De quelques aspects militaires de la géographie
Dans l’oscillation périodique des idées, la rentrée en faveur de la géographie a conduit, à certaines époques et en particulier à la nôtre, à exagérer son influence. On met alors tout à son compte, au point que l’on attribuerait presque, par avance, la victoire au bénéficiaire d’une situation géographique favorable, sans considérations d’autre sorte. Cette façon de juger est vraiment excessive. On le voit, par exemple, à l’occasion des hostilités anglo-allemandes en mer du Nord pendant la guerre de 1914-1918, où, malgré la situation géographique exceptionnellement avantageuse dont profitaient les Anglais, les choses se seraient sans doute passées fort différemment si la supériorité navale avait été en faveur des Allemands, tant il est vrai qu’à côté du cadre physique pèsent d’un grand poids les forces qui, seules, donnent vie à ce décor immobile et statique.
On peut citer bien d’autres cas du genre, hypothétiques ou réels. C’est ainsi qu’on a souvent dit, dans les années qui ont suivi 1918, que la géographie conférait aux Italiens, en matière aéro-navale, une maîtrise totale de la Méditerranée centrale vis-à-vis d’une coalition anglo-française. Accordant par définition la supériorité aérienne à l’Italie, on traçait de la Spezzia, de Cagliari, de Trapani, d’Augusta, de Tripoli, de Tobrouk, etc… comme centres, et avec un rayon égal à la portée pratique de l’aviation de bombardement de l’époque, des cercles impressionnants, à l’intérieur desquels les bases navales de l’adversaire ne pouvaient exister, et où ses navires, ses grands navires, au moins, ne pouvaient se montrer. Dans l’aire considérée, cet adversaire n’aurait pu engager que des flottilles, et la supériorité navale de l’Italie aurait résulté tout naturellement du secours, tout puissant et irrésistible, apporté par la géographie à l’action aérienne.
Mais si, sans rien changer à la disposition de la mer et des terres, on renverse le postulatum ci-dessus, en supposant la supériorité aérienne aux mains des Franco-Anglais, on aboutira à des résultats entièrement différents. On tracera d’autres cercles analogues aux précédents, en leur donnant comme centres, si l’on veut, Toulon, Ajaccio, Bizerte, Malte, la frontière égyptienne, etc… L’effet de l’aviation franco-anglaise s’exercera avec prépondérance dans la nouvelle région délimitée, refoulant avec succès celui qui se manifestait à l’intérieur des cercles italiens. La prééminence navale changera de camp. Celle des Franco-Anglais s’établira à son tour. Elle sera même plus marquée que dans le cas précédemment envisagé, parce que, dans celui-ci, les Franco-Anglais disposaient, pour ce qui est des bases et des grands navires, d’intéressantes possibilités de recul aux deux bouts de la Méditerranée, tandis qu’il n’en est pas de même ici pour l’Italie, qui ne possède pas une zone d’arrière aussi étendue. Ainsi, on voit que la situation s’est entièrement transformée, en passant d’un cas à l’autre, et en dépit de l’immuabilité du cadre géographique, parce que la balance des forces aériennes s’est retournée. Cette simple hypothèse donne leur véritable valeur aux facteurs en jeu, et elle les range à leur vraie place. En vérité, la géographie n’est pas tout.
Il reste 90 % de l'article à lire
Plan de l'article