font les bâtiments à la mer ? À quoi répond le souci de l’État-major de la Marine de faire effectuer cent jours de mer par an à ses navires ?
La question est d’autant plus naturelle que ces activités, qui s’exercent toujours au-delà de l’horizon, ne sont pas aussi aisément observables et aussi frappantes que le déploiement de quelques milliers d’hommes sur le terrain, et qui, pourtant, ne font lever de poussière que pendant quelques courtes journées…
Près de 100 000 tonnes de bâtiments de combat et de soutien, fine fleur des escadres de Brest et de Toulon, se sont donc retrouvés en Atlantique, à l’ouverture du détroit de Gibraltar, pour des exercices de haut niveau. Le thème central en était, pour les uns d’apporter un support à un archipel de l’Atlantique, tandis que les autres tentaient d’interdire l’approche de cette force de soutien. Thème classique peut-être, mais qui, outre l’exercice lui-même, recouvre toutes les activités essentielles du bâtiment de guerre.
La première de toutes consiste simplement à se montrer sur les mers, tout en observant ce qui s’y passe. La rigueur de la présentation d’un bâtiment de combat, la détermination et la netteté de ses manœuvres pour aller reconnaître l’un ou l’autre, sa vigilance permanente, sont les traits qui marquent, aux yeux des autres, la qualité et la force d’une Marine et, au travers elle, celles du pays. Et ceci ne s’acquiert pas en un jour… ; malgré la monotonie du quart, la fatigue qui parfois s’accumule, chacun doit rester alerte et vigilant, qui devant sa chaufferie ou sa machine, qui devant son écran radar, qui encore sur la passerelle tentant de reconnaître une silhouette, un feu ou un avion qui passe. Chacun a son domaine propre, qu’il doit dominer en tout temps, pour que la machine dans son ensemble tourne et puisse donner cette image de force tranquille et contrôlée, dont la puissance devient alors sensible et perceptible sous la calme apparence pacifique.
L’entraînement individuel, donc, qui s’acquiert au fil des jours, permet de savoir réagir devant une situation imprévue, et en même temps participe à la présence générale sur mer, dont la finalité peut parfois paraître lointaine, mais dont la nécessité est impérieuse pour qui veut manifester sa volonté de ne pas subir une loi étrangère.
Savoir agir seul est bien. Il importe de savoir ensuite agir en groupe, combiner les manœuvres, concentrer les moyens et coordonner les actions et les armes. Tel est l’objet de l’entraînement de groupe, dans lequel chaque pion individuel doit tomber à sa place et jouer son rôle avec imagination et efficacité.
Enfin, un exercice de grande envergure comme celui du mois de mars 1981 place les unités dans des conditions analogues à celles du temps de crise, où il s’agit souvent plus de marquer une détermination que de déchaîner la violence à tout va. Utiles pour les bâtiments, de tels exercices le sont aussi pour les États-majors, dont l’action doit demeurer réfléchie et calme malgré l’urgence des situations, l’inconfort des conditions de travail et, bien souvent, le manque de certitudes quant à la situation réelle… ; celle-ci est, en effet, toujours fluctuante à la mer : claire pendant un temps, la peinture se détériore souvent d’un coup. Des certitudes sur la position des uns ou des autres s’écroulent, le doute s’installe… Tel bâtiment, dont on n’a que l’écho radar ou un symbole retransmis par une autre unité, n’a pas le comportement qu’il devrait avoir s’il était réellement celui-ci ou celui-là. Est-ce une feinte, est-ce une ruse ou est-il réellement le cargo innocent qui taille sa route, la conscience en paix ?
Réfléchir calmement et posément, savoir donner, ou seulement traduire, les ordres et directives nécessaires s’apprennent mal derrière un bureau… il y faut bien évidemment l’environnement naturel du lieu de l’action.
Et, surtout, conduire ou « jouer » un exercice n’est jamais le seul but poursuivi quand une force navale est à la mer. S’y superposent toujours la réalité et la nécessité, quelles que soient les circonstances, de conserver à l’esprit qu’au-delà de l’action du moment, chaque bâtiment évolue en milieu international et y remplit toujours une mission, ne serait-elle que d’observation ou de renseignement.
Manifestation de puissance à la mer, le déploiement d’un tel groupe sera également mis à profit pour manifester dans différentes escales à terre le rayonnement et la présence de la France. Ces visites, officielles ou simplement de courtoisie en terre étrangère, constituent en quelque sorte le contrepoint du défilé de clôture des exercices terrestres. Mais montrer le pavillon n’est pas un vain mot, et une manifestation tangible de présence vaut toujours plus que de belles protestations d’indéfectible amitié.
C’est la mission que poursuivront quelques unités, pendant deux mois, sur les côtes ouest d’Afrique et dans le fond du Golfe de Guinée.
Ce mélange permanent d’exercices et de missions effectives, de fiction et de réalité, est sans doute le trait dominant le plus original des activités du navire de guerre. Sur ces cent jours de mer annuels, trente seulement sont en moyenne consacrés à des activités pures d’entraînement, lesquelles recouvrent cependant presque toujours une autre mission réelle, ou en sont le prélude.
La Marine n’est donc pas seulement un outil de guerre en attente de l’événement. Comme pour toutes les forces armées, sa finalité première est évidemment le combat, mais elle a, de plus, un rôle de tous les jours, permanent et généralement pacifique, de présence, de démonstration de la puissance de la Nation et d’affirmation de sa volonté. Les formes de cette action sont multiples et, par-delà les exercices, vont de la protection de la liberté de la navigation dans le détroit d’Ormuz à la surveillance du flot des pétroliers dans les atterrages d’Ouessant, en passant par des manifestations courtoises et amicales de présence sur les côtes d’Afrique. Toujours en tenue de guerre, un navire de combat doit aussi savoir être un puissant instrument de paix. ♦