Défense dans le monde - Pérou : progrès de la guérilla - L'après Malouines (Falkland)
Pérou : progrès de la guérilla
En 1979, le gouvernement péruvien pouvait affirmer : « il n’y a plus de guérilla au Pérou. Celle-ci a cessé en 1965 avec l’anéantissement des guérilleros implantés dans les Andes ». Or, aujourd’hui, l’actualité péruvienne est marquée par l’activité incessante et croissante du mouvement subversif Sendero luminoso. Ce mouvement, créé en 1974, est une des nombreuses fractions du parti communiste péruvien. Il est connu sous le nom de « Sentier lumineux » car ses premiers tracts promettaient de suivre « le sentier lumineux de Juan Carlos Mariátegui » qui avait, dans les années 1920, jeté les bases d’un marxisme à la péruvienne.
Clandestin, le mouvement prend naissance au sein de syndicats d’enseignants et d’étudiants de la province d’Ayacucho dans les Andes. Il soutient les thèses de Mao, puis celles de la bande des quatre contre Deng Xiaoping. Il s’intitule aujourd’hui « parti marxiste-léniniste maoïste d’un type nouveau ». Peu avant les élections de mai 1980, qui vont mettre un terme à douze années de régime militaire et porter au pouvoir le président Belaunde Terry. Sendero luminoso se lance dans la lutte armée. Depuis, il revendique plus de 3 500 attentats, enlèvements ou assassinats. L’action la plus spectaculaire a été, le 19 août 1982, une série d’attentats à l’explosif contre des pylônes électriques et des bâtiments officiels. Lima et sa banlieue ont été privés d’électricité pendant trois jours et on a pu assister à de nombreuses scènes de pillage.
Cette action d’envergure et d’autres attentats récents en zones urbaines dénotent une évolution car « Sentier lumineux » avait jusqu’alors limité ses activités au département d’Ayacucho et aux régions rurales voisines. On peut y voir une application du processus maoïste de prise du pouvoir qui consiste à « mener une guerre populaire à partir des campagnes et à la développer ultérieurement dans les villes afin de créer un état de guerre révolutionnaire généralisée ».
La rapidité de l’extension de « Sentier lumineux » surprend car il ne semble pas que l’endoctrinement préparatoire ait été bien long. Cela provient sans doute de la passivité voire la complicité populaire, d’une organisation efficace et de l’inadaptation des forces de l’ordre.
En 1965, en effet, la guérilla était handicapée par une faible assise populaire car, dirigée par des citadins de race blanche et parlant castillan, elle était menée en terrain montagneux, au milieu d’une population de race indienne ne parlant que l’idiome local, le Quechua. Aujourd’hui, au contraire, ce sont les forces de police qui souffrent d’une moindre connaissance du terrain et de la langue. Les terroristes semblent « comme des poissons dans l’eau » parmi les paysans et exilés des bidonvilles, c’est-à-dire ceux qui acceptent mal les institutions modernes. La montée du terrorisme coïncide avec l’instauration d’un régime plus libéral et plus ouvert à l’influence étrangère.
L’organisation et les méthodes de « Sentier lumineux » semblent redoutables. Les guérilleros sont recrutés, instruits puis placés dans des bandes autonomes. La protection du secret est un souci permanent ; les ordres, par exemple, transitent par des « boîtes aux lettres ». Les actions terroristes ne sont pas dispersées : l’attaque d’un objectif important n’a lieu qu’après avoir réuni un effectif plus que largement suffisant, pouvant aller jusqu’à 200 guérilleros, s’être procuré l’armement nécessaire par plusieurs petits coups de main et s’être parfaitement renseigné.
Enfin, le président Belaunde Terry n’utilise pas tous les moyens de lutte possibles. Il ne veut pas faire appel aux forces armées car, déjà président en 1963, il avait été destitué en 1968 par les militaires qu’il avait précisément chargés de la lutte antiguérilla. L’état d’urgence et le couvre-feu ont été décrétés dans les secteurs les plus touchés. La police, trop faible, se cantonne dans les villes et est souvent submergée. Elle réagit parfois sans discernement et augmente ainsi le nombre de mécontents, ses erreurs étant librement rapportées par la presse.
« Sentier lumineux » se développe donc très rapidement. Ses méthodes pourraient faire des adeptes dans d’autres pays à forte proportion de métis et d’indiens, comme la Colombie, l’Équateur ou la Bolivie. Quant au président Belaunde Terry, il peut craindre d’être à nouveau destitué par les forces armées, celles-ci étant particulièrement fortes et semblant indispensables pour s’opposer aux terroristes.
Claude Monier
L’après-Malouines
Il n’est pas impossible que l’opinion mondiale ait eu tendance à trop mépriser ce qu’ont dit les Argentins sur la reconquête des Malouines, et à prendre un peu trop pour argent comptant tout ce qui a été présenté par les Britanniques sur le sujet, en particulier sur l’efficacité de leur matériel. On a assez souvent l’impression que, peut-être pour des raisons assez commerciales, ces derniers magnifient maintenant les résultats qu’ils ont obtenus tout en traitant de façon assez dédaigneuse les matériels construits par d’autres nations.
Un exemple assez curieux en est donné par la manière dont l’effet des missiles MDBA AM-39 Exocet est maintenant minimisé dans la presse britannique. Il a par exemple été dit que le missile qui avait frappé le Sheffield n’avait pas explosé. C’est possible, mais contraire à une déclaration du commandant du bâtiment (The Times, 6 mai 1982). Ce missile a quand même fait 20 morts, et le bâtiment a entièrement brûlé puis coulé quelques jours plus tard, ce qui ne plaiderait guère en faveur de la construction navale britannique et l’entraînement des équipes de sécurité. L’on a dit aussi que l’Exocet qui avait frappé l’Atlantic Conveyor était destiné à un escorteur voisin dont les leurres auraient détourné ce missile sur ce malheureux navire. Il faut avouer qu’il s’agirait alors d’une malchance assez extraordinaire où le bâtiment protecteur s’est défendu au détriment du bâtiment protégé. L’efficacité du missile n’en a pas moins été considérable puisqu’un navire porte-conteneurs de 15 500 tonnes, transportant du matériel précieux dont 17 hélicoptères, a été perdu, ce qui a été fort gênant pour la suite des opérations.
II existe une autre querelle, assez curieuse pour être signalée. Dans une revue publiée par la société British Aerospace, on lit la phrase suivante : « Le Roland, contrairement au Rapier, ayant eu tout son temps pour se préparer, semble avoir complètement échoué ». Une petite phrase de ce genre paraît ne pas tenir compte du fait que le système sol-air courte portée Roland a ses radars et ses missiles sur le même véhicule. Il ne lui faut donc que quelques minutes pour être prêt à l’emploi, minutes qui peuvent être en partie passées à bord du porteur, avion ou bâtiment de débarquement. Il ne paraît pas qu’il en soit de même pour le Rapier, dont le programme est très voisin, mais ce système est constitué de plusieurs parties qui ont besoin d’être connectées et alignées. En tout cas, pour des raisons diverses dont certaines tiennent peut-être à des problèmes de chargement sur les bâtiments de transport, les Rapier ont fait cruellement défaut le 23 mai 1982 lors de la perte du Sir Galahad devant Bluff Cove, qui a coûté 59 morts aux Welsh Guards (Navy International, août 1982, « The Falkland Crisis ». Voir aussi Défense Nationale, oct. 1982, « Malouines : de vieilles ou de nouvelles leçons ? »), alors que l’attaque argentine ne s’est produite qu’à 14 heures, quand les conditions météorologiques se sont améliorées.
Quant au Roland, les Argentins possédaient un véhicule, acheminé par avion Lockheed C-130 Hercules, qui a été utilisé pour la défense de l’aérodrome de Port-Stanley. Ils ont toujours prétendu qu’ils avaient lancé huit missiles qui auraient abattu quatre Sea Harriers ou Harriers (peut-être cinq) et une bombe (!). De toute façon, la piste est restée utilisable jusqu’à la fin et des C-130 en ont décollé jusqu’au dernier jour.
Qui a raison ? Il est bien difficile de le dire, mais il n’est pas non plus possible de refuser, sans plus d’examen, les affirmations des Argentins qui, dans le domaine aérien, ont montré de grandes qualités de dévouement et de professionnalisme. ♦
Georges Outrey