Encore un effort… et nous aurons définitivement perdu la troisième guerre mondiale
Avec ce livre au titre provocateur, notre confrère belge lance un nouveau cri d’alarme : « Vous êtes en train de perdre une guerre déjà commencée et vous allez être acculés à la capitulation ou à l’holocauste ! ». Mise en garde qui n’a rien d’excessif à en juger par les manifestations de pacifisme bêlant qui se sont déroulées ces derniers temps dans les capitales occidentales. Better Red than Dead [Plutôt rouges que morts !], tel est le slogan de ces neutralistes à tout crin plus soucieux d’empêcher l’installation de missiles américains destinés à les protéger que de dénoncer la menace de SS-20 soviétiques déjà déployés face à l’Ouest.
La propagande soviétique destinée à déstabiliser l’Europe va bon train : encore un effort de coopération avec le KGB qui la mène, et nous finirons par convaincre nos alliés américains que les Européens ne valent décidément pas la peine qu’on prenne des risques pour eux. M. Kissinger nous l’avait d’ailleurs déjà dit assez crûment…
Si le livre du général Close se bornait à cet avertissement et à la présentation de la formidable accumulation de puissance militaire à laquelle procède l’URSS, il ne nous apporterait rien de bien nouveau : il y a déjà quelque temps que Richard Nixon a dénoncé nos faiblesses dans ce conflit déjà pratiquement engagé. Chacun sait que, s’il fallait en payer le prix – la guerre étant, selon Clausewitz, le paiement en espèces des traites déjà tirées – la facture serait lourde. Face aux armées du Pacte de Varsovie, les forces du front centre-Europe ne pèseraient pas lourd : chars, engins blindés, artillerie, forces aériennes tactiques, autant de têtes de chapitres de déséquilibres graves qui sont de nature à inciter l’adversaire à tenter la grande aventure, surtout que tout ce dispositif de défense est à la merci des vecteurs nucléaires de portée intermédiaire, les « armes de théâtre », dont les Européens – mis à part les Britanniques et les Français – n’ont pas l’équivalent. Si l’adversaire jouait aujourd’hui son va-tout, les Américains se trouveraient rapidement devant le dilemme de l’échange apocalyptique ou de la capitulation en Europe.
Tout cela valait la peine d’être rappelé aux Européens, ceux de bonne foi du moins – car il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre ou ne veut entendre que la cloche du Kremlin. L’intérêt véritable du livre du général Close est tout d’abord de replacer le jeu européen de l’Union soviétique dans sa stratégie totale dont le but final reste le triomphe du socialisme marxiste-léniniste sur l’ensemble du globe, ce globe qui figure dans les armes de l’Union soviétique couvert par la faucille et le marteau.
L’auteur montre comment Moscou joue à cet effet sur trois registres : la menace directe qui pèse en permanence sur les Européens et vise à les dissocier des États-Unis ; la menace indirecte dont l’objectif est de saisir les positions stratégiques en Asie, au Moyen-Orient et en Afrique, à partir desquelles elle pourra asphyxier l’Occident ou le tenir à sa merci en contrôlant les sources d’énergie et de matières premières ; la menace intérieure enfin, visant à désagréger les démocraties occidentales par la subversion. Encore un petit effort de pacifisme et l’Occident tombera comme un fruit mûr sous la menace du hold-up ! Peut-être même ce moment viendra-t-il plus tôt que nous ne pensons, avec l’ouverture de la succession moscovite et l’accession au pouvoir de jeunes loups du Parti ou de l’Armée, plus enclins à l’aventurisme, surtout s’ils redoutent qu’à terme les fissures de l’empire ne s’étendent au-delà des frontières polonaises.
Considérant cet horizon chargé d’orage, le général Close compare notre époque aux sombres années 1930 où nous avons assisté, médusés, à la montée du péril hitlérien sans rien faire pour le conjurer, sinon de nous bercer d’illusions sur nos propres forces et sur les faiblesses du IIIe Reich. Il faut nous ressaisir, et l’ancien président de la commission des problèmes nationaux de défense montre que c’est possible, que nous en avons les moyens, qu’il suffit seulement de les mettre en œuvre avec un peu plus d’intelligence, et surtout de volonté.
Sans vouloir résumer ce livre, qu’il faut lire de bout en bout, voici quelques-unes des améliorations qu’il suggère.
1 – Cessons de récriminer contre les Américains, tantôt parce qu’ils n’en font pas assez pour que leur engagement nucléaire soit crédible, tantôt parce qu’ils en font trop en le concrétisant par la mise en place en Europe d’armes qui leur font courir le risque de riposte soviétique aussi bien sur leur sol que sur le nôtre.
2 – Utilisons mieux nos ressources humaines, qui valent bien celles du Pacte de Varsovie dont le loyalisme n’est d’ailleurs pas à toute épreuve, et faisons un effort pour les mobiliser et les utiliser à plein. Commençons par instaurer un service militaire de quinze mois, qui représentent un minimum face aux deux et trois ans de service des Armées d’en face.
3 – Devant l’érosion du couple dissuasion-défense, faisons la preuve de notre détermination à la seconde pour le cas où la première échouerait, et n’oublions pas – l’auteur le rappelle opportunément – que c’est dans la tête de l’adversaire que se situe le phénomène dissuasion, et non dans la nôtre, en prenant nos désirs pour des réalités. En tout cas, c’est un fait qui n’est jamais définitivement acquis. Montrons donc notre détermination à en accepter les risques, tout en cherchant à les réduire par une véritable protection civile.
4 – Que l’Otan révise ses plans opérationnels. Ici, l’ancien chef d’État-major de brigade blindée en Allemagne dénonce l’irréalisme du concept de défense avancée combinant deux erreurs : celle d’un système de mobilisation et de mise en place dont nous courons le risque de n’avoir pas les délais, et celle de Gamelin en 1940 se faisant battre en fonçant en avant de sa position défensive. Une attaque par surprise (c’était le sujet du précédent livre du général Close, L’Europe sans défense ?, paru en 1977) aurait des chances d’atteindre le Rhin dans les quarante-huit heures, en bousculant la mise ne place du dispositif allié et en empêchant ainsi toute mise en œuvre des armes nucléaires tactiques, qui requiert un minimum de défense cohérente. L’auteur préconise donc l’établissement d’une véritable défense échelonnée en profondeur, avec des forces d’alerte et de couverture mobiles à l’avant, un glacis de cent kilomètres de profondeur tenu par des forces de défense en surface à base de réserves locales équipées d’armes antichars et appuyées par l’intervention de régiments d’hélicoptères armés, enfin une position arrière solidement appuyée au Rhin et au Danube, le tout sur un terrain déjà en partie préparé pour cette action de freinage profond.
5 – Acceptons, bien entendu, l’installation des armes de théâtre, mais aussi de l’arme à radiations renforcées qui est mortelle pour les équipages de blindés ennemis et minimise les pertes des défenseurs enterrés et des populations civiles abritées.
6 – Constituons une force mobile destinée à appuyer une politique européenne et à défendre les intérêts de l’Europe hors de la zone couverte par le Traité de l’Atlantique. La France, estime l’auteur, a un rôle capital à jouer dans la construction de la défense européenne.
Signalons enfin que notre collègue belge et son collaborateur de Kerchove ne sont nullement des boutefeu, et qu’ils font aussi des propositions concrètes pour la paix, par exemple en suggérant de nouvelles « mesures de confiance » très positives et compatibles avec le souci de sécurité des deux groupes de forces de part et d’autre de la frontière interallemande. Ces mesures, hélas ! n’ont pas l’heur de plaire à Moscou où l’on est surtout soucieux de mener en position de force la négociation sur les armes de théâtre et d’avaliser l’avantage acquis.
Pacifistes et neutralistes, si vous saviez… ! Mais pour savoir, lisez donc le général Close. Il vous apprendra qu’il existe un autre slogan bien préférable au vôtre, c’est : « Ni rouges, ni morts ! ». ♦