Afrique - Au Cameroun : une succession préparée depuis 1975 - L'Afrique du Sud contraint-elle ses voisins à la défensive ?
Il y a un an on apprenait la décision du président Senghor d’abandonner la direction des affaires au Sénégal. Le même scénario vient de se produire au Cameroun. À 58 ans, Amadou Ahidjo, drapé comme toujours dans son grand boubou blanc et coiffé d’un bonnet brodé, abandonne le pouvoir dans un pays qui a bien failli n’être qu’un État mort-né et qui est aujourd’hui l’un des plus sereins d’Afrique. En dépit des troubles qui ont durement marqué le Cameroun au départ, le niveau de vie de ses habitants a plus que doublé depuis l’indépendance et en mai dernier le président Ahidjo pouvait célébrer avec un faste inhabituel le dixième anniversaire de l’unification. Elle est son œuvre propre et il en affichait l’intention dès 1962 : « l’unité politique est la condition sine qua non de l’unité des esprits, de l’unité des sentiments patriotiques, c’est-à-dire d’une réelle unité nationale » (devant le 4e Congrès de l’Union camerounaise). Pendant 25 ans il aura été le pivot d’une communauté éclatée en plus de 200 ethnies et où voisinent une centaine de langues.
C’est en effet en février 1958 qu’Amadou Ahidjo prend la tête du gouvernement dans le cadre du statut d’autonomie interne qui vient d’être octroyé. À l’époque son avenir apparaît des plus précaires. Depuis des années l’Union des populations du Cameroun (UPC), fondée en 1948 à l’initiative de militants communistes français, fomente des troubles. Elle effectue même une démarche auprès des Nations unies pour que l’indépendance, fixée au 1er janvier 1960, soit retardée dans le but de mieux asseoir son influence. Une initiative qui ne trouva aucun écho au palais de Manhattan de sorte que les extrémistes de l’UPC lancèrent leurs commandos dans Douala puis Yaoundé les 30 et 31 décembre 1958. Cette opposition armée ne devait prendre fin qu’en janvier 1971 avec l’exécution du chef rebelle Ernest Ouandié. Les événements sanglants provoqués par l’UPC ne furent pas les seules difficultés qu’eut à surmonter Amadou Ahidjo, élu président de la République pour la première fois en mai 1960. Il y avait aussi l’hostilité des syndicats que le pouvoir maîtrisa en créant en 1971 l’Union nationale des travailleurs du Cameroun, celle des étudiants et des intellectuels que le gouvernement surmonta en favorisant l’Université, celle des chefferies musulmanes du nord et même des Églises, sans oublier la difficile fédération avec le Cameroun britannique, devenu indépendant en 1961. C’est dans ces conditions que s’exerça le pragmatisme du président Ahidjo, soucieux d’assurer une indispensable intégration nationale. Tout cela n’incitait guère au libéralisme et si on a pu taxer le régime d’autoritarisme, il faut bien voir qu’il était le produit de l’histoire et des structures sociales du pays. Le président Ahidjo ne détenait aucun charisme particulier, il ne fut même pas le symbole de l’unité nationale : il en devint l’artisan opiniâtre.
Pour « construire la nation », ainsi qu’il aimait à dire, le président s’est appuyé sur l’armée mais aussi sur le parti unique dont le rôle était d’amener les collectivités camerounaises à une pleine conscience de l’unité. Cependant ce parti, l’Union nationale camerounaise, est une création tardive et, fait notable, il n’occupe pas tous les rouages de l’État. Pour Amadou Ahidjo, les militants avaient le pas sur les adhérents et jamais il n’a favorisé les campagnes d’adhésions massives. Il se pourrait qu’il en aille autrement désormais avec son successeur, mais ce n’est encore qu’une hypothèse. Les étapes de l’unification devaient aboutir en mai 1972 à la promulgation d’une nouvelle constitution massivement approuvée par référendum : c’est elle qui a instauré l’État unitaire, le pouvoir présidentiel se substituant au fédéralisme. Le nationalisme camerounais se teintait fortement de jacobinisme. Mais trois ans plus tard, en mai 1975, une révision constitutionnelle a procédé à une certaine déconcentration administrative au profit du Premier ministre, sans toutefois abolir la nature présidentielle du régime. C’est d’ailleurs le Premier ministre qui succède au président.
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